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tome 1, Chapitre 4 tome 1, Chapitre 4

Lorsque Blanche Neige entra dans les écuries, Encre tourna sa jolie tête vers elle et poussa un petit hennissement. La princesse la flatta et posa un baiser sur son nez. L’animal la remercia d’un léger coup de museau. La splendide jument, un cadeau de son beau-père, était toujours ravie de se dégourdir les pattes en parcourant les chemins et les champs aux alentours du château. Tout comme Blanche Neige.

Au nord, le paysage était parsemé de collines rocheuses entre lesquelles serpentaient des sentiers. Quelques bosquets d’arbres y poussaient. Blanche Neige mena sa monture sur la chaussée principale pendant une centaine de mètres, puis elles bifurquèrent sur une route pierreuse qui s’en éloignait et s’enfonçait dans le moutonnement des coteaux. Il était mal entretenu, contrairement aux autres voies du royaume. Le terrain devint rocailleux et terne. Cependant, lorsqu’elle atteignit les premiers murs défoncés, le plaisir de la promenade avait rosi ses joues.

En ce lieu oublié, la végétation régnait : des buissons d’aubépine et des bosquets de bouleaux y avaient élu domicile. Il ne restait pas grand-chose de l’ancienne citadelle. Au moment où elle allait contourner le coteau pour continuer son chemin, une bourrasque fit bouger les hautes feuilles d’un arbre et elle entendit comme des murmures autour d’elle. Une lueur rouge attira alors son regard et elle aperçut la silhouette d’un toit de briques.

Stupéfaite, elle tira sur les rênes et, d’un coup de talon, mena sa jument sur la pente douce. Arrivée au sommet, elle eut une vision très nette d’une tour incroyable qu’elle ne se souvenait pas avoir déjà vue. Elle avait pourtant visité l’endroit un nombre incalculable de fois. Le dénivelé étant plus conséquent de l’autre côté, une bonne partie des ruines étaient cachées dans cette faille, mais elle était si haute qu’elle dépassait largement la colline. Stupéfaite, elle la fixa longtemps. Comment ne l’avait-elle pas remarquée avant ? Les murs de pierre étaient enserrés dans l’étreinte de plantes grimpantes comme si elles voulaient l’empêcher de tomber. Certaines tuiles du toit étaient déchaussées ; d’autres avaient disparu. Cependant, elle paraissait globalement en très bon état, malgré les siècles.

Elle devait lever la tête pour voir le dernier étage. Le mur extérieur était si proche qu’il lui suffisait de tendre le bras pour le toucher. Par une ouverture, elle aperçut un escalier de pierre qui lui paraissait en bon état. De larges meurtrières s’ouvraient aussi un peu plus haut, mais elle ne distinguait à l’intérieur que l’obscurité.

Malgré le frisson que la présence impossible de cette tour provoqua en elle, elle sentit soudain le besoin d’aller l’explorer. Laissant sa jument brouter l’herbe tendre, elle entreprit de descendre de l’autre côté. Par chance, elle trouva un endroit où la pente était moins escarpée et elle put atteindre le sol rapidement. Elle retrouva les ruines si familières, mais au plus profond de son esprit un sentiment de malaise émergeait.

Ici, pas de chants d’oiseau, ni de petits bruits de serpents ou de mulots qui s’enfuyaient en l’entendant. Tout était silencieux. Même la belle lumière de cette fin d’après-midi semblait diminuer. C’était comme si en passant de l’autre côté de la butte, elle avait pénétré dans un autre monde. Son cœur battit plus vite et le malaise devint une inquiétude sourde. Elle ne se souvenait pas avoir ressenti ce genre d’émotion lors de ses précédentes visites et cela contribuait à son angoisse. Mais elle continua, comme appelée par la tour.

Sous ses pieds, elle apercevait quelques pavés assombris par les années et recouverts d’une mousse épaisse et verdâtre. Quand elle marchait dessus, ils exhalaient des spores blanchâtres qui flottaient dans l’air. Le chemin n’était pas long, mais il sembla s’éterniser, comme si le temps s’était figé. La tour envahissait son champ de vision, alors même qu’elle ne pouvait encore voir l’entrée, cachée par les restes des murs d’enceinte et par les troncs tordus de quelques arbres.

À chaque respiration, des volutes de brume s’échappaient de sa bouche. La température était de plus en plus glaciale. Elle tremblait de froid et de peur et songea à faire demi-tour plus d’une fois, mais, aussi terrifiant que cela lui parût, elle était attirée par cet endroit. Les murmures qui avaient commencé au moment où elle était arrivée au pied de la colline n’avaient pas cessé leur appel. Ils étaient doux à ses oreilles, et, en même temps, en arrière-plan, des sonorités discordantes la faisaient tressaillir.

La tour lui sembla immense et distordue lorsqu’elle s’arrêta enfin, juste devant les marches qui menaient à l’entrée. Quand elle levait les yeux, elle lui paraissait si lointaine, son sommet perdu dans l’obscurité. Tout en haut, une sorte de nuage noir se tordait et enveloppait le dernier étage et le toit. Quand était-il apparu ? Elle avait l’impression de plus en plus forte de se trouver dans un autre monde, dans un autre temps. Sa raison lui hurlait que tout ceci n’était pas possible, que son esprit devait être sous l’influence des spores, mais elle restait une voix faible face au vacarme des murmures. Elle avait peur, mais au fond d’elle-même, elle avait la certitude qu’elle devait être là, à cet endroit, en cet instant. Et cette confiance l’apaisait un peu.

Elle posa le pied sur la première marche, pénétra au rez-de-chaussée, vide et ténébreux, emprunta l’escalier et se retrouva au dernier étage sans même s’en rendre compte. La salle était vaste, le sol de pierre étonnamment propre : pas un débris, pas une trace de terre ou de poussière. Deux ouvertures assez larges auraient dû laisser passer le soleil, mais il n’y avait qu’une obscurité tourbillonnante à l’extérieur.

Puis un objet accroché au mur, entre les deux fenêtres, attira son attention. C’était une magnifique épée ouvragée, à la lame brillante et à la garde ornée de joyaux. Elle était au centre d’un entrelacs de runes et d’autres symboles étranges, peints sur la pierre. L’air autour d’elle semblait s’épaissir, les ténèbres envahissaient la pièce. Elle avait l’impression qu’elle voyait l’arme à travers une brume ou de l’eau : ses contours vibraient et se déformaient. Le murmure indistinct était devenu une voix aiguë qui lui susurrait des paroles malveillantes.

Malgré elle, sa main se tendit vers le bel objet et elle la posa sur la poignée. Lorsqu’elle serra ses doigts fins autour de la garde, les ténèbres à l’extérieur semblèrent prises de folie. Blanche Neige sentit une secousse et une chaleur insupportable remonta le long de son bras. Des images cauchemardesques éclatèrent alors dans son cerveau, dansant au son d’une flute stridente. . Elle poussa un petit gémissement et se mit à trembler face à la puissance maléfique qui en émanait. Alors qu’elle résistait de toutes ses forces, les runes commencèrent à luire doucement : l’enchantement qui empoisonnait le lieu s’affaiblit brutalement. La princesse écarquilla les yeux et soudain, le voile de ténèbres et d’illusion s’effilocha ; le soleil revint. Elle regarda l’épée si belle et si funeste. Une aura de brume noirâtre s’en échappait et remontait le long de son bras.

La fureur s’empara d’elle. Elle arracha sa main de l’objet. Frissonnant de terreur, elle recula d’un pas, se retourna et dévala les escaliers en courant. Comment un tel objet pouvait-il se trouver ici, si près du château, au vu et au su de tous, sans protection ? Elle comptait bien poser cette question à son beau-père quand elle rentrerait.

Elle s’échappa à travers les ruines et grimpa la pente de la colline en s’accrochant aux pierres et aux racines. Avec soulagement, elle retrouva la chaleur et la lumière au sommet. Encre qui broutait tranquillement la regarda d’un air effarouché lorsqu’elle surgit près d’elle.

Reprenant son souffle, Blanche Neige caressa son encolure d’une main tendre : ce geste calma aussi bien la bête nerveuse qu’elle-même. Une fois son cœur et sa respiration apaisés, elle enfourcha l’animal et la guida sur la pente douce, jusqu’au chemin.

Alors qu’elle s’éloignait de la tour, sa frayeur disparut et le souvenir de l’épée s’atténua pour finir par s’évanouir. Lorsqu’elle atteignit la porte nord du château, elle n’avait plus aucune trace de ce qu’elle avait vécu. Elle ne savait même pas qu’elle avait visité la légendaire Tour Oubliée, lieu de bien des contes.


Texte publié par Feydra, 16 juillet 2024 à 00h10
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