Pourquoi vous inscrire ?
«
»
tome 1, Chapitre 1 tome 1, Chapitre 1

CHAPITRE UN : VERANE.

J’ignore comment, mais Tasia a réussi à me convaincre de sortir de ma chambre et de rejoindre une taverne bondée pour un verre. Depuis une semaine, j’évite de quitter mon domicile, fuyant ainsi les responsabilités qui m’accablent avec ma nouvelle position au sein de notre pays. Mon père fait de son mieux pour empêcher mon chef de section, Tréhodor, de venir directement me chercher par la peau des fesses et me mettre au travail, trouvant que je fais des manières et que ma place est tout aussi convenable que si j’avais été une Guerrière.

Évidemment, ces deux camps mènent une lutte de pouvoir afin de se revendiquer au-dessus de l’autre au regard du dirigeant. Cette fois, les Vicharak ont un net avantage comparé aux Yoddha rien qu’avec la présence de la fille du Sarva de leur côté. Ils souhaitent donc me voir dans leur rang et ainsi se vanter, même si je venais à être la pire de tous leurs élèves. Seul le nom compte, apparemment.

Je remonte ma capuche sur le haut de mon crâne alors que ma meilleure amie s’approche avec deux chopes en main et qu’elle en dépose une face à moi :

 Arrête de te cacher ! râle-t-elle. Personne ne fera attention à toi !

 Merci, Iovan, je ronchonne.

 Veshya ! Quand vas-tu finir par accepter ta situation ? Les Divinités ont parlé, certes et alors ?! Mène ta vie, trouve ton âme sœur et surtout fais le nécessaire pour t’assurer un futur !

 Facile à dire, toi, tu as encore de la marge… Et surtout tu es dans un camp que tu adores !

 Vérane ! Comment peux-tu savoir si ton travail te déplait alors que tu n’y as pas encore mis les pieds ?! Tu as vingt-cinq ans maintenant ! Bouge tes fesses !

Je râle sous la remontrance, bois une gorgée de ma bière et laisse mon regard virevolter dans la taverne aisément éclairée par la lumière du soleil. L’odeur fumée de la viande cuisante parfume les lieux, les tables sont toutes occupées et le brouhaha ambiant me rend presque invisible en ce milieu de matinée. Tasia a raison : personne ne scrute notre table comme je l’aurais cru. Tous les habitants sont joyeux, festifs et scandent un hymne en l’honneur de mon frère nous ayant débarrassés du sangor qui dévorait nos mouts depuis des semaines. Encore un exploit pour lui.

Un long soupir d’échec s’échappe de mes lèvres. Pas très loin de mon frère, mes yeux tombent sur Gradriel, mon ancien maître d’armes qui me salue d’un signe de tête poli accompagné de sa choppe levée et je suis soudainement ravie d’avoir un masque – même si je le déteste –, qui dissimule mes émotions, la honte étant la plus vive.

Gradriel est venu me parler après mon Diksha. Depuis mes dix ans, il m’entraînait à rejoindre son camp avec compassion et honnêteté. Je suppose que la nouvelle a été un choc pour lui. Toutefois, la seule chose dont je me souviens de notre brève entrevue n’est pas glorieuse : je l’ai envoyé se faire voir. Je voulais lui arracher son masque vert, couleur qui représentait tellement à mes yeux et que j’ai fini par haïr de ne pas l’obtenir. Jamais je n’aurais dû lui manquer de respect à lui alors qu’il avait tant fait pour moi et qu’il n’était nullement responsable de la décision des Devaah.

Je réponds donc par un signe de tête, songeant à aller m’excuser lorsque je m’en sentirai digne. Il ne semble pas m’en tenir rigueur et retourne à sa conversation au moment où je me fais alpaguer par une voix enjouée :

 Ce costume rend ton frère encore plus viril, si c’est possible…

Sérina. Je tourne le visage vers elle, plonge dans son regard vert pâle à travers son masque or du camp des Praja et réplique :

 Comment peux-tu savoir si Iovan est viril sans son Volveta ?

 Oh ! allons, Vérane… Ne me dis pas que tu n’as jamais été dans la caverne aux Murmures avec un homme ?

Elle fait semblant de réfléchir, replace une mèche de sa chevelure blonde derrière son oreille puis reprend :

 Quoiqu’à vrai dire j’en doute…

Elle s’éloigne avec sa suivante en riant alors que je secoue la tête. J’ignore comment mon frère fait pour la supporter depuis quinze ans. Et surtout, comment il n’a pas encore fait pour prendre de décision envers elle, après tout, ils ne sont pas en couple et ne se doivent rien. Mais si ce qu’a dit Sérina est vrai, dès lors il n’aura d’autre choix que de l’épouser…

 Ton frère est un imbécile ! râle Tasia.

 Tu ne le savais pas encore ?

Je bois une gorgée de ma bière et observe Iovan se pavaner parmi ses amis qui l’acclament comme le héros qu’il est. À cet instant, je vois le courage ressortir de son être, alors que lorsqu’il nous a annoncé partir en quête du monstre tuant notre bétail, je l’avais trouvé idiot, tout comme notre père.

 Dans tous les cas, Sérina et lui ne sont pas liés…

 Comment tu le sais ? demande Tasia.

 Les Premis ne sont pas apparues…

 Tu penses qu’il trouvera malgré tout son bonheur avec elle ?

 Certainement, mais cela signifie que si je ne trouve pas mon âme sœur, notre lignée s’arrêtera définitivement avec nous…

 Sauf si ton frère sait qu’il lui reste encore des vies…

 Mais il faudra attendre au minimum cent ans avant que les Devaah ne le laissent renaître… Et d’ici là, qui sait ce qu’il peut se passer ?

J’inspire profondément, l’esprit voguant à travers le flux de mes pensées perdues. Qu’adviendra-t-il de nous si je ne parviens pas à trouver ma moitié ? Et comment la trouverais-je d’ailleurs ? Aucune consigne n’est jamais donnée…

Un vague souvenir, d’une ancienne vie, me revient. Un parfum, plus précisément. Une odeur douce et réconfortante. Si je me fie à mon instinct, je suis persuadée d’avoir déjà croisé mon âme sœur, mais la vie nous a séparés bien trop tôt. Enfin, ce n’est qu’un ressenti et sûrement un peu de fantaisie de ma part de croire à cela.

 Ton père risque d’avoir du mal à accepter ce choix, reprend ma meilleure amie.

Elle agite sa main en sifflant, mais elle n’a pas tort. Mon père n’apprécie Sérina que par respect pour son père, chef d’un village avec qui nous devons entretenir des relations cordiales. Je suppose que ce mariage ne l’enchantera pas, mais qu’il parviendra à en tirer profit.

 Il s’y fera…

 Cet air déprimé ne te va absolument pas ! Allez Votcha, Vérane ! On va trinquer à nos futurs amours !

Elle cogne sa choppe contre la mienne, renverse un peu de mousse sur la table en bois foncé et bois une grande gorgée de bière. Avec moins d’entrain, je l’imite et empêche de justesse un nouveau soupir de franchir mes lèvres.

 Comment appréhendes-tu la soirée ? Tu as déjà choisi ta tenue ?

Cette fois-ci, j’expire longuement en secouant la tête :

 Veshya ! J’avais réussi à ne pas y penser de la journée…

 Vérane ! C’est un évènement unique ! Tu imagines ? Tous les peuples réunis pour honorer les Devaah ! On a tellement rêvé de cet instant !

 J’en rêvais en devenant une Guerrière… Maintenant…

 Vérane ! Je t’entends encore une fois te plaindre de ton camp et je te jure que tu vas connaître mon pire côté ! À présent, on va finir nos verres et aller chercher nos tenues ! Il ne manquerait plus que tu n’honores pas les Divinités et qu’ils te maudissent, râle-t-elle.

 Tu penses qu’ils pourraient faire pire ?

 En te forçant à tomber amoureuse d’un Shaity, oui !

Même si elle ne le voit pas, Tasia devine facilement la tête horrifiée que je dissimule derrière mon masque. Il est vrai qu’en cette fête de printemps, je ne devrais pas froisser les Divinités qui, comme ils me l’ont dit, me surveillent depuis ma naissance. Je termine donc ma chope, dépose quelques pièces d’argent sur la table et me lève, ma meilleure amie suivant mon geste.

À l’extérieur de la taverne, le soleil réchauffe ma peau, l’odeur iodée de l’océan face à nous chatouille mon nez et j’en prends une grande inspiration, le bras de Tasia se glisse sous le mien alors que nous avançons dans la ruelle pavée.

Ses longs cheveux roux tombent en cascade dans son dos, son masque coloré se reflète sur les murs des maisons blanches créant des arcs-en-ciel sur les façades, les plumes bleues et roses du dessus frémissent sous la légère brise. Même si je ne distingue pas son visage, je sens dans son attitude qu’elle est heureuse et que sa petite colère s’est estompée. Elle ne me tient pas rigueur de mon humeur bougonne que j’ai eue tout au long de la matinée et je la remercie secrètement pour sa patience.

J’apprécie son caractère doux et il est facile de deviner pourquoi les Devaah l’ont conduit dans le camp des Upkari et plus précisément la voie des Enseignants. Un chemin parfait pour elle dans lequel elle s’épanouit au quotidien. Même si j’ai quitté l’école depuis longtemps, Tasia continue de m’enseigner chaque jour une petite leçon de vie. Comme quoi, il n’y a pas d’âge pour apprendre.

 À quoi tu penses ?

 Au fait que j’ai un peu de chance de t’avoir à mes côtés…

 Seulement un peu ?

Elle ricane et colle sa tête contre la mienne :

 Tu te dévalorises constamment… Heureusement que je suis là au moins pour ça…

 Si tu le dis…

Nous entrons dans la boutique de vêtements la plus chic de la ville et je laisse ma meilleure amie s’extasier devant plusieurs modèles alors que mes yeux accrochent une robe. Tasia s’installe à mes côtés et siffle longuement :

 Une couleur que tu vas finalement apprendre à apprécier…

 On dirait bien…

Une Styliste s’approche, son masque d’or du camp des Praja ne laisse aucun doute sur son talent :

 Souhaitez-vous l’essayer afin que je l’ajuste à votre taille ?

 Avec plaisir, répond Tasia à ma place.

D’un geste de la main, l’accessoiriste remplace ma tenue par la robe et celle-ci continue de bouger les doigts, le tissu glisse sur ma peau avec délicatesse pour se mouler parfaitement sur mon corps.

 Et voilà.

Le regard de la jeune femme face à moi s’illumine et je constate qu’elle est fière du résultat. Entre ses mains apparaît un grand miroir qui me laisse m’observer sous tous les angles. Même si le masque qui orne mon visage me donne un frisson, je suis ravie de voir que la robe est une réussite.

 Je vais la prendre.

 Sans aucun doute, déclare la styliste en claquant des doigts.

Mon ancienne tenue reprend sa place et la demoiselle me tend un carton blanc que j’accepte avec plaisir. Elle se tourne alors vers Tasia et lui dit :

 Puis-je vous conseiller ? En toute honnêteté, ces deux robes ne vous iront pas… Je veux plutôt vous proposer ceci…

Un claquement de doigts, quelques petits ajustements et je découvre ma meilleure amie avec étonnement. Tasia aime beaucoup le bleu et le rose, mais ce vert prairie fait ressortir avec flamboyance la couleur de ses cheveux et de ses yeux. J’en reste bouche bée.

Elle s’observe à son tour dans le miroir, surprise.

 C’est cette robe qu’il te faut… Vous avez un incroyable talent !

 Dhanya.

La styliste s’incline alors que Tasia se remet de ses émotions :

 Je n’ai même pas les mots ! Je la trouve tellement belle ! Mais je n’ai pas le budget pour…

 Je te l’offre !

 Mais Vérane ! Tu…

 Ne t’en fais pas, ça me fait plaisir !

Je n’attends pas une seconde de plus et tends dix pièces d’or à l’accessoiriste.

 Il y a trop là, Madame…

 Pas pour le travail que vous faites, croyez-moi.

À mon tour, je m’incline devant elle, ce qui la surprend beaucoup. Mais, je tiens à lui montrer que son travail mérite une reconnaissance et que je la respecte énormément pour cela.

Nous quittons la boutique, nos paquets sous les bras et tombons nez à nez avec mon frère, qui observe le commerce, puis redépose le regard sur moi avant de le remonter sur la devanture :

 Ne dis rien, dis-je rapidement.

 Oh, mais non, petite sœur… Je suis ravi de voir que tu te décides enfin à sortir ! Et que tu te prépares pour la soirée !

 Je te l’avais dit, chuchote Tasia.

 Disons que j’écoute les bons conseils d’une amie…

 Amie qui a du goût ! Lorietta est une excellente styliste.

 Tu la connais ?

 Un peu…

Si mon visage était visible, mon frère se rendrait compte de la face horrifiée que je fais :

 Tu la dragues ?!

 Pas vraiment, on s’entend bien c’est tout, se défend-il.

 Et Sérina ?

 Drag ! Je ne veux pas en parler avec toi ! On se revoit à la soirée.

Il entre dans la boutique, un peu agacé alors que j’observe ma meilleure amie qui secoue la tête :

 Ton frère n’a pas fini de faire parler de lui…

 C’est son problème.

Nous reprenons notre marche, toutes les deux perdues dans nos pensées. L’idée d’avoir une conversation avec mon frère concernant Sérina ne quitte pas mon esprit. Surtout concernant leur fameuse entrevue dans la grotte aux Murmures. Après tout, si elle doit devenir ma belle-sœur autant que je m’y prépare dès aujourd’hui, son caractère n’étant pas des plus facile et agréable à vivre.

 Dhanya pour cette matinée, dis-je en me tournant vers mon amie.

 Ne me remercie pas, c’est normal, tu es ma meilleure amie.

Son ton rassurant me réchauffe le cœur. J’en avais vraiment besoin, même si je l’ignorais. Nous décidons de rentrer chez nous afin de nous reposer un peu avant de nous préparer et de nous rejoindre à la plage, là où débuteront les festivités en même temps que le coucher du soleil.

J’entre dans ma demeure, avance dans le sas et retire mes chaussures et mon gilet que j’accroche sur le portemanteau. Le silence résonne dans la maison et viens avec lui une petite montée de panique. Mon estomac se tord de me retrouver seule avec mes pensées. J’avance jusqu’au salon, vide et monte finalement dans ma chambre, en espérant y trouver un peu d’apaisement.

Je m’allonge sur le lit, observe le plafond et imagine la soirée qui se profile.

Les trois peuples d’Icha vont se réunir pour honorer nos divinités, leur demander abondance dans nos récoltes, d’unifier les âmes qui le doivent et les remercier de l’année écoulée qui fut relativement bonne. Elle servira également à renforcer les liens fragiles qui unissent nos pays, mon père conclura peut-être certains accords si les autres dirigeants le désirent.

Le royaume de Shitata s’étend à l’ouest du nôtre et reste celui avec lequel nous avons le plus de tension. Une querelle qui remonte à l’époque de mes grands-parents maternels. Deux âmes sœurs qui ont rompu des fiançailles dans leurs pays après s’être rencontrées. Une histoire bien trop longue et complexe pour que je décide de m’y replonger pour l’instant.

Deux coups sont frappés contre ma porte et je sursaute, ne m’étant pas rendu compte que quelqu’un était entré. Je caresse mon visage et me rassure en n’y sentant pas le masque : c’est un membre de ma famille qui est ici.

 Je peux entrer ?

La voix de mon père. Je l’invite donc et celui-ci glisse sa tête dans l’entrebâillement, un sourire aux lèvres :

 Je ne te dérange pas ?

 Non, que se passe-t-il ?

Je me redresse dans le lit, inquiète de sa venue.

 Tu as été voir Tréhodor ?

 Non.

Il entre dans la pièce, ses sourcils se froncent et il prend une profonde inspiration avant de s’installer sur le siège devant mon bureau. Avant qu’il ne me fasse une nouvelle leçon de morale concernant mon comportement, je reprends :

 Mais je vais prendre mes fonctions dès demain. J’ai eu une longue conversation avec Tasia et il est temps que j’accepte cette décision.

 Bien, je suis heureux de voir que tu reprends du poil de la bête. Tu as acheté ta tenue pour ce soir ?

 Oui, je pense qu’elle te plaira.

 Je suis fier de toi, Calisa. Tu vas accomplir de grandes choses.

 Je l’espère. En tout cas, j’ai de très bons exemples à mes côtés.

Il me sourit et je ne peux que lui en retourner un aussi sincère que possible.

 Et ta journée alors ?

Heureux que je m’intéresse à son travail, il m’explique ce qu’il a fait, les propositions qu’il envisage de faire ce soir aux deux autres dirigeants des royaumes voisins pour faire prospérer nos ententes. Je l’écoute d’une oreille attentive comme lorsque j’étais enfant et me réjouis de voir qu’il s’épanouit dans son quotidien, même si être le chef d’un pays n’est pas toujours évident. Il est si passionné que ses mains miment ses mots et me font sourire.

 J’ai également renforcé la sécurité aux abords de notre frontière avec les humains…

 Pourquoi ?

 Étant donné que les Devaah les ont reniés, il y a de ça un siècle, je ne tiens pas à ce qu’ils viennent réclamer des faveurs et gâcher le moment…

 Je comprends.

Les humains cherchent inlassablement un moyen de renouer contact avec nos Divinités surtout dans des moments commémoratifs comme celui de ce soir. Les Devaah ont été très claires avec eux et estiment que, le jour où ils s’en montreront dignes, ils réapparaîtront dans leur vie. Mais j’imagine que sans savoir exactement ce qu’il leur est reproché, il doit être dur de corriger ses défauts.

 Bien, ne tarde pas trop à te préparer, nous partons d’ici une heure.

 Merci, papa.

Il quitte la chambre et je tourne la tête vers la petite horloge ornant ma table de chevet. En effet, dans moins d’une heure, le soleil se couchera et les festivités commenceront. Je me lève, rejoins la salle de douche attenante à la chambre et me lave rapidement. L’essence du lilas pure préparée par les Parfumeurs emplit la pièce et empreigne ma peau, une odeur qui m’apaise immédiatement. Je me prépare, laisse mes cheveux lâchés après les avoir séchés et enfile ma robe. Ainsi, sans le masque qui orne mon visage dès que je quitte ma demeure, je me reconnais à peine.

Et dire qu’il y a moins d’une semaine, j’envisageai de m’y rendre avec ma tenue verte fière d’honorer ma faction. Mais il n’y a pas à dire, ce parme s’accorde parfaitement à mes yeux sombre.

La voix de mon père qui m’appelle en bas des escaliers me ramène à l’instant présent et je me dépêche de me mettre une goutte de parfum dans le cou avant de le rejoindre sous ses yeux ébahis :

 Thréodor va être ravi…

 J’espère bien.

Il me tend son bras que j’accepte et mon frère nous rejoint. Son costume brun, rappelant la forêt, met en valeur ses yeux verts et je souris en imaginant Lorietta s’être occupée de lui cet après-midi. Cette styliste sait exactement ce qu’il faut faire pour mettre un corps en valeur, en occultant le visage de celui-ci.

 Très charmante, petite sœur.

 Je te retourne le compliment.

 Essayez de veiller l’un sur l’autre cette nuit, mon instinct me souffle de faire attention…

 Oui, papa.

Nous inspirons tous les trois et quittons la demeure. Un simple souffle s’échoue sur mon visage et je sais que le masque est à nouveau à sa place. J’espère que je parviendrai à m’en rendre enfin digne.

 Comment tu te sens ?

Je tourne la tête vers Iovan, plonge dans son regard de jade et hausse les épaules :

 Un peu nerveuse… J’ai des excuses à présenter…

 Personne ne t’en veut pour ta réaction… Peu savent ce que ça fait de vivre ce que tu as vécu, ils comprendront…

Je jette un coup d’œil dans notre dos, mon père nous suit, perdu dans ses pensées et je décide de me rapprocher de mon frère pour lui murmurer :

 Peu importe. Est-ce que tu vas épouser Sérina ?

 Vérane !

 Quoi ?!

 Je ne veux pas en parler !

 Veshya, Iovan ! Faut que tu prennes un peu tes responsabilités !

Mais il s’éloigne d’un pas rageur vers la plage, me laissant comme une idiote sur le trottoir. Pourquoi refuse-t-il de se confier ? Nous avons toujours été proches pourtant, il ne m’a jamais rien caché sur cette relation que je trouve étrange.

 Tout va bien ? demande mon père.

 Je ne peux pas en juger pour le moment…

 Tu veux que nous en parlions ?

De grands feux s’allument devant nous et je tourne la tête, un sourire derrière mon masque :

 Plus tard, allons profiter de cette nuit.

Il dépose sa main sur ma chevelure et acquiesce. Je sais qu’il reviendra à la charge demain, mais j’espère qu’avant cela, j’aurai moi-même obtenu mes réponses.

Je me dirige vers la plage, cherche ma meilleure amie du regard et m’avance vers elle lorsque je l’aperçois.

 Cette soirée promet d’être grandiose ! s’extasie-t-elle. Depuis le temps que nous en rêvons ! Tu as envie de voir quoi ?

 Le lancer des lanternes…

 Oh oui ! Avec les feux de clôture ! Viens, on va faire un tour le long de la plage pour voir les Shaity et les Mrudu.

Elle attrape mon bras et m’entraîne avec elle sur la plage à la recherche des peuples voisins de notre royaume. Le sable chaud glisse sous mes pas, le parfum de l’iode chatouille mes narines et je ne parviens pas à me défaire du sourire qui hante mes lèvres. J’ai longtemps aspiré à cet instant, surtout en la compagnie de Tasia et suis heureuse que ce jour soit enfin arrivé.

 Mesdemoiselles.

Nous nous retournons en même temps et observons une fine silhouette. Derrière le loup de la même couleur que le mien, un regard noir, plus sombre encore que le mien nous dévisage. Thréodor. Je déglutis.

 Nipuna, salue Tasia.

Les mots refusent de quitter ma bouche, mais je m’incline tout de même devant mon futur tuteur.

 Vos robes vous représentent avec justesse, commence-t-il. Surtout vous, mademoiselle Viisas.

 Dhanya.

 Dois-je comprendre que vous êtes enfin l’une des nôtres ?

 Oui, monsieur.

 Alors je te souhaite la bienvenue. Profitez de votre soirée.

Il s’éloigne après un dernier regard et je sens enfin l’air circuler normalement dans mon être.

 Il n’est pas si horrible, déclare Tasia.

 Il me fout la trouille.

 Parce que c’est ton chef et que Gradriel t’a un peu trop couvée si tu veux mon avis…

Je grimace derrière mon masque et ma meilleure amie me donne un coup de coude.

 Je ne vois peut-être pas ta tête, mais je sais ce que tu as fait…

Nous continuons d’avancer parmi la foule, observons les différents costumes, picorons des biscuits ça et là disposer sur des tables aux nappes ocre et blanches, lorsque mon père annonce le début des festivités.

Les premières notes de musiques s’envolent dans l’air et différents danseurs s’invitent sur la piste éclairée par les feux et la lune pleine. Si au départ les habitants ne se mélangent pas, très rapidement, certains se laissent tenter et les trois royaumes se retrouvent éparpillés les uns et les autres.

Le mélange dans le style des costumes donne un effet assez incongru pour un parfait inconnu, mais, pour moi, elle représente la paix que mon père tient tant à maintenir et me réchauffe le cœur.

Un homme de Shitata, reconnaissable dans son costume sombre, s’approche de nous, s’incline puis demande de sa voix grave :

 Puis-je vous inviter à danser ?

Sa main se propose à Tasia, qui m’observe :

 Vas-y, je t’attends ici, on fera les vœux ensemble.

Elle me remercie et part avec le jeune homme. Sa robe verte vient encore ajouter une couche de couleur de plus dans toutes celles déjà présentes. Je laisse mon regard virevolter sur la plage, que je trouve plus petite avec toute la foule et observe mon frère en grande conversation avec Sérina. De ma position, il m’est impossible de savoir si leur discussion est cordiale, mais après tout, cela ne me regarde pas vraiment.

Mon père est au bout de la plage, près de l’océan, lui aussi en négociation avec les dirigeants des royaumes voisins. Le vin coule à flots, les rires et les serrages de main vont bon train. Instinctivement, son regard croise le mien, il s’excuse auprès de ses invités, chuchote quelques mots à Joirian, son bras droit qui acquiesce avant de partir. Mon père m’adresse un signe de tête que je prends comme un accord, sans comprendre pourquoi.

Une main se pose sur mon épaule, je sursaute, surprise et me tourne vers Tréhodor, qui m’observe longuement avant de dire :

 C’est le moment de faire tes preuves.


Texte publié par Tynah, 4 août 2024 à 19h00
© tous droits réservés.
«
»
tome 1, Chapitre 1 tome 1, Chapitre 1
LeConteur.fr Qui sommes-nous ? Nous contacter Statistiques
Découvrir
Romans & nouvelles
Fanfictions & oneshot
Poèmes
Foire aux questions
Présentation & Mentions légales
Conditions Générales d'Utilisation
Partenaires
Nous contacter
Espace professionnels
Un bug à signaler ?
2729 histoires publiées
1239 membres inscrits
Notre membre le plus récent est Chris Vank
LeConteur.fr 2013-2024 © Tous droits réservés