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Une fois tous silencieux, debout, les mains derrière le dos, Jack grimpa sur un petit monticule de pierre et annonça le début de la session. D'autres formateurs se tenaient à côté de lui, reluquant les nombreux candidats. Il y avait deux formateurs pour chaque équipe, symbolisés par la couleur de leurs épaulettes en cuir.

- Il y a actuellement six postes à pourvoir, déclara Jack.

Sur environ une soixantaine de postulants, c'était peu, se dit Vender qui était venu presque sans préparation. Il avait juste sa détermination et son étude des créatures. Il faut dire qu'il ne pouvait pas se permettre de payer des cours d'entraînement comme d'autres, la location d'un enseignant avec la créature coutait une fortune.

- Cette année les postes disponibles sont les suivants : deux monteurs de loups, trois teneurs de chaines, et un guideur de Vauray. Les monteurs sont chez Minerum et Arcum, les teneurs de chaines chez Inginum, Viventum et les Behosiens. Quant au guideur de Vaurey, c'est pour l'équipe Arcum.

Un seul poste de monteur de loup. La concurrence s'annonçait rude. Beaucoup étaient ceux rêvant de grimper sur ces créatures puissantes qui bravaient les vagues comme un couteau coupe du beurre. En tournant légèrement la tête pour jauger ses futurs adversaires dans le processus de recrutement, Vender se piqua à la vue de Rost Belloy. A tous les coups, cette tanche serait retenue et il devrait s'entraîner avec lui. Ce dernier arborait un sourire, fier comme un coq déjà confiant de sa victoire et de sa supériorité par rapport aux autres.

- Avant de débuter, une question. Qui n'a pas encore reçu son affectation ?

Quelques postulants levèrent la main, environ une dizaine. Vender retint son souffle, il hésita à lever la main. Il souhaitait plus que tout participer cette année. Il ne pouvait pas patienter un an de plus. Mais s'il mentait, cela lui serait plus préjudiciable, ils se rendraient vite compte de la supercherie et il serai radié. Il se résigna et dressa le bras à contrecœur.

- Sachez que vous qui levez la main, ne pouvez, à l'heure actuelle, que postuler aux postes des Behosiens, à savoir teneur de chaîne pour cette année. Nous octroyons un délai d'un mois pour que votre affectation se déclenche. Dans le cas contraire, si vous faites partie de la sélection, vous aurez peut-être l'opportunité de jouer dans l'équipe de la Capitale.

Le visage de Vender se fendit en une grimace. Il tenta de la réprimer à la vue des formateurs qui les étudiaient tous minutieusement. Teneur de chaine, quelle plaie. Il fallait à tout prix qu'il découvre son pouvoir. Il était pratiquement sûr d'être un Arcum.

- Pour ceux qui n'ont pas levé la main, sachez que vous serez soumis à un test. Tout postulant qui a menti sur son affectation sera immédiatement renvoyé et ne pourra plus jamais recandidater. Nous exigeons de la transparence. Ce sport est dangereux, gardez cela à l'esprit, ce n'est pas un simple jeu où le seul risque est de vous casser une jambe. Certains se sont déjà fait dévorés dans le passé. Alors, je répète ma question : qui n'a pas reçu son affectation ?

Trois nouvelles mains se hissèrent timidement.

- Voici déjà notre première purge. Vous trois, vous sortez, Kay va vous raccompagner.

Les trois étudiants, une fille et deux garçons écarquillèrent les yeux, ne s'attendant pas à un renvoi aussi brutal. Un colosse au visage carré d'environ vingt -six ans s'avança vers eux, les enjoignant à quitter le groupe. Les ex-candidats repartirent penauds, jetant un dernier regard à un Vaurey, tranquillement posé sur la berge du lac qui s'étendait non loin d'eux.

- Un rappel des règles principales du Vadratch, énonca Jack une fois les trois élèves sortis. Chaque équipe est composée de neuf joueurs. Trois monteurs de loups, trois teneurs de chaînes et trois guideurs de Vaurey. L'objectif est de projeter la flèche en bois de chêne cuivré que vous devez tous connaître, dans le cercle enflammé au centre de l'espace de jeu. La flamme enregistre quelle équipe l'a touchée en prenant la coloration du blason de son peuple. Il y a cinq flèches, donc cinq tours. Attention à la formation du cercle qui peut se refermer et se rouvrir à un autre endroit sans prévenir. A la fin de la partie, le cercle s'enflamme et affiche la couleur gagnante et donc les vainqueurs. Les teneurs de chaine et guideurs de Vaurey doivent être bien coordonnés et être assez familiarisés avec les créatures avec lesquelles ils sont en lien. Quant aux monteurs de loup, même s'ils sont seuls, cela ne signifie pas qu'ils ne doivent pas travailler leur jeu en équipe.

A l'écoute du déroulement d'un match, Vender était tout excité à l'idée de pouvoir y participer, d'être dans l'arène chevauchant un loup des mers et visant le cercle de la flèche qu'il aurait repris à l'équipe adverse pour voir une flamme couleur pourpre éblouir les spectateurs. L'idéal pour en mettre plein la vue serait même de monter un loup des mers de la race des Jobra. Ces loups étaient les plus puissants et majestueux de leur espèce. Mais aussi les plus dangereux. Indomptables, rapides comme l'éclair, d'une taille qui dépasse deux fois celle d'un loup des mers ordinaires, ils terrifieraient n'importe qui dans une arène. Et la victoire serait alors un jeu d'enfant. A condition de maitriser un tant soit peu la bête bien sûr.

- Pour ne pas perdre plus de temps, nous allons immédiatement tester votre affectation. Et ainsi procéder à la deuxième purge, reprit Jack en descendant du tas de pierres.

Vender surprit certains à se mordre la lèvre. Ce n'était pas faute d'avoir prévenu pourtant, pensa -t-il. Tant mieux, des concurrents en moins. Il en aperçut un qui ingéra discrètement un liquide bleu dans une petite fiole qu'il sortit de sa poche de pantalon. Il s'agissait d'un élève de premier grade, surement de quatrième année qui croyait sincèrement que cet élixir de camouflage, surement inventé par des sorciers motivés par l'appât du gain, allait fonctionner et tromper le cercle. Personne ne pouvait tromper le cercle. Rien ne pouvait le corrompre. Ou presque.

Un homme de trente ans vêtu d'une tunique vert foncé, resté derrière les formateurs s'avança vers les étudiants et s'arrêta à un mètre d'eux. Il se frotta doucement les mains, les tournant chacune à l'inverse de l'autre, puis il fixa son regard vers le sol et écarta les mains en recroquevillant les doigts comme si une boule se formait au creux de ses paumes et les forçaient à se séparer. Ce n'est qu'au bout de quelques secondes qu'un crépitement se fit entendre et des étincelles couleur doré se manifestèrent là où il dirigeait son regard. Les petits grains de poussière qui apparaissaient au compte-goutte s'amoncelèrent pour finir par former un cercle parfait. Les étudiants furent émerveillés devant la prestation du sorcier. Faire apparaitre ces cercles relevait d'un haut niveau en magie.

- Lequel d'entre vous souhaite passer en premier ?

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Dave avait pris le chemin des dortoirs situés dans les hautes tours de la cité, mais il fit un détour au moment où Vender sortit de son champ de vision. Il ne lui avait pas dit, mais l'appartenance de peuple de Dave s'était révélée cet été. Il était bien un Arcum, comme ses deux parents. Son père avait développé une affinité avec le bois, sa mère, Elena Greylon, savait se faire discrète, presque comme une ombre invisible pour les autres quand elle le souhaitait. Cela tranchait avec sa propre mère, et donc la grand-mère de Dave, Eloise Bost, véritable championne de course en 1562 grâce à son don de rapidité. Les habitants de Wuron ne voyaient qu'elle à cette époque-là. Il faut dire qu'elle avait une sacrée personnalité. Bonne vivante, un poil extravagante, mais aussi très sage dès ses vingt ans.

Dave se rendit dans les grandes salles dédiées à la pratique de l'escalade. Situées dans un bas-relief à droite de l'édifice principal, elles pouvaient accueillir environ trois cents étudiants. Si un pan de la grande salle contenait des voies classiques de dix à trente mètres, droits ou en dévers, les autres étaient mouvantes et sortaient directement vers l'extérieur, la fin de ces voies n'était d'ailleurs pas visible à l'œil nu. D'autres partaient dans les profondeurs, laissant apparaître des crevasses dans le sol. Certaines n'avaient de visible que les premières prises, tout le reste de la voie était masqué par de la brume d'illusion. Enfin, il existait un générateur de voie avec programmation libre ou lancement aléatoire où l'on pouvait sélectionner le niveau de difficulté dans la grosse machine cuivrée ressemblant à une jukebox, mais également le type de prises ou le décor.

Une fois son choix fait, l'étudiant actionnait un levier, la machine émettait un grouillement et vibrait pendant plusieurs secondes avant de générer la voie qui s'ouvrait devant le grimpeur. Si les voies classiques étaient pratiquées avec le port d'un baudrier, d'une corde et la présence d'un assureur, les autres exigeaient le port d'un harnais spécial qu'il fallait raccorder à la voie et d'une corde composée de tungstène rouge. Ce harnais était encore plus important pour ceux qui souhaitaient monter ces autres voies en tête. En effet, cet équipement était capable de détecter les chutes, les changements de rythme cardiaque, ou tout renseignement sur l'évolution des conditions du grimpeur. Autre sécurité, les chaussons de ce dernier contenaient un Applaneur, sorte de nuage qui ralentissait le choc imminent d'un corps avec une surface quel qu'elle soit.

Dave se remémora en entrant dans la salle son instant de révélation. Il s'entraînait sur les pans de la falaise située non loin de son village. Alors qu'il jetait un regard dans le ciel, admirant les petits Flambants bleus qui se coursaient dans et entre les brumes crémeuses parfaitement dessinés, il avait ressenti comme un embrasement dans tout le corps, comme si ses joues prenaient feu, à tel point qu'il lâcha prise et s'échoua dans le sable encore humide de la haute marée de la veille. Ce n'était pas un hasard, pensa-t-il, d'obtenir sa révélation en grimpant les falaises qu'avaient monté les plus grands grimpeurs de son peuple. Beaucoup de jeunes s'entraînaient ici, avant de recevoir leur affectation.

Ce jour-là, il n'y avait que Pens Hazitor. Déclaré Arcum avec une affinité dans la conception des flèches, Pens était un véritable passionné de grimpe même si son niveau n'atteindrait jamais celui d'un porteur du don associé à cette pratique. Enthousiaste à l'idée de devenir un grand alpiniste, Dave avait adressé un regard pétillant à Pens qui lui répondit par un pouce de la victoire avant de laisser s'échapper un rire de joie et de courir rejoindre ses parents pour leur annoncer la nouvelle.

C'était il y a quinze jours. Dave savait que Pens n'en parlerait pas à d'autres, ce n'était pas le genre de personne à raconter tout ce qu'il voyait, ni à colporter des rumeurs. Dave avait décidé d'en profiter et de garder l'information pour lui vis-à-vis de Vender. Il savait que ce dernier l'aurait mauvaise en apprenant que son meilleur ami avec eu sa révélation avant lui. Cela lui mettrait une pression encore plus intense que celle qu'il se mettait déjà avec sa volonté de jouer au Vadratch.

Dave crevait d'envie de se servir du générateur pour partir dans les hauteurs et s'offrir une vue panoramique sur l'école et tous les espaces qui l'entouraient. Mais il fallait d'abord une certaine expérience en escalade validée par une certification qu'il n'avait pas encore passé. Il se tourna vers une voie mouvante qui allait assez haut pour prendre un peu d'altitude quelques mètres au-dessus du sol de la grande plaine entourant l'école. La voie faisait vingt mètres et effectuait un mouvement ascendant et descendant toujours dans le même périmètre. Sa densité ne ne lui permettait de toute façon pas d'aller bien loin. Faite d'une roche pourpre que l'on trouvait dans les volcans de Barrak, elle était assez limitée dans ses mouvements. Il posa sa main droite sur l'une des prises noires avant que celle-ci ne lui échappe. Elle était granuleuse et sèche. Parfait pour commencer.

- Eh, toi ! Grade un ! C'est harnais obligatoire, éloigne-toi de la crevasse !

Philippe Monti, étudiant de grade 2 était surveillant ce soir-là pour les grimpeurs. Ses cheveux roux tirés étaient en un chignon serré, des yeux luisant d'un noir aussi profond que la plume d'un corbeau, Philippe était intransigeant sur la sécurité dans la pratique de l'escalade. Bien plus que les deux autres qui partageaient avec lui les créneaux de surveillance. Bien qu'ils l'étaient tous, Philippe avait mis la barre au-dessus, depuis l'accident qui avait rendu la jambe droite de sa sœur, Stella Monti, invalide pendant presque un an. Sa guérison avait nécessité des soins continus et l'application de sorts complexes.

- Oui, j'y vais tout de suite, répondit Dave en se dirigeant vers le placard à harnais près de l'entrée.

Seulement une trentaine d'élèves étaient présents. Du moins, ceux qu'ils pouvaient voir, la salle était un véritable labyrinthe et elle était si vaste que Dave s'étonnait toujours de la capacité des surveillants à repérer le moindre écart et prévenir le plus petit incident. Les lunettes aux verres bruns cerclées argent qu'ils portaient était conçues dans l'idée mais cela l'impressionnait tout de même.

Son harnais correctement bouclé, il saisit la corde noire et rouge de la voie maintenue par une dégaine et la décrocha pour la nouer aux boucles de son harnais. Il prononça les mots « Nœud de sécurité » et la corde s'entremêla jusqu'à former un nœud indénouable à mains nues. La corde se tendit, Dave sentit le harnais scanner le haut de son corps avant d' afficher un sourire approbateur pour la grimpe de l'étudiant.

Ah oui, petite précision sur ces fameux harnais. Tout comme les sportifs qui les portent, ce sont des êtres vivants.