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— Dis Papa.

Papa ne répond pas. Il est trop occupé à travailler son truc, son machin, son bidule auquel je ne comprends rien et lui non plus d’ailleurs. Sa pipe dans sa bouche doit pourtant le gêner bien plus que ma présence, bien plus que mes envies de jouer.

— Dis Papa.

Toujours aucune réponse. Et pourtant il sait bien que je suis à côté, collé à son futal, à ses basques, à ses braies, que je suis attentif à tout ce qu’il peut dire, faire et surtout penser, même si pour ce dernier je dois tout inventer.

— Dis Papa !

— Quoi, encore ?

Encore ? Pourquoi encore ? C’est la première fois, au moins depuis un an, ou un jour ou presque une heure ou un peu moins d’accord, qu’il daigne me parler.

— Dis Papa, c’est quoi ça ?

Je lui désigne un pot posé sur l’établi près d’une tasse en porcelaine, un globe en bronze doré surmonté d’un couvercle et d’une anse cuivrée, percé d’une trompe verte oxydée par les fluides qu’elle a toujours versée, d’où s’échappe un nuage, une fumée délicate blanche et un peu bleutée, au doux parfum de miel, de tilleul, de verveine.

Evidemment ces mots, ces matériaux, ces odeurs, je ne les connais pas. Je les devine à peine. Mais je n’ai plus cinq ans et j’écris maintenant.

— C’est ma main dans ta gueule si tu continues à m’emmerder.

La colère est bien là. Elle ne le quitte jamais. Elle fait partie de lui, je l’aime pour ça aussi. Elle fait partie de moi. Je m’y suis habitué, je ne me méfie pas : c’est la normalité.

— Tu es sûr que c’est pas un lampe magique ? Y’a pas un génie la dedans ?

Avec ma voix d’enfant les mots sont difficiles, accrochent tous un peu, sont tout juste perceptibles.

Il saisit la théière d’un geste lent et ferme. J’aurais dû me méfier d’une telle sérénité. Il l’approche de moi et, avec un sourire ici pour me charmer, me demande de fermer les yeux juste un instant pour laisser apparaitre l’esprit tant désiré. J’obéis sagement, je suis très excité.

Au-dessus de ma tête, il commence alors à verser.

— Le voilà ton génie, maintenant fous moi la paix.

J’ai certainement hurlé, j’ai dû pleurer aussi. Mais je n’ai pas bougé. Presque heureux pour une fois d’avoir participé avec mon doux Papa à une activité. Je ne vois plus de fée, de farfadet, de djinn là où seule la fumée d’une eau brune et brulante tente de s’échapper. Je ne vois plus rien d’ailleurs. Et j’entends à peine plus. Et je ne parle pas. Je ne pose plus de questions. Car on ne sait jamais. Même si je ne les vois pas, je suis sûr que partout, il y a des papas.


Texte publié par Arthyyr, 23 juillet 2024 à 14h26
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