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tome 1, Chapitre 5 « Le Club dort au thé » tome 1, Chapitre 5

— Qui commence? dit François. Il faut bien que quelqu'un se lance!

 

Absolument rien dans sa voix ne trahit le moindre enthousiasme. Il espère surtout bazarder cette corvée, commencer le premier puis se mettre dans un coin pour végéter tranquillement.

 

— Cette idée à la con, c’est l’idée de Michel, c’est à lui d’assumer.

 

Sur ces mots prononcés avec froideur, Annie exécute un geste dédaigneux du dos de la main à l’adresse de Michel. Elle se demande s’il espère réellement réussir à créer un élan spontané de franche camaraderie et de partage intense au sein de ce gang de pouilleux dépareillés.

 

— Nous sommes cinq pèlerins en partance vers l’Enfer. Nous devons nous ouvrir l’un à l’autre avant de commencer notre voyage. Ce n’est rien moins que la condition cardinale à notre survie.

 

La référence aux pèlerins d’Hyperion n’échappe à personne. Mais la peur du Gritch peine à s’insinuer en chacun. Et entendre Michel parler par énigme commence à gonfler tout le monde. Sauf Robert visiblement.

 

— Vous avez parfaitement raison Michel, je commence!

 

— Non pas toi, dit Claudine, toi ta vie on s'en fout.

 

Les remords de Claudine se sont vite dissipés. Son agressivité envers Robert semble même décuplée. Annie, changeant d’avis, déclare alors.

 

— Moi, je vais commencer. De toutes façons il n'y a pas grand-chose à dire. Vous n'avez qu'à lire mon CV.

 

— Si tu veux qu'on t'embauche, il va peut-être falloir une petite lettre de motivation en plus, réplique Claudine.

 

— Puisque tu y tiens Tellement, répond Annie avec un soupir. Après ton enterrement, ta fausse mort, ton coup de poignard, bref après ta répugnante traîtrise, j'ai quitté l'académie militaire que j’avais intégrée pour, finalement, entrer dans la police. Je ne pouvais plus supporter les mains au cul et les sourires déplacés sous les plumes de casoar posées sur les crânes ras des cyrards fascisants.

 

— Il n’y a pas de main au cul chez les flics? demande Claudine.

 

— Si, mais elles sont plus crasseuses, du moins en apparence, et laissent de belles empruntes. Je peux donc facilement retrouver leur propriétaire. Et bien leur faire passer l'envie de recommencer.

Claudine boit ces paroles. Elle visualise sans peine une Annie apprêtée en rétiaire au centre d’une arène, un immense cirque antique, face à une pile informe de gladiateurs étripés et putrides. Puis elle regarde François et se dit que lui aussi doit, parfois au moins, apprécier le spectacle.

 

— Rapidement de lieutenante, je suis passée capitaine et ensuite commandante. J'ai fait venir François qui trainait sa misère au fond de son canapé.

 

— Eh oh, tu permets que je me raconte moi-même, dit François entre ses mâchoires serrées.

 

Annie enchaîne sans y prêter attention.

 

— Depuis maintenant quinze ans je ne fais que bosser et résoudre tous les crimes qui se présentent à moi. Un taux de résolution de près de cent pour cent.

 

Cette dernière information partagée, comme un point final à sa très courte histoire, l’est sans aucune fierté, ni prétention déplacée.

 

— Et pourquoi pas cent pour cent? dit Claudine par provocation.

 

— Probablement parce que le divisionnaire ne sait pas compter. Il est flic après tout, dit Annie avec désinvolture. C'est bon pour moi. François, à toi.

 

— Attends, dit Michel. Un copain, un mari, des enfants? C’est quand même tout ce qu’il y a d’intéressant!

 

— A toi François, dit à nouveau Annie sèchement.

 

— Puisque c’est nécessaire…Moi j'ai été marié, mais ça n'a pas marché. Je n’ai pas eu d’enfants.

 

— Tu m’étonnes!

 

Claudine ne peut visiblement pas s’empêcher de commenter chaque phrase et chaque mot prononcé.

 

— Et à qui la faute, dit Annie, tu la baisais à peine. Tu as toujours préféré ta main droite, ou la gauche, je ne sais plus.

 

Claudine pouffe de rire.

 

François est agacé de voir Annie entrer si vite dans le jeu de Claudine, celui des petits messages vicieux et des remarques assassines. Il s’apprête à répliquer mais comprend, tout à coup, l’avertissement caché derrière ces viles paroles: dis en le moins possible. Elle sait mieux que quiconque qu’il ne maîtrise pas la portée de ses discours et que sa logorrhée, une fois déclenchée, est presque inarrêtable. Et que tout doit rester entre lui et Annie, son talent, ses verrous, ses clés et ses techniques. Il ravale sa fierté et finit sont récit dans la simplicité.

 

— Juste après mon divorce j'étais au fond du trou. Annie m'a proposé d'intégrer la police. Et maintenant que je suis flic je ne la quitte plus. Ma vie c'est le boulot pour moi comme pour elle. Il n’y a rien à dire de plus.

 

S’ensuit un court silence.

 

— Sapristi les enfants, vous êtes fort peu loquaces, dit Michel en souriant. Moi j'aurais tant aimé en apprendre un peu plus. Votre vie amoureuse, vos nouveaux plats préférés, vos dernières vacances, vos nouvelles angoisses ou, mieux encore, vos petits secrets, les petits divertissements sensitifs auxquels s’adonne François, les passe-temps hypnotiques dans lesquels Annie excelle! Bref, tous vos délires psychiques, votre "spiritisme ancien".

 

Sur ces deux derniers mots, il se met à chanter une chanson de Reggiani.

 

— Ce sont des sujets qui méritent développement, non? Thèse, antithèse, foutaise, allez, on reprend!

 

Annie et François se regardent stupéfaits. Le silence, encore. C'est François qui le brise.

 

— Mais de quoi parles tu?

 

— Allons, allons. Pas de ça entre nous! On est du même sang, de la même famille, non?

 

François remarque alors la panique au fond des yeux de sa sœur.

 

— Tu te poses des questions Annie, je comprends, dit Michel. Oui je sais bien des choses. Alors gagnons du temps, vraiment. S’il te plait.

 

L’immense sincérité qui se ressent alors, le besoin viscéral exprimé par Michel de parler franchement finit par faire tomber les défenses cumulées d’Annie et de François.

 

— Vas-y François dit Annie résignée. Je te laisse expliquer…tout ce qu’il y a à expliquer.

 

En laissant la main à François, elle évitera ainsi de révéler elle-même ce que lui-même ignore. Elle pourra conserver une part de contrôle. Ou une illusion de contrôle. Ou absolument rien. Ce diable de Michel sait probablement déjà tout. Changeant soudain d’humeur, comme il le fait souvent, ce dernier dit alors:

 

— Est-ce que quelqu’un veut du thé? J'ai des biscuits aussi. Je fais chauffer de l'eau.

 

Tout le monde hoche la tête en un assentiment. Sauf Robert, mutique et immobile depuis la dernière remarque de Claudine.

 

— Quand tu auras fini François, Claudine parlera. Et moi, je conclurai. J’ai certaines choses à dire, des questions à poser et pas mal de réponses à celles qui vous hantent.

 

François entame dès lors une longue diatribe pour expliquer comment, sous le contrôle d’Annie, ils sont si efficaces. Il se sent soulagé, il se sent allégé. Annie le laisse parler sans une interférence, sans même qu’un soupir, un haussement de sourcil ou un mouvement futile ne lui intime l’ordre de se taire et d’attendre. Et il se sent revivre. Et il se sent aimé.

 

*****

 

— Nom de dieu, dit Claudine. Moi qui pensais décrocher la palme du meilleur récit.

 

— Justement, dit Michel, c'est à ton tour. Nous sommes tout ouïe.

 

— Oui, je suis impatient d'entendre ça.

 

Robert ose à nouveau exister. Mais il n’aurait pas dû.

 

— Ta gueule le cabot, n'oublie pas que tu es en sursis permanent. Bref. Au commencement était le verbe.

 

— Non, Claudine, tu ne vas pas t’y mettre aussi! maugrée François.

 

— Donc au commencement était le verbe, insiste Claudine. Puis moi. Et après de longues et brillantes…non, pas brillantes, éclatantes études de biologie, j’ai intégré le département de xénobiologie et d'exobiologie du programme spatial. Une princesse dans un royaume.

 

— Attends un peu interrompt Annie, j’ai dû rater un épisode. Il me semble que, juste avant ta…mort, tu travaillais simplement dans un laboratoire d’analyse médicale perdu dans la pampa pour des raisons de sécurité sanitaire. Tu étais bien une princesse, oui, mais des analyses de fluides en tout genre. J'en connais quelques autres qui me servent d'indic. Mais je veux bien t’accorder que tu étais un peu surdiplômée pour ça. Et puis, la xéno-exo-biologie, c’est quoi encore ces conneries?

 

— Si tu veux bien la fermer un peu très chère cousine, tu comprendras.

 

— Laissons la aller jusqu’au bout, dit amicalement Michel pour calmer les esprits. Nous poserons les questions à la fin.

 

—   Donc, des études énormissimes disais je, un boulot de façade d’accord, mais la vérité était ailleurs. J'insiste sur le fait que mes études étaient hors-normes sinon, comment expliquer que je me retrouve si vite dans un département si avant-gardiste?

 

— Euh...la fortune de tes parents? Ce genre de service, il faut bien le financer. Ça marche comme explication? demande François.

 

— Eh bien non! Ils étaient complètement fauchés!

 

— Pardon? Et l'ile, le château, les fermes, les dépendances?

 

— Disparus, enfumés, volatilisés. De mauvais investissement dans une arnaque mondiale: une histoire d'avion renifleur de pétrole, un truc comme ça. Une preuve que mes parents, aussi riches et puissants soient ils, n'étaient pas très futés. Donc, je suis brillante, supérieurement brillante, fauchée, bien énervée et plutôt baisable à l'époque. Le directeur de programme était vieux, pervers et ambitieux. Ca ne pouvait que matcher entre nous! Il voulait mes compétences pour réussir et il voulait me baiser. Bon, il n'a atteint que la moitié de ses objectifs, mais quand même.

 

— Son programme de recherche a été un échec? souligne Annie.

 

Claudine ne relève pas. Michel demande:

 

— Pour justifier un département de xénobiologie, il a bien fallu de la matière, non? Un prétexte valable, une bonne raison? Et ne me parle pas de Roswell s’il te plait.

 

— Exact, dit Claudine. Mais je vais quand même être obligé de t’en parler un peu. Pas de Roswell, pas de mythe, pas de mythe, pas de fantasme, et sans fantasme et bien…aucune ambition sur ce sujet comme sur d’autres. Il faut savoir qu’à cette époque, le moindre reste biologique suspect était pisté puis analysé dans l’espoir de trouver une preuve de l’existence d’extraterrestre. Des millions, puis des milliards ont été investis dans de nombreux pays. Et tout ça pour rien. Jusqu’à moi.

 

— Comment dit soudainement Robert, vous avez découvert une preuve de vie extraterrestre sur terre? Mais je n’en ai jamais entendu parler!

 

— Oui, et ce pour plusieurs raisons: tu es sourd, tu es con, et parce que c’était du flan.

 

Michel en viendrait presque à admirer Robert et sa persévérance, lui pourtant humilié à chaque intervention.

 

— Nous avons donc fini, comme je le disais, par rassembler des preuves biologiques d’une vie non-humaine sur terre: squelettes entiers et ossements isolés, tissus, fluides organiques, déjections, plantes et insectes, virus et bactéries, etc. Des preuves par kilos, en veux-tu en voilà, de nouvelles chaque jour, tellement de preuves que seul un imbécile aurait pu ignorer qu’elles n’étaient pas toutes complétement bidon, totalement falsifiées. Mais comme nous ne rendions compte qu’à des politiciens, il fût assez aisé de tout tripatouiller.

 

— Mais alors, pourquoi? demande François.

 

— L’argent très chère cousin, l’argent.

 

«Tu n’imagines pas ce qui était en jeu. Une toute petite équipe, quelques gardiens discrets et clairement sous-payés, faciles à soudoyer, un entre-soi occulte permanant et opaque sans la moindre interférence extérieure, des achats en direct, aucun intermédiaire, le culte du secret, aucun observateur, une petite vie de façade fade et tranquille, mais un pouvoir immense: celui d’entretenir un mythe, couplé à des budgets monstrueux! Nous sommes donc devenus dieu. Une version vénale de dieu, d’accord, mais dieu quand même. Nous avons créé la vie! Une vie mort-née, oui, aussi. Mais nul besoin qu’il en soit autrement. Et le pire dans tout ça, c’est que nous y avons pris goût. Forts de nos expertises, nous avons tout donné pour parfaire le modèle, peaufiner les détails, s’assurer de la cohérence de chaque nouveau morceau de cet immense puzzle pseudo-vivant. Et plus il y avait de pièces, plus il y avait d’argent, rapidement investi dans des machines de pointe, incubateurs divers, imprimantes organiques, manipulateurs d’ADN, le tout pour créer plus, toujours plus, de preuves irréfutables. Il va bien sûr sans dire que ces belles bécanes étaient surfacturées sans que le fournisseur ne s’en doute un instant et sans que le payeur final n’en soit aussi informé. Aucun intermédiaire comme je l’ai dit, aucune trace, top secret. Et tout le monde était content. Nous, bien sûr, pleins aux as rapidement, les donneurs d’ordres aussi, des étoiles plein les yeux.»

 

— Et que s’est-il passé?

 

— L'amour ma pauvre Annie, l'amour! Notre experte ADN a eu la bonne idée de se faire engrosser par un de nos matons, un vulgaire soir de beuverie. Tu y crois à ça, Annie, de nos jours? Quand elle s’en est aperçue, c’était un peu trop tard. Elle l’a donc gardé. Nous avons tous prié pour que ça n’impacte pas les actions engagées. Mais c’était peine perdue.

 

— Et elle a fait une connerie, une mauvaise manipulation, affirme alors François pensant connaître la suite.

 

— Pas du tout repris Claudine. Je te rappelle qu’en face, il n’y avait personne capable de contredire la moindre de nos affirmations. Non. Elle nous a juste trahit. Elle a été prise de remords. Les hormones je suppose. Elle a tout déballé. Elle a pris peur. Elle ne voulait pas risquer que sa progéniture naisse en prison et grandisse sans elle. Elle pensait pouvoir négocier un accord en nous dénonçant tous et en témoignant.

 

— Et donc?

 

— Ils lui ont accordé une balle dans la tête. Et aux autres membres de l’équipe. Et aux fournisseurs de matériels. Et aux cowboys qui gardaient nos locaux. A la boulangère qui nous vendait du pain, le maraicher qui cultivait nos légumes, le chauffeur de bus qui me reconduisait chez moi, et sa femme, et ses enfants. Tout ce qui de près ou de loin, ramenait au labo et aux travaux en cours. Quand j'ai vu mon heure arrivée, je me suis donc…auto-nettoyée. Je n’ai pas eu trop le choix.

 

— Mais nous t’avons tous vue lors de la mise en bière. Je suis moi-même allée t’identifier à la morgue, dit Annie.

 

— Ma plus belle arnaque, je le reconnais. Mais garde bien en tête que j’étais une experte et que je ne manquais pas de moyen et de matériel.

 

— Et ton chien? J’ai vu Dagobert mort également.

 

— Ma plus belle arnaque je te dis! Sauf pour le chien. Là, il était vraiment mort.

 

— Tu as tué ton chien? dit Robert effrayé.

 

— Tu vois ce qu’il t’attend si tu t’attaches à moi. Mais à ma décharge, il était très malade et il souffrait beaucoup. J’ai fait d’une pierre deux coups.

 

Un silence gêné s'installe.

 

— Et pourquoi tu n'es pas venue nous voir, dit enfin Annie.

 

— Pour vous raconter quoi?

 

— Tout, dit Michel.

 

— Et tous vous faire crever?

 

— J’ai du mal à comprendre une réaction pareille, s’interroge François. Ce n’était pas un peu…disproportionné?

 

— Les politiques ont horreur de passer pour des cons. Ils ont en fait horreur que des preuves en ce sens puissent être révélées et s’imposer à tous. Et ils passent donc leur vie à vouloir tout détruire. Et petit à petit, à tous nous effacer.

 

*****

 

— Maintenant, c’est à moi!

 

La jubilation de Michel à l’approche de son tour se heurte à la déprime ambiante. Le récit de Claudine a pétrifié tout le monde.

 

— Robert, s'il te plait, refais nous du thé.

 

— Pourquoi moi?

 

A peine cette question posée, Robert réalise qu'elle ne recevra aucune réponse. Il se lève donc avec servilité. Il soupire bruyamment lorsqu’il s'aperçoit que le broc d'eau potable est vide, ce qui va l’obliger à marcher jusqu’au puits. Heureusement, il ne fait pas encore tout à fait nuit.

 

— Pendant que Robert se dégourdit les pattes, on va tous les quatre aller faire un petit tour juste à côté. Ou plutôt en dessous. Ce sera beaucoup plus simple qu’une longue et pénible explication. François, aide-moi à déplacer la table. Annie, Claudine, levez vous, déplacez les chaises et écartez vous.

 

Michel et François se positionnent chacun d’un côté de la table. Elle est beaucoup plus lourde que François ne l’avait imaginé. Il peine à se coordonner avec Michel, incapable de comprendre où ce dernier veut l’emmener. Brusquement, d’un coup de hanche puissant, Michel exerce une poussée vers un espace vide, déplaçant la mêlée de près de deux mètres. François lâche la table et tombe à la renverse.

 

— Tu pourrais faire gaffe! J’ai failli tout me prendre sur la gueule.

 

— Relève toi et déplace le tapis qui est maintenant accessible.

 

— Tu n’as qu’à te démerder tout seul.

 

Michel s’accroupi et tire sur le tapis, puis le roule soigneusement. Il se relève et prend quelques secondes pour se rhabiller et brosser ses vêtements avec le plat de la main pour en ôter la poussière. Il ne s’aperçoit pas que pendant le même temps, François fait exactement la même chose, les mêmes mouvements, au même rythme, dans le même ordre. Le même sang, incontestablement. Sous le tapis se révèle une trappe.

 

— Il ne manquait plus que ça. Une cabane, une table, un tapis, une trappe. Et dessous, il y a quoi? Une base secrète? Tu n’as pas mieux à nous jouer comme mauvais film? dit Claudine avec amusement.

 

— Descends, tu verras bien, dit Michel en lui tendant une lampe torche.

 

Elle s'apprête à la prendre, mais Annie est plus prompte. Elle s’en saisit sans un mot, se dirige vers le panneau, l’ouvre facilement et le laisse retomber sans même la retenir après un demi-cercle effectué sur ses gonds. Elle descend l’escalier qui apparait alors. Quinze marches seulement. La pièce n’est pas trop sombre. Le peu de lumière qui jaillit de la torche et de l’ouverture au plafond suffit à l’éclairer. Un sol de terre battue, des fondations de briques rouges qui limitent l’espace à quelques mètres carrés. Pas de porte apparente sur aucun des quatre murs. De la poussière, des araignées, de la crasse, un peu d’humidité et posés à même le sol sans une couverture, sans un linceul, un suaire, ou même un simple drap par soucis de dignité, cinq corps étrangers, impossibles et difformes, en apparence nus et d’une couleur étrange.

Au moment où Annie aperçoit ces derniers, elle recule d'un pas et percute Claudine, tout juste descendue à sa suite.

 

— Mais c'est quoi ce bordel! crient Annie et Claudine de concert.

 

Michel qui ferme la marche en poussant devant lui un François qui rechigne à descendre répond alors:

 

— Ca Claudine, c’est à toi de me le dire, j'ai justement besoin de ton expertise.

 

*****

 

— Le thé est servi, aboie Robert en passant la tête par le haut du passage. J'ai ajouté de la cannelle.

 

Claudine s'apprête à lui dire d'aller se faire voir et qu'ils ont autre chose à foutre, mais Michel ne lui en laisse pas le temps.

 

— Nous arrivons! Bonne idée la cannelle! Retournons là-haut, je vous dois des explications. Tu auras tout le temps d'examiner les corps, Claudine. Et toi François de t'imprégner de...ce dont tu dois t'imprégner.

 

Autour de la table remisée dans un coin de la pièce, chacun se réconforte avec sa tasse chaude, ses gorgées brulantes, et l'amertume des feuilles de thé en écho au désarroi qui s’agite dans leurs têtes. Le parfum des épices excite le chaos qui menace de les submerger. Au bout de trente minutes, chacun est effondré. Physiquement. L’un est étalé par terre, l’autre sur la table, les deux derniers tiennent à peine sur leurs chaises et menacent de basculer. C'est l'inertie qui règne, le silence et la mort.

 

Robert se tient debout et regarde la scène. Il n’aime pas trop le thé. Il préfère l’infusion au champignon cinglé que l’on trouve facilement dans le moindre sous-bois: le clitocybe dealbata.


Texte publié par Arthyyr, 29 juillet 2024 à 14h33
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