Dans sa combinaison spatiale blanche et moulante, une jeune femme se balade sur les étoiles. Ses yeux dépourvues d'iris et de pupilles lui donne une prestance si pur que l'espace semble n'être qu'une tâche à côté. Sa chevelure est longue. Très longue. Si longue qu'elle traîne derrière elle et donne l'air de la ralentir dans son avancée. Sa crinière bouclée, ornée d'une belle et fraîche anémone blanche, est d'une blancheur égale à celle des éternelles et brillantes comètes parcourant les univers.
Cette entité, appelons la Delta.
Delta est de nature joyeuse. Son visage est constamment couvert par un sourire des plus joviales. Lorsqu'elle trouve une planète belle, Delta décide de s'accroupir et de l'observer un petit moment. Pour Delta, un petit moment revient à des milliards d'années lumière.
D'où vient Delta ? Qui est Delta ? Ces questions dont la légitimité n'est pas révocable, personne ne peut y répondre. Personne ne pourra jamais y répondre. Delta elle-même n'a absolument aucune idée de ce qu'elle est. Une chose est sûre, elle trouve l'espace ennuyant.
Comme toutes les milles fois, sans que quiconque puisse l'anticiper, l'entité hors de l'espace et du temps s'arrête. Et pour la toute première fois en six Ère Noire, elle s'arrête. Pire encore. Delta prend la parole.
"■░ ▒ ▒ ▓ █ ███████████ !"
Les Univers tremblent. Il semblerait que Delta soit agacée par quelque chose. Elle a l'impression d'être de nouveau à son point de départ. De tout recommencer depuis zéro. Elle continue de sourire malgré tout. Après tout, bien que son sort soit si cruel et qu'elle ait déjà fait le tour de l'univers mille fois, Delta n'a pas l'intention d'arrêter de sourire. Elle sait pertinemment ce que veut dire le début de cette nouvelle boucle. Et elle n'est pas du genre à être malhonnête envers elle-même. Elle est bien trop pure pour ça.
Delta est excitée à l'idée de le détruire une nouvelle fois.
"Non...Je déteste le blanc. Pas d'anémone sur ma tombe ! Je préférerais qu'on y appose des Aster. Ou pourquoi pas simplement des tulipes noires ? Lors du deuil tout le monde s'habille en noir. N'est-il donc pas naturel de déposer des fleurs noires sur la tombe de la personne décédée ? Ils viennent tous avec leurs bouquets extraordinaires, comme si c'était un concours... Si j'meurs, incinérez-moi simplement qu'on en finisse !
- Ayëron... Tu es aveugle. Arrête de parler comme si ça changeait quelque chose pour toi tu veux ? Abigaïl écoute depuis ce matin les complaintes pleines d'hargne du quatrième fils.
- Tu ne peux pas comprendre Abby...
- Beurk. Arrête avec ce surnom !"
Elle le remarque exceptionnellement bavard aujourd'hui. Sans doute le traque, l'excitation, ou un mélange des deux dû au discours de son père de la veille. Noël n'est pas avec eux aujourd'hui. Ça aussi, c'est exceptionnel. Néanmoins, Ayëron s'en fiche un peu et Abigaïl s'en réjouit. Rien de grave, en somme. Cette escapade entre nos deux protagonistes n'en est pas vraiment une. Simplement vêtu de leur noir et sombre tunique illustrant leur appartenance à la haute noblesse, mais aussi muni d'une simple épée en fer, ils patrouillent à cheval dans la capitale, Shëllœl, de façon assez aléatoire. Cette ville est un véritable labyrinthe de toute façon, des dizaines de routes à des niveaux différents qui s'entremêlent et vont un peu partout. Construite sur une falaise au milieu d'un immense plateau, le gigantesque fort en son sein est le point névralgique de la ville avec à l'intérieur de lui le plus grand marché du Royaume, au premier étage. Le style terne de l'architecture de la capitale est en contraste avec le style vestimentaire très coloré et riche des habitants du centre-ville. La densité est forte et le devient un peu plus à chaque fois qu'on s'éloigne du milieu de la capitale, parallèlement, les citoyens sont de moins en moins colorés et certains s'habillent en noirs de haut en bas avec un bandeau noir recouvrant leurs yeux. Ce sont des Sans-Yeux, des personnes victime d'un virus mortelle et incurable les rendant aveugle à la naissance. Les causes ? Personne ne les connaît. Il est fort probable que cette maladie touchant près de 40% de la population du Royaume soit en partie responsable des évènements ayant fait de la Terre ce qu'elle est aujourd'hui.
Sur le visage d'Ayëron, un rictus empli de malice se dessine. Bien qu'il le montre peu et qu'il essaie d'être un minimum juste, le Prince ne peut s'empêcher de trouver satisfaction dans le fait qu'il soit si privilégié. Oui. C'est un Sans-Yeux lui aussi. Mais c'est aussi le fils du Roi. Évidemment, le fait d'être aveugle lui a valu un traitement discriminatoire et plutôt abject. Mais au final, Ayëron apprécie le fait que tout soit relatif. Que sa souffrance ne soit pas si grave que ça comparé à celle des autres. Abigaïl, à sa droite, lui lance un regard perçant avant de l'avertir.
"Calme toi... Un peu inquiète dans sa voix, la fille laide des Frost continue. Comme d'hab, il n'y a rien ici. Même les endroits les plus reculés sont tranquilles ces derniers temps.
- Tant qu'ils mangent à leur faim et peuvent s'amuser, ce coin sera tranquille. Ayëron a l'air plutôt sûr de lui.
- Tu crois ? Le code vestimentaire et les yeux bandés... Peut-être qu'ils en auront marre un jour ?
- Peut-être.
- Et alors ?!
- Quoi ? Je ne suis pas devin. Si ce jour arrive alors j'espère pour eux qu'ils seront plus tenaces que ceux des colonies.
- Oh ? C'est le nouveau chef des troupes de répression qui parle maintenant ?
- Oui.
- Si on m'avait dit qu'une Anomalie finirait chef un jour... Tu penses qu'il y en a vraiment d'autres comme toi ?
- Évidemment. Les Anomalies sont une infime minorité parmi les Sans-Yeux, mais ils existent. Évidemment leurs pouvoirs ne se valent pas tous. Certains ne peuvent pas grand chose sur le champ de bataille.
- Contrairement à toi.
- Contrairement à moi. Abigaïl s'esclaffe de rire l'espace d'un instant avant de conclure la conversation.
- T'es une cause perdue Ayëron !"
Le Prince continue de sourire. Ses yeux dépourvues d'iris et de pupilles lui donne une prestance si impures. Ils sont la caractéristique permettant de reconnaître une anomalie, ironiquement un Sans-Yeux est certes aussi aveugle mais possède bien des iris et des pupilles.
Sur leur chemin, le duo d'handicapés passe devant une maison étonnamment grande, se démarquant de toutes les autres dans ce quartier reculé et plutôt malfamé. On pourrait qualifier ce bâtiment de manoir. De manoir hanté même puisqu'il est abandonné et que toute l'aile gauche a l'air complètement brûlé. Au moment où les deux passent devant cette structure, il fait gris. Les nuages épais recouvrent le ciel et ne laissent aucun rayon de soleil s'échapper. La fille des Frost fait halte. Ayëron en fait de même et la regarde, l'air interrogateur.
"Abigaïl ?
- J'ai une bourse en cuir ! La jeune fille n'a pas l'air sûr d'elle. Mais elle poursuit : ça te dis ? Il y en a de toutes les couleurs !
- Sérieux...
- Allé !
- Demain, 1087 hommes seront sous mes ordres...
- Allé ! Tu vas mourir jeune dans tous les cas !
- T'es horrible...
- Allé !
- D'accord d'accord, arrête de te répéter en boucle.
- Noël ?"
Au final, ils descendent de leurs chevaux sans même les attacher à quoique ce soit, assez confiant pour être sûr qu'ils seront toujours là à leur retour et que l'emblème de la haute noblesse sur la selle suffira à dissuader les possibles voleurs. Ayëron et Abigaïl rentrent à l'intérieur du manoir par l'entrée principale en ouvrant la grille grinçante et rouillée. Ils n'ont pas l'air de découvrir ce lieu. Marchant sur le sentier battue du jardin, les deux petits nobles ne sont pas directement rentrés dans le manoir mais ont décidé de plutôt faire le tour pour entrer par l'arrière. Avant de rentrer, Abigaïl s'arrête et lance un regard nostalgique en direction de l'unique arbre se trouvant dans la ouche sur leur chemin. Ayëron le remarque aussitôt et se demande pourquoi ce regard.
"Tu regrettes ?
- Non. On a bien fait de les tuer avoue Abigaïl.
- Pourquoi ce regard alors ?
- Dis, tu crois qu'ils se réveilleront un jour ? Un peu comme des zombies ? La fille des Frost esquive délibérément la question de son ami et Ayëron rentre dans son jeu.
- Sans doute. Personne ne meurt pour toujours.
- Oh."
Pénétrant à l'intérieur de la demeure, le couple fait bien attention à ne pas abîmer quoique ce soit, évitant d'écraser les nombreuses œuvres d'art tombés sur le sol. Ce qui est factuellement inutile puisque tout est dans un état insalubre et abîmé. Arrivé dans le spacieux et étrange salon, Abigaïl s'asseoit sur le canapé pour se saisir d'un étrange objet avec plein de boutons dessus. En face d'elle, une télévision recouverte de poussière. Ayëron la rejoint et s'asseoit à côté d'elle, soupirant d'exaspération et se demandant s'il a bien fait de la suivre avant de prendre conscience du fait qu'il n'a jamais eu le choix de toute façon.
"Arrête de toucher n'importe quoi.. Qu'est-ce qu'on fait si tu déclenches une explosion ?
- Ah ! Horrifiée, Abigaïl balance la télécommande sur la télévision de toute ses forces, l'encastrant sur l'écran. Peu importe ! Regarde !"
Elle sort de sa poche gauche une petite bourse en cuir noire et desserre les filets afin d'en verser le contenu sur sa main droite. Dix bonbons solides et colorés de plein de formes différentes tombent de la bourse. Cette drogue peu répandue est nocive, elle est supposée permettre d'être dans un état de joie, de bonheur intense et de faire disparaître toutes les tâches de l'existence. Le goût fruité et unique de ces bonbons les rendent attirant pour toute une partie de la jeune noblesse. Elle jette la bourse tenue dans sa main gauche sur le sol. Abigaïl se tourne complètement vers son ami, prenant trois gélules à l'aide des doigts de sa main gauche, de son index, son pouce et son majeur. Une gélule violette, une bleue et une rouge. Lentement, elle approche sa main des lèvres du Prince. Il ouvre sa bouche puis elle lâche les bonbons. Une fois ingurgité, Ayëron en ressent les effets dans l'instant qui suit. Il remarque que la jeune fille à sa gauche porte dix bagues dans chacun de ses doigts. Puis il se souvient que plus petit, elle lui avait expliqué qu'elle porte dix bagues pour ne pas être fiancée à qui que ce soit. Abigaïl est simplement convaincu que s'il n'y a pas de place pour l'anneau des fiançailles dans ses doigts, alors elle n'aura sans doute jamais à se marier. Ayëron, lui, ne peut s'empêcher d'éclater de rire de toutes ses forces.
"Sérieux ? C'est de moi que tu te moques là ? C'est ça qui te rend heureux ?!"
Pleine de complainte, Abigaïl se saisit finalement elle aussi de trois bonbons avant de les avaler d'un coup. Tout de suite, elle se met à rigoler à son tour, se souvenant d'un souvenir douloureusement amusant.
"Ayëron ! Tu... Hahahahahaha ! Tu te rappelles des derniers mots d'Ener ?!
- Ouais. Il m'a supplié de ne pas le tuer !
- Quel con ! Abigaïl arrête de rire. Elle essaie de reprendre son souffle. Ener et Eden n'ont eu que ce qu'ils méritaient.
- Tu regrettes ?
- N..Non ! Bien sûr que non ! Même s'ils étaient mes frères jumeaux, ils m'ont tellement maltraité, ils ne méritaient que ça !
- On les a enterré dans la ouche derrière ce manoir.
- Oui...
- Ils ne se réveilleront pas. Les zombies n'existent pas.
- Oui...
- Tu sais quoi Abigaïl ? Dans les histoires, vouloir protéger les autres est toujours dépeint comme quelque chose de si noble. Moi, je trouve ça égocentrique et dangereux. C'est parce-que j'avais envie de te protéger que je n'ai pas hésité à tuer tous ces gens. Tes frères, ces vendeurs de pommes qui se moquaient de tes yeux, ce soldat qui te traitais d'engeance démoniaque.
- Merci Ayëron...
- Tu es vraiment bizarre... Tu aurais pu les tuer toi-même.
- Sans doute...
- Tu aimes bien te sentir protégé ?
- À ton avis ?
- Évidemment...
- Tu es aveugle Ayëron. Tu ne peux pas savoir à quel point je suis moche. Combien de miroir ai-je brisé en maudissant cette apparence ? Tout ce qui m'arrive, c'est à cause de lui. Heureusement... On est pareil toi et moi, les gens nous détestent pour ce qu'on est... Je trouve ça rassurant. Je me demande quand est-ce qu'on aura droit à notre vengeance ?"
L'Anomalie n'en sait rien. Il n'a ni envi ni besoin de se venger. La fille des Frost poursuit :
"Ahhh, je suis fatiguée !"
Abigaïl enlace Ayëron avec ses deux bras, apposant son menton sur l'épaule droite de celui-ci avant de fermer ses yeux. Le Prince ferme ses yeux à son tour, il trouve absurde et dérisoire les émotions d'Abigaïl mais ne peut s'empêcher de les chérir et les protéger, convaincu qu'ils sont plus précieux que tout au monde.
Bien qu'on pourrait croire que fermer ses yeux ne change rien pour lui, Ayëron voit le monde d'un blanc pur. Et donc en noir lorsqu'il ferme les yeux. Tous les deux ont décidé de sommeiler. Finalement, les bonbons n'ont fait que ressortir les tâches de leur existence.
Après une longue sieste, le duo d'handicapés maintenant réveillé a décidé de sortir du manoir pour se remettre à cheval et retourner au château, Abigaïl s'arrête tout de même pour faire une prière au pied de l'arbre où dorment ses frères, ça lui permet de déculpabiliser.
Sur le chemin du retour, alors qu'ils se complaisent dans un agréable silence et que la nuit d'automne tombe déjà, le couple observe un curieux événement plutôt récurent ces derniers temps. Au centre d'une place en rénovation du centre-ville, il y a du monde et un objet étrange ressort légèrement du sol en plein milieu d'un chantier. Cette chose a l'air très grande, c'est un cockpit, il fascine la foule. Les ouvriers, qui étaient sans doute sur le point de travailler ce terrain ont l'air décontenancé.
Ayëron le sait, c'est une fusée. Il l'a vu dans les livres de la Petite Bibliothèque. Il ne peut s'empêcher lui aussi d'être fasciné l'espace d'un instant avant d'être rappelé à la réalité par les policiers hurlant sur la foule pour la disperser. Ce n'est pas une première pour Abigaïl et Ayëron. Ces derniers temps, des objets de l'Ancien Royaume ressurgissent et les gens sont souvent désemparés dans ce genre de situation. Mais très vite le chantier va être condamné. La zone entourant l'objet sera mise sous quarantaine. C'est une question de sécurité. Tenter de déterrer l'objet n'est plus une option viable depuis que la dernière tentative a provoqué une explosion rasant plusieurs villages du sud.
Alors que la foule fût dispersée, quelque chose dérange Ayëron au plus profond de son être. Non, ce n'est pas juste une impression. Ayëron est convaincu qu'il y a quelque chose de vivant à l'intérieur du cockpit de l'avion. Quelque chose de perturbant et malsain. Si malsain qu'il en a des nausées.
L'un des hommes de la police de la capitale se trouve justement sur le bout pointu de l'avion, il a l'air de regarder à travers les vitres du cockpit. Agitant sa selle, le Prince met au galop son cheval afin de rapidement rejoindre le policier. Prise de court, Abigaïl n'a pas le temps de comprendre qu'elle se met immédiatement à suivre Ayëron lorsque celui-ci se met hurler.
"Descends ! Il y a quelque chose à l'intérieur !"
Des avertissements inutiles puisqu'un bras métallique ayant brisé les vitres du cockpit vient perforer le ventre de l'homme, laissant ses intestins s'enfuir de son ventre. La souffrance qu'exprime son faciès ne semble pas faire fléchir la créature qui se sert du corps de l'homme comme appui pour sortir du cockpit. Une machine ? Elle est humanoïde, si grande. Elle soulève le corps de l'homme avec une telle facilité. Arrivé en bas du cockpit, Ayëron dégaine son épée, Abigaïl en fait de même. Tous les policiers suivent le mouvement. Peu importe ce que cette chose difforme peut bien être, une chose est sûre.
"C'est un ennemi !" Hurle Ayëron de vive voix.
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