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tome 1, Chapitre 8 tome 1, Chapitre 8

Le lendemain, ils entrèrent dans la forêt, en empruntant une route assez large : une voie commerciale qui permettait aux chariots d’aller d’un royaume à l’autre. Elle était donc bien entretenue. Peu à peu les frondaisons des arbres les recouvrirent entièrement, cachant le soleil. Blanche Neige chevauchait à l’avant du convoi, avec son époux. Quand Uwen lui avait proposé de chevaucher avec lui, elle avait été étonnée.

Ils avançaient en silence. Les grincements des roues des chariots et la conversation légère des nains se mêlaient aux sons de la forêt : en plein jour, elle était remplie de frémissements et de sons joyeux. Cependant Blanche Neige ne pouvait oublier son sinistre pressentiment.

— La dernière fois que je suis venu par ici, c’était quand je me suis perdu et que je vous ai rencontrée.

Elle se garda bien d’exprimer sa surprise, de peur d’effaroucher le prince, qui semblait désireux d’entrer en contact avec elle.

— Les paysages du royaume de mon père sont très différents du vôtre, fit-elle. La ville qui est au pied du château est plus une bourgade comparée à Jouvenceroi. Mais dans la forêt sont disséminés de nombreux villages de bûcherons. Je ne sais même pas combien il y en a.

Une immense nostalgie transpirait des paroles de Blanche Neige.

— Cet endroit vous manque beaucoup ?

— Un peu. C’est le pays de mon enfance. Mais j’y ai vécu quelques horreurs. Aujourd’hui ces lieux m’inspirent plus de l’angoisse que de la joie, répondit-elle, en laissant son regard errer sur les arbres autour d’elle. Votre royaume est magnifique.

— C’est aussi le vôtre maintenant.

— Vraiment ? fit-elle, en se tournant vers lui et en fixant ses yeux noirs dans les siens.

Il se sentit soudain gêné. Le silence retomba entre eux, mais il ne s’enfuit pas, ce qui était déjà un progrès, de son point de vue. Blanche Neige n’insista pas : ce n’était pas le moment. Elle préféra profiter du spectacle des arbres de son enfance, en essayant de noyer sa crainte sous les couleurs et les parfums de la sylve. Plus elle s’enfonçait dans ses profondeurs, plus elle se sentait à l’unisson de la vie végétale qu’elle abritait. C’était comme une vibration qui pénétrait sous sa peau, dans ses veines, dans son corps entier. Elle aurait dû en être effrayée. Cependant, cela faisait fuir l’angoisse qui l’étreignait et c’était une sensation merveilleuse.

Ce soir-là, le camp fut monté dans une clairière, peu éloignée de la route, non loin d’un ruisseau assez large et profond. On donna du fourrage aux chevaux, on prépara le repas et on s’assit autour d’un feu pour se reposer du voyage. Comme la veille, le prince, prudent, ordonna aux soldats de prendre des tours de garde. Blanche Neige s’installa avec Hermeline et les nains et ils dégustèrent ensemble le dîner. Uwen se joignit à eux, quand il eut fini son inspection. Il prenait ses responsabilités très au sérieux.

Ils mangèrent et bavardèrent un moment, mais ils étaient tous épuisés par le voyage. Les nains finirent par se lever et s’installèrent dans leur tente. Le prince la quitta peu après pour s’éloigner dans la forêt, vers la rivière. Hermeline lui donna un coup de coude.

— C’est le moment, allez, fit-elle avec un clin d’œil.

La résolution de Blanche Neige faillit s’envoler, mais elle la rattrapa au vol et la maintint fermement.

— Tu as raison, fit-elle en se levant.

Elle s’engagea dans la même direction que son époux et déboucha sur le rivage herbeux de la rivière. Elle repéra Uwen, assis à même l’herbe, le regard perdu dans l’ombre entre les arbres. Elle hésita un long moment, soudain intimidée. Pouvait-elle le déranger dans sa solitude ? Puis, sa détermination revint : ils devaient clarifier les choses, avant d’arriver à Sylvemestre.

— Votre altesse ? articula-t-elle.

Il tourna la tête vers elle.

— Je me demandais quand vous vous manifesteriez.

— Oh ! lâcha-t-elle, soudain gênée.

Malgré tout, elle franchit la distance qui les séparait et s’installa à ses côtés.

— Cet endroit est particulièrement apaisant, commença-t-il, sans la regarder.

— C’est vrai.

Il soupira.

— Nous arrivons demain à notre destination et …

Il se mordit les lèvres. Il semblait incapable de lui parler. Le cœur de Blanche Neige se serra, et la colère monta à nouveau en elle.

— Je ne mérite pas la façon dont vous me traitez, rétorqua-t-elle.

Uwen se tendit et pinça les lèvres. Mais il refusait toujours de la regarder.

— Pourquoi m’épouser si vous ne m’avez jamais aimée ? continua-t-elle.

Il se tourna vers elle.

— Je pourrais vous retourner la même question, s’écria-t-il.

Blanche Neige en resta bouche bée.

— Vous croyez que je ne sais pas pourquoi vous m’avez épousé, que je n’ai pas remarqué à quel point vous étiez soulagée quand je vous ai laissée seule dans votre chambre, le soir de nos noces, continua-t-il.

La fureur envahit soudain la princesse qui bondit sur ses pieds.

— Vous… C’est vous qui m’avez abandonnée, c’est vous qui me parlez à peine, qui me regardez à peine et qui ne me montrez aucun signe d’affection. Et c’est vous qui m’avez épousé parce que je ressemblais à cette femme à laquelle vous vouez un culte !

Uwen pâlit et eut un mouvement de recul comme s’il avait été frappé. Elle se mordit les lèvres, mais c’était trop tard. Autant pour les excuses !

— Vous... vous ne savez pas ce que j’ai vécu avant de vous rencontrer, souffla-t-il.

La princesse siffla de colère.

— Alors, dites-le-moi. Racontez-le-moi. Quelle est cette ombre qui vous empêche d’honorer votre mariage et qui vous pousse à vous détourner de moi ?

Le prince cligna des yeux. Pouvait-il lui dire ce qu’il avait été au début de sa vie ? Pouvait-il lui révéler son secret ? La rage crispait le visage de son épouse et le transfigurait. Il ne pouvait l’en blâmer. Il l’avait très mal traitée.

Mais il n’avait jamais senti auprès d’elle la puissance de l’amour qu’il avait éprouvé toutes ces années, cet amour qui l’avait transformé. Littéralement. Des larmes coulaient de ses yeux d’ombre et son cœur se serra. Comment pouvait-il être celui qui lui faisait tant de mal après tout ce qu’elle avait vécu ? Il est temps, décida-t-il soudain.

Il se leva à son tour et s’approcha. En la regardant droit dans les yeux, avec une expression calme, il enferma ses mains dans les siennes. Elle se raidit et il crut un instant qu’elle allait les lui arracher, mais elle le laissa faire, en plongeant son regard implacable dans le sien.

— La femme dont vous avez vu les portraits dans ma chambre, celle qui vous ressemble tellement, s’appelait Elycendre. Elle était mon épouse, mon âme sœur, celle qui m’a transformé par la puissance de son amour. Elle est décédée lors d’une épidémie en même temps que ma mère, quelques mois avant que je ne vous rencontre dans la forêt. Quand je vous ai vue, dans le cercueil de verre, vous qui lui ressembliez tant, j’ai perdu l’esprit et j’ai cru qu’elle m’avait été rendue.

Son récit fit remonter des sentiments si douloureux que sa voix s’éteignit soudain. Ses mains tremblaient, son visage se crispa et ses yeux s’emplirent de larmes. Blanche-Neige sentit son propre cœur se serrer. Sa rage s’était évaporée au profit de la compassion et de la honte. Son éclat avait rouvert une blessure qu’elle aurait souhaité ne jamais connaitre, car l’amour qu’elle réclamait, elle le voyait maintenant dans le récit du prince, et elle ne le méritait pas.

— Je suis désolé, Blanche-Neige. Il m’a fallu quelques jours pour comprendre et il était beaucoup trop tard.

— Pourquoi ? Vous auriez pu me désavouer avant le mariage, trouver une excuse, quelque chose.

Les mains chaudes qui la tenaient toujours se serrèrent. Elle se tut devant la colère qui perçait dans ses yeux bleus.

— Et vous laisser en pâture à votre belle-mère ? Pour qui me prenez-vous ?

Un soupir s’échappa de ses lèvres et il se calma.

— Mais après, j’ai fui, je vous ai abandonnée. Et c’est impardonnable.

— Parce que je ne suis pas elle, parce que vous ne me supportez pas, murmura la jeune fille, soudain envahie d’une tristesse abyssale.

Le prince secoua la tête.

— Je suis un lâche, Blanche Neige, c’est tout. Je ne supporte pas de ne pas arriver à vous aimer comme vous le méritez. Et je préfère vous fuir.

Il s’interrompit et contempla sa femme un instant. Ses grands yeux ne cillaient pas et ses mains blanches ne tremblaient plus entre les siennes.

— Mais vous, pouvez-vous me dire, là, maintenant, que vous m’aimez d’un amour sincère ?

La jeune fille ouvrit la bouche pour répondre, mais aucun mot ne put en sortir. En y réfléchissant bien, elle ne l’aimait pas, elle ne l’avait peut-être jamais aimé. Elle était résolue à clarifier les choses et apparemment cela signifiait de cesser de se mentir à elle-même.

— Comment le pourrais-je ? murmura-t-elle. Vous m’êtes apparu comme le héros des contes que je lisais : vous m’avez réveillée d’un sommeil empoisonné, vous m’avez sauvée, vous m’avez libérée de ma belle-mère et protégée et pour cela je vous serais éternellement reconnaissante. Mais ce n’est pas de l’amour. Comment pourrais-je aimer quand j’ai si peu vécu ?

Uwen l’avait écoutée attentivement, la douce chaleur qui émanait de leurs mains jointes la rassurait. Il paraissait tellement plus apaisé et ouvert en la regardant. Il sourit et porta ses mains blanches à ses lèvres.

— Quand nous serons rentrés, j’expliquerai tout à mon père et annulerai le mariage.

Elle posa une main sur son épaule.

— C’est délicat, mon prince. Il va falloir y penser avant d’agir.

Uwen fronça les sourcils et voulut répliquer. Puis son regard se perdit dans l’obscurité entre les arbres. Que dire à son père ? Il ne pouvait pas la répudier ainsi et la laisser repartir seule dans un royaume dévasté. Sans compter qu’il en éprouverait une immense peine, tant il s’était attaché à la jeune fille. Il sentit sa main effleurer sa joue et posa ses yeux sur elle : elle sourit d’un air confiant.

Le jeune homme lui rendit son sourire avec tendresse. Cette discussion qu’il redoutait tant n’avait rien détruit, mais elle avait permis à quelque chose de nouveau de naitre, quelque chose qui n’était pas de l’amour, mais qui était néanmoins extrêmement précieux.

Le camp était endormi quand ils se glissèrent dans leur tente respective. Le lendemain, le convoi repartit aux premières lueurs de l’aube. Blanche neige chevaucha gaiement à l’avant avec son époux.

À la fin de la journée, ils parvinrent à leur destination : la route traversait une immense plaine, jusqu’à la bourgade nichée au pied d’une forteresse aux hautes murailles. Tout autour, les arbres formaient une muraille. Plus y approchait de la ville, plus l’anxiété grandissait dans le cœur de Blanche Neige. Elle était partagée entre la joie de revoir cette ville où elle était née et l’angoisse.


Texte publié par Feydra, 16 juillet 2024 à 00h45
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