2. NOUVELLES
Le Beurre, subversion ou imposture ?
(Introduction à une reconstitution historique argumentée.
Thèse de doctorat en Histériographie comparée soutenue le 08/01/2020)
Dans la longue mais fragile histoire des luttes libératrices, juste à côté des fameuses batailles des Chocolatines contre les tyranniques Pains Aux Chocolats ou celles des Femmes pour reconquérir l’accès libre et exclusif à la Vaisselle, au Ménage et à l’ambigu Repassage, le combat de la Margarine face à la suprématie du Beurre, dont aucun historien digne de ce nom ne sait dater avec précision le début – ni, d’ailleurs, la durée – n’est pas le moindre des évènements émancipateurs sous le soleil renaissant des droits universels.
Pour autant, les péripéties ci-après rapportées n’entrent pas dans le registre des faits indiscutables, avérés et vérifiés puisqu’ils donnent lieu à controverses, voire à moqueries de la part de certain-e-s de mes consœurs et confrères. D’aucunes et d’aucuns iront même, je n’en doute pas, jusqu’à porter à la connaissance de ce jury des éléments n’ayant qu’un vague rapport avec mes propos, quand ils ne rentrent tout simplement pas en contradiction avec eux. Je préfère, pour ma part, m’en tenir au débat strictement intellectuel bien au-dessus des insultes et des quolibets. Et toc.
Tout a commencé par une froide nuit du 25 décembre 0000 à Bethléem (Cène Et Oise) dans l’auberge « Les Toiles D’Hubert G. » qu’un peintre raté, Hubert G. donc, avait créée puis, étant aussi peu doué en commerce qu’en art pictural, avait cédé à un jeune couple, les Sintesprih, pour quelques bouchées de pain. Il faut préciser que ce peintre, dont l’histoire n’a retenu que l’initiale du nom, n’exerçait son art ni à l’eau ni à l’huile, mais au beurre. Nous y reviendrons.
L’établissement, dont Monsieur et Madame Sintesprih avait conservé le nom, était situé entre la mairie et l’église du petit bourg. Il y régnait une agitation si peu commune que les animaux de la ferme voisine, propriété du maire Éric Arthur Blair, étaient venus proposer leur aide. En effet, Marie Sintesprih devait accoucher incessamment sous peu et l’instinct des bêtes, sans doute renforcé par la soudaine montée des eaux autour de l’auberge, les poussait à se blottir autour du futur nouveau-né qu’ils sentaient arriver. Rappelons ici que le chauffage central n’était pas encore inventé.
Joseph Sintesprih avait demandé à ses trois meilleurs amis, Melchior, Gaspard et Balthazar, de venir leur donner un coup de mains lorsque l’enfant serait là, disons vers le 6 janvier 0001. Et s’ils pouvaient porter un peu d’or, d’encens et de myrrhe, ce serait le pied. Ainsi fut dit et ainsi fut fait.
Comme ses compagnons habitaient assez loin, que la grève avait paralysé les chemins de fer et qu’on ne trouvait plus une goutte d’essence dans tout le pays, il leur faudrait partir dès l’année nouvelle de bon matin par les chemins peu sûrs tout enveloppés de brouillard et de neige. Heureusement, ils pourraient se munir de lampes rechargeables par câble USB et leurs vêtements étaient chauds.
Joseph étant un bon bricoleur, il avait fabriqué une énorme étoile lumineuse qu’il avait soigneusement fixé sur le toit de l’auberge tout en haut d’une très longue tige de fer torsadé fournie par le forgeron du village, un certain Ben Jaminfrankh’lin. Ainsi, ses amis auraient un excellent repère dans leur périlleux voyage.
Parvenus à ce point de l’exposé et outre quelques menus détails ouverts à une discussion pointilleuse, aucun fait relaté jusqu’ici ne donne lieu à polémique. Tous les historiens s’accordant volontiers sur l’exactitude de ce, qu’en ma qualité d’auteur de cette thèse, je nommerais tout naturellement « la mise en situation phénoménologique ».
Néanmoins, c’est à partir de maintenant que les choses se compliquent. Comme l’on dit vulgairement « c’est pas d’la tarte » ou, pour revenir au sujet de cet exposé, « c’est pas du beurre ». Voyons un peu.
D’abord, au sujet des amis de Joseph Sintesprih. La postérité n’en a retenu que trois, dont les prénoms sont cités ci-dessus. Mais, en réalité, des études plus pointues en la matière en révèlent un quatrième, prénommé Archibald, dont la profession était nettement moins sexy. Formellement, si Melchior, Gaspard et Balthazar pratiquaient le noble métier de Rois Mages, au demeurant relativement courant en ce temps-là mais tout de même empreint d’une certaine aura, Archibald était, lui, homme-orchestre dans un obscur duo comique « Bang et Plouf » jouant alternativement l’un ou l’autre des rôles selon les publics et les circonstances.
De plus, il était l’auteur, sous le pseudonyme de Théodore Fermtag, d’un traité intitulé « l’arthrose dans le langage articulé - une autre utilisation du beurre » qui ne se vendit qu’à trois exemplaires.
Si l’on en croit certaines archives non encore tombées dans le domaine public, Archibald avait également été invité par Joseph à l’auberge « Les Toiles d’Hubert G. ». Mais, mal remit des festivités des réveillons de Noël et du jour de l’an (il avoua, plus tard, avoir un peu forcé sur le chouchen), il n’arriva à destination que le 7 janvier. Outre qu’il manqua ainsi les réjouissances de l’épiphanie (c’est Gaspard qui eut la fève), il se fit voler le petit pot de beurre et la galette qu’il avait apportés par civilité.
Nous voici enfin arrivés à la question originelle fondamentale. Malgré le nombre très modeste des spécialistes convaincus de l’existence d’Archibald, et puisque ni le petit pot ni la galette n’ont encore été retrouvés, une interrogation surgit : était-ce un petit pot de beurre ou bien de la margarine ?
Si l’on n’a aucune trace des offrandes d’Archibald, l’auberge, elle, a été formellement identifiée et, d’ailleurs, elle existe toujours aujourd’hui (établissement Saintesprih, père et fils). Les méthodes modernes de datation et d’analyses ont non seulement permis de confirmer le lieu de la naissance de Jésus (à « Les Toiles D’Hubert G » et non, c’eût été comique, dans une étable – la confusion venant d’une erreur subtile de traduction des Saintes Ecritures entre les termes voisins « dans une étable » et « sous une table ». J’en ri encore), mais ont aussi révélé (les scellés des divers éléments relevés par la police de l’époque ayant été soigneusement conservés jusqu’à nos jours), entre autre, des traces de margarine. On notera avec intérêt qu’aucun reste, aussi infime fut-il, de beurre n’apparut dans les pièces examinées.
Cette importante découverte créa un véritable séisme dans le microcosme scientifique : et si Hubert G. n’avait pas peint ses croûtes au beurre mais à la margarine, ce qui est plus difficile, certes, mais tellement plus joli ? De là à remettre en cause la chronologie d’apparition de ces deux substances il n’y avait qu’un pas que je fus l’un des seuls étudiants à franchir, du pied gauche parce que ça porte bonheur, le reste de la communauté scientifique, dans sa grande majorité, préférant étouffer les secousses d’une révolution conceptuelle en suivant les chemins balisés du conformisme. Car, ne l’oublions pas, ne l’oublions jamais, certains prétendent, aujourd’hui encore, que la margarine n’est apparue qu’au milieu du XIXème siècle ! Je pouffe…
Il semble, en réalité, qu’à l’époque d’Archibald le beurre n’était pas encore inventé ou ne fut l’apanage que de quelques privilégiés fortunés.
La margarine, donc, régnait.
Ce n’est que bien plus tard que la situation s’inversa. En effet, deux inventions concomitantes et décisives firent leur apparition : le fil à couper le beurre et le couteau à tartiner. Personne n’ayant eu l’idée d’inventer le fil à couper la margarine, les gens se mirent à tartiner du beurre. Et, de fil en couteau, le beurre détrôna sa concurrente.
Cette situation de monopole perdura pendant des siècles, jusqu’à la guerre de libération que j’évoquais au début de cette thèse et qui permit à la margarine, qui avait presque disparue, de se hisser au niveau de son ennemi, après bien des péripéties qu’il est superflu de rapporter ici.
Bientôt, l’armistice fut signé qui mit fin à la guerre et s’engagea alors une période d’harmonie et d’entente cordiale entre les ex-belligérants. J’ai même retrouvé, lors de recherches nocturnes, traces de mariages mixtes. Ah, que la vie était douce…
Mais ce bonheur ne dura pas. Une terrible épreuve toucha tout le monde : la peste barattée…
Elle décima pratiquement toute la population de Beurre et de Margarine ; seule une infime quantité de chacune des deux familles fut sauvée.
Un savant inventa, pour l’occasion, le couteau à margarine et on confia à l’un de mes ancêtres, sous la forme de deux tartines, les survivants avec mission de les mener en un lieu sûr et parfaitement décontaminé pour reproduction.
Mais, comme il était tard et qu’il était fatigué, mon aïeul s’allongea près d’un lac où il ne tarda pas à s’endormir, sa précieuse marchandise soigneusement disposée dans un sac étanche et isotherme à ses côtés.
Quand soudain, surgit un épervier noir !
Chambre 211
Je m’appelle Camille Roland, infirmière à l’hôpital Germaine Brès de Paris-sud depuis un peu moins de deux ans, née le 15 septembre 1996 à Bouillargues dans le Gard, de parents inconnus. En couple depuis 2017 avec Lucas Hervieux, professeur des écoles qui vient de fêter, dans le plus strict confinement, ses 27 ans.
En ce début avril 2020, mes petits pas pressés résonnent dans le long du couloir menant aux ascenseurs. Après avoir appuyé sur le bouton d’appel, je jette un coup d’œil à l’horloge sur le mur au-dessus des quatre cabines : 08h08. Juste le temps de monter au deuxième étage, service Gynéco réservé depuis le début de la pandémie aux patients Covid 19, de laisser mes habits « civils » au vestiaire du personnel féminin, de prendre une douche obligatoire et, après avoir franchi, nue, le sas d’accès codé qui m’a expulsée comme l’utérus de ma mère à l’instant de ma naissance, revêtir les vêtements qui me sont attribués le temps de ma vacation. Masque, Sabots, blouse et sur-blouse enfilés sur des sous-vêtements (5 tailles au choix) très peu seyants.
Je sors enfin des vestiaires. Je suis une femme neuve, sans souci, sans attache et sans état d’âme. On m’a toute entière vidée du superflu singulier non autorisé à entrer en zone de confinement parce que susceptible de perturber la mission qu’on m’a confiée. Seul un stylo personnel est toléré. Le mien m’a été offert par Lucas pour notre premier anniversaire de rencontre. Le reste est derrière moi dans mon casier.
En salle de pause, qui nous sert aussi de bureau, je retrouve mes collègues infirmières Juliette et Marie ainsi que les aides-soignantes Claudine (dite Clau), Sylvie et Sabine pour « les transmissions », c’est-à-dire les évènements marquants ou plus anecdotiques de la nuit ainsi que l’état des soins faits ou les modifications éventuelles de l’interne de garde.
Les sortants, sont éreintés, mais prennent le temps, en plus des nécessités professionnelles, de partager un café avec les arrivants (Lise, Claudie, Frédérique -dite Fred- et Emma, pour les aides-soignants. Élise et margot au niveau infirmières). Sylvie, la plus ancienne du service, nous apprend que Madame Billac, la vieille dame qui ne reçut aucun appel téléphonique en huit jours chez nous et dont l’état s’améliorait, est décédée subitement peu après minuit.
En début de soirée elle s’était endormie. Clau avait, avec précaution, récupéré son plateau-repas à peine entamé et refermé la porte doucement sans rien constater d’anormal. Sylvie, qui lors de sa ronde aimait discuter un moment avec elle, fut surprise de la trouver sans réaction à ses sollicitations. Angèle Billac était partie sur la pointe des pieds sans oser déranger. Telle qu’elle avait vécu.
Bien évidemment, dans la petite salle où les distances de sécurité sont impossibles à respecter et d’ailleurs ça n’est pas notre première préoccupation, toutes étaient tristes. Mais aucune larme ne coula. Une forme de protection émotionnelle avait surnagé aux douches et réussi à passer le sas, probablement vue comme un masque autour de nos cœurs.
- La chambre 211 est libre alors ? demandé-je de manière abrupte.
Étant la plus jeune infirmière et la dernière arrivée, ma remarque bouscule la bienséance et les habitudes séculaires admises par des générations de personnel hospitalier attaché non seulement au respect de la hiérarchie mais également à celui de l’ancienneté. Même, et surtout, en ces temps troublés.
C’est donc Juliette qui, du haut de ses 34 ans, dont 12 à Germaine Brès, annonce, sourcils un peu froncés, que la 211 accueillera, en début d’après-midi, un patient remontant de réanimation.
Le travail commence réellement quand chacune a sa fiche d’activités « planifiées » et le dossier des patient-e-s qui lui été ont été attribué-e-s. Une journée de boulot en période de Covid 19, pour une aide-soignante ou une infirmière, est à peine plus intense qu’en temps normal. Mais le surcroit de stress, d’impuissance et les informations souvent contradictoires, braquent une lumière plus vive sur le manque de personnel et de moyens.
La fatigue, violente, fait des heures supplémentaires hors de l’enceinte de l’hôpital et brûle les corps et les têtes. Elle est en harmonie avec l’insomnie pour souligner le contour des cernes. Plus grave, je vois autour de moi des collègues chevronnées multiplier les erreurs. Certaines s’isolent un moment et reviennent des toilettes la démarche trop bien assurée, un sourire maladroitement peint sur le visage mais les yeux gonflés. On est toutes prises dans le tourbillon flou du temps qu’on n’arrive même plus à mesurer.
Le mois d’avril touche à sa fin, nous sommes le 29. Un peu plus de trois semaines que j’ai quitté la réanimation. J’ai frôlé le pire, m’a avoué le docteur d’Artigues, virologue réputé, spécialisé dans les affections des voies respiratoires. Dix-huit jours de coma artificiel, puis mon état s’est amélioré de façon spectaculaire. Un groupe de médecin, autour de d’Artigues, a décidé de me réveiller progressivement. Alors, le sentiment d’abandon s’est lentement emparé de moi, l’angoisse lui a succédé.
J’étais seul dans un grand box vitré d’où j’entendais quelques gémissements et voyais passer, dans le couloir derrière les carreaux, des lits où étaient allongées des formes humaines disparaissant entièrement sous une couverture.
On m’a nommé ce dont je souffrais. J’aurais presque préféré ne pas le savoir : Covid 19. Un jeune médecin m’expliqua. La maladie, la pandémie mondiale, le confinement…
Pour le reste, mon épouse prenait de mes nouvelles par la cellule de contact grâce à un numéro spécial communiqué aux familles, : trois intérimaires équipés d’un téléphone et d’un ordinateur chacun. Toutes les trois heures, un interne les informait de l’évolution de l’état des patients admis en réa.
Je m’appelle Simon Marchal, né en 1961 à Nîmes, marié à Francine de douze ans ma cadette. J’attends avec appréhension son appel vidéo via réseau social : je suis un peu fatigué. La jeune infirmière qui m’a accueilli lorsque je suis arrivé dans ma chambre au deuxième étage (service gynéco, imaginez un peu !) a été très compréhensive : habituellement, les téléphones portables sont défendus. Mais, étant donné l’interdiction des visites et l’importante charge de travail du personnel soignant que d’intempestives sonneries de postes fixes dans les chambres perturberaient, Camille, comme le révélait l’étiquette collée au coin de sa sur-blouse, les avaient autorisés, à la condition non négociable qu’ils soient réglés en position vibreur.
Sans me flatter, je pense également que mon charme naturel, toujours vivace, a opéré sur cette jeune femme.
Aujourd’hui, je guette donc anxieusement les vibrations de mon smartphone mais je ne sais pas si je vais répondre. Je demanderai à Camille si elle a le temps d’appeler Francine pour lui dire que je dors et qu’on remette notre séance d’échanges virtuels au lendemain.
Depuis deux jours, je sens un poids pesant sur la poitrine qui trouble ma respiration et je suis extrêmement fatigué. Je parviens à donner le change devant les infirmières et même les médecins, sauf que face à ma femme je n’y arriverai pas.
Envie de rien. Ni lecture, ni écoute de mon mp3 pourtant dernier cri et chargé de mes morceaux préférés, ni jeux ou films sur ma tablette performante. Je suis allongé comme échoué sur ce lit qui n’est pas le mien. Où suis-je ? Il me faut un effort appuyé pour me rappeler.
Quand était-ce déjà cette longue discussion avec Camille ? Aucune idée. Je perds la notion des lieux et du temps. Pourtant, des bribes me reviennent. Souvenirs ? Rêves ? Délire ? La maladie reprend-t-elle le dessus ? Peu importe, je n’éprouve ni douleur ni peur. Tout semble sans consistance, presque irréel. De quel côté de l’imaginaire suis-je ?
J’épouse Francine. C’est une très belle femme et j’ai 35 ans. Elle est encore en fac. Je crois qu’elle fait médecine. Non, non… Francine fait des études de droit. La cérémonie à l’église est émouvante. Il y a du monde. Mais, on mange quand ? Ce boui-boui est vraiment infect. Je n’ai pas le souvenir d’un accueil digne de l’évènement : un mariage, ça n’est pas un jour comme un autre. Et à quelle heure ils servent ici ?
Ça me revient. La fac de médecine, c’était Alice. Quelle était belle ! À peine la vingtaine et moi la trentaine passée. Je venais la chercher dans ma Golf GTI. J’étais beau, fort et je savais ce que je voulais. Je me souviens très nettement comme on était bien.
À la naissance de notre fille, Francine et moi sommes si heureux. Elle avait terminé ses études de médecine et on a fait une fête d’enfer avec nos amis, nos proches et… Non, je crois que nos parents n’y étaient pas. Mais, nom de dieu, le patron de ce restau va m’entendre. Deux ou trois jours qu’on est là et toujours pas de bouffe.
Alice n’avait rien voulu me dire. Elle avait quitté la fac. La cantine du restau universitaire la rendait malade. Je me rappelle de ses écœurements. Elle vomissait souvent. Je crois que ce sont ses études qui la rendaient malade.
Comment s’appelait notre fille ? C’est vraiment idiot, je l’ai sur le bout de la langue mais j’ai trop de mal à respirer pour retrouver son prénom. En plus, je n’ai toujours rien avalé. Le patron va en prendre pour son grade, je te le dis Francine.
Je ne pouvais pas l’oublier ce prénom : Alice. Mais toi tu n’en voulais pas. Sous prétexte qu’une de mes anciennes petites amies s’appelait comme ça. Alors, un soir, on a emmené plus loin notre bébé et on l’a jeté. Je ne sais plus où.
Ça n’est pas grave, Francine, tu me le diras tout à l’heure au téléphone. Tu sais, ma Francine, j’ai perdu mon infirmière. Je ne la retrouve plus et j’ai si mal à la tête ! Je perds tout en ce moment, mais je vais aller chercher le patron par le fond de son tablier et tout va s’arranger. J’ai faim, pas toi ?
Mon infirmière, celle qui a disparu, s’appelle Camille. Je te dis ça, mais il me semble qu’elle ne veut pas que je t’en parle. Elle doit être en colère : ses parents sont présents autour de cette grande table et les entrées ne sont toujours pas servies. D’ailleurs, les apéritifs non plus. J’entends pourtant du bruit et des gens courent partout.
Camille, viens manger ma chérie, je ne sais pas où tu es. Francine ne me le dit pas.
Registre de l’hôpital Germaine Brès, 11 avenue Pasteur, Paris 15ème
Ce jour, 29 avril 2020 à 17h12, chambre 211, est décédé Monsieur Simon Marchal, sans enfant, époux de Francine Bricou.
L’infirmière présente : Camille Roland Le médecin ayant constaté le décès : Georges d’Artigues
OU EST LE BOUT DU MONDE ?
C’est au matin du 23 février 1987, à 04h06 très exactement, que Louis s’éveilla dans sa chambre d’adolescent.
Elève brillant depuis la primaire, il obtint le baccalauréat avec mention « excellent » alors qu’il atteignait ses 14 ans. C’était non seulement un étudiant en avance sur son âge, mais à 11 ans il était déjà père de deux enfants, qu’il ne reconnut d’ailleurs pas car il ne les avait jamais rencontrés.
A 21 ans, il entra à l’observatoire du mont Wilson, aux USA, et publia, deux années plus tard, sa fameuse théorie quantique du temps instable que la vue d’un ivrogne titubant dans Sunset Boulevard lui inspira.
A 30 ans, il était célèbre dans le monde entier. Refaisant les calculs de Dirac, d’Einstein et des frères Bogdanov, il révolutionna la physique théorique en uniformisant l’infiniment petit avec l’infiniment grand.
Les retombées pratiques de ses travaux commencèrent à porter leurs fruits des années plus tard lorsque ses équations furent enfin déchiffrées par la communauté scientifique.
Cette incapacité à être compris déclencha chez lui une grave dépression qui le força à retourner chez ses parents près de Limoge.
Et c’est là que nous le retrouvons ainsi que le début de cette histoire.
A peine réveillé, ce 23 février 1987 à 04h06 précise, Louis eut une illumination : « à moi qui ai expliqué l’inexplicable, du Big-Bang à l’intrication quantique, en passant par la réussite du soufflet au fromage, il me reste une chose à découvrir : le bout du monde ! Que n’y avais-je songé avant ! » ajouta-t-il in petto car il parlait couramment cette langue.
Sans faire de bruit, sans un mot pour ses parents, il partit dans le petit matin sombre et froid muni d’un sac à dos contenant le strict minimum pour la découverte du bout du monde. Cela est assez clair pour que nous ne perdrions pas de temps à faire la liste de ce qu’il avait mis dans son sac, car nous sentons bien que le suspense est à son comble. Poursuivons donc.
Il se dirigea vers l’ouest car le levant ne pouvait n’être que le début et non le bout du monde. Il se sentait bien, loin de toute pensée noire, triste ou mélancolique. Il marchait le cœur léger et le pas décidé, l’horizon s’inclinait avec déférence devant cet homme frêle mais résolu.
Il ne laissa rien d’autre à la postérité que ses anciennes activités scientifiques. Aucun écrit, ni témoignage ou conversation avec quiconque. Personne, même parmi ses connaissances, ne put attester d’un quelconque contact avec lui. Il avait comme disparu, englouti dans un trou noir ?
Il parvint pourtant à atteindre son but. Au matin du 18 octobre 2011, il était enfin devant le bout du monde. Il y recueilli son fils qu’il appela...qu’il appela…
No me recuerdo.
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