Elle marche, à travers une brume épaisse, au milieu d’arbres aux branches tordues. Elle est glacée ; elle est terrifiée. Des murmures lui griffent les oreilles. Elle se les couvre, mais cela n’arrête pas les mots qui déchirent sa volonté à la recherche de quelque chose. Une silhouette informe, vaguement humaine, toute de noirceur, se dessine dans le ciel au-dessus d’elle. Elle discerne un visage lisse, sans yeux, ni nez, ni bouche, un visage terrifiant. La mélodie lancinante et douloureuse d’une flûte enveloppe la scène. La tour, l’épée, flottent devant ses yeux. Puis le néant l’engloutit…
Blanche Neige se réveilla avec un petit cri. Haletante, elle se redressa. Elle mit un moment à reconnaitre cette chambre étrangère, puis ses yeux se posèrent sur Uwen qui avait jailli de la salle d’eau, les cheveux encore trempés, sa chemise mal boutonnée.
— Blanche Neige ! Vous allez bien ?
La jeune fille se frotta les yeux. Les bribes de son cauchemar s’évanouissaient doucement. Pourtant, son cœur restait serré. Un mauvais pressentiment s’accrochait à elle.
— Oui. Oui, ça va, répondit-elle, avec un sourire.
Uwen, peu convaincu, la considéra un long moment.
— Ces cauchemars, cela vous arrive souvent ?
La réplique, acerbe, jaillit dans son esprit. Vous le sauriez si vous, ne m’aviez pas rejetée ! L’envie de lui jeter cette phrase au visage la traversa un instant. Puis, elle perçut l’inquiétude mêlée de culpabilité dans son regard brun. Elle réfréna sa pulsion, effrayée par sa propre obscurité. Elle la sentait toujours au fond d’elle, dans cet abysse sans fond qu’était devenue son âme, mais rarement s’exprimait-elle avec autant de férocité. Uwen attendait, les sourcils froncés.
— Pour être sincère, pratiquement toutes les nuits, mon prince, répondit la jeune fille.
Uwen pâlit.
— Je suis désolé, lâcha-t-il d’une voix sourde.
— Cela n’est pas votre faute. Blâmons plutôt ma belle-mère.
Un pâle sourire la récompensa de sa tentative d’humour. Pourtant, le prince la contemplait toujours avec gravité.
— Je suis désolé de ne pas avoir été là pour vous. Je sais que je ne peux être votre époux, mais je ne vous laisserai plus seule face à cela.
Une puissante chaleur envahit Blanche Neige à cette déclaration. Un sourire sincère illumina son visage.
— Je vous remercie, mon prince.
Uwen sourit, puis retourna dans la salle d’eau pour terminer sa toilette. Quelques minutes plus tard, il laissa la place à la jeune fille. Le château prenait vie : par la petite fenêtre ouverte, elle entendait les cris des habitants du château, vaquant à leurs occupations matinales. Elle perçut du remue-ménage dans le couloir et les pièces où logeaient ses amis. Ils devaient être réveillés eux aussi. Les bruits quotidiens apaisèrent son esprit, lui donnant un sentiment de normalité qui l’aida à se recentrer.
Elle finissait de se coiffer quand on frappa à la porte. Elle rejoignit la chambre au moment où Hermeline entrait. Son sang se glaça quand elle aperçut l’expression dévastée sur son visage. La guérisseuse tourna ses yeux verdoyants vers elle et elle y lut ce qui s’était passé avant que les mots ne soient prononcés :
— Je suis désolée, princesse. Votre père est mort.
Blanche Neige se précipita dans les appartements du roi dans un état de demi-rêve. Elle vit à peine Erwen et Pux, qui attendaient près du lit ; son attention était entièrement tournée vers le visage blafard du roi. Elle s’assit doucement près de lui et prit sa main glacée. Uwen et Hermeline rejoignirent les deux autres et attendirent en silence.
La princesse contempla ce père qu’elle connaissait à peine. Le chagrin au fond d’elle était réel, mais il s’agissait plus de regrets : peut-être aurait-elle dû venir le voir plus tôt, après sa libération du cercueil de verre. Peut-être aurait-elle pu le sauver de la folie. Ou bien peut-être était-ce déjà trop tard. Toutes ces hypothèses, toutes ces routes non parcourues lui donnaient le tournis. Elle caressa sa main, puis la reposa sur les draps.
Elle se leva et se tourna vers les serviteurs du roi et vers ses amis. Ils la considéraient tous avec inquiétude. Une grande tristesse se lisait sur les visages de Pux et Erwen, mêlée de soulagement. La chasseresse fit un pas en avant et serra la princesse dans ses bras.
— Nous devons préparer la cérémonie et prévenir le peuple, fit Blanche Neige.
— Bien sûr, princesse, répondit Pux.
— Puis il faudra penser au couronnement, ajouta Erwen.
Le sénéchal jeta un regard sévère à la maitresse de chasse, mais celle-ci l’ignora. Interdite, Blanche Neige écarquilla les yeux. De quoi parlait-elle donc ? Quel couronnement ? Puis, elle comprit et la panique l’envahit.
— Pas ici, Erwen, la réprimanda le sénéchal. Allons dans mon bureau.
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