«

»

Le tocsin retentissait frénétiquement. Blanche Neige retourna aussi vite que possible là où sa jument attendait, le cœur serré à l’idée que les gardes puissent attaquer Uwen. Elle ne l’avait pas vu s’envoler à nouveau. Il devait encore être au sol, à leur merci.

Elle calma Encre, qui renâclait nerveusement, grimpa en selle et la lança au galop en direction du château. Lorsqu’elle fut à une vingtaine de mètres de la porte nord, elle aperçut la silhouette imposante du dragon, posé sur une colline, à une centaine de mètres de sa position. Des gardes étaient déjà en route et allaient l’atteindre.

— Pourquoi ne t’envoles-tu pas ?

Elle guida sa monture sur le chemin, droit dans la direction d’Uwen. Le dragon, les ailes à moitié repliées, la tête droite, fixait le château sans se préoccuper des soldats qui approchaient. Des javelots furent lancés, et certains percutèrent ses écailles, sans faire aucun dégât. Mais de plus en plus de gardes accouraient.

Blanche Neige dépassa les soldats les plus en arrière. Quelques-uns tentèrent de l’arrêter, mais elle fit accélérer sa monture, déjà écumante. Les hommes, suffisamment près, se placèrent en position et armèrent leurs bras, prêts à lancer leurs javelots aiguisés.

Arrivée au pied de la colline, elle descendit de cheval, et courut à travers les rangs, s’efforçant d’atteindre le dragon, dans une étrange immobilité, comme s’il attendait d’être exécuté. Des mains tentèrent de l’arrêter, mais elle les évita. Finalement, un garde la stoppa en l’agrippant à bras le corps.

— Princesse, c’est trop dangereux. N’approchez pas.

Elle se débattit férocement, les yeux rivés sur le dragon.

— Uwen ! Envole-toi. Va-t’en ! hurla-t-elle.

Au même moment, la voix de stentor du capitaine retentit :

— Préparez-vous !

Uwen baissa lentement la tête et posa son regard triste sur Blanche Neige. Un sanglot jaillit de la gorge de la jeune fille.

— Uwen ! S’il te plait !

Les gardes brandirent les javelots aux pointes garnies de métal. À cette distance, est-ce que les écailles suffiraient à le protéger ?

— Arrêtez ! retentit une voix puissante.

Uwen tourna la tête dans la direction d’où elle venait. Tous les soldats firent de même. Une haute silhouette vêtue d’une armure brillante traversa la ligne des soldats et s’arrêta à mi-hauteur de la colline. Le roi Anthéus observa son fils avec une tristesse si grande que le nœud dans la gorge de Blanche Neige se serra davantage. Il tourna la tête vers elle.

— Lâchez-la, ordonna-t-il.

Le garde obéit immédiatement et la jeune fille escalada la pente jusqu’à son beau-père. Il lui prit la main, puis tourna son attention vers son fils. Les larmes scintillaient dans ses yeux, mais c’est d’une voix ferme qu’il parla.

— Je suis désolé, mon fils. Je sais ce que cette forme te coûte. Mais tu dois survivre. Je ne pourrais pas supporter de te perdre.

Les yeux immenses du dragon s’écarquillèrent. Il pencha la tête sur le côté en une expression d’intense stupéfaction. Son souffle puissant fit trembler l’herbe.

— Tu es un dragon. Tu l’as toujours été. Mais tu es aussi mon fils. Garde cette vérité au fond de ton cœur et trouve ta voie.

Uwen inclina la tête, puis il riva son regard mordoré sur Blanche Neige. La princesse, malgré son cœur déchiré et l’énorme abysse de noirceur au fond d’elle, sourit.

— Tu es toujours mon compagnon, quoi que cela signifie. Je te retrouverai. Nous nous retrouverons. Ne laisse pas la Fée gagner.

Le dragon s’abaissa complètement. Son souffle chaud effleura le visage de Blanche Neige, qui effleura timidement son museau. Puis, il déploya ses ailes gigantesques.

— Reculez, ordonna le roi à ses hommes.

Les gardes, stupéfaits, obéirent, en contemplant l’être féérique gigantesque avec des yeux écarquillés. Anthéus et Blanche Neige reculèrent. Maladroitement, Uwen se redressa. Il donna plusieurs coups d’ailes, soulevant un souffle puissant, s’éleva de plusieurs mètres, puis partit en direction du nord.

Les sanglots que Blanche Neige étouffait forcèrent le passage et elle s’effondra dans les bras du roi.