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Simon les regardait au travers de la porte vitrée, avec son perpétuel air autoritaire qui inspirait confiance dans ces moments de panique.

« Empruntez les sous-sols, ils ne vous suivront pas. Je vais vous faire gagner du temps. »

« Je ne partirai pas avant de t’avoir vu sourire ! »

De tous les moments qu’il avait eu de disponibles, c’était celui qu’Émile avait choisi pour montrer à quel point il tenait à lui. Simon ne pouvait pas lui offrir ce qu’il lui réclamait, d’autant plus que la menace s’approchait d’eux à grand pas.

« Nom de dieu, c’est pas le moment ! »

Au fond de lui, il savait pertinemment que ce jeune homme ne partirait pas sans son dû. Il ne pouvait laisser partir quiconque sans avoir la certitude qu’il s’en allait de la bonne manière, sans regrets, sans honte, sans crainte. Alors, en guise de remerciement, Simon avait décidé de faire un effort et de retirer ses éternelles lunettes de protection teintées.

Émile était toujours surpris de constater que, malgré les contraintes, les douleurs et les dysfonctionnements, les yeux restent à jamais le reflet parfait de l’âme qu’ils servent. Derrière le masque désormais retiré, son visage s’était imprégné de l’inquiétude qui le troublait. Ses yeux, brisés par l’accident et l’absence des antibiotiques, avaient accepté la souffrance que lui infligeaient ces larmes qui coulaient sur leur surface brisée et sensible, derrière laquelle on apercevait le rouge vif de l’irritation en cours.

Émile avait toujours su que derrière cette muraille, durement fortifiée par le temps et les malheurs, se cachait un être humain formidable, magnifique, qui n’attendait qu’à être découvert. Lors de leur rencontre, il avait aperçu une lueur briller à travers les meurtrières de ses remparts, et il pouvait désormais en admirer le foyer.

« Les gars, je déteste faire les choses pour rien, alors barrez-vous ! »

La voix tremblante du chef de groupe avait achevé le doute en suscitant l’émotion de ses protégés. Ils ne le reverraient plus en vie après ça, mais ils devaient s’enfuir pour continuer en sa mémoire. Émile encouragea les filles à partir en avance de phase.

« Je t’aime de tout mon cœur, général des cons ! »

« Adieu Simon, on ne t’oubliera pas. »

Ce fut le cœur lourd de tristesse et les yeux humides que Sophia s’était mise à courir loin d’eux, avec Silvia dans ses bras, qui ne pouvait s’empêcher de regarder la silhouette du vieux con trentenaire se rapetisser à chaque pas, jusqu’à disparaître au premier virage.

Simon était soulagé d’un poids, les filles étaient en sécurité. Il fallait désormais faire face à Emile, et ça ne serait pas aussi simple.

« Prend soin d’eux… Il y a eu assez de... »

« Libère-toi, Simon. Tu as fait bien plus que ce que la vie te demandait, et on t’en sera à jamais reconnaissant. La gamine a dit vrai, on t’aime du fond du cœur. Maintenant, tu dois vivre. C’est ton moment. Et si ce n’est pas un sourire de soulagement ou de peine… C’est peut-être un sourire malsain, un sourire de haine qu’il te faut. N’aie plus peur de rien Simon, et libère-toi. »

La peur qui s’emparait de Simon laissait doucement place à une émotion différente. La surprise face au discours de son ami n’avait pas persisté et une sensation d’apaisement se propageait en lui, si bien qu’un demi-sourire avait vu le jour un instant sur ses lèvres, comme si quelque chose enfoui profondément depuis bien longtemps venait de se réveiller.

Émile comprenait ce qu’il se passait. Ce n’était pas de la joie ou de l’amour qui faisait effet, mais quelque chose de très sombre, qui suppliait de sortir pour mieux s’exprimer, et ce monstre allait être servi sous peu.

C’était la voie qui lui était destinée. Sa fin était là, et elle avait prévu d’être spectaculaire, à la hauteur des émotions refoulées depuis tout ce temps. Il n’y avait plus le temps pour une thérapie, un câlin ou un aveu de dernière minute. En faisant tomber le masque, Simon avait accepté son sort, Simon avait accepté sa vraie nature.

« Va-t’en. Ça va être moche. »

Mélancolique avant l’heure, Émile se mit au garde-à-vous et salua une dernière fois son ami avec le sourire des grands moments.

« Ce fut un honneur, mon capitaine. »

Il effectua un demi-tour droite avant de courir pour disparaître dans l’angle emprunté plus tôt par les filles.

*************

Enfin. Ils se sont tous décidés à partir. J’ai bien cru qu’ils finiraient par rester auprès de moi par compassion, ces cons. J’ai eu chaud. Aussi petit que cela puisse paraître, je n’aurais pas supporté périr sous leurs yeux. Ces gens-là ne méritent pas une telle souffrance gratuite. Et il était hors de question de les voir aux mains de l’ennemi sans rien faire.

La gamine qui vous aime aussi fort qu’elle gueule, la fille qui pense n’exister qu’au travers de ses colères, le technicien aussi effrayé de la vie que doué et créatif, et ce garçon qui avait juré de ne mourir qu’après l’abolition globale de la souffrance. Si on m’avait dit un jour que je serais responsable d’une bande d’idéalistes assoiffés d’amour et d’affection, j’aurais ri jusqu’à en mourir de soif.

Et quel con j’aurais fait ce jour là, car s’il y avait bien une bande qui voulait sincèrement de mon sale caractère et de mes idées tranchées, c’était bien celle-là.

J’ai guidé ces gens, perdus d’esprit mais si forts de cœur, à travers des situations absurdes et douloureuses. J’ai réussi à éclaircir les moments de doutes. Je n’ai fait que mon travail pour des femmes et des hommes que la société avait rejeté.

Et que m’ont-ils offert en retour ?

Ils m’ont aimé.

Moi, Simon Timbler, ancien soldat, chef désagréable, vieux chien et handicapé de la vie.

J’ai été aimé. Du fond du cœur.

Jamais une prière n’avait eu un goût comparable à cette bienveillance.

Moi qui ai osé douté des miracles, écoute bien.

J’ai aimé. Mon cœur a aimé.

Vois, ô Seigneur, comment j’ai surmonté la vie et les traces qu’elle m’a infligé.

Admire comment j’ai affronté l’œuvre du Malin et la main de Satan, qui voulaient me perdre dans la souffrance.

Enfin, me voilà libéré de la noirceur qui étouffait mon esprit.

J’ai gagné, mon Seigneur. J’ai trouvé le chemin vers lequel tu me guidais, celui qui demande du cœur pour être emprunté, celui des hommes, celui de la vie, celui du bien.

Seigneur, c’est toi que j’ai trouvé, brillant de bonté et de grâce. Je ne saurai décrire l’étendue de ma joie, lui-même incomparable au poids que tu as ôté de mes épaules. Je m’offre tout à toi, comme tu t’offres à moi.

Je n’ai qu’une ultime requête à t’adresser, afin de remplir entièrement mon rôle auprès de tes disciples, de mes amis et petits protégés.

Laisse-moi être le Saint-Michel de ces grands du cœur.

Offre-moi la chance d’expier l’entièreté de ma rage, de ma frustration, de mes remords et de ma haine pour protéger ces anges qui persistent contre vent et marée pour l’amour du prochain, laisse-moi les protéger de ces serviteurs du mal.

Car il n’y a pas de justice sans élu pour porter son glaive et la foi inébranlable du jugement divin.

Et il n’y a pas de justice dans ce monde si personne ne se bat pour mes gens.

Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit,

Amen.

*************

Les soldats avaient déjà investi la grande salle principale du bâtiment lorsque Simon y fit son apparition, bousculant la double porte secondaire qui venait claquer peu après.

Les armes pouvant l’acquérir comme cible se braquèrent sur lui. Des voix s’élevaient pour lui communiquer des ordres, des menaces et d’autres types d’informations.

Simon n’entendait rien, ne voyait rien, ne ressentait plus rien. Ses yeux grands ouverts de haine, rouges comme s’ils avaient été conçus de cette couleur, fixait un point devant lui. Ses oreilles bourdonnaient de rage et son corps tremblait d’une immense violence.

Son regard s’élevait lentement jusqu’à rejoindre celui du garçon armé qui lui faisait des signes qu’il ne remarquait pas. Furieux, il empoigna son arme de poing d’une force accrue, et hurla de toutes ses forces :

« Bienvenue en enfer ! »

C’était ainsi qu’il avait déclaré la guerre au monde entier. Le jeune engagé volontaire, qui tentait vainement de le raisonner, fut froidement abattu sous le regard impuissant de ses camarades, qui ne tardèrent pas à ouvrir le feu.

Sans perdre de temps, il se mit à courir d’abri en abri, ripostant très fréquemment et sans aucune faille à ses assaillants, les faisant tomber un à un. Il avait comme mission de leur faire regretter d’avoir posé un pied dans cette dimension d’existence.

Les balles avaient beau perforer son corps de toute part, rien ne semblait l’arrêter, ni le ralentir dans sa frénésie meurtrière. Il y avait trop de choses malsaines en lui, trop de haine pour envisager de lâcher l’affaire. C’était comme si la mort elle-même profitait du spectacle lugubre qui lui était offert avant de se mettre au travail.

Il fallut quelques minutes de combat acharné, mené par une poignée d’hommes qui lui avait résisté, malgré les pertes exceptionnelles causées par la volonté d'un seul homme, pour que Simon tombe enfin au sol. La force et la ténacité de ces soldats avaient eu raison de sa furie. Il ne lui restait que quelques munitions de 9mm, et autant de secondes à vivre.

Lorsqu’une balle traverse le crâne d’un être humain, le système nerveux s’éteint en un battement de cil et le corps entier cesse de fonctionner : plus personne ne commande et plus rien ne répond. Ce qui vivait jusqu’à ce moment dans ce corps n’est plus. Alors la vie, les souvenirs, les émotions, les ambitions, les regrets, les passions, les envies… Il n’en reste plus rien.

C’est ce qu’aurait pensé Simon s’il avait pu voir ce soldat, partagé entre la stupeur et l’esprit de vengeance qui l’animait, se rapprocher rapidement vers lui, le fusil fermement agrippé entre ses deux mains, prêt à ouvrir le feu au moindre doute. Son corps était brisé, fatigué, déboussolé et en sueur, il ne pouvait toujours pas comprendre les paroles qui lui étaient adressées.

Et pour cause, Simon n’était pas là. Il n’avait pas mis les pieds dans cette salle. Il n’avait pas fait face à toute une armée.

Avant même de pousser la double porte, il avait été épargné par le Tout Puissant. Son âme avait rejoint l’Au-Delà, et non pas l’Enfer comme il avait prévu depuis si longtemps. Il laissait derrière lui l’entièreté de sa noirceur dans son corps, ainsi que tout ce qui n’avait pas sa place au Paradis. Les anges se servaient de cet amas d'atrocités au nom d’une bonne cause.

Un dernier élan d’adrénaline s’empara de ce corps, alimenté par la perversité de toute une vie, et éleva le bras armé du monstre pour tenter d’emporter un dernier adversaire dans sa chute, mais son cerveau fut traversé par la froideur d’une balle, quelques instants avant l’activation du mécanisme, et tout le mal s’envola. La vie avait enfin disparu, et Simon Timbler n’était plus.

Simon détestait l’idée de partir en héros. Il voulait juste partir en faisant une bonne action, il n’en avait rien à faire des titres honorifiques. Aussi, il savait que c’était les autres qui décidaient de qui avait été digne d’un héros.

Malgré tout, il savait qu’aux yeux de ses amis, il était parti en demi-dieu. Et ça, d’en haut, il en riait très fort.


Texte publié par AlexeiSerov, 28 août 2024 à 22h36
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