Pourquoi vous inscrire ?
«
»
tome 1, Chapitre 17 tome 1, Chapitre 17

Perdu dans les limbes de ses souvenirs et de ses peurs, le roi ne savait pas combien de temps s’était passé depuis que son fils avait disparu. La réalité reprit ses droits quand on toqua à la porte.

— Entrez ! fit-il en se redressant dans une posture plus digne.

Blanche Neige pénétra dans la pièce. Décoiffée, les traits tirés, elle avança le regard baissé. Anthéus sentit son cœur se briser pour la seconde fois. Jamais, malgré les épreuves et les tourments qu’elle avait traversés, il ne l’avait vue si désespérée. La princesse restait immobile, son visage pâle caché par ses longs cheveux d’ébène.

— Ma fille, approchez, murmura le roi.

Blanche Neige leva enfin les yeux et obéit d’un mouvement mécanique. Son beau-père prit doucement ses mains glacées dans les siennes.

— Je suis désolée, mon roi. J’ai failli : je n’ai pas réussi à protéger le prince…

Elle avait prononcé ces mots avec un tel accent de dégoût envers elle-même. Anthéus retint à grand peine un rire nerveux. Pourquoi fallait-il que cette jeune fille supporte toujours le poids du monde ? Il se leva dans un suprême effort et posa ses deux mains sur ses épaules. Il la regarda dans les yeux avec une immense tendresse.

— Tout d’abord, mon enfant, vous ne devez pas porter ce fardeau. Ceci n’est en rien votre faute. Ce sont les viles actions d’une fée maléfique qui ont apporté le malheur sur nous. Et ce sont aussi les imprudences de vieux rois qui ont oublié le serment qu’ils avaient fait. Si quelqu’un doit être désolé, c’est moi, ainsi que votre père, car nous vous faisons payer à vous, nos enfants, le prix de nos faiblesses.

Blanche Neige sentit son cœur se serrer davantage devant le désespoir du roi. Ce fut à son tour de lui prendre les mains qu’il avait laissé retomber le long de son corps. Elle le regarda. Il paraissait épuisé.

Cependant, elle ne put prononcer aucun mot de réconfort. Son cœur et son esprit étaient glacés depuis tellement longtemps. Il lui sourit doucement et l’entraina vers l’un des deux fauteuils tournés vers la cheminée, puis il s’assit face à elle. Son mal de crâne le taraudait et sa blessure au visage le brûlait. Mais toute son attention était concentrée sur sa belle-fille.

— Racontez-moi ce qui s’est passé.

Alors elle lui fit le récit de leur rencontre avec la fée dans la Tour Oubliée et de ses conséquences néfastes : comment, sans même qu’elle s’en rende compte, elle l’avait possédée, comment elle avait réussi à récupérer l’un de ses Aspects et comment, par pure cruauté, elle avait essayé de tuer le prince. Sa voix avait perdu sa légèreté et sa limpidité, alors que les sanglots la teintaient d’une immense tristesse. Le roi l’écouta, son regard égaré dans les flammes. Quand elle eut fini, le silence s’étira longuement. Puis le souverain leva ses yeux fatigués, mais emplis d’une détermination retrouvée.

— Nous retrouverons Uwen, assura-t-il.

— Votre fils est un puissant dragon, fit alors Blanche Neige.

Le roi sursauta à ces mots. Ainsi, elle avait compris sa véritable nature. Il ne devait pas en être étonné : elle lui avait si souvent demandé de lui parler de la mue dans la salle des trophées. Il hocha la tête.

— À cause d’un sortilège que ma femme a utilisé pour avoir un enfant, son frère est né humain et lui, mon fils ainé, est né dragon.

— Et c’est grâce à son véritable amour qu’il a retrouvé sa forme humaine, continua Blanche Neige.

— Uwen était persuadé qu’il ne pouvait en aimer une autre. Mais moi je savais qu’il aurait fini par découvrir qu’il avait tort…

— Peut-être. Mais je ne serai pas celle avec qui il pourra le découvrir, mon roi, répondit Blanche Neige en le regardant droit dans les yeux.

Anthéus comprit, mais ne dit mot. Il plaignait ses deux enfants qui semblaient condamnés à vivre dans la solitude, sans connaitre le véritable amour.

— Que devons-nous faire ? Pour le prince, pour la Fée ?

La voix de Blanche Neige avait repris sa fermeté. Ses yeux brillaient encore de larmes, mais son regard était plus vif et déterminé.

— Je ne sais pas si nous pouvons faire quoi que ce soit pour mon fils. Mais je connais quelqu’un qui pourrait nous aider. En ce qui concerne notre ennemie, nous devons retrouver les deux derniers aspects avant elle, si nous voulons la vaincre.

À ce moment-là, un coup fut frappé à la porte et elle fut ouverte sans même qu’Anthéus ne puisse donner son accord. Un garde laissa passer Hermeline accompagnée de Thif, Skas et Ori. Chaque nain tenait un plateau sur lequel étaient amassés des aliments divers. Hermeline s’inclina rapidement.

— Désolée de vous interrompre, ô Roi, mais nos amis s’inquiétaient de votre santé et de celle de Blanche Neige.

— Ouais. C’est ça, fit Skas, en jetant un regard en coin à la guérisseuse.

Celui-ci leva un sourcil, mais ne releva pas la brèche d’étiquette. Il s’était habitué, depuis que les nains vivaient dans son royaume, à leur manque de respect des règles de la cour. Et Hermeline avait toujours été ainsi. Mais en fin de compte, cela ne le dérangeait pas. Ils étaient en temps de tourment : l’étiquette n’avait plus lieu d’être.

— Nous nous sommes permis d’apporter à manger, fit Ori, en jetant un regard nerveux sur Anthéus.

Celui-ci sourit.

— Merci, mes amis. Un peu de nourriture nous fera du bien.

Les frères posèrent alors ce qu’ils tenaient sur le bureau, après avoir déplacé, le plus délicatement possible, les menus objets qu’il contenait. Un véritable banquet fut arrangé en quelques secondes. Les nains semblaient avoir dévalisé les cuisines.

Blanche Neige se sentait rassérénée juste par leur présence.

— Les autres ne vont pas tarder, fit Ori.

— Nous nous sommes permis de vous rejoindre, votre Majesté, reprit Hermeline, avant qu’il ne puisse comprendre les paroles d’Ori, car il nous semblait qu’un conseil de guerre était à l’ordre du jour.

Blanche Neige était ébahie. Il émanait de son amie une autorité et une prestance qui donnaient l’impression qu’elle était bien plus âgée qu’elle en avait l’air. C’était quelque chose qu’elle avait déjà remarqué, mais ce jour-là, c’était encore plus flagrant. Le monarque épuisé ne s’offusqua pas de son impertinence.

Les nains hochaient la tête avec véhémence, mais paraissaient nerveux à l’idée de s’imposer ainsi au Roi. Celui-ci sembla très amusé.

Tous les autres attendaient sa réaction à la requête d’Hermeline et le silence s’éternisait. Mais c’était un repos bien mérité pour son esprit : le soleil s’était levé sur son château, d’où son fils avait disparu, en emportant une part de lui-même.

Anthéus observa la pièce. La princesse s’était enfoncée dans son fauteuil, les yeux fermés. Elle avait une expression pensive, mais son désespoir semblait avoir disparu.

Les nains avaient perdu leur habituelle tendance aux bavardages. Hermeline, installée dans un fauteuil, patientait, une expression indéchiffrable sur le visage.

— Merci d’être venus, mes amis. Blanche Neige et moi avons grand besoin de compagnie.

Ils se détendirent visiblement et s’inclinèrent les uns après les autres. À cet instant, un coup retentit sur la porte. À l’invitation du roi, le garde l’ouvrit et il annonça, avec un regard désolé :

— Votre majesté, Thrad, Thrid, Thafu et Dren disent qu’ils sont attendus…

— Oui. Laissez-les entrer. Et faites appeler Sébastian.

Les quatre derniers nains bousculèrent le soldat pour pénétrer dans la pièce, les bras chargés de mets. Ils manquèrent de peu de s’emmêler les pieds et de s’effondrer sur le sol en un bel amas, mais leurs frères vinrent à leur rescousse avec une petite grimace. Ils installèrent rapidement le reste des victuailles.

Les nains étaient ravis de retrouver Blanche Neige, qu’ils n’avaient pas eu le temps de voir depuis son retour. La journée avait été un désastre et la voir leur mettait du baume au cœur.

Tous purent se reposer un moment et se restaurer dans un silence amical. Cependant, personne n’oublia la menace de la Fée qui planait sur eux. Anthéus pleurait la perte de son fils ; Blanche Neige, celle de son époux.

L’intendant les rejoignit finalement. Il avait dû être informé par le garde du repas impromptu organisé par les nains, car il était accompagné de plusieurs serviteurs. Il salua avec chaleur tout ce petit monde. Il s’attarda un instant à observer avec inquiétude la princesse : comme la plupart des habitants du château, il avait développé une véritable tendresse pour cette jeune fille courageuse et si douce. Ce qu’il vit dut le satisfaire, car ses traits se détendirent.

— Sebastian, fit enfin le roi une fois que son bureau fut débarrassé et nettoyé. Tu feras venir le prince Turold dans une heure, dans mon bureau.

Si cette demande lui parut étrange, l’intendant fit preuve de sa discrétion habituelle. Il hocha la tête et quitta la pièce.

— Installons-nous, continua-t-il.

Dans un fracas de raclements et de chocs, des chaises et des fauteuils furent déplacés par des nains efficaces et le conseil de guerre, comme ils se plaisaient à l’appeler, put commencer.

— Vous savez tous ce qu’il s’est passé aujourd’hui et les conséquences funestes que cela a eues.

— Ouais ! intervint Thafu. Il semblerait que la Fée finaude ait gagné cette manche.

Personne n’eut le cœur à rire, surtout devant son expression féroce. Des sept frères, c’était le plus sévère.

— Le prince est devenu un dragon ; elle a obtenu l’épée : on est mal barré, résuma Thif, de manière fort à propos.

— Alors nous devons l’empêcher de trouver les deux autres artéfacts, fit Blanche Neige d’une voix ferme.

Elle avait retrouvé des couleurs et ses yeux avaient un éclat déterminé.

— Plus facile à dire qu’à faire si nous savons pas où ils sont !

— Nous le savons, répondit le roi.

— Ah bon ! Nous le savons ?

Ori les regarda en clignant des paupières comme s’il venait de se réveiller d’un long sommeil.

— Au Val Ardent et à Nordespierre. J’ai fait quelques recherches pour me remettre en mémoire ce que je n’aurais pas dû oublier.

— D’accord. Et qu’est-ce qu’on fait pour le prince ? fit alors Thif, en jouant avec l’un de ses couteaux.

— Je connais quelqu’un qui, j’espère, pourra nous aider. C’est la fée qui a conseillé sa mère, puis sa femme. Elle vit non loin d’ici.

— Vous avez une fée pour voisine ? Eh ben ! fit Skas. Faut espérer qu’elle accepte.

— Elle le fera.

Blanche Neige avait un air farouche en disant ces mots. Jamais ses compagnons n’avaient vu une telle expression sur son visage. Le roi se tourna alors vers elle.

— Ma fille, tu devras te rendre dans un bosquet solitaire, une chênaie, à une dizaine de kilomètres de Jouvenceroi, en direction du nord-ouest. Tu y trouveras un chêne très ancien. C’est l’endroit où habite la Fée. Si elle le veut, elle t’écoutera.

— Et même si elle ne veut pas, murmura Skas dans sa barbe.

Thafu, juste à côté de lui, lui donna un coup de coude. Hermeline eut un sourire attendri.

— Il faudrait ptêtre qu’elle soit accompagnée, au cas où la Fée revienne par ici.

Anthéus hocha la tête.

— Une escorte t’accompagnera au cas où. Mais je pense qu’il vaut mieux que tu entres seule dans le bosquet, ou je crains que la fée ne se présente pas.

La jeune femme posa une main sur la sienne.

— Je n’ai pas peur, père, assura-t-elle. Je la rencontrerai seule.


Texte publié par Feydra, 14 août 2024 à 23h41
© tous droits réservés.
«
»
tome 1, Chapitre 17 tome 1, Chapitre 17
LeConteur.fr Qui sommes-nous ? Nous contacter Statistiques
Découvrir
Romans & nouvelles
Fanfictions & oneshot
Poèmes
Foire aux questions
Présentation & Mentions légales
Conditions Générales d'Utilisation
Partenaires
Nous contacter
Espace professionnels
Un bug à signaler ?
2778 histoires publiées
1267 membres inscrits
Notre membre le plus récent est JeanAlbert
LeConteur.fr 2013-2024 © Tous droits réservés