Hesperyon, le Roi-Dragon, volait haut dans le ciel, au-dessus des nuages. L’envergure de ses ailes immenses masquait entièrement Seïros, l’astre du jour, et son ombre gigantesque se projetait sur la nuée cotonneuse en se déplaçant à la vitesse des vents. Ses écailles dorées le recouvrant entièrement comme une armure sans failles reflétaient si intensément la lumière qu’elles ne laissaient personne depuis la terre distinguer clairement sa forme sans avoir le regard ébloui.
Comme la plupart des créatures liées aux magies élémentaires, les dragons faisaient partie de ces mythes et légendes dont les kandorriens, les habitants du continent, doutaient toujours de l’existence. Et, même parmi les habitants des royaumes cachés où les créatures magiques résident, peu ont eu la chance de croiser le chemin de leur roi ou de le voir être invoqué par ceux qui en furent capables.
Il était des rares créatures aussi anciennes que cette ère, plus ancienne encore que le royaume pyrhos et les peuples du feu qui l'habitent. Il les a vu naître et grandir, vu se construire les septs cités claniques et vu leur magie et leur puissance se décupler au fil des siècles. Sans jamais égaler la sienne.
Les peuples du feu le vénéraient d’ailleurs tout autant qu’ils vénéraient Pyrho, le Mage Rouge Primaire. Hesperyon leur fut légué par ce dernier lorsqu’il quitta le monde au début de l’Ère Élémentaire. Le Roi-Dragon avait tout naturellement noué un lien particulier avec le clan des dragonniers et ils avaient pris pour rôle d’être les protecteurs du royaume et des peuples et créatures qui l'habitaient.
A la base du cou du dragon géant, minuscule à côté de la créature, était assise une jeune fille aux courts cheveux roux rasés sur les flancs et aux courtes oreilles en pointe. La vingtaine, tout au plus, elle portait fièrement le long manteau rouge des Brenns, les chefs de clans pyrhos. Celui-ci était marqué à la poitrine du symbole de son clan, celui des dragonniers. Dans son dos elle avait accroché son glaive et par-dessus celui-ci son écu, les armes habituelles des protecteurs volants pyrhos.
Le sourire aux lèvres, les yeux plissés, elle se délectait hors du temps des rayons de lumière qui caressaient son visage juvénile. Le dragon planait désormais au-dessus de la mer et virevoltait entre les immenses piliers incandescents qui maintenaient les îles du royaume du feu au-dessus des flots. Ses ailes effleuraient les eaux bouillantes de leurs extrémités laissant derrière lui deux énormes sillons mêlés d’eau et de vapeurs.
L’instant était majestueux et apaisant, un havre de paix hors de la réalité. Soudain la jeune fille entendit un son lourd et répétitif qui la sortit de son extase. Ce son était étrangement étouffé et ne semblait pas venir de ce qui l’entourait elle et sa monture. Le monde où elle se trouvait se déforma et devint rapidement sombre et flou. Elle se sentit subitement happée ailleurs.
Quelqu’un tambourinait la porte de sa maison.
– Fenicya ! Feni ! Hey ! Réveille-toi ! Tu m’avais promis ! Allez ! Debout espèce de grosse feignasse !
La voix stridente et pour le moins agaçante de celui qui était de toute évidence un enfant la sortie de son doux rêve de gloire.
– Kato … Fous-moi la paix … Vole Hesperyon, vole haut dans le ciel … Rrrr.
Sans même finir sa phrase, elle s’était rendormie.
Fenicya, c’était son nom, rêvait depuis toute petite d’être un jour assez digne pour chevaucher le roi des rois. Les légendes pyrhos racontaient que ce dernier n’accepterait néanmoins d’être monté que par un dragonnier qui aurait été désigné par la flamme blanche sacrée. Celle qui choisissait parmi les clans un élu pour diriger le peuple en tant que souverain du royaume du feu. Au fil des générations de rois et de reines qui se sont succédé, la flamme n’avait encore jamais jeté son dévolu sur un membre du clan des dragonniers. Aucun, pas même elle, du moins pas encore.
Le garçon de dix ans, aux cheveux cramoisi, entra finalement de force dans la pièce en poussant non sans mal la lourde porte qui n’était pas verrouillée. Sautant sur le lit de l’intéressée, il entreprit alors une chevauchée improvisée pour secouer la rêveuse qui se cachait sous ses draps en espérant la sortir de sa profonde léthargie.
Sans même un avertissement, d’un bon de corsach, la jeune fille se redressa spontanément et envoya valser le pauvre enfant hors du lit. Celui-ci se cogna la tête contre le large flanc de la porte qu’il avait laissé entrouverte à son entrée. Sonné, cul à terre, il reprit difficilement ses esprits et lorsqu’il rouvrit enfin les yeux il la vit. Elle était assise à califourchon sur le bord de son lit, un oreiller entre ses cuisses qu’elle serrait fortement entre ses mains crispées, le visage rouge de colère. Autre détail, non pas des moindres, elle était entièrement nue.
Le garçon n’était pas particulièrement surpris par la nudité de la jeune fille qui était assez connue au village pour son manque de pudeur mais il était davantage apeuré par le regard qu’elle lui lançait. Il s’exprima alors, hésitant :
– Argh argh. Euh, bon, je vais y aller moi …
Sans même se soucier de l’état du garçon ou de sa propre nudité, la jeune fille le fixa avec insistance d’un air furieux et assassin de ses deux yeux brillants vert et or. Les dents serrées, la bouche ouverte, on aurait dit un dragon grognant prêt à déchiqueter sa proie.
– Grrrrr … Sale mioche ! Si je t’attrape t’es mort !
Il y eut soudain comme un bruit de crépitement et l’oreiller, toujours entre les cuisses de la jeune fille, prit littéralement feu tandis que ses yeux s'enflammèrent également.
Kato oublia vite sa douleur et prit rapidement ses jambes à son cou.
– Aaaaaah, au secours ! hurla-t-il de sa voix la plus aiguë en quittant la pièce à toute allure.
Il courra à travers le village pensant être assez rapide pour semer la grincheuse le temps qu’elle s’habille. A l’approche du grand feu de la place centrale, l’oreiller, toujours enflammé, tomba du ciel pour venir se planter devant ses pieds et arrêter net sa course. Il n'eut pas le temps de se retourner pour regarder derrière lui que sa poursuivante, toujours nue, lui tomba dessus et le plaqua face contre terre sans que la scène, beaucoup trop habituelle, ne semble sortir les autres villageois pyrhos de leurs occupations.
– Hahaha ! Je te tiens vaurien ! Qui c’est qui va encore devoir lustrer mes bottes ? Lui lança-t elle, sourire machiavélique aux lèvres.
– Oh non pas encore …
A l’est, sur la plage de la grande forêt d'Alandros, un jeune homme aux cheveux bleu de minuit et aux yeux bleu givre faisait face à la mer orientale, les pieds caressés par le flot des vagues. Il était assez grand pour son âge et portait, dissimulé sous une étoffe usée brune, une armure légère en timalium, un alliage fait de métal et de corail, décorée de liserés d’or et de pierres et perles bleues marquées des symboles de son rang.
Dans son dos était équipée une large et longue épée presque aussi haute que lui. Un espadon fait de nacre blanc, l’une des matières les plus nobles des armes de son peuple.
Accompagné de son compagnon à quatre pattes, il conversait au bord de l’eau avec une créature élémentaire à l’apparence d’homme mais au corps fait entièrement d’eau et à la barbe d’écume. Ce dernier, un esprit des mers que le garçon savait être un klabade, lui indiquait la direction qu’il devait prendre pour retrouver celui qu’il cherchait depuis maintenant plusieurs mois.
Le jeune homme chevaucha son jeune naga, sorte de grand loup quadrupède à la queue de poisson et recouvert d’écailles bleu cobalt dont le garrot lui arrivait aux épaules. Il lui chuchota à l’oreille dans une langue qui sonnait comme un écho des fonds marins et l’animal se cambra avant de filer à toute allure. Il remonta le long d’un ruisseau courant à même sa surface, déterminé et éclaboussant les deux rives sur son passage, avant de disparaître sous la cime des arbres.
Fenicya, finalement habillée, bottes lustrées et en armes, partait en forêt accompagnée de son jeune sous fifre à qui elle avait promis d’apprendre à chasser. Elle portait des vêtements légers en fine laine écrue de bonnah, une bandoulière de cuir retenait dans son dos un arc rudimentaire et un carquois contenant tout au plus dix flèches.
Elle n’avait en revanche pas de long manteau rouge comme dans son rêve. Elle n'avait en réalité que 15 ans et malgré ce jeune âge elle excellait à la chasse en forêt et dans bien d’autres domaines. Fenicya était la fille de Dréhak, le Brenn des dragonniers, et de Daralia, la soigneuse du village.
Avant sa naissance, et l'exil contraint des dragonniers en terres continentales après la guerre, ces derniers chassaient à dos de dragon. Munis de leurs épées et avec l'aide des flammes de leurs montures, ils parcouraient les grandes plaines de leur royaume pour y trouver leurs proies. Désormais leur nouvel habitat, recouvert par les arbres et assez proche de villages kandorriens, les contraignait à rester au sol. Ils avaient donc dû apprendre à utiliser d'autres armes et techniques plus discrètes. Apprendre également à pister seuls par l’observation assidue de leur environnement et sans l’aide du flair draconique.
C’est donc sans son jeune dragon de naissance, Dobi, resté avec les siens sur le rocher à flanc de falaise au Nord à l’extérieur du village, qu’elle partit en direction de son lieu de chasse habituel.
Sur le chemin de la forêt, à la sortie du village, Fenicya et son jeune protégé croisèrent la route de Spyrah, le frère aîné de Kato. Celui-ci s’était adossé à un arbre et les toisait de haut, sourire en coin.
– Tiens, tiens, qui voilà, le topaze et la grincheuse.
– Ignore cet idiot Kato, il n’en vaut pas la peine, il ne sait pas bien comment on se fait des amis, répondit Fenicya sans même porter le regard sur l’intéressé.
Spyrah n’était pas parmi les plus agréables de la communauté et la jeune fille ne l’appréciait guère. La vingtaine tout juste, grand, musclé, collier de barbe et cheveux cramoisi, comme son petit frère. Il aimait tout particulièrement se moquer de ce dernier. “Topaze”, le sobriquet qu’il utilisait pour le désigner, était un terme peu valorisant chez les pyrhos. Celui-ci faisait écho à la couleur des flammes des nouveaux nés, jaune clair, et servait parfois d’insulte à l’égard de ceux qui n’arrivaient pas à maitriser la magie élémentaire au delà de ces premières flammes.
– Oh, que t’arrive t'il Feni, tu ne grogne pas plus que ça ? Ça ne te ressemble pas … Oh ! Je sais, c’est la mauvaise période c’est ça ? Tu as tes …
Il n’eut pas le temps de finir sa remarque stupide et déplacée qu’une flèche fila et fendit l’air pour se planter directement dans l’arbre derrière lui.
– Et toi, tu as froid ou c’est sa taille habituelle ? lui rétorqua la jeune fille, arc toujours tendu dans sa direction.
– Qu’est ce que tu racontes ? La taille de quoi ?
Sans qu’il s’en soit rendu compte, la flèche avait frôlé et déchiré la corde de la ceinture du jeune homme et son pantalon pendait désormais à ses chevilles. Cul nu et laissant apparaître au grand jour, à son grand désarroi, ses proportions inégales.
– Hahaha, tu l’as bien cherché grand frère ! Lui lança Kato, hilare.
Les deux comparses quittèrent ainsi le village en direction de la forêt, assez fiers de laisser Spyrah derrière eux. Seul dans sa honte, il n’osa pas les poursuivre.
Très loin au large, au nord-est de là, un oiseau volait au-dessus de trois grandes îles surélevées au-dessus des flots par de gigantesques piliers rouges étaient cachées au yeux du monde par un nuage de vapeur salée, dégagé par la chaleur des colonnes au contact de la mer.
C’était le royaume des Pyrhos le peuple du feu, délaissé par ces derniers il y a maintenant dix sept ans à la suite de la guerre cruelle qui les opposa aux Nagars, le peuple de l’eau.
Sur la plus petite des trois îles à l’est, un jeune pyrhos aux cheveux rouge écarlate et aux yeux bleu azur observait le reste du royaume dans un silence religieux, comme s’il contemplait le passé. Assis au bord du vide, les trois longues mèches à l’arrière de sa nuque flottaient dans le vent comme les queues d’un phénix. Il portait une tunique légère et un pantalon large ceinturé d’une étoffe en lin apyre. Attaché par une chaînette, un long bâton en isar pendait sous son épaule gauche.
Sur l’île la plus à l’ouest, un peu plus grande que celle sur laquelle il se trouvait, la grande flamme de Seïros, prelevé de l’astre du jour, trônait et brillait toujours de son blanc immaculé. Impassible, dans son âtre à ciel ouvert, comme aux premiers jours de l’Ère Élémentaire. Le jeune homme la fixait comme s’il cherchait des réponses à travers elle.
Sur la plus grande des îles de l'archipel, au centre, l’on pouvait encore voir les stigmates de l’attaque qui l’avait ravagée et partiellement détruite des années auparavant. Ici, se trouvait jadis les grandes cités des clans pyrhos qui n’étaient aujourd’hui plus que des ruines abandonnées. On pouvait également voir au loin le nuage noir de fumée qui s’échappait des volcans toujours en activité tout au nord de l’île et surplombé par le mont Efryt.
Cette partie centrale du royaume était devenue une terre hostile et sauvage où les dragonniers n’osaient plus se rendre. Plus par amertume que par peur néanmoins. Plus aucun pyrhos ne vivait là aujourd’hui, seuls les autres peuples du feu et les nombreuses créatures élémentaires qui furent épargnées lors de l’offensive y résidaient encore.
Fenyx, le jeune pyrhos, s’était en ce jour rendu ici pour visiter la nécropole de la petite île afin de se recueillir sur la sépulture de ses parents, comme il le fait chaque année depuis qu’il est en âge de monter un dragon. Ces derniers étaient décédés peu de temps après sa naissance durant la guerre.
Sa mère n’était autre que la jeune reine Fëanora, choisie 5 ans auparavant par la flamme blanche sacrée pour succéder au roi Galann, du clan des forgerons, qui perdit la vie au combat lors d’un précédent conflit.
Malgré son jeune âge et les nombreux postulants des autres clans plus matures et expérimentés pour gouverner, nul ne s’opposa à la volonté divine de la flamme, ultime lègue du Mage Rouge Pyrho avant sa réascension.
Son père quant à lui se nommait Blaz. Il était le frère cadet de Dréhak et l’Argoi du clan des dragonniers, secondant le chef et considéré comme le meilleur guerrier du clan. Un véritable génie qui excellait en tout dès son plus jeune âge. Que ce soit en magie ou au combat, rien ne l’arrêtait ou ne lui résistait. Rien si ce n’est le cœur de Fëanora qu’il mit une réelle éternité à conquérir.
Cette année-là, Fenyx avait enfin rencontré les vates, le septième clan reclu qui vivait dans la nécropole de cette petite île et dont la mission était de protéger les sépultures et les trésors du peuple pyrhos. C’était une année particulière puisque comme le veut la tradition, c’est à l’âge de 17 ans que les pyrhos choisissent définitivement leur clan. Il était d’usage que l’on préfère choisir le clan du père mais à la grande surprise de tous, Fenyx avait décidé dès son plus jeune âge de reprendre la voie de sa mère, celle des soigneurs. Les vates lui avaient donc remis ses effets personnels. Son manteau et son bâton de défense en pyrolite rouge, la matière des piliers, ainsi que l’ensemble de ses artéfacts de soigneuse tels que des plumes et des fioles de sang de phénix.
Une fois prêt à repartir, il enfila son nouvel habit, s’équipa de sa nouvelle arme et de ses nouveaux artéfacts. A cet instant, l’oiseau qui volait au-dessus des îles fendit le ciel et vint se poser sur son épaule. C’était Sarya, la phénix de sa mère qui l’accompagnait depuis qu’il était enfant. Cette dernière semblait très heureuse de le voir porter les habits de sa défunte maîtresse, elle chantait et cela lui donna le sourire à lui aussi.
Fenyx remonta la colline au-dessus de la nécropole. Au sommet de celle- ci dormait un rudragon, un grand dragon rouge appelé également Dragon-Barons, les plus puissants après le roi. Bolla, qui appartenait autrefois à Blaz, n’était pas aussi attaché à son fils que pouvait l’être Sarya, du moins en apparence. Comme à son habitude il leva un sourcil, jeta un œil au jeune homme puis se rendormit comme si ce dernier n’était pas digne de son attention. Pour ne rien changer aux habitudes, Sarya vint se poser sur sa tête pour lui picorer les paupières en piaillant d’un ton semble t-il très agacé.
Les deux créatures se connaissaient bien et se chamaillaient assez souvent au sujet de leur jeune maître, ce qui avait tendance à le faire beaucoup rire. Il n’avait pas connu ses parents mais il les avait eux deux et malgré leurs caractères parfois difficiles, ils ne lui avaient jamais fait défaut.
Bolla daigna enfin se lever. Il laissa Fenyx le monter et le trio quitta le royaume pour rejoindre le village sur le vieux continent.
Les rayons de Seïros se diffusaient finement au travers des arbres dans la dense forêt d’Alandros. Méli, la petite korrigone verte, virevoltait dans tous les sens et était suivie de près par Fenicya et Kato.
Ces derniers se déplaçaient furtivement pour ne pas être repérés par les créatures dangereuses qui peuplent les lieux. La dragon-fée de Fenicya leur servait d'éclaireur et de guide lors de leurs parties de chasse. Bien que les dragonniers se voyaient attribuer d’un korrigon et d’un œuf de dragon à la naissance, Kato n’en avait malheureusement pas, ce qui ne faisait qu’accentuer les moqueries de son grand frère.
– Dis Feni, est ce que tu sais si Fenyx rentre bientôt ? demanda t-il à son aînée.
– Il est parti il y a trois jours, il ne devrait pas tarder à rentrer. Mais concentre toi un peu sur la chasse ou tu n’apprendras jamais Kato. Tais toi et regarde ces empreintes, elles sont fraîches, il y a un saxe pas loin. Méli nous montre la direction.
Les deux comparses marchèrent à couvert dans les fourrées en suivant les empreintes de pas qui étaient de moins en moins distantes, ce qui indiquait que leur proie ralentissait. Ils approchaient d’un ruisseau et il y avait de forte chance que le saxe s’y soit arrêté pour s’abreuver.
Cachés dans un buisson, Fenicya, observa les alentours et vit en effet ce qu’elle soupçonnait. Le grand félin des forêts aux très longues oreilles était bien là, tête dans le ruisseau, seul au milieu de la clairière. Il était gris, tacheté de noir et ses oreilles étaient aussi longues et souples que l’était sa queue. De fins plumets à leurs extrémités leur permettaient de sentir s’approcher le moindre assaillant à plusieurs lieues ce qui rendait sa chasse extrêmement difficile. L’idéal pour les pyrhos.
– Maintenant Kato, observe-moi bien et fait la même chose pour apprendre.
La jeune fille se leva lentement. Elle prit une flèche dans son carquois et l’encocha en direction de sa cible. Cette dernière leva la tête subitement comme si elle avait décelé la présence de ses poursuivants. Ces derniers n’avaient pourtant fait strictement aucun bruit.
Le saxe regardait en direction de l’est, à l'opposé d’où se trouvaient les deux pyrhos. Quelque chose de plus gros semblait approcher rapidement en aval du ruisseau. Sans réfléchir, Fenicya décocha et sa flèche partie à toute vitesse, créant une traînée de feu derrière elle, en direction de l’animal alerte. Pour impressionner le garçon, elle avait insufflé une puissance de feu à son tir bien au-delà du nécessaire.
La flèche transperça et traversa l’animal puis continua sa course sans ralentir pour venir percuter ce qui approchait au loin. Un choc violent se fit entendre dans toute la zone de la forêt.
Fenicya et Kato se précipitèrent pour voir de plus près ce qu’ils avaient abattus sans le vouloir mais ils ne s’attendaient pas à tomber sur une telle prise.
– Kato, cours au village pour prévenir mon père. Je crois que j’ai fait une énorme bêtise.
Le naga, affolé, léchait le visage de son cavalier en espérant le réveiller. La flèche l’avait fait tomber de selle mais avait semble t-il rebondit sur son plastron blanc. Néanmoins, la puissance du tir et la chute l'avaient mis KO et son front saignait abondamment.
Fenicya n’en avait jamais vu, mais pourtant elle reconnut sans nul doute à sa chevelure bleue et à ses longues oreilles pointues qu’il s’agissait là d’un nagar. Le symbole sur sa poitrine la retenait de relâcher sur lui la colère qu’elle avait contre ce peuple depuis son plus jeune âge.
Son père le lui avait enseigné petite, ce symbole, en forme de calice contenant en son sein une sphère bleue, était celui de la famille royale du peuple de l’eau.
Des dragonniers, parmi lesquels Dréhak, arrivèrent rapidement par les airs et le loup nagéen prit la fuite lorsqu’ils se posèrent dans la clairière. Sans un mot et après s’être assuré qu’il était bien seul, ils repartirent avec l’étrange visiteur inconscient en direction du village, laissant les deux enfants sur place. Fenicya avait vu dans le regard de son père un mélange d’agacement et de terreur. Elle et Kato prirent leur gibier et rentrèrent à pied à leur tour.
Le village pyrhos se trouvait en plein cœur de la forêt d’Alandros. Les kandorriens de la région ne s'aventuraient que rarement aussi loin dans cette forêt qu’on dit peuplée de créatures sauvages et dangereuses. Pour les dragonniers, la notion de danger est assez relative et c’est pour cela que ce lieu fut idéal pour s’installer après la guerre.
Ils construisirent donc leur village dans une grande clairière entourée d’arbres. Pour le protéger des créatures sauvages, ils avaient fortifié de grandes palissades de bois et de fer sur tout le pourtour laissant une unique entrée surveillée de nuit comme de jour.
A l’extérieur du village il y avait des prairies gardées où pâturaient des bonnahs, sortes de bisons touffus herbivores que les pyrhos affectionnent pour leur lait aux vertus énergisantes mais aussi pour leur laine aux propriétés apyres du fait de leur affiliation élémentaire.
A l’intérieur de l’enceinte, ils avaient construit au cours des années de nombreuses petites maisons de bois au toit de chaume renforcé de torchis et au bout du village, la plus grande d’entre elles, celle du chef du clan, était décorée de bannières marquées des symboles pyrhos et clanique.
Ce village portait un nom, celui de Dūnon, l’exilée dans la vieille langue du feu.
En son centre, brûlait un grand feu. Non pas blanc comme celui du vieux royaume mais un feu bleu qui ne s’éteint jamais et que même la pluie ne peut perturber.
C'était près de ce feu azur, debout, attaché à un pilori que le prisonnier nagar se trouvait à présent, toujours inconscient. Ne sachant ses intentions, Dréhak avait pris la décision de le ligoter ainsi le temps qu’il reprenne ses esprits.
Le jeune homme étant d’affiliation royale, il était donc trop précieux pour être simplement tué et probablement assez bien entraîné pour ne pas être pris à la légère. Tant qu’on ne savait pas la raison de sa présence, il avait interdit à Daralia, sa femme, de le soigner, de façon à garder un certain avantage sur lui quand il se reveillerait.
La nuit approchait et Dréhak était resté là toute la journée pour ne pas quitter des yeux le nagar. Sa haine à l’égard de ce peuple était toujours présente bien que diminuée avec le temps et le poids de la culpabilité qui repose sur ses épaules.
Le visage de son prisonnier lui rappelait grandement celui du visiteur à la tête du trio venu des mois plus tôt. Ils étaient finalement repartis sans demander leur reste. Le maître de clan ayant manqué cruellement d’hospitalité.
Fumant sa pipe à herbe sèche rouge et perdu dans ses pensées, l’homme massif ne vit pas arriver l’individu dans son dos.
– Salut le vieux !
Dréhak sursauta violemment et se crispa comme un bonnah apeuré, sans les flatulences ardentes qui vont avec néanmoins.
– Mais ça va pas de me faire une frayeur pareille gamin ! explosa t-il de sa voix la plus rocailleuse.
Fenyx regardait son oncle fixement en arborant son plus grand sourire fièrement, les mains dans les poches de son nouvel uniforme.
– Hey mais ! Qui t’as donné le droit de porter ce manteau ? Personne ne t’a nommé Brenn de clan, retire moi ça tout de suite si tu veux pas que je me fâche ! réagit Dréhak.
– Laisse-le donc vieux grinchon ! C’est le manteau de sa mère, il peut bien le porter, les anciens ne sont plus là pour l’en empêcher et le clan d’Hélios n’existe plus de toute façon. Il te va à ravir mon petit.
Kolkhis était la doyenne du village et si, du haut de ses 78 ans, elle se permettait de s’adresser ainsi au maître du clan ce n’était pas uniquement parce qu’elle était plus âgée mais bien parce que celui-ci était son propre fils. Ce qui faisait également d’elle la grand-mère de Fenyx et de Fenicya.
– Tu sapes encore mon autorité vieille bique ! répondit Dréhak. Et puis c’est quoi ces manières d’arriver dans le dos des gens sans prévenir !
– Hahaha ! Vous m’avez sacrément manqué les vieux ! s’exclama Fenyx tout en s’avançant vers le prisonnier.
– Où il va, lui ? J’espère que tu vas pas faire ce que je pense ? s’étonna Dréhak sans avoir encore le réflexe d’intervenir.
– Mais non, mais non, rassure toi oncle Dréhak, tu sais bien que je respecte entièrement ton autorité. Grand-mère, retient-le s'il te plait.
Le nagar commençait à s’agiter, le vacarme de la lignée l’ayant probablement sorti brutalement de son sommeil forcé. Fenyx s’approcha sans la moindre hésitation bien que le prisonnier faisait une bonne tête de plus que lui et au moins une fois et demi sa carrure.
Le jeune pyrhos n’avait pas choisi sa voie par hasard, il leva donc la main en direction du visage du nagar et un feu pourpre jailli de celle-ci. Le feu se dirigea avec douceur vers la blessure au front du prisonnier et celle-ci brilla et se referma lentement non pas comme si elle avait été cautériser mais bien comme si elle n’avait jamais été là. C’était le feu d’Hélios, le feu qui guérit et ne brûle pas, l’art secret des soigneurs pyrhos.
Le nagar reprit lentement ses esprits et ouvrit les yeux. Le feu pourpre brûlait encore sur la main du garçon qui lui faisait face et il comprit alors, de par les connaissances que son rang lui impose, que ce dernier l’avait semble t il soigné. Toujours souriant, le pyrhos s’adressa à lui :
– Salut le bleu, tu dois être le prince Aran j’imagine. Ton grand frère m’a parlé de toi. Moi, c’est Fenyx, enchanté.
Aux deux frères du passé
Meurtris par le temps
Dans leurs yeux embrumés
Quel est celui qui ment
⬨⬧⬨⬧
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