Un silence paisible enveloppait la bibliothèque. Des lanternes avaient été allumées, pour repousser les ténèbres de la nuit. Sur la grande table, les restes d’un repas gisaient. Des nains, il ne restait plus que Skas, Ori et Thif, occupés à fureter dans les rayonnages. Leurs frères étaient rentrés chez eux pour se reposer et préparer leur voyage.
Blanche Neige s’étira et posa le tome qu’elle était en train de lire. Les contes étaient passionnants. Elle avait trouvé quelques histoires qui évoquaient la Fée d’obscurité, sous différentes formes, mais rien concernant ses aspects.
C’était à la fois frustrant et extraordinaire. Les fées avaient parcouru le monde, des milliers d’années auparavant, au milieu des humains. Elles les avaient accompagnés dans leur croissance et elles les avaient laissés. Elle venait de lire le récit du mariage de Titania, la reine des Fées et d’Obéron, scellant un pacte entre leur espèce et les humains. Elles leur avaient légué ce territoire, retournant dans leur dimension, et leurs immenses cités étaient devenues des ruines.
Blanche Neige posa les yeux sur le prince, toujours concentré sur sa lecture. Elle posa son tome et se mit debout. Elle avait besoin de faire quelques pas, après toutes ces heures d’immobilité. Turold leva les yeux et la considéra.
— Pas de succès ? demanda-t-il.
— Non, malheureusement.
Il posa le livre à ses côtés, en prenant soin de ne pas perdre la page, et s’étira.
— Je n’ai pas encore eu l’occasion de vous le dire, mais je suis désolé pour ce qui est arrivé à votre époux, fit-il d’une voix douce, sans la quitter des yeux.
— Merci.
— Je l’ai vu de la fenêtre de ma chambre : il était impressionnant.
Une ombre passa sur le visage de la jeune fille. Turold se mordit les lèvres, prenant une expression contrite.
— Pardonnez-moi, souffla-t-il.
Elle s’installa à ses côtés.
— Il n’y a rien à pardonner. Vous avez raison.
— Les dragons font partie de l’histoire de mon royaume, expliqua-t-il. Ils en sont même les fondateurs.
Blanche Neige, intriguée, l’écouta attentivement. Au Royaume Sylvestre et en Serestria, ces créatures n’étaient plus que des personnages de légende, dans lesquelles ils incarnaient des monstres cruels, destinés à être vaincus par les héros. Rien qu’à l’idée qu’Uwen, à sa naissance et pendant une bonne partie de sa vie, ait pu être considéré ainsi, la rendit profondément triste.
— Si ma mère est de bonne humeur, elle pourra vous en dire plus. Je n’étais pas très attentif pendant mes leçons sur l’histoire du Val Ardent.
Sa curiosité piquée au vif, Blanche Neige faillit lui poser des questions sur sa mère, mais l’expression désabusée sur le visage du prince l’en dissuada. S’enfermant dans un silence maussade, il reprit son livre et continua sa lecture.
La jeune fille aurait dû faire la même chose, mais penser à Uwen avait à nouveau éveillé en elle un sentiment d’urgence. Elle voulait agir, partir à la recherche de son mari et de la fée. Elle serra les poings et força son esprit au calme. Il était vital de trouver cette information avant de pouvoir passer à l’action. Elle tendait la main vers un autre tome, mais une exclamation du prince interrompit son mouvement.
— Je crois que j’ai quelque chose.
Aussitôt, les têtes de Skas, Ori et Thif apparurent entre les rayonnages et ils s’empressèrent de les rejoindre.
— La légende s’appelle « le sang de Daemonium », expliqua-t-il.
Puis il commença la lecture d’un passage particulier. Dès les premiers mots, Blanche Neige se laissa envoûter par sa voix sourde et légèrement rauque.
Les créatures féériques se battaient contre leurs frères et leurs sœurs. Il volait dans un ciel sombre, parcouru d’éclairs aveuglants et au-dessous de lui, le dragon apercevait le champ de bataille, jonché de cadavres humains et féériques alors que Titania et Obéron menaient leurs forces contre sa fille et ses engeances. Il chercha Chaophys des yeux, furieux de sa trahison, mais il n’était nulle part en vue. Avait-il déjà été vaincu ? La tristesse l’envahit à cette idée.
La terre était dévastée par les sorts et les flammes : les forêts brûlaient, les prairies étaient ravagées par des secousses monstrueuses ; le sol, autrefois verdoyant et fertile, devenait noir et mort. Les montagnes avaient été transformées en un désert de cristal, stérile et mortel. Le dragon bleu et vert descendit un peu vers une haute colline au sommet de laquelle se trouvaient Titania, un cercle de fées, ainsi que Daemonium, son roi, sous forme humaine. Une intense magie émanait de cet endroit et un chant harmonieux grimpait dans le ciel.
Toi qui as trahi la lumière,
Toi par qui de ténèbres te nourris,
Toi dont le cœur a pourri,
Plus mort que la poussière,
Écoute ton nom Esheramia,
Pourfendeuse de la vie,
Que ton pouvoir et ta voix,
Ton corps et ton âme féérique,
À jamais soient séparés.
Quatre aspects d’un seul être,
À jamais enfermés,
À jamais séparés
À jamais exilés.
Ce que le sang du père des dragons a créé,
Seul son sang pourra défaire.
Ainsi a parlé le chœur des fées.
Écoute ton nom Esheramia,
Et qu’à jamais tu ne sois plus que tes aspects.
Un hurlement furieux retentit alors. Une silhouette de ténèbres et de rage dépassa le dragon. À l’instant où elle atteignait la congrégation, Daemonium, son regard doré planté droit dans les yeux noirs de la fée obscure, versa une fiole pleine d’un liquide doré sur quatre objets posés sur l’autel. La fée se tordit de douleur alors que le sang pur du roi des dragons se répandait, scellant le sortilège. La maléfique créature perdit sa substance et devint une brume ténébreuse qui s’infiltra dans le miroir, la flûte, l’épée d’Obéron et la clé, les transformant en Aspects.
La dévastation portée par la fille de Titania prit fin, laissant une scarification mortelle dans les royaumes humains. Là où la nature régnait et florissait n’existaient plus que cendres, cristal et obsidienne, sous lesquels ronflaient, surgis des profondeurs de la terre, les torrents de lave.
Les trois frères nains écarquillèrent les yeux.
— Wow ! souffla Skas. Et cette bataille a vraiment eu lieu ?
— C’est ce qu’on dirait, répondit Thafu.
— Le sang de Daemonium, murmura Turold, pensivement.
— S’il faut son sang pour détruire ces trucs, on est mal barré, renchérit Skas.
Le regard que le prince posa sur lui le fit taire. Tout d’un coup, il paraissait soulagé, ce qui adoucit son visage aux traits tirés.
— Je sais comment détruire la flute !
— Avec le sang d’un dragon mort depuis des milliers d’années ? reprit Thif, perplexe.
— Tout n’est pas à prendre au premier degré dans les contes, répondit Turold. Le Val Ardent aurait été fondé par Daemonium lui-même, après une grande bataille – sans doute celle-ci. Quand il est mort, il est retourné à la terre, au pied du volcan. On appelle la lave qui en sort le sang de Daemonium.
— Oh ! Alors, vous voulez dire que, pour le coup, ça il faut le prendre au premier degré ? lâcha Thif.
Turold arbora un sourire crispé et hocha la tête.
— On a donc ce qu’il faut pour partir, fit Blanche Neige.
Elle se leva.
— Je vais voir Hermeline pour récupérer du matériel, fit-elle d’un ton décidé.
Les nains la fixèrent d’un air gêné. Allons donc ! Quoi encore ? pensa la princesse. Elle les regarda en fronçant les sourcils.
— Elle est partie.
— Comment ça : elle est partie ?
— Elle a expliqué au roi qu’elle avait une tâche urgente à accomplir et a demandé son congé.
Blanche Neige resta sans voix : d’abord son père puis le prince et maintenant sa meilleure amie l’abandonnaient. Soudain elle eut l’impression d’être à nouveau seule dans la forêt, en train de courir pour échapper à sa belle-mère. Son cœur s’accéléra. Elle ferma les yeux, serra les poings et obligea son esprit à se calmer.
— J’imagine qu’elle avait ses raisons. Cela ne change rien au plan. Nous partirons demain à la première heure.
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