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Kandorr - Livre I - La Guerre des Éléments
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tome 1, Chapitre 4 « Chapitre IV - L’Étincelle de la Guerre » tome 1, Chapitre 4

988 E.E.

Cinq années étaient passées depuis la fin de la guerre entre le royaume pyrhos et nagar. Les rapports entre les deux peuples étaient toujours tendus, mais aucun conflit armé n’avait eu lieu depuis. Chaque camp avait subi de lourdes pertes. De grands guerriers, chefs de clans et commandants de castes avaient perdu la vie, parmi lesquels Ladhon, le Brenn dragonnier, ou encore Silva, la Duxe de la meute de Naga. Mais ce qui poussa les peuples à cesser le combat fut la mort de deux symboles, le roi-forgeron Galann et la reine néri’torash Arlana.

Le peuple du feu se retrouva ainsi sans guide et, à la fin de la dernière bataille, cinq ans plus tôt donc, les sept clans se réunirent tous sur la deuxième île du royaume, Nemed-alb, dans le ringfort de pierre qui entourait l’âtre de la Flamme Blanche Sacrée.

Brenns et Argois se tenaient en cercle autour de la flamme afin d’en invoquer l’esprit qui l’habite. Parmi eux figuraient Dréhak, jeune maître dragonnier ayant nouvellement succédé à son père Ladhon, et son jeune frère Blaz, qui avait repris le rôle de second de son aîné.

Tous se turent, baissèrent le regard et mirent genoux à terre lorsque la flamme vascilla et qu’un esprit à l’apparence d’un jeune enfant fait de feu blanc apparu. Les légendes racontaient que cet esprit était la mémoire même du mage Pyrho, mêlée à celles des anciens rois et reines qui se sont succédé depuis le début de cette ère. Celui-ci semblait jovial et souriant bien que son visage soit dépourvu d’yeux ou de bouche. Il s’avança au bas des grandes marches qui entouraient la flamme pour désigner le nouveau guide du peuple. Après plusieurs tours, passant devant chaque chef qui gardait les yeux au sol en signe de respect, l’esprit passa derrière Ephon et son fils Falkir du clan des cavaliers puis continua son chemin et s’arrêta devant Govann, fils de Galann, le dernier roi.

La foule pensa donc qu’un nouveau roi-forgeron serait nommé, comme ce fut de nombreuses fois le cas par le passé. Mais l’esprit l’observa simplement un instant avant de repartir.

Il passa ensuite sans s’arrêter derrière Tygwan, le frère jumeau de Govann, qui se tenait derrière sa mère, Tangwyl, Brenne du clan des artificiers dont il avait suivi la voie, puis derrière Kyron le Brenn des archers, devant Dréhak et Blaz, puis enfin derrière le Brenn des soigneurs, Dumnor, avant de lui faire face.

Tous savaient bien qui était Dumnor et d’aucun ne doutait qu’il ferait un bon roi. Il était avec Kyron et Hazraël, la maîtresse des vates, l’un des trois druides, fidèles haut-conseillers du roi Galann, et nombre de ses conseils avaient permis d’éviter bien des morts durant la guerre. L’esprit s’approcha davantage de lui tout en l’observant mais avant que sa main ne le touche, son regard se tourna vers la personne qui se tenait derrière lui : celle qui était l’Argoie du clan des soigneurs, Fëanora, la fille cadette de Dumnor. Elle faisait partie de ces quelques soigneurs qui possédaient, dès le plus jeune âge, le don d’Hélyos, celui de soigner par le feu. Daralia, sa sœur aînée, ne le possédait pas et c’était pour cette raison que Dumnor avait préféré confier le rôle de second à sa plus jeune fille. Cela paraissait judicieux pour certains, arrogant pour d’autres, mais nul ne sait si c’est pour cette raison que l’esprit hésita.

Fëanora sentit soudain une douce chaleur s’approcher d’elle. Son cœur s’accéléra, elle ne comprenait pas ce qui se passait et la peur l’envahit petit à petit. La main de l’esprit se posa sur son épaule et alors, tous ses doutes s’envolèrent. Lorsqu’elle releva la tête, elle distingua un visage au travers des flammes blanches de l’esprit. Le temps se figea un instant et tout autour d’elle devint immaculé. Face à elle se tenait à présent un jeune enfant aux cheveux d’or et aux yeux blancs qui lui souriait véritablement. Cela ne dura néanmoins qu’un instant avant qu’il disparaisse dans la lumière. Lorsqu’elle reprit ses esprits, elle se tenait au milieu de l’âtre et portait la couronne en pyrolite azur et le manteau d’or, symboles de son nouveau rang. Les septs clans l’acclamaient à l’unisson, une nouvelle reine était née.

Blaz se souvenait parfaitement de ce jour. Lui qui avait passé une année loin du royaume à voyager et voir le monde n'était revenu que pour honorer la mémoire de son défunt père. Il ne comptait probablement pas rester jusqu'à ce qu'il voit cette jeune fille être illuminée du feu sacré. Il la trouvait belle, majestueuse et toutes ses envies d'ailleurs furent estompées. Ce jour était celui où il avait décidé qu'il lui dédirait sa vie, que son épée et sa force n'auraient d’autre but que de protéger la sienne.

- Revient parmi nous petit frère, nous arrivons à la Volière, lança Dréhak à son attention, voyant bien qu’il était encore en train de rêvasser.

Les deux hommes étaient en direction de la cité des soigneurs, Lug-dun. Chacun montait un rudragon, ce qui signifiait que les deux dragonniers étaient de puissants guerriers. C’est en effet lorsqu’un dragonnier atteint un certain niveau de puissance que, dans la plupart des cas, le dragon auquel il est lié mu et devient un rudragon. Kolla, le plus grand des deux, était la monture de Dréhak tandis que Bolla était celle de Blaz.

Dréhak avait les cheveux blonds ardents, courts sur le dessus, mulet à l’arrière et rasés sur les flancs, comme c’était la coutume chez les dragonniers, tandis que ses yeux étaient d’un doré crépusculaire. Il ne portait pas encore la barbe à cette époque et son visage était souriant. Il était vêtu de son manteau rouge de Brenn et portrait autour du cou le médaillon blanc serti d’une pierre azur. Blaz quant à lui avait les cheveux hirsutes mi-longs, rasés sur les flancs également, d’un rouge flamboyant et ses yeux brillaient du même bleu que les flammes de sa monture. C’était d’ailleurs de là que lui venait son nom, une forme contractée de Bleu Azur. Il portait quant à lui un manteau brun, en mue de diardragon, ou dragon commun, aux liserets d’argent, symbolisant son rôle d’Argoi et, à sa ceinture maintenue par une chaîne, se trouvait une longue épée qui paraissait bien prestigieuse.

Au loin, vers là où ils se dirigeaient, on pouvait apercevoir l’une des six cités pyrhos entourée d’une haute fortification circulaire. Au milieu de celle-ci se dressait une grande tour que l’on appelait la Volière et c’est au creux de son sommet que les deux dragons vinrent se poser. L’espace à ciel ouvert au-dessus d’eux était immense, entouré de hauts murs parsemés d’un grand nombre d'alcôves. Dans chacune de ces alcôves l’on pouvait voir des nids et, dans certains d’entre eux, des phénixs se reposaient ou observaient attentivement les deux nouveaux arrivants. Il y en avait précisément trois cent trente trois, tout comme le nombre d’oiseaux de feu qui fut créé par le mage Pyrho. Les phénixs étant asexués, ils ne se reproduisent pas et, bien que dotés du don de réincarnation, leur nombre a aujourd’hui bien diminué puisque la mort ne leur est pas totalement étrangère.

De nombreux gens occupaient l’endroit et vaquaient à leurs habitudes. Certains rassemblaient les plumes jonchant le sol, d’autres en drainaient quelques gouttes de sang à leurs extrémités tandis que d’autres encore récupéraient les messages contenus dans les capsules accrochées aux pattes des phénixs messagers avant de les remplacer par de nouveaux. On appelait ces individus des récolteurs et ils formaient l’un des trois ordres du clan.

Une femme arrivait dans la direction des deux dragonniers. Elle avait les cheveux attachées rose poudré et les yeux violine et portait un manteau similaire à celui de Blaz et devait avoir une trentaine d'années tout au plus.

– Essaye de ne pas être maladroit avec elle cette fois-ci, s’il te plait, lança Blaz discrètement à son frère sur un ton taquin.

– Je ne vois absolument pas ce que tu veux dire …

Daralia arriva à leur niveau et s’inclina, avant-bras face à elle, pour saluer le Brenn et son Argoi comme l’exigeait le protocole des clans. Blaz en fit de même, tandis que Dréhak … et bien … devint maladroit :

– Voyons, voyons, inutile de vous incliner devant moi dame Daralia, ce n’est pas nécessaire. Après tout, nous sommes quasiment de la même famille maintenant, n’est ce pas ? héhé …

– C’est l’usage Brenn dragonnier, vous le savez et encore une fois, sans vouloir vous paraître désobligeante, vous devez également le suivre répondit Daralia, d’une voix douce et calme, marqué néanmoins d’une pointe de défiance.

– Euh, oui, oui, pardon … hésita-t-il avant de la saluer également à son tour.

- Si vous voulez bien me suivre, ma sœur, la reine, vous attend, ajouta t-elle avant de se diriger vers le grand escalier en spirale qui descendait à l’intérieur de la tour.

– Voilà, c’est exactement ce que je voulais dire, chuchota Blaz à l’attention de son aîné tout en se retenant de rire avant de suivre le pas.

A l’étage inférieur, sous l’esplanade, se trouvaient divers laboratoires et ateliers où les préparateurs, le second ordre du clan, concoctaient des remèdes et potions en tout genre. Bien que les plumes et le sang des phénixs avaient de puissantes vertus, ces ressources étaient toutefois rares et leur usage était donc limité. Daralia était Ollam, la maîtresse des arts du clan. Elle avait donc pour rôle de diriger les recherches et les travaux qui se faisaient à ce niveau. Elle avait elle-même fortement contribué à la création de nombreuses décoctions novatrices.

Les trois éminents pyrhos passèrent sans s’arrêter et continuèrent leur descente aux étages inférieurs où se trouvaient de nombreuses salles ou les soigneurs, le troisième et dernier ordre du clan, auscultaient divers patients et administraient les remèdes qu’ils estimaient être le plus judicieux. Daralia se dirigea vers une de ces salles où se tenaient de dos une jeune femme vêtue d’un long manteau rouge aux liserets d’or. Elle avait les cheveux longs, bouclés et roux et l’on pouvait voir devant elle une lueur pourpre scintiller.

– Et voilà, c’est fini, il devrait pouvoir à nouveau courir dans les champs comme si rien de tout cela n’était arrivé, dit la cheffe du clan.

La voix bienveillante de la jeune fille s’adressait à l’homme qui se tenait devant elle et dont le visage était familier des deux dragonniers.

– Merci ma reine, j’ai eu tellement peur quand les monochs se sont agités autour de lui, jamais je n’aurais pensé que mon petit Naru allait s’en sortir, votre don est un véritable miracle.

– Voyons Falkir, nous nous connaissons depuis l’enfance, ne m’appelle pas ainsi, tu sais bien que ça me met mal à l’aise. Cela à beau faire cinq années maintenant, je ne m’y fait toujours pas.

Fëanora tenait dans ses bras un petit corsachiot, un bébé renard de feu. Il glapissait et semblait avoir retrouvé toute sa vigueur qu’il en sauta dans les bras de son maître.

– J’essayerais de faire un effort, mais je ne promets rien. Merci encore, ajouta Falkir avant de quitter la salle, Naru dans les bras, et de croiser les trois autres.

– Falkir, dit sèchement le chef dragonnier.

– Dréhak, lui répondit froidement le second du clan des cavaliers.

Une petite tension se fit sentir entre les deux hommes, avant que le dresseur de licorne de feu ne quitte la pièce.

– Etait-ce nécessaire, Dréhak ? lança agacé Blaz à l’adresse de son frère.

– Ce le sera, tant qu’il continuera de tourner autour de notre cousine. Les cavaliers et les dragonniers ne se mélangent pas, répondit l'aîné.

– Qu’est ce que tu peux être vieux jeu. On croirait entendre notre père, répliqua le cadet, blasé.

Blaz s’avança dans la pièce, laissant son frère en arrière. Il passa devant Daralia pour s’approcher de celle qui était devenue la maîtresse du clan des soigneurs. Fëanora avait en effet repris le rôle de son père et laissé le sien à sa sœur après que la flamme l’ait choisie. C’était aussi le choix de Dumnor de lui céder sa place, lui qui vouait un profond respect à la flamme sacrée, il avait néanmoins gardé son statut de druide et conseillait toujours sa fille comme il conseilla le précédent roi. Elle était devenue reine, en effet, mais cela ne lui conférait pas pour autant un trône loin de son clan, ni à son clan une supériorité quelconque sur les autres. Ce rôle lui donnait la responsabilité de présider les conseils, de trancher avec justesse et droiture lorsque les clans n'étaient pas en accord ou encore de représenter son peuple auprès des autres.

– Bonjour ma reine, adressa Blaz, avec une profonde marque de respect.

A ses paroles, Fëanora se retourna, laissant apparaître son petit ventre rond et un doux sourire plein d’affection à son égard. Elle avait les yeux pourpres qui présageait dès l’enfance la venue de son don.

– Toi en revanche, j’aime quand tu m’appelle ainsi, redis le encore une fois pour voir ? lui répondit la jeune fille, comme une enfant qui oubliait son statut.

Blaz s’approcha davantage de la reine, posa une main sur son ventre avant de l’embrasser tendrement.

– Le temps fut long sans vous, ma reine, ajouta-t-il pour satisfaire la requête de sa bien-aimée.

– Idiot, tu n’es parti qu’à peine quelques jours.

– Tu sais bien que c’est déjà trop long pour moi …

– Hmm, hmmm … Dréhak les interrompit et s’avança. Mes félicitations, Ma Reine, pour cet heureux évènement à venir. Pardonnez ma curiosité, mais savez-vous s’il s’agira d’un garçon ou d’une fille ?

– Nous ne préférons pas le savoir pour le moment, mais nous savons en revanche comment nous allons l’appeler, lui répondit-t-elle.

– Oh, vous avez attisé d’autant plus ma curiosité ! Qu’en est-t-il ? renchérit Dréhak, en se tenant, maladroitement, aux côtés de Daralia.

– Si c’est une fille, ce sera Fenicya, répondit Blaz, tenant sa promise par la taille en regardant son frère et sa belle sœur.

– Et si c’est un garçon ? rebondit cette dernière, en s’adressant à sa petite sœur.

– Ce sera Fenyx, l’enfant du renouveau, répondit Fëanora, le regard plongé dans les yeux de Blaz.

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– Que fait il, il devrait déjà être revenu, grogna Dréhak.

Plusieurs mois étaient passé depuis leur passage à la cité des soigneurs.

– Calme toi un peu, tu le connais bien, il aime se faire désirer, lui répondit Cyndera, leur cousine.

Une cohorte de dragonniers s’étaient rassemblés sur la plaine de Nemed-alb, l’île de la Flamme. Parmi lesquels Dréhak bien évidemment, mais également sa mère, Kholkis, Vikaris, sa tante, et donc Cyndera, la fille de cette dernière. Tous montaient leurs dragons, et la jeune reine se tenait au milieu d’eux, en apparats de procession, couronne en pyrolite azur et manteau d’or, ce qui signifiait que ce jour était d’une grande importance. Elle tenait dans ses bras un nouveau-né enveloppé dans une grande couverture en linus orangé finement rayé et Daralia, sa sœur, se tenait à ses côtés. Derrière elles, les trois druides et les autres chefs de clans et leurs seconds se tenaient solennellement en ligne.

– Mais qu’est ce qu’il fiche encore celui-là ! Le niveau de la mer n’est pas si loin que ça ! hurla la reine, très stressée et donc fortement impatiente.

Un souffle se fit sentir, venant du bas du l’île qui reposait, rappelons le, sur un grand pilier fait de pyrolite rouge la maintenant loin des eaux. La vapeur qui entourait le pilier se fit happer par le souffle et forma une trombe remontant vers les hauteurs des plaines de laquelle sortit un dragon rouge qui vint se poser près de ses congénères.

Le dragon approcha de Fëanora et l’on entendit deux individus sauter à terre.

– Reine Fëanora, j’ai l’immense honneur de vous présenter, enfin, cet ami dont je vous ai tant parlé, dit Blaz la voix empli d’une immense joie.

Derrière lui, se tenait un jeune homme au teint clair, aux cheveux ondulés bleu de minuit et aux yeux bleu océan. Il portait une armure faite de nodule rouge qui indiquait qu’il faisait partie de l’élite des soldats nagars.

– Reine Fëanora, vous me voyez ravi de faire enfin votre rencontre. Permettez moi de me présenter, je suis le Legatus Zekh, lieutenant de la Phalange de Nékar et prince du royaume nagar. Je serai aujourd’hui le garant qui vous conduira auprès de mon père sans encombre.

– Merci à vous, prince Zekh de nous permettre cette rencontre, vous avez la confiance de mon époux, vous aurez donc la mienne, lui répondit la reine pyrhos.

– Nous avons tous ici perdu des proches à cause de cette guerre et nous souhaitons à présent la même chose, la paix. Il est de mon devoir de permettre que celle-ci se fasse et je suis heureux de savoir que votre royaume est aujourd’hui entre vos mains. Vous avez également toute ma confiance et je vous assurerai ma protection, même si je sais que vous avez à vos côtés le plus valeureux des pyrhos.

– Haha, cesse donc de me charmer vieux frère, répondit Blaz, le prodige ici c’est toi. Intégrer la Phalange à dix-huit ans, c’est un exploit qui ne s’était encore jamais vu.

– Et rappelle-moi qui était le dernier pyrhos à être assez digne pour porter l’épée Caledfwlch ? Ça remonte à quoi ? Plusieurs siècles, non ? renchérit Zekh.

– Bon, les deux vedettes, quand vous aurez fini de vous faire des mamours, on pourra peut-être y aller non ? s’agaça Dréhak.

– Il est vrai, nous avons une grande route à faire après tout, répondit Zekh.

Fëanora s’approcha de sa grande sœur pour lui confier Fenyx avant de monter sur Kolla qui s’était abaissé à son niveau. Dréhak serait sa garde rapprochée sur le chemin comme l’exige son statut tandis que les autres dragonniers garderait les alentours. Blaz remonta sur Bolla et Zekh en fit de même sans que cela gêne le dragon qui connaissait bien son odeur.

– Dragonniers, dragonnières, nous partons pour un royaume à l’autre bout du monde. Gardez à l’esprit que tout peut arriver et que votre seule mission est de protéger Votre Reine, soyez prêts à donner votre vie pour elle s’il le faut.

– N’en fait pas trop Dréhak, voyons, répliqua Fëanora. Vos vies à tous valent autant que la mienne, la seule chose que je vous demande de protéger c’est la paix de nos royaumes. Ne reproduisons pas les erreurs du passé. Elle se tourna vers Dumnor avant d’ajouter :

– Père, je vous confie le royaume, dit la Reine.

Sur ces paroles, l’ancien Brenn s’inclina, sans dire un mot et tous les autres chefs et seconds en firent autant.

– Vikaris, en mon absence, je te confie le clan et sa garde, dit Dréhak à sa tante.

Elle s’inclina également sans un mot et les dizaines de dragonniers s’envolèrent vers l’horizon, la Flamme Blanche dans le dos, observés par celles et ceux restés à terre.

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Le cortège volait haut dans le ciel pour ne pas être vu des kandorriens dont ils survolaient le continent. Les dragonniers formaient un cercle autour de Dréhak et de la reine tandis qu’à sa tête se trouvaient Blaz et Zekh qui donnaient la direction.

– Je n’ai pas eu l’occasion de te le dire Blaz, mes félicitations pour la naissance de ton fils. J’espère que ce jour annonce un avenir proche où nous pourrons voir les enfants de nos peuples jouer et rire ensemble. C’est drôle d’ailleurs mais il est né quelques mois après mon petit frère, Aran, peut être que ces deux là deviendront amis.

– Haha, je n’en doute pas ! répondit Blaz, d’ailleurs cela n’est pas trop étrange pour toi ?

– Quoi donc ? dit Zekh, confus.

– Et bien, Kora, n'as-tu pas l’impression de revoir Krysta à travers elle ? Cela n’est il pas étrange pour toi que sa sœur jumelle ait épousé ton père ? Pardonne moi si cette question est déplacée, ajouta Blaz, soudainement gêné par sa propre curiosité.

– Disons que si l’on remontait cinq ans en arrière, jamais je n’aurais pu imaginer une chose pareille. Mais mon père l’aime réellement, probablement plus qu’il n’aimait ma mère je pense même. Je ne l’avais jamais vu autant sourire qu’en sa présence. Et cela est réciproque, elle a choisi mon père et a fuit le sien. Ce n’était pas un choix facile mais elle semble être convaincue que c’était le bon. Si la paix est possible aujourd’hui, si mon père est prêt à signer ce traité, c’est en grande partie grâce à elle. Je ne vois pas Krysta quand je la regarde, elles sont tellement différentes.

– A t-elle des nouvelles de sa sœur ? demanda Blaz.

– Non, pas depuis qu’elle a rejoint notre royaume. Les liens que nous avions autrefois avec les Ténériths sont aujourd’hui rompus. Et toi, as tu des nouvelles des autres ? questionna Zekh.

– Non plus, aucune depuis que nous nous sommes séparés il y a cinq ans. Argos doit probablement errer quelque part entre le Menaros et l’Alandros, dit Blaz, d’un sourire nostalgique.

– Haha ! Et ce bon vieux Drask doit sûrement être en train de se réveiller saoul dans un port aux côtés d’un jeune inconnu, renchérit Zekh.

– Cette époque me manque. Nous étions bien jeunes mais tout était plus simple sur le continent. A nous sept, nous pensions pouvoir refaire le monde et tout s’est arrêté si vite, répondit Blaz d’une voix mélancolique.

– Et bien, construisons ensemble une nouvelle époque mon frère, conclut Zekh.

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Après plusieurs heures de voyage, le convoi céleste se trouvait désormais au-dessus de la mer nagéenne, à l’ouest du continent, et pu commencer doucement sa descente. Lorsqu’il traversa les nuages, l’on pouvait voir depuis le ciel une immense île en forme de spirale et, en son centre, était fierement dressé le palais de nacre blanc. Les dragonniers évitèrent sans mal les défenses naturelles du royaume et vinrent se poser à l'extrémité de la spirale sans crainte grâce à la présence du jeune prince nagar qui les escortait. En d’autres circonstances, ils n’auraient pu approcher autant du royaume sans faire face à la garde défensive de la caste du bouclier de Nodon et à leur familiers genbus.

Au loin, on apercevait les gigantesques murs d’enceinte qui bordaient le tour extérieur de l'île et la grande porte de Nodon qui donnait accès au royaume depuis la pointe où ils se trouvaient.

Blaz et Zekh mirent pied à terre en premier et Dréhak en fit autant avant d’aider la reine à descendre de sa monture tandis que les autres restaient en selle, surveillant les alentours.

– Merci Dréhak, et merci à vous tous dragonniers pour votre dévouement, lança Fëanora à ceux qui l'entouraient avant de s’avancer vers les deux autres. Je vous demanderais néanmoins de rester ici. Je me rendrais au palais seule, sous l’escorte du prince Zekh, ajouta-t elle.

– Voyons enfin, ce n’est pas raisonnable Ma Reine, s’exclama Dréhak. Nous sommes missionnés par les druides de votre protection, cela n’est pas envisageable.

– Entrer dans ce royaume avec une armée ne me semble pas plus approprié maître Dréhak. Nous devons nous montrer humble, nulle paix ne sera possible autrement. Si nos intentions sont aussi nobles que les leurs, il n y a aucune raison de s’inquiéter, dit-elle confiante et rassurante.

– Si cela peut néanmoins rassurer mon frère, je vous accompagnerai également, répondit Blaz … si tu n’y vois pas d’inconvénient bien sûr, ajouta t-il à l’adresse de sa compagne sur un ton plus personnel.

– Cela me rassurerait en effet, sans vouloir manquer d’obligeance à l’égard de ton ami, répondit Dréhak.

– Très bien, alors allons-y, conclut la reine.

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Lorsqu’ils arrivèrent enfin au pied des remparts, les deux pyrhos furent impressionnés par leur grandeur. Au bas mot, cent pieds de haut les toisaient. L’enceinte avait l’aspect du marbre, sa surface était lisse et parfaite comme la roche érodée soigneusement peu à peu par les courants des eaux. Elle avait néanmoins la couleur du sable mélangé au corail lui donnant une apparence fragile alors qu’il s’agissait là d’un des plus beaux et solides ouvrages de la caste des Pinces de Crusara.

La grande porte à double battant était quant à elle faite entièrement de Timalium, noble alliage de métal et de corail dont la blancheur indiquait la finesse du raffinement. De chaque côté de celle-ci se tenait un haut-garde de la caste du Bouclier de Nodon dans son armure emblématique noire et portant un casque cachant intégralement son visage. Ils tenaient dans leurs mains gauche et droite qui se faisaient face leurs lances, sans les poser au sol, et, dans celles opposées, leur scutum, grand bouclier, tout en restant parfaitement immobile. A l’approche du prince et de ses convives, ils pivotèrent vers l’intérieur de la porte d’un pas militaire annonçant leur arrivée et demandant son ouverture. Celle-ci était actionnée par un ingénieux système de grande poulie à eau. Les portes semblaient s’ouvrir avec une légèreté déconcertante bien que le timalium était connu pour être un matériau extrêmement dense.

Zekh annonça le pas suivi de Fëanora et Blaz ferma la marche, attentif et main sur son pommeau. Ils passèrent l’arche et se retrouvèrent dans la première spire de l’île qui longeait la première enceinte. Au-delà de la grande plaine où ils étaient, se trouvait le le bois des nuckées, les centaures des mers, des humas élémentaires vivant pacifiquement dans ces lieux.

– Nous allons passer par le bois et traverser un peu plus loin le fleuve spiral pour atteindre plus rapidement la citadelle. Cela sera plus court que de faire le tour de l’île, suggéra Zekh avant de positionner son pouce et son index dans la bouche pour émettre trois fort sifflements qui résonnèrent dans la plaine.

Trois nagas aux écailles bleues firent leur apparition venus du bois. Le plus grand d’entre eux vint se prosterner devant son maître avant de sauter au cou de Blaz et de le faire tomber au sol.

– Haha grosse patte ! Arrête ! cria Blaz en riant tandis que le loup nagéen lui lapait le visage affectueusement.

– Je vois que Na’rom se souvient bien de toi, dit Zekh, souriant.

– J’aurais préféré qu’il m’oublie je t’avoue, regarde dans quel état je suis maintenant, ce n’est pas très présentable, ajouta Blaz sans en être réellement gêné.

– Na’rom, lâcha Zekh d’un ton instructeur.

Le naga s’arrêta net et vint aux pieds de son maître, tandis que les deux autres se rapprochaient des deux invités pyrhos.

Blaz était désormais trempé et couvert de terre boueuse et l’anima l’avait totalement décoiffé, mais cela ne semblait pas l’inquiéter plus que ça.

– Aurais-tu l’amabilité de te rafraîchir un peu, Blaz, s’il te plait, lui lança espièglement, Fëanora.

– Bien sûr, Ma Reine.

En un instant, ses yeux bleus s’enflammèrent d’une lueur vive et ses cheveux se hérissèrent. Son corps entier se recouvra de flammes, consumant la saleté qui le recouvrait. Les vêtements qu’il portait étant apyres, ils en ressortirent flambant neuf.

Des cris d’effroi se firent soudainement entendre depuis les profondeurs des bois.

– Ne vous inquiétez pas, dit Zekh. Les nuckées ont une sainte horreur du feu.

– Ah. Désolé, dit Blaz, tout en se grattant la tête pour se dépoussiérer et se recoiffer. Étrange pour des créatures d’eau, cela dit, ajouta t-il, surpris.

– Vous pouvez chevaucher Na’num et Na’tul dès à présent. Le chemin est long jusqu’au fleuve, l’île est plus large qu’il n’y paraît.

Les trois nagas et leurs voyageurs filèrent à tout allure vers l’intérieur de l’île avec à leur tête Na’rom et Zekh. La forêt était dense mais l’on pouvait distinguer les silhouettes des nuckées les observer à bonne distance. Lorsqu’ils arrivèrent à la lisière des bois, une grande plage de sable se présenta à eux. A leur droite, on voyait la grande enceinte passer au-dessus du fleuve et, en son centre, se trouvait une grande ouverture en arc protégée par une herse. La muraille rejoignait l’autre rive et fermait le cercle qui entourait la première spire de l’île. Devant eux, le bras d’eau, large de plusieurs milles marins, se jetait dans la mer nagéenne. Les loups continuèrent leur course sans s’arrêter et se mirent à marcher sur la surface de l’eau sans la moindre différence avec le terre. Ils étaient à vrai dire même plus rapides sur leur élément et le fort courant du fleuve ne leur opposait aucune difficulté.

– Comment peut-il y avoir un tel courant descendant ? Le fleuve s’arrête bien au centre de l’île ? Il ne devrait d'ailleurs même pas y avoir de courant, demanda Fëanora, curieuse.

– Je vois que vous êtes d’une rare perspicacité Reine Fëanora, répondit Zekh. Vous avez parfaitement raison, le fleuve part du centre de l’île et se jette dans la mer à la sortie de la spirale. Mais cette île a une particularité, elle se trouve précisément là où tous les courants marins profonds se rejoignent. Les courants forment un typhon ascendant sous l’île qui alimente le courant du fleuve. C’est aussi ces courants qui génèrent les maelstroms aux alentours. D’ailleurs, contrairement aux îles classiques, qui se trouvent aux sommets émergés des monts sous marins, notre île flotte statiquement sur la mer.

– C’est fascinant ! L'œuvre des Quatre Mages m'impressionnera toujours autant, répliqua Fëanora.

– Tu fais un excellent guide Zekh, ajouta Blaz, un brin moqueur.

A l’approche de l’autre rive, une immense ville apparut devant eux et s’étalait sur la totalité de la seconde spire intérieure. Entourée elle aussi d’une seconde enceinte de corable moitié moins haute que la première, elle se nommait Urbéa, la Haute-Ville.

Entre l’entrée de la ville et la fin de la première spire, à la sortie du bois des nuckées, se trouvait un port par lequel le prince nagar et ses invités arrivèrent. Ils descendirent de leurs montures sur un ponton libre pour continuer leur chemin à pied. Dans le port se trouvaient nombre de navires à aubes sans voiles. Certains étaient des bateaux de pêche et d’autres des bâtiments militaires.

– Poursuivons notre route si vous le voulez bien, dit Zekh, toujours princier. Vous vous trouvez à présent à Emporéa. C’est ici, à l’entrée de la Haute-Ville que se croisent toutes les castes du royaume, militaires, artisans et commerçants, disséminées aux quatres coins de la mer nagéenne.

Les trois comparses étaient attendus à l’extrémité du ponton par des miliciens de la meute de Naga, la caste chargée, entre autres choses, de la sécurité de la ville.

– Mes hommages Reine Fëanora, dit en s’inclinant l’homme qui se tenait devant les autres et semblait être le plus gradé.

– Je vous présente Maître Savedgh, le Dux de la caste de Naga, mais également mon mentor. Il nous escortera jusqu’au palais, dit Zekh.

Une jeune fille accompagnée d’un naga blanc, signifiant qu’il s’agissait d’une rare femelle, s’avança à son tour sans se présenter. Elle portait les attributs typiques de la meute, une armure légère d’écailles bleu cobalt et, dans son dos, un large espadon en timalium. Ses cheveux courts étaient du même turquoise que ceux de son commandant.

– Oh, Nessa … lâcha Zekh sans retenue, surpris de la voir.

– Cache donc ta joie, le prodige, lui répondit la jeune fille, sur un ton peu respectueux.

– Centurion Nessa, allez donc ouvrir la marche, répondit Savedgh, sèchement.

– Okay, papa …

– Nessa ! hurla l’homme, agacé.

– Pardon. Oui, Dux Savedgh, se ressaisit-elle accompagnant sa parole d’un salut militaire, poing serré sur la poitrine, avant de partir à l’avant avec sa louve.

– Veuillez lui pardonner, Mon Prince. Veuillez également pardonner l’impolitesse de ma subalterne en votre présence Reine Fëanora, s’excusa Savedgh.

– Il n'y a pas de mal Dux, répondit la reine, bienséante.

Blaz s’approcha discrètement de Zekh et lui donna un léger coup de coude avant d’ajouter silencieusement :

– Voici donc la fameuse Nessa … On dirait bien qu’elle t’en veux…

Zekh avait en effet autrefois parlé de Nessa à Blaz. Les deux avaient fait leurs premières classes dès le plus jeune âge sous les enseignements de Savedgh. Elle lui avait d’ailleurs fortement tenu rigueur d’avoir disparu pendant une année, son retour avait cependant apaisé les tensions et ils avaient pu partager cinq années de plus au sein de la même cohorte mais cela faisait maintenant plusieurs mois que le prince avait quitter la meute pour rejoindre la Phalange et elle ne semblait pas avoir accepté la chose.

– Avançons, si vous le voulez bien, dit Zekh d’un ton plus grave, pour éviter le sujet.

⬧⬨⬧⬨

Ils avaient traversé l’agora aux mille poissons du port et la rue pavée principale de la Haute-Ville sous les regards curieux des habitants qui les observaient depuis les différents étages des habitations bordant le chemin. Zekh s’était arrêté à plusieurs reprises pour leurs faire l’article des lieux qu’ils croisaient, parmi lesquels d’autres agoras commerçantes, des bassins et cours d’eau urbains ainsi que des thermes ou encore des temples dédiés aux titans-gardiens et des amphithéâtres de cérémonies ou de spectacles.

La rue montait et virait progressivement vers le centre de l’île. Au bout d’Urbéa, à la fin de la seconde spire qui s’affinait, se trouvait le grand pont en arc qui reliait la Haute-Ville à l’île centrale sur laquelle se reposait la citadelle royale, Nagéa. Lorsqu’ils traversèrent le pont, les pyrhos purent voir que le courant du fleuve était capté et remontait le long de trois aqueducs reliés aux fortifications.

– Comme vous le voyez, le courant est drainé au sommet des enceintes. Celui-ci est ensuite utilisé à différents usages comme pour alimenter la ville en eau ou actionner les mécanismes des portes que vous avez pu voir, précisa Zekh en bon guide. Nous empruntons même ce courant pour nous déplacer plus rapidement en ville.

– Cela me rappelle l’ingéniosité des artificiers pyrhos, lança Blaz, émerveillé.

Nagéa, la citadelle, était quant à elle entourée d’un mur du même nacre blanc que celui du palais qui triomphait en son centre et venait défier les nuages. A leur arrivée, les portes, également de nacre, s’ouvrirent sur leur passage. De l’autre côté, la cour entourant le palais était somptueuse. Recouverte de dallages raffinés semblables à des écailles, elle était parsemée d’une multitude de fontaines à l'effigie de héros, de gardiens ou de créatures nagars. Seuls la monarchie et les hauts dignitaires vivaient dans la citadelle et tous s’étaient rassemblés sur la place au bas des marches du palais pour accueillir la reine pyrhos.

La haute-société nagar formait une voie sur le passage du cortège et, en haut des marches, se tenait en habits blancs le roi Néridon Bashal Aran. Il portait une couronne en corable, rappelant son rôle de protecteur du royaume, et, sous son manteau, une armure en timalium blanc bordée de liserets d’or et sertis de pierres bleues marquées du calice nagar. A sa droite se trouvait la reine Kora, également en tenue blanche. Elle avait les cheveux d’un bleu azurin attachés en tresse poisson et les yeux bleu givré à l’instar du nourrisson qu’elle portait dans les bras. A la gauche du roi figurait d’un air fort sérieux le jeune prince de dix ans, Darius. Il portait à la ceinture un morceau de crâne de Dunkleos, créature des fonds abyssaux, offert par Zekh au retour de l’épreuve qui lui avait permis d’intégrer la Phalange.

Lorsque les pyrhos approchèrent du bas des marches, le Marid, hérault royal et esprit batracien de l’eau, apparut devant eux en habit de soie mauve. Il prit alors la parole :

– Hmm, hmm, se racla-t-il la gorge avant de s’adresser à la foule. Peuple nagar, au nom de sa majesté, le roi des deux mers, Néridon Bashal, fils d’Aran premier du nom, j’ai l’immense privilège et l’insigne honneur d'accueillir parmi nous la reine pyrhos Fëanora, fille de Dumnor, du clan d’Hélyos. Puisse ce jour être le premier d’une nouvelle ère et puissent nos peuples être à nouveau frères, comme ils le furent aux temps jadis. Amis pyrhos, Mon Prince, veuillez bien me suivre.

Fëanora pris la suite du Marid et monta une à une les marches du grand escalier. Arrivée à son sommet, elle mit un genoux à terre et se prosterna devant les membres de la famille royale nagar.

– Roi Néridon, merci à vous de nous accueillir en ce lieu. Je vous prie de croire en ma profonde sincérité. Je m’engage au nom de mon peuple pour que ce jour soit le premier d’une paix durable entre nos nations. Je vous promets que les erreurs de mes prédécesseurs ne seront pas les miennes.

– Reine Fëanora, si vous devez remercier quelqu’un ici c’est mon fils, le prince Zekh qui a permis notre rencontre. Lui et mon épouse Kora n’ont eu de cesse que de me convaincre. Si les erreurs de vos prédécesseurs ne sont pas les vôtres, celles de mon peuple sont bien les miennes et c’est en mon nom que je vous prie de croire également en ma sincère volonté de ne plus en commettre à votre égard. Nous avons connu cinq années de paix, puissent-t-elles être les premières pour les siècles à venir. Gardes, ouvrez les portes du palais ! dit le roi, d’une voix forte qui résonna dans la cour.

Les grandes portes de nacre blanc qui se dressaient derrière eux avaient une forme ovale plus haute que large. Des liserets d’or les bordaient et des pierres précieuses turquoise appelées Oeil-de-Néri les décoraient. Elles s’ouvrirent avec la même aisance que les portes des murailles. Derrière elles se trouvait une grande salle de réception ronde dont les murs étaient entièrement carrelés de coraux de différents bleus et verts. D’innombrables fresques représentant les héros et les rois passés étaient disséminés tout autour de la salle et sur les hauteurs des murs qui donnaient sur plusieurs niveaux de balcons. Le roi, la reine, et le jeune prince nagar ouvraient la voie et se dirigeaient vers le fond de la salle suivi du Marid qui donnait la direction aux convives.

Le cortège traversa la pièce vers le grand escalier en Verre-d’eau. Sur ses flancs, deux escaliers montaient et se rejoignaient en un pour donner accès aux étages supérieurs et, en son centre, une ouverture donnait sur des marches descendantes qu’empruntèrent les nagars et les pyrhos.

A l’étage inférieur, une grande passerelle également en Verre-d’eau surplombait une autre salle immergée dans laquelle des hauts gradés nageaient pour rejoindre les sièges représentant leurs castes. Durant l’avancée du cortège sur la passerelle, des bondes s’ouvrirent au sol et la pièce se vida progressivement de son eau. On pouvait apercevoir au plafond des statuts en forme de léviathan dont les bouches servaient de déversoirs. Une fois la pièce vidée, le roi nagar, la reine et les deux princes descendirent en premier via l’escalier en spirale transparent au centre élargi de la passerelle. Ils traversèrent ensuite la pièce en direction de leurs trônes et sièges respectifs et à leur passage les Duces des castes et leurs Primus s’inclinèrent avant de se rasseoir à la suite de leurs souverains.

- Merci d’avoir patienter, vous pouvez à présent descendre, Reine et Roi consort pyrhos, leur indiqua le Marid avec son extrême politesse habituelle.

Fëanora et Blaz prirent alors l’escalier suivi du génie des eaux. Lorsqu’ils traversèrent à leur tour la salle, ils eurent l’agréable surprise de voir les commandants et premiers lieutenants nagars se prosterner également devant eux. Tous sauf un, le Dux de la caste des Crocs de Dakara, Bathyal, semblait vouloir montrer une réticence à leur présence en ces lieux. Néanmoins, le regard que lui lança le Roi Néridon l’obligea à se prosterner aussi à son tour. Deux prestigieux fauteuils décorés de feutrine rouge et estampillés du symbole pyrhos avaient été spécialement confectionnés pour l’occasion et étaient installés en face du trône à leur attention. Ils s’y installèrent et les gradés nagars se rassirent à nouveau.

– Reine Fëanora, Roi consort Blaz, merci à vous de m’accorder aujourd’hui votre confiance en venant ici, dit solennellement le Roi Néridon. Après cinq années d’armistice entre nos peuples, voici enfin venu le moment de signer ensemble le traité définitif de la paix.

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La nuit approchait donnant au ciel une douce couleur orangée. Dans les rues d’Urbéa, les habitants avaient décoré leurs maisons et leurs balcons de drapés noirs. Nous étions dans la dernière et quarantième huitaine de l’année et partout à Kandorr, le Festival de la Nuit était célébré. En ce quarantième et dernier jour du dixième mois appelé Noctus, la nuit serait la plus longue. Comme chaque année ce jour tombait un Grisari ce qui voulait dire que la lune grise Shayna s'élèverait seule dans le ciel. Ce jour était également appelé Noctus Samit’, le Pic de la Nuit, celui qui annonce l’arrivée de la saison de la Nuit Descendante, où les nuits seraient de moins en moins dominantes. Il était à cette période de coutume de résoudre les conflits afin de commencer une nouvelle année sereinement et c’est pourquoi cette date avait été choisie pour signer le traité de paix.

Fëanora et Blaz redescendaient les rues en compagnie de Zekh et de la reine Kora qui portait dans ses bras son nourrisson de presque sept mois, le prince Aran. La Haute-Ville était à la fête, les gens dansaient, chantaient, vêtus de noir et portant des masques blancs qui symbolisaient la protection face aux ténèbres.

– Merci à vous de nous raccompagner Reine Kora, dit humblement Blaz.

– Voyons, Blaz, laissons de côté le protocole si tu le veux bien. Tu es un vieil ami de ma sœur après tout. Elle et Zekh m’ont longuement parlé de toi et de vos aventures sur le continent. Tu peux m’appeler simplement Kora.

– Et vous … Enfin “tu” peux également m’appeler simplement Fëanora, ajouta maladroitement la jeune reine pyrhos à son attention.

– Ce sera avec grand plaisir, Fëanora, lui répondit-elle souriante.

Les deux reines avaient pratiquement le même âge, Kora était même la plus jeune, ce qui suscita la curiosité de Fëanora.

– Puis je te poser une question indiscrète ? Comment t’es tu retrouvé à devenir l’épouse du roi Néridon ? Après tout, il est …

– Beaucoup plus vieux ? Haha, en effet, je ne vous cache pas que notre différence d’âge et mes origines ont été le sujet de beaucoup de quolibets au sein du royaume. Nous nous sommes rencontrés il y a six ans lorsque Néridon est venu demander l’aide de mon père dans le conflit qui opposait les nagars aux pyrhos. Mon père a refusé de prendre part à une guerre qui ne le concernait pas. Cela a évité plus de morts, oui, mais cette décision était davantage par pur égoïsme que par envie de protéger les siens. Il n’aurait pas hésiter s’il avait eu quelque chose à y gagner. Ce jour là, et cela vous paraîtra peut être idiot, mais je suis tombée amoureuse de l’homme qui est venu humblement seul demander notre aide. Deux ans après son retour et la fin de la guerre nagar-pyrhos, Krysta est repartie pour retrouver celui qu’elle aimait. J’ai donc à mon tour fuit la cruauté de mon père pour venir ici, et trois ans après me voilà Reine Nagar et mère d’un enfant héter. Quelle drôle d’histoire, vous ne trouvez pas ? conclut Kora.

– Si l’on m’avait dit il y a cinq ans que l’esprit de la flamme blanche me désignerait, je n’y aurais pas cru un seul instant. Et en écoutant ton histoire, je me dis simplement que c’est la volonté des Mages Primaires et Secondaires de nous voir être les instigateurs d’une nouvelle ère.

– Puisse tu avoir raison et puissent nos enfants vivre dans un monde meilleur que celui que nous avons connu plus jeune, ajouta Kora.

Seïros se couchait et dans la foule, un homme encapuchonné, ne laissant apparaître derrière son masque blanc que le reflet du verre de ses lunettes de vue, les observait calmement. Une larme semblait couler sous son masque avant de tomber au sol, probablement ému par ce qu’il venait d’entendre.

Le groupe arriva à la sortie de la ville aux abords du marché d’Emporéa où les commerçants remballaient leurs étalages avant l’arrivée de la nuit.

– C’est ici que je vous laisse, leur dit Kora. Mais vous êtes entre de bonnes mains avec Zekh.

– Kora, ce fut un réel plaisir de faire ta connaissance, j’espère que nous nous reverrons vite, lui répondit Fëanora.

– Le plaisir fut partagé. J’espère avoir aussi bientôt l’occasion de rencontrer votre petit Fenyx, je suis sûr qu’Aran et lui deviendront de très bons amis, dit Kora toujours souriante.

– A bientôt Kora, ajouta Blaz.

Les trois comparses rejoignirent la jetée du port où les nagas les attendaient fermement. Ils traversèrent à nouveau le fleuve et lorsqu’ils arrivèrent sur l’autre rive, la pluie se mit soudainement à tomber. Dans le fleuve un tourbillon d’eau se forma et le Marid fit son apparition.

– Permettez-moi de vous déranger un instant Mon Prince, je viens vous quérir à la demande de votre jeune frère, le prince Darius, celui-ci se plaint de fortes douleurs. J’ai eu beau lui dire que vous escortiez nos invités et que je pouvais faire venir un guérisseur, celui-ci ne voulait voir personne d’autre que vous. J’ai bien peur qu’il s’agisse encore d’une de ces crises auxquelles il est sujet depuis le décès de feu votre mère, la reine Arlana.

– Cela ne peut-il pas attendre un peu ? hésita Zekh. Où se trouve t-il ?

– Il se trouvait dans les jardins du palais, près du lac intérieur, lorsque je l’ai laissé, il doit encore y être, répondit le Marid.

– Vas-y Zekh, ne t’inquiète pas pour nous, nous connaissons le chemin. Vas prendre soin de ton petit frère, lança Blaz sans la moindre hésitation.

– Mais voyons enfin, je me dois de vous conduire jusqu’à votre escorte. Il en va de l’honneur de mon royaume, répondit le prince sur un ton très formel.

– Mais non, cela ira pour nous, ne t’en fait, en tant que Reine, je t’autorise à nous laisser ici et j’en prend l’entière responsabilité, est ce que cela te va ainsi ? ajouta Fëanora.

– Bon, et bien si la Reine le demande, tu ferais mieux de lui obéir vieux frère si tu ne veux pas risquer l’incident diplomatique, répliqua Blaz tout en riant.

– Très bien, très bien, si vous insistez, je laisse néanmoins les nagas vous ramener. Si cela vous va.

– Cela nous va, répondit Blaz et Fëanora simultanément.

La monture de Zekh s’approcha de celle de Blaz pour lui faire face.

– A bientôt mon ami, dit Zekh en serrant l’avant bras de Blaz. Reine Fëanora, au plaisir de vous revoir également. Allons-y Marid.

Na’rom fila à toute allure sur le fleuve en direction du centre de l’île et le Marid se dissipa dans un tourbillon d’écumes.

– Allons rejoindre mon frère, dit Blaz à sa reine avant que leurs deux montures filent à leur tour en direction de la grande porte.

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Les dragonniers avaient monté un petit camp rudimentaire au milieu duquel ils avaient fait un grand feu. De gros poissons grillaient sur des broches tandis que Dréhak tuait le temps en racontant de vielles anecdotes tout en partageant un fût de cervoise chaude au basko avec ses congénères. Il ressassait notamment cette fois où, après avoir attendu son éclosion, son jeune frère Blaz avait eu la surprise de voir sortir de l'œuf qui lui était destiné un rudragon né, chose extrêmement rare. Pour sa part Dréhak n’avait pas le talent inné de son frère, il avait gagné sa force par un travail acharné et par l’expérience et il lui fallut une bonne trentaine d'années avant que son dragon ne mue en rudragon, ce qui n’était cela dit pas courant non plus. Il n’était pas pour autant jaloux, il était même plutôt fier même si le flegme de Blaz avait tendance à l’agacer légèrement.

Bolla s’agita un peu sans raison apparente lorsque la pluie commença à tomber.

– Calme toi grosse patte, lui dit Dréhak. Ils ne devraient plus tarder à nous rejoindre normalement.

Le rudragon se leva brutalement. Reniflant et regardant fixement en direction de la muraille.

– Ha tu vois qu’est ce que je te disais, c’est bien eux que tu sens non ? répliqua Dréhak sans inquiétude.

Sans lui prêter attention, Bolla s’envola d’un bond et fila à toute allure au-dessus de la forteresse.

– Qu’est ce qui lui prend à celui là, s’il passe la forteresse il va se faire canonner par les balistaires des remparts ! hurla Dréhak.

Bolla atteignit sans mal l’autre côté de la muraille malgré les tirs de dissuasion des canons à eau qu’il esquiva aisément.

– Mais quel idiot ce dragon … ajouta Dréhak.

Soudainement, un cri de douleur transperçant et assourdissant fit trembler la plaine telle la foudre. S'ensuivit d'innombrables flashs bleu azur venant de l’intérieur de l’île visibles depuis la pointe où se trouvaient le chef dragonnier et son bataillon.

– Dragonniers, en selle, immédiatement, dit Dréhak d’un ton grave.

En l’espace d’une seconde, sans la moindre hésitation, tous étaient montés et s’envolèrent en direction du cri du rudragon. Depuis les airs, on pouvait voir les flammes azur crachées par la créature dévorer à vive allure le bois des Nuckées. Certaines de ces créatures restèrent figées de peur et furent consumées instantanément tandis que d’autres paniquèrent et s’enfuirent en direction du fleuve intérieur. Bolla était en furie et crachait jet sur jet de flammes dans toutes les directions.

Lorsque les dragonniers atterrirent, Dréhak redirigea les jets azur pour que le bataillon puisse approcher sans que ceux qui ne maitrisaient pas le feu des Rois ne soient blessés. C’est alors qu’ils virent près du rudragon le drame qui avait déclenché sa colère. Les corps sans vie de Fëanora et de son époux gisaient au sol. La reine avait été sauvagement égorgée et Blaz poignardé à plusieurs reprises. Il avait semble-t-il eu le temps de dégainer son arme qui reposait à ses côtés et de s’en servir, le sol devant lui portant la marque d’un sillon carbonisé, mais aucun corps ennemi ne se trouvait dans la zone.

Dréhak prit son frère dans ses bras avec l’infime espoir qu’il soit encore en vie. Décontenancé et désespéré, les larmes coulèrent sur ses joues lorsqu’il sentit le corps de Blaz sans vie.

La lame qui l’avait poignardé se trouvait encore plantée dans son abdomen et lorsque Dréhak s’en saisit, il reconnut sans mal la marque des assassins nagars. La tristesse et les larmes laissèrent rapidement place à la colère et la colère à la soif de vengeance. Lorsqu’il releva la tête, les deux haut-gardes de la porte de Nodon se précipitèrent vers Bolla et, d’un bond, s’apprêtèrent à abattre leurs lances sur lui. Le maître dragonnier se propulsa vers eux tel un boulet de canon et, d’un geste rapide et circulaire, repoussa de son avant bras gauche leurs armes avec sa targe en pyrolite rouge puis, de la main droite, termina son geste et les décapita avec son fauchon fait du même matériau. Lorsqu’il retomba au sol, un genoux à terre, il rengaina son arme et les têtes des deux soldats nagars roulèrent au sol et leurs corps tombèrent lourdement, plaies cautérisées et encore fumantes.

– Dragonniers. Brûlez tout, lança Dréhak froidement.

Ses hommes et femmes hésitèrent un instant, mais en voyant les corps lacérés de leur reine et de leur Argoi, leur sang ne fit qu’un tour et ils s’exécutèrent. Cyndera quant à elle s’approcha du corps de son cousin, les larmes aux yeux.

– Cyndera. Prends leurs dépouilles et ramènent les chez nous, lui dit calmement Dréhak. Prévient les Druides de ce qu’il s’est passé. La guerre est à nouveau déclarée.

– Oui Brenn Dréhak, lui répondit-elle en se ressaisissant.

Lorsqu’elle mit le corps de la reine sur son dragon, Bolla s’arrêta net et comprit. Il survola légèrement le sol et attrapa délicatement le corps de son maître avec sa patte arrière. Il lança un dernier regard à Dréhak, attristé, et partit devant pour escorter Cyndera.

Les dragonniers, épris de folie et de vengeance, avec à leur tête Kolla et Dréhak, ravagèrent la première spire et les abords de la seconde. En quelques instants, le bois des Nuckées et le port d’Emporéa furent détruits. Ils s’apprêtaient à attaquer la Haute-Ville lorsqu’ils furent repoussés par une énorme vague venant du lac intérieur et s’écrasèrent, eux et leurs dragons, violemment au sol dans les décombres du port. Lorsqu’ils se relevèrent, ils virent un homme en armure noire qui se tenait debout sur les remparts d’Urbéa. C’était le Dux Kahun, commandant des hauts-gardes, en personne et, derrière lui, l’ombre titanesque de la créature qu’il avait invoquée s’imposait. Celle-ci masquait la totalité du palais et seul le haut de son corps dépassait du lac. Un monstre antique recouvert entièrement d’un exosquelette du même noir que les carapaces des genbus les fixaient de ses yeux rouges. Son bras gauche avait la forme d’un grand et large bouclier et dans son bras droit il tenait une lance rouge surmontée de trois pointes. Le défenseur légendaire du royaume nagar se tenait devant eux, le titan-gardien Nodon en personne.

Dréhak comprit rapidement qu’il n’avait plus le choix. S’il voulait que les hommes et les femmes qui le suivaient vivent, il devait alors l’invoquer. Il mit alors sa paume droite devant lui face au ciel et prononça deux mots en langue ancienne : Seïros Ignis. Une flamme d’un blanc pur apparut soudainement dans sa main et du bout des doigts il s’en saisit et traça devant lui dans l’air un cercle composé d’une multitude de sceaux élémentaires puis posa sa main ouverte à la verticale en son centre. Les symboles s’illuminèrent d’un blanc encore plus pur qu’il ne serait possible de l’imaginer et, d’un geste, il fit pivoter le cercle à l’horizontal et l’envoya dans le ciel. Celui-ci s’agrandit et se transforma en un disque géant du même blanc illuminant l’espace comme aux premiers jours de l’Ere Duale. C’est alors qu'apparut la tête d’un dragon géant aux yeux et aux cornes d’un blanc immaculé. Plus ce dernier s'avançait, laissant apparaître son corps recouvert d’écailles d’or, et plus le cercle s'agrandit pour le laisser passer. Le Roi-Dragon, recouvrait entièrement le ciel une fois son invocation terminée.

– Hesperyon, par le pacte qui nous lie et au nom du Mage Pyrho, ton créateur, tu me dois obéissance. Ceux qui se dressent devant nous nous ont trahi et ont sauvagement assassinés l’élue de notre peuple et son époux qui étaient venus en paix. Ils ont succombé à la noirceur des ténèbres. Détruit les, pour notre salut.

– Votre émotion et votre volonté sont miennes. Qu’il en soit ainsi, répondit la créature divine.

Dans la Cité Nagéenne, la joie des habitants qui étaient encore à l’ambiance du festival se dissipa, cédant à la peur. Zekh venait d’arriver dans les jardins du palais lorsqu’il retrouva Darius, brûlé au visage par une salve de dragon, et, à la vue de la créature divine, il se précipita pour mettre son jeune frère à l’abri. Dans le ciel, la poitrine d’or du dragon s’illumina progressivement d’un blanc immaculé. Tous comprirent le sort tragique qui leur était promis. Laissant leurs masques blancs tomber au sol, la terreur se lisait sur leurs visages. Certains tentèrent, dans la cohue, de fuir vers la Citadelle tandis que d'autres restèrent figés sur place à la vue du Roi-Dragon.

La lumière passa progressivement de sa poitrine vers sa gueule et Hesperyon lança un puissant rayon de feu blanc. Nodon interposa son bouclier pour protéger le royaume. Il réussit à contenir quelques instants le tir mais, lâchant un dernier cri d’effort et de douleur, il fut violemment repoussé dans les profondeurs du lac et son invocation fut révoquée laissant le rayon destructeur poursuivre sa route.

La Reine Kora se trouvait encore dans la Haute-Ville à ce moment-là. Elle savait qu’elle n’aurait nullement le temps de rejoindre la palais et, par un ultime sacrifice, elle usa de sa magie pour protéger son enfant lorsque la créature lança son attaque. Avant de se figer dans la glace éternelle elle vit l’atrocité autour d’elle, les gens s’enflammaient avant même que le feu ne les touche. Leurs corps bouillonnèrent et leurs chairs et leurs os se liquéfièrent jusqu’à ce qu’il n’en reste plus rien. Malgré le choc d’une telle vision, la Reine garda le sourire, comme pour adresser un dernier message à son fils.

La Haute-Ville et sa muraille furent entièrement annihilées et le pont de la citadelle fut détruit. A Urbéa, il n’y eut aucun survivant en dehors de ceux qui eurent le temps de se réfugier dans la citadelle de nacre blanc. Le commandant Kahun réussit à éviter le rayon de justesse mais le souffle brûlant de l’attaque le blessa grièvement et, lorsqu’il fut retrouvé par ses centurions, les dragonniers étaient déjà repartis.

Au milieu des décombres éparpillées de la ville, il ne restait rien. Rien d’autre débout qu’une statue de glace à l’effigie de la Reine Kora, faisant face au lac intérieur. Recroquevillée sur elle-même, elle encerclait de son corps et ses bras le linceul en soie de mélusine dans lequel elle avait enveloppé son enfant. Tout autour d’elle, des milliers de masques blancs de nacre, étrangement intacts à l’instar du palais et des murs de la citadelle, jonchaient le sol comme autant de souvenirs de ceux qui avaient disparus. Dans le silence du royaume, on put entendre résonner les pleurs du seul être qui avait survécu, le petit prince Aran.

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Au soir du lendemain du drame, au royaume du feu, tous étaient réunis à Sidh-dun, la cité sur l’île des Vates, afin d’assister aux obsèques de la reine et de son époux. Au sommet d’un tumulus entouré de plusieurs niveaux de parements de pierres, accessible par un large escalier, se trouvait la place des rituels donnant sur l’entrée de la nécropole souterraine. Elle était entourée d’un cromlech, un cercle de pierres dressées représentant l’importance sacrée du lieu.

Au milieu du cercle, les corps des deux défunts reposaient nus dans un linceul sur des chars en isar sulfuré, un alliage noble de couleur bronze utilisé principalement pour les bijoux et les objets d’ornements funéraires. La place était également parsemée de foyers en pierre sur lesquels étaient sculptés des salamandres, l’emblème du clan de ces lieux. Lorsque Hazraël, la Brenne des vates sortit de la nécropole et traversa la place, accompagnée de ses suivantes supérieures, les foyers s’allumèrent soudainement d’un feu spectral emeraude. Dans le ciel assombri au-dessus de l’île volaient en cercle plusieurs mandragons, une race de dragons noirs hostiles chargés de protéger ce lieu et dont les flammes brillaient du même vert.

Dréhak, accompagné de Kholkis et de Léhone, se tenait devant le char de son frère, les mains croisées et les yeux baissés et, derrière lui, les membres de son clan étaient en ligne par centaines posés à l’identique. L’une des vates s’approcha pour lui remettre, enveloppé dans un linge, Caledfwlch, l’épée qui appartenait à Blaz.

Devant le char de la Reine se tenaient Dumnor, sa femme Divys qui portait dans les bras Fenyx et leur fille Daralia derrière eux. Un rang plus loin étaient en ligne également les Brenns des quatre autres clans pyrhos. Govann, le chef forgeron, et son compagnon et second Phébur. Tangwyl, cheffe des artificiers, et son fils Tygwan ou encore Ephon chef du clan des cavaliers et Kyron chef du clan des archers. Tous les clans étaient réunis par milliers dans l’enceinte de la place ou à ses abords pour rendre un dernier hommage à celle qui leur avait donné espoir et, parmi eux, il y avait même des représentants des Némésiens et des Centaures, les humas élémentaires vivant aussi dans le royaume.

Daralia remit aux vates les effets personnels de sa sœur, qu’elle ne portait pas lors de son voyage, afin que ces derniers soient conservés dans la sépulture comme le voulait la tradition. Les vates lui remirent en échange le médaillon que la défunte portait. La pierre en son centre brillait du même bleu que la couronne posée sur le corps sans vie de la souveraine. Elle rangea le présent puis retourna à sa place après avoir pris le nourisson à son tour.

La cérémonie put alors débuter. Autour des chars, les vates supérieures se mirent en cercle et firent jaillirent de leur main les fameuses flammes spectrales, un art qui leur auraient été transmis par les Mandrens, un autre peuple élémentaire ancestral d’hommes-salamandres vivant caché dans les profondeurs de l’île. Ce feu ne brûlait pas, tout comme le feu soigneur, mais avait à l’inverse de ce dernier la particularité de consommer la vie et la magie. Il était donc utilisé dans les rites funéraires pour permettre l’incinération des pyrhos dont le corps ne craignait pas les flammes ordinaires. Les corps furent alors baignés de ces flammes et ce qui leur restait d’essence et de magie fut absorbé.

Durant la procession, tous les pyrhos levèrent, le poing serré, l’index et le majeur de leur main dominante vers le ciel. Chacun fit surgir de ses doigts le feu qu’il maîtrisait et, depuis les hauteurs, on pouvait voir un tableau de milliers de lucioles rouge, orange, jaune ou encore bleu et pourpe illuminer l’île entière. Lorsque les flammes vertes s’éteignirent, seules des cendres restaient sur les deux chars. Après que la couronne fut reprise, ceux-ci basculèrent vers l’avant et les restes se déversèrent délicatement par leur extrémité basse en forme d'entonnoir dans des cratères à volutes, également en isar sulfuré. Un couvercle, dont le centre comportait un ombilic relevé surmonté d’un phénix couronné, fut posé sur celui de Fëanora tandis qu’un autre surmonté d’un rudragon fut placé sur celui de Blaz. Lorsque les deux vases furent emmenés dans la nécropole, les pyrhos baissèrent leurs bras et les milliers de lucioles s’éteignirent.

La couronne fut alors ramenée auprès de la flamme blanche par les Brenns des sept clans et fut posée sur l’autel qui lui était réservé. Tous se mirent alors en cercle comme ce fut le cas cinq années auparavant pour qu’un nouveau guide soit désigné. Lorsque l’esprit de la flamme apparut, il ne fit pas durer l’instant. Il s’approcha alors de Dréhak et l’on pouvait voir sur son visage de feu une peine profonde se dessiner.

L’assemblée pensa alors que la flamme sacrée approuvait l’action du chef dragonnier et s’apprêtait à le désigner comme nouveau roi mais il n’en fut pas ainsi.

L’esprit ne posa pas sa main sur son épaule mais sur son cœur comme pour le sonder et sa décision fut irrévocable. Le lien qui unissait le chef dragonnier à Hesperyon fut rompu et le feu blanc qu’il possédait pour pouvoir l’invoquer lui fut retirer. Jamais une telle chose n’était arrivée, mais tous comprirent alors que Dréhak avait commis un crime aux yeux des dieux, et lorsque l’esprit repartit sans nommer de nouveau guide, les pyrhos réalisèrent qu’ils devraient tous assumer la responsabilité de cet acte.

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Le lendemain matin, dans la cité des dragonniers d’Asag-dūn, Dréhak décida de lui-même de partir en exil, espérant qu’ainsi la colère des dieux pourrait être apaisée. Il remit son médaillon de Brenn à sa tante, Vikaris, la jugeant à même de reprendre ce titre et, lorsqu’il retira son manteau pour lui céder, cette dernière lui dit d’un ton moqueur mais larmoyant qu’il pouvait le garder et qu’elle s’en ferait faire un à sa taille.

Il rejoignit alors la falaise aux dragons en bordure du royaume, pour retrouver Kolla. Enfin seul, l’émotion le prit et il peina à harnacher ses paquetages à sa monture. Les larmes coulèrent sur son visage et il tomba de fatigue, genoux à terre. Soudain, il vit une main tendue près de lui.

– On peut vous aider, Brenn Dréhak ?

En se retournant, il eut la surprise de voir que tous les hommes et les femmes qui étaient présents au royaume nagar avec lui l'avaient rejoint. Tous portaient de grands sacs sur le dos et il comprit alors qu’ils n’étaient pas venu simplement lui dire au revoir. Kholkis, sa mère, et Léhone, son frère d’adoption, étaient également là et ne comptaient pas le laisser partir seul.

– Je ne vous mérite pas, furent les seuls mots qu’il prononça, les larmes aux yeux.

– Tais-toi donc, idiot, lui répondit Kholkis, et dit nous plutôt où tu nous emmène avant qu’on change d’avis.

– Il y a un rocher, au nord de la Sylve Noire, qui ressemble à celui-ci, répondit Dréhak, séchant ses larmes. Les kandorriens ne s’aventurent jamais loin dans cette forêt maudite. C’est là bas que Blaz avait vécu autrefois. Je pensais pouvoir également y vivre en toute discrétion.

– Vous aurez probablement besoin de quelqu’un pour cultiver vos futures terres, dit Falkir, sorti de nul part.

Le cavalier qu’il avait croisé à la Volière quelques mois plus tôt, venait de les rejoindre. Il montait un monoch, licorne de feu emblématique de son clan, et le jeune corsach qui avait repris toute sa vigueur l’accompagnait ainsi que quelques bonnahs de son élevage.

– Ce n’est plus un exil solitaire cette histoire, s’exprima Dréhak à la fois agacé et souriant, comment va-t-on embarquer toute cette ménagerie ! Falkir, voyons, soit sérieux, ton clan a besoin de son Argoi, ne prends pas une décision aussi inconsidérée.

– Mon père en a été avisé, j’ai fait mon choix, dit le cavalier avant de prendre la main de Cyndera qui se tenait à ses côtés et d’échanger avec elle un regard amoureux.

Fort heureusement, les dragonniers n'en n'étaient pas à leur premier convoi de troupe. Ils attelèrent ainsi une arche de transport aérien dans laquelle ils chargèrent du matériel, des armes, des ressources, des vivres, des semences et bien évidement le troupeau et les familiers de leur compagnon inattendu qui partagea, de façon moins inattendu, la monture de Cyndera durant le voyage.

Avant de quitter le royaume, Dréhak eut une dernière pensée pour Daralia, mais c’est sans se retourner qu’il s’envola avec les hommes et les femmes qui avaient décidé de le suivre dans son exil.

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Au royaume nagar, l’heure n’était pas aux obsèques. Dans la Basse-Ville de Méséa, sous la surface de l’eau, les armées des septs castes nagéennes s’apprêtaient à livrer bataille. De nombreux cuirassés submersibles chargeaient leurs troupes depuis le grand ponton sous-marin.

Un cortège était dressé du pied du colisée à la jetée. et le roi Néridon descendait prestement les grandes marches. Il était en armure et portait d’une seule main la longue et large épée en dent d’Orca, prêt à venger de lui-même son peuple et la mort de son épouse.

– Père, je vous en prie, n’apportez pas plus de folie au drame que nous avons vécu, lui supplia le prince Zekh qui portait dans les bras son petit frère Aran.

– Tout cela ne serait pas arrivé si tu n’avais pas amené ces démons ici. Ne t’avise plus jamais de me dire ce que je dois faire, tu n’es plus mon fils, comporte toi comme un soldat à mes ordres dorénavant, lui répondit le roi qu’il n’était plus possible de raisonner.

– Oui, Mon Roi, répondit le prince, contraint par ses engagements.

Le roi rejoignit son navire tandis que le prince resta au royaume pour protéger ses frères et rester au chevet de Darius qui était encore alité après les blessures qu’il avait subis durant l’attaque.

L’armada prit les courants marins en direction de la mer pyrhique. Il ne leur fallut que quelques heures pour se retrouver à l’autre bout du monde, au pied du royaume pyrhos. La chaleur dégagée par les piliers soutenant les îles rendait l’eau bouillante à ses abords et les empêchaient de s’approcher davantage. Ils remontèrent alors à la surface et restèrent à bonne distance. Au loin, ils pouvaient voir tout autour du royaume flotter d’innombrables ankous, des esprits majeurs faits de feu azurs, alertes et prêts à défendre les frontières de leur domaine.

– Je n’ai pas le temps de jouer avec leurs pantins, vociféra le Roi, impatient d’en finir.

D’un bond, propulsé par un geyser d’eau, il atteignit les hauteurs du royaume suspendu. Sans tarder, il posa la main sur son épée et les runes gravées à sa surface brillèrent d’un blanc immaculé.

– Viens à moi, Premier Né des Deux Mers, Orca, dit-il à voix basse à l’adresse de son arme avant de la jeter sous lui.

L’épée traversa l’air à vive allure et s’arrêta net à la surface de l’eau. Elle se figea quelques instants et un cercle gigantesque d’invocation apparut tout autour. L’espace fut à nouveau éclairé d’une lumière plus blanche qu’on ne peut s’imaginer. Une gueule béante parée d’une multitude de rangées de petites dents passa à travers le portail. La créature était bien plus immense que la dent qui servait d’arme au roi ne l’aurait laissé paraître. Semblable à une baleine au corps recouvert d’écailles blanc et or, ses yeux brillaient du même blanc que ceux du Roi-Dragon. Dans la mer, l’on pouvait distinguer l’ombre de son corps aussi large que l’armada nagar au complet. Sa tête qui dépassait de l’eau atteignait sans mal les hauteurs du royaume du feu et le surplombait même.

– Orca, par le pacte qui nous lie et au nom du Mage Naga, ton créateur, tu me dois obéissance. Ceux qui se dressent devant nous nous ont trahi. Ils ont pris la vie de la femme que j’aime et ont sauvagement ravagés notre royaume et assassinés ses habitants. Ils ont succombé à la noirceur des ténèbres. Détruit les, pour notre salut, dit le roi nagar.

– Votre émotion et votre volonté sont miennes. Qu’il en soit ainsi, répliqua la créature divine.

Sous l’eau, on vit les écailles de la créature s'illuminer progressivement depuis sa queue jusqu’à sa bouche. D’un rayon blanc de lumière les ankous furent dissipés et, dans le plus profond des silences, les six cités pyrhos furent annihilées.

Les îles sacrées avaient été épargnées mais le reste du royaume du feu n’était plus.

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Depuis la côte pyrhique de la région continentale d’Alandros, on pouvait voir au nord-est un flash blanc illuminé le ciel et la mer. Les dragonniers qui s’y étaient exilés se rassemblèrent sur le rocher où leurs créatures avaient fait leur nid au nord de leur camp situé non loin dans la Sylve Noire.

Ils le savaient, la lumière venait de chez eux et cela n’augurait malheureusement rien de bon. Acculés, à genoux, ils restèrent figés là un long moment, impuissants et vidés de toute émotion, incapable même de verser la moindre larme. La pluie tomba abondamment et les vagues agitées battaient fortement le flanc de la falaise comme pour signifier la colère des eaux.

Le lendemain matin, Seïros se leva sur la mer pyrhique. Dréhak était toujours sur le rocher, à genoux à observer fixement le large. Au loin, dans le ciel, il vit une tâche rouge se rapprocher. Les larmes finirent par couler lorsqu’il reconnut la créature. Bolla, disparu depuis les obsèques de son maître, volait dans sa direction et, autour de lui, deux oiseaux de feu l'accompagnaient. Le dragon se posa sur le rocher et sur son dos se tenait Daralia portant dans ses bras leur neveu, Fenyx. Ce jour-là, ils n’eurent point besoin de se parler, les pleurs qu’ils partageaient en disant bien assez.

Une année passa et les survivants de l’holocauste avait fortifié leur camp pour en faire un véritable havre de paix. Ils baptisèrent leur village Dūnon, la petite cité en vieille langue, en souvenir d’Asag-dūn et des autres cités pyrhos perdues. Dréhak et Daralia attendaient un heureux évènement et, le jour de l’accouchement, une petite fille naquit.

Cyndera et Falkir qui avait aidé à mettre au monde l’enfant leur demandèrent alors comment ils allaient l’appeler. Sans hésiter, les deux se regardèrent et leur répondirent en cœur : Fenicya, à la mémoire de leur frère et sœur disparus, qui auraient choisi ce nom.

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Aux souvenirs des erreurs

De l’espoir qu’on condamne

Nourri de nos terreurs

La noirceur de nos âmes

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Texte publié par Jerry Sting, 1er septembre 2024 à 10h31
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tome 1, Chapitre 4 « Chapitre IV - L’Étincelle de la Guerre » tome 1, Chapitre 4
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