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tome 1, Chapitre 19 tome 1, Chapitre 19

La phrase sibylline de la fée tourna dans la tête de Blanche Neige tout le long du trajet de retour vers le château. L’entrevue lui avait laissé un goût amer. Elle avait été si certaine que la Fée l’aiderait à sauver le prince. Pourtant, la magie n’était pas miraculeuse, finalement. Elle aussi avait des règles à suivre.

Le soleil était bas sur l’horizon lorsqu’elle laissa Encre à l’écurie. Depuis l’incident avec la fée et Uwen, les gardes étaient plus nombreux sur les remparts et dans la ville. Les hommes avaient obéi aux ordres, mais ils n’avaient aucune idée de ce qui se jouait vraiment. La fée ne viendrait pas ici, Blanche Neige en était persuadée. Elle poursuivait sa quête : la flute et la clé. Mais laquelle des deux allait-elle chercher en premier ?

Elle rejoignit ses amis dans la grande bibliothèque, devenue salle du conseil de guerre. Conseil de guerre ! Cette appellation aurait pu la faire sourire, mais elle n’avait pas le cœur à ça. Ils étaient véritablement en guerre, une guerre qui avait déjà causé de trop nombreuses victimes.

Lorsqu’elle entra dans la pièce, les nains étaient ensevelis sous une pile de parchemins et de livres aux couvertures épaisses. Elle ne vit pas le roi ni Sebastian. Toutefois, le prince Turold, debout près de l’une des fenêtres contemplait le paysage. Il se tourna vers elle quand elle entra et inclina la tête pour la saluer. Elle ne lut aucune émotion sur son visage indéchiffrable.

Quand Skas l’aperçut, il donna un coup de coude à son frère le plus proche et tous finirent par s’extraire de leurs tas de feuillets et la rejoindre.

— Alors ? fit Ori

Les frères s’échangeaient des regards : l’expression de Blanche Neige avait suffi à leur faire comprendre que l’entretien n’avait pas dû porter ses fruits.

— J’ai rencontré la Fée du Chêne, finit par dire la princesse, après s’être installé sur l’un des rares fauteuils qui n’étaient pas cachés par des parchemins. Elle ne peut pas nous aider.

Des sanglots perçaient dans sa voix. Elle baissa la tête et laissa ses longs cheveux noirs dissimuler son visage.

La voix rude de Thif retentit alors.

— Laissez-moi aller le lui demander ! Je suis sure que je peux la convaincre.

Thafu grogna.

— À coup de marteau ? C’est ça ? Arrête de dire des bêtises.

— Les fées peuvent être blessées, hein ? continua Thif en plantant un regard défiant dans celui de son frère.

Skas lui donna une tape derrière le crâne. Thif émit un petit couinement surpris et se frotta la nuque.

— Comme si on allait maltraiter une Fée !

— Moi j’aimerais bien maltraiter l’Autre ! renchérit Thrad.

— On est tous d’accord là-dessus, mais c’est pas avec nos pov' marteaux et haches qu’on va lui faire grand-chose.

Le débat se transforma alors en vacarme, chacun des sept frères essayant de donner son opinion sur la meilleure manière de vaincre la Fée. Tous se turent brutalement quand Blanche Neige se mit soudain à rire sans pouvoir s’arrêter. Ils se regardèrent à nouveau, interloqués. Son rire se calma au bout de quelques secondes, et elle les fixa tour à tour. Ses iris noirs brillaient d’un éclat nouveau et elle semblait plus détendue, plus confiante, que lorsqu’elle était arrivée dans la pièce, quelques minutes plus tôt. Elle surprit le petit sourire de Turold, qui observait la scène sans intervenir.

— Ah, mes amis ! Que ferais-je sans vous ? fit-elle.

— Et pour le prince alors ?

— Nous ne pouvons rien pour lui pour l’instant. La fée pense qu’il n’a pas besoin d’être sauvé. Son histoire est complexe… trop complexe pour en parler ici.

Blanche Neige s’interrompit et regarda autour d’elle.

— J’espère que vos recherches ont été plus fructueuses. Où est le roi ?

— Il a du travail, fit Skas

— Dans le Tome du Pacte, on trouve la liste des quatre familles royales qui étaient les gardiennes des artéfacts : la vôtre et celle de votre époux, ainsi que le souverain du Val Ardent et celui de Nordespierre, continua Thafu sur un ton professoral, en ajustant les lunettes qu’il utilisait pour lire. Mais cela, nous le savions déjà.

Blanche Neige regarda le prince, en retrait.

— Votre famille garde la flute, fit-elle.

Il hocha la tête et se rapprocha du centre de la pièce. Il s’installa dans l’un des fauteuils libres et se pencha en avant, les mains jointes.

— Gardait, répliqua-t-il. Elle est libre de faire ce qui lui plait.

— Pourriez-vous nous expliquer davantage ce qu’elle fait ? demanda Blanche Neige, presque timidement.

Il y avait quelque chose qui l’impressionnait dans le regard du jeune homme, une intensité, un éclat sauvage, qui la faisaient frissonner.

— Elle fait ce que toute flute fait : elle joue de la musique. Mais elle n’a pas besoin de musicien. Ses ondes sonores ont perforé le sol de notre royaume, détruit les murs de mon palais et des villes proches, et elle s’infiltre dans les esprits.

Une grimace de souffrance traversa son visage et il se rabattit contre le dossier de son fauteuil.

— Je ne l’entends plus depuis que j’ai quitté le Val Ardent, mais elle résonne toujours dans ma tête.

Un silence pesant avait envahi la pièce pendant son récit. Les nains fixaient sur lui leurs yeux légèrement écarquillés. Blanche Neige éprouva du chagrin face à la souffrance de ce jeune homme.

— Il me semble donc que notre première destination doit être le Val Ardent.

Le prince haussa un sourcil.

— Je partirai avec une solution pour la détruire, si nous en trouvons une, mais je ne vous demande pas de risquer votre vie pour mon royaume.

— Ce n’est pas pour vous que je le fais, décréta Blanche Neige. Cette fée m’a maudit depuis mon enfance, elle a tué mon père et m’a séparé de mon époux. Elle est un danger qui doit être éradiqué. Sauver votre royaume signifie détruire l’artéfact et ce faisant, nous l’affaiblissons.

Le jeune homme la contempla avec attention pendant de longues secondes, et elle lui rendit son regard. Que lisait-elle sur son visage ? Était-il impressionné ?

— Alors nous nous aiderons mutuellement, conclut-il.

Blanche Neige sourit.

— Nous n’avons toujours pas mis la main sur le moyen de détruire les aspects, commenta Thafu.

Skas grimaça.

— Et on a un autre problème. Le royaume de Nordespierre a disparu : le dernier roi a décidé de découper son royaume en huit baronnies, toutes gouvernées par ses seigneurs les plus fidèles.

— Alors la clé pourrait être perdue… grogna Thif.

— Pas nécessairement. Elle a pu être confiée à l’un des barons.

— Comment savoir lequel ?

— Ben, il suffit de se renseigner et d’aller fouiller chez le plus cruel et le plus sulfureux des huit, déclara Skas.

Blanche Neige sourit. Cela n’avait rien de drôle, pourtant le pragmatisme de Skas était toujours rafraichissant.

— Oui. Mais dans quelle baronnie aller ? murmura Ori.

— Le royaume de Serestria est en relation avec le baron Barbe Bleue, de l’autre côté de la vaste forêt inhabitée, au nord, répondit Thafu en reprenant son ton docte, les yeux posés sur un parchemin. La capitale est Blanchehaie. C’est là-bas que nous avons pris des contacts pour notre affaire. Ils ont des pierres précieuses magnifiques.

— Barbe Bleue ? fit Thif, avec un grand sourire.

— Ne te moque pas, mon frère. Il est réputé pour être sans pitié, rétorqua Thafu, en levant les yeux par-dessus ses lunettes.

— Le territoire de Barbe Bleue se trouve à au moins deux semaines de cheval, à travers la forêt. Le fleuve est le moyen le plus rapide de s’y rendre, mais affréter un bateau prendra du temps. Le Val Ardent est à trois ou quatre jours, vers le nord-est, intervint Thaf en dépliant une énorme carte sur le sol.

Tous s’agenouillèrent ou se penchèrent.

— Mon royaume est entièrement contenu dans une large vallée, entourée par une chaine de montagnes, reprit Turold.

Il montra un point sur la carte, près du volcan.

— Ce col mène à la forêt féérique, qui s’étend au pied de la chaine, à l’ouest. À partir de là, Blanchehaie se trouve à deux jours de marche environ.

— On peut se séparer, réfléchit Thafu. On peut envoyer une délégation à Blanchehaie en bateau, pour commencer à se renseigner, pendant qu’un autre groupe va s’occuper de la flute. Mes frères et moi avons des contacts dans la ville ; cela nous sera utile.

— Bien vu, s’exclama Blanche Neige.

Elle regarda Turold.

— Qu’en pensez-vous ?

— C’est bien, mais si nous ne savons pas comment détruire la flute, nous ne sommes pas bien plus avancés.

Thafu se releva et trottina jusqu’à une table, sur laquelle attendait une pile de livres. Il la souleva sans effort et la rapporta.

— Sébastian m’a sélectionné une pile de volumes qui lui ont paru intéressants. On n’en a lu seulement deux, en vain, mais peut-être qu’on trouvera notre bonheur dans les autres.

Turold débarrassa la petite table et aida le nain à déposer les livres. Il en prit un et lut le titre sur la couverture.

— C’est un recueil de contes, commenta-t-il, en posant un œil interrogateur sur Thafu.

— Ouais. C’est tout ce qu’on a. C’est pas comme si on avait conservé des traités d’histoire qui en parle.

Une grimace dépara les traits du jeune homme, mais il s’installa à même le sol, le dos contre le fauteuil derrière lui et ouvrit le tome. Blanche Neige en prit un autre et se cala dans son fauteuil.


Texte publié par Feydra, 15 août 2024 à 16h09
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