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— Nous voici réuni aujourd’hui pour l’Initiation de Vérane Viisas, première fille de Brahamil Viisas, Seigneur de Vales…

Lorsque j’entends mon prénom, mon estomac se tord, mes mains deviennent moites et un filet de sueur s’écoule lentement dans mon dos. Je ne peux m’empêcher de craquer mes doigts et d’inspirer profondément, écoutant d’une oreille distraite le discours de l’Oracle.

Placée au centre de l’Oratoire ovale avec son masque d’or aux reflets arc-en-ciel, l’Oracle illumine la scène alors que j’aimerais me transformer en sours pour disparaitre dans un coin et me faire oublier jusqu’à la fin de mes jours. Toutefois, je ne peux m’échapper. Je dois passer par cette étape comme chacun des membres de ma famille et de nos habitants. Ainsi va la loi chez les Valesiens.

Pour canaliser la tension qui grimpe dans mon être, je focalise mon attention sur le lieu qui est à couper le souffle, mes yeux ne peuvent se détacher de ce décor merveilleux. Les rayons du soleil s’infiltrent par de grands vitraux aux couleurs rosés, révélant ainsi la beauté de la pierre bleutée. Les colonnes d’une teinte plus claire sont quand à elle couvertes de rubans mauve agrémentés de pétales de lilas, mon arbre préféré. Dans l’air flotte le doux parfum de cette fleur et je ferme les paupières un instant, m’imaginant dans mon jardin, loin de toute cette agitation, respirant librement, sans être entravée par cette robe, certes belle, mais horriblement inconfortable.

Un air cantabile joué par les violons m’oblige à ouvrir les yeux, le moment pour mon entrée en scène ne va plus tarder. J’ose un dernier regard dans l’Oratoire et aperçois mon père et mon frère debout, au premier rang, se tenant droits, leurs regards brillant de fierté à travers leurs loups et les deux hommes de ma vie me donnent le courage dont j’ai besoin à cet instant. A leurs côté se trouve ma meilleure amie et son masque aux plumes colorées. D’instinct, elle relève ses yeux d’or vers moi et m’adresse un petit signe de main en signe de soutien.

Son père, que je reconnais grâce à son loup de couleur vert aux tâches dorées sur les pommettes, le seul homme d’âge mûr faisant encore partie des scouts, lui donne un petit coup de coude et celle-ci rebaisse la tête comme une enfant grondée. Je secoue la tête avec un sourire également, Tasia a pour quelques secondes effacées mes craintes.

J’avance d’un pas.

L’initiation est l’étape la plus importante dans la vie d’un Eliêtrés, marquant au passage notre quart de siècle et notre avenir. Elle nous permet de savoir quelle faction nous allons rejoindre, ce que nous allons faire pour aider notre peuple.

Depuis toujours, je souhaite rejoindre le rang des Guerriers, m’entraînant depuis des années, jours après jours, pour y parvenir. Chaque matin, je me lève et force mon corps à résister aux coups mais aussi aux techniques d’attaques et chaque soir je prépare mon esprit à lutter contre les potentiels assauts de nos ennemis. Mon mental est fort, Gradriel l’a affirmé, bien qu’il regrette que ma force physique n’ait pas pris le même chemin que pour mon frère.

Iovan est un grand chasseur. L’un des meilleurs de notre époque. Sa haute carrure l’empêche de passer inaperçu et pourtant il sait se rendre invisible lorsqu’il part chasser nos repas. Un exploit selon certain. Une fierté dans notre famille. J’évite de poser mon regard sur lui, de me laisser déconcentrée par son masque vert aux courbes brunes et ors.

Mes pieds continuent de me conduire jusqu’au centre de la pièce.

Les mains croisées devant mon ventre, je pense plutôt qu’Iovan a bénéficié de la protection de nos Dieux, qu’ils ont exaucés ses souhaits et j’espère qu’ils seront aussi cléments avec moi. Toutefois, je suis consciente que les Dieux quels qu’ils soient, possèdent une face facétieuse et l’autre sévère. Preuve en est, le masque que nous portons tous en guise de punition pour les actes de nos ancêtres.

J’espère donc qu’en ce jour, ils seront d’humeur généreuse et qu’ils m’offriront une chance de prouver mon potentiel.

J’avance d’un autre pas. Je suis devant l’Oracle. Ma respiration s’accélère, mon cœur me fait mal.

A présent, je ne peux plus ignorer tous ces regards qui me brûlent le dos. Je ne peux plus repousser l’autre raison de ma présence ici, bien que j’ai tentée par tous les moyens de l’oublier.

Car les Dieux n’ont pas seulement puni mes ancêtres en dissimulant nos visages en dehors de notre foyer. Ils avaient une autre idée derrière la tête, une idée certainement plus cruelle encore. Je vais savoir combien de vie il me reste à vivre pour trouver mon âme sœur et ainsi espérer faire prospérer mon peuple et ma famille.

Une main se glisse sous mon bras et m’oblige a desserrer mes doigts pour venir les prendre et réchauffer mon être. Inutile que je tourne la tête, la seule personne assez impétueuse pour venir me soutenir dans cet instant crucial de ma vie, à un parfum de cuir et de cèdre. L’odeur de mon frère. Mes battements de cœur s’apaisent à peine.

L’Oracle fustige mon frère du regard, puis voyant qu’il ne compte pas bouger d’un pouce reprend son discours :

— Les Dieux s’adresseront à Vérane Viisas, en ce jour de sa naissance, par ma présence. Ils choisiront sa voie à venir pour son bien et celui de notre peuple. Les Dieux sont justes et peu importe leurs décisions nous nous devons de les respecter. Vérane, je t’en prie, bois ce thé puis donne-moi tes mains.

Je déglutis, plonge un instant dans le regard de jade de mon frère qui m’encourage en me souriant et serrant davantage ma main avant de la lâcher.

— Je reste à tes côtés, petite sœur.

J’attrape le verre, hume son odeur de cannelle et de gingembre puis l’avale lentement. Le liquide chaud brûle légèrement ma gorge avant de laisser les ingrédients satisfaire mes papilles. Iovan se décale d’un pas en arrière, l’Oracle quant à elle s’avance et tends ses paumes vers le plafond. Après une longue inspiration, je dépose mes mains par-dessus les siennes et lève le visage vers le ciel visible par le puits de lumière avant de fermer les yeux.

— Issi pari Diris, quesa nita Mora, Vérane Viisas.

Un courant d’air passe à mes côtés et m’arrache un long frisson tandis que mes poils se hérissent sur tout mon être. Il n’y a plus un bruit, je me sens soudainement seule.

— Vérane Viisas. Enfant de notre serviteur adoré.

Je me fige. La voix résonne entre mes tympans. Tasia m’avait pourtant prévenue de l’effet, je ne m’y étais pas aussi bien préparer que ce que je croyais.

— Depuis vingt-cinq ans nous t’observons chaque jour. Nous connaissons tes désirs, ce que tu souhaites par-dessus tout. Malgré tout ce que tu penses, tu fais fausse route. Nous ne pourrons pas te laisser gâcher ta dernière vie.

— Dernière vie ?

Mes mots sont un murmure. Mon cœur bat à tout rompre, ma respiration s’accélère. Mes jambes me maintiennent à peine debout sous la révélation.

— Tu vas rejoindre le camp des Penseurs et surtout n’oublie pas que l’amour n’a pas de visage…

Je m’effondre alors que l’Oracle retrouve ses esprits. La lumière m’aveugle à travers les larmes qui dévalent mes joues. Les bras de musclés de Iovan m’attrapent avant que mes genoux ne heurtent le sol, notre père nous rejoins en une enjambée.

Je n’entends rien de ce qu’ils me disent. Mon cœur me blesse. Les mots tournent en boucle dans ma tête. Une seule vie. Un camp que je ne voulais pas.

A cet instant, à mes yeux, les Dieux sont cruels.