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Une histoire que l'on rendra intéressante jusqu'au bout
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Les yeux grands ouverts, le petit essayait de percevoir quelque chose dans la pénombre. Le magicien lui faisait toujours cette même blague. Il entrait dans la boutique de jeu comme si de rien n’était, pénétrait dans le couloir du fond pour aller au bureau. Et une fois éloigné de l’interrupteur, le noir l’engloutissait !

Il avait bien essayé de laisser la porte ouverte, elle se refermait. Il retournait appuyer sur le bouton, l’électricité semblait avoir été coupée. Le petit avait même tenté de ramener une lampe torche, elle fut vidée de ses piles. Rien ne pouvait amener la lumière dans ce mystérieux couloir. J’avais le contrôle sur tout. Je ? Oui ! C’est moi, le magicien qui parle, enfin magicien… c’est comme ça que mon apprenti me voit. Ce n’est pas vraiment mon apprenti voyez-vous… C’est plus un petit garçon que j’ai récupéré et auquel j’ai appris quelques manières. J’avoue l’avoir un peu brusqué, mais c’est un excellent élève. Je ne me reproche rien, et si je lui ai caché la nature de ce couloir, c’est pour une bonne raison. Je garde ma part de mystère dans mon histoire. Il faut qu’elle soit alléchante jusqu’au bout, qu’elle vous garde en haleine.

J’aime titiller, l’avez-vous remarqué ? Quelle question ! Bien sûr que vous l’avez remarqué.

Le fait est que l’histoire, excusez-moi, l’apprentissage de ce garçon venait à peine de commencer. J’allais lui apprendre quelque chose de nouveau. Mais que suis-je bête, il me faut commencer par le début !

Un jour un peu comme les autres, quoique particulier, étant donné que nous étions en décembre et que tous les parents faisaient leur course de Noël, un petit garçon entra dans mon antre, mon magasin de jouets. Sachez que j’ai l’habitude de voir des mômes, mon magasin est de la meilleure qualité qu’il soit. Mais si je me suis intéressé à lui, c’est parce qu’il avait une étincelle peu commune dans le regard.

Ce genre d’étincelle ne s’allume qu’après l’âge de l’absurdité, et encore, elle ne s’allume pas toujours chez certains. Pourtant, elle brillait ardemment dans les prunelles de ce pauvre enfant. Pauvre enfant, on peut le dire, il a bien souffert de mon enseignement. Il faut savoir, je suis mauvais pédagogue. Bref, un enfant !

Un enfant que j’ai pris sous mon aile. Un petit garçon aux cheveux bruns, maigrelet aux yeux vifs de cette fameuse étincelle et au caquet bien ouvert. Ce fut assez étrange, la façon dont je l’ai abordé, enfin, la façon dont il m’a abordé.

Ah… douce réalité, beau souvenir.

J’étais sorti quelques instants me balader dans les allées, histoire de dégourdir mes jambes ankylosées. Dans les rayons décorés en conséquence de la période hivernale, il a tiré ma manche, comme un voyou, ne respectant pas le temps passé au repassage et m’a demandé : « Auriez-vous un jeu de carte ? ». Oh petit, on ne me tente pas comme ça.

Et l’histoire a commencé !

Bien sûr que j’avais des jeux de cartes, mais était-ce cela qu’il cherchait ? Si ça l’était, il ne me l’aurait pas dit. Il aurait juste cherché ces jolis bouts de carton dessinés pour « bien s’amuser ».

J’ai vu ses yeux. Oh mon dieu ! Aurait-ce été un crime de laisser mourir cette étincelle ? Absolument !

Je lui ai donc fait lâcher sa petite main crade de ma veste et je lui ai montré. 54 cartes n’était et ne serai jamais la même chose qu’un paquet de carte. Un paquet de carte n’était pas et ne serai jamais un jeu.

Mon discours avait été enflammé, j’avais été éloquent, persuasif, convaincant. Mais je fis choux blancs ! Il n’avait rien compris ! J’aurais pu ne rien faire, il n’aurait pas plus compris mon action. C’est comme ça les jeunes, ils écoutent mais ne comprennent pas. Au final, il est reparti avec un paquet sans rien demander de plus.

J’étais déçu. C’était décevant ! Je ne suis pas un être qu’il faut frustrer. Mais qu’aurais-je pu faire ? Je suis retourné dans mes rayons.

Fin de l’histoire !

Non je rigole ! J’aime m’essayer à l’humour. Vous le remarquerez bien assez vite si ce n’était pas déjà le cas.

Mais l’histoire ne s’est pas arrêtée là, sinon mon récit aurait été bien pauvre. C’est qu’il est revenu le petit ! On laisse s’enfuir son chat une fois mais pas deux. Oh ! Oh ! Il était revenu pour moi, pour me regarder de ses petits yeux curieux remplis de cette flamme brulante de désir, et pour m’apostropher de sa langue de vipère.

- Tu m’as baragouiné quoi hier ?

Oh ! Quelle flèche en plein cœur !

- Je ne t’ai rien baragouiné quelque chose d’inutile et de jetable, j’ai énoncé la pureté d’un avis.

Imaginez un petit gars avec des yeux à moitié endormis, une bouche pendante, un air nonchalant et détaché. C’est ce que j’avais en face de moi !

- Mon cher ami, c’est parce que tu arrives à utiliser du papier et des petits dessins, c’est parce que toi tu leur en donne un usage et une signification que les 54 cartes qui te servent de « jeu » le sont vraiment.

Voilà, fin de l’histoire ! Rencontre énigmatique qui m’a obligé, forcé même, à lui apprendre deux, trois choses d’une manière plus ou moins pédagogique. Pauvre garçon !

Bref, maintenant il était prêt pour une nouvelle leçon, leçon qui concerne notre mystérieux couloir !

- Regarde mon petit, il est temps d’avaler une énorme bouffée d’air frais, ou une nouvelle bouffée de lumière.

Une bouffée de lumière ? Ça ne se disait pas, mais tant pis ! J’étais trop excité pour parler correctement.

La lumière (enfin on y vient) douce et chaude, illumina pour la première fois le couloir, dévoilant un parquet de bois foncé et des étagères couvertes d’un million de curiosités. Des rideaux de velours rouges et noirs avaient été repoussés aux extrémités des murs pour laisser le regard courir sur les trésors consciencieusement exposés. Il y avait de quoi s’émerveiller de la magnifique collection qui avait été exposée faite.

- Qu’est-ce que c’est ?

Je papillonnais des yeux quelques instants, surpris. Ce gosse n’avait vraiment aucune manière. Même pas la gentillesse ou la patience de contempler.

- A ton avis, lui répondis-je sur le même ton qu’il avait utilisé pour faire exploser sa question

- Bah, ce sont des jeux.

- Et pas n’importe lesquels tête de pioche !

Il se prit une tape derrière le crâne. Bien fait !

- Ce sont plus que des jeux. Ce sont des questions, des mystères. Et me voici, défiant toutes les lois, en train de t’en révéler un.

C’était totalement faux. Il n’y avait pas de loi m’interdisant de lui montrer quoique ce soit mais il fallait bien éveiller sa curiosité parfois !

Même regard peu convaincu. Pourquoi avait-il le don de gâcher l’enseignement que je lui offrais ? Evidemment qu’après j’étais plus dur avec lui ! Ah malheur, malheur… et soupir aussi. Ça va de pair !

- Oh arrête de me regarder comme ça. Je ne suis pas fou ! Viens plutôt ! Essayons de faire un peu profiter à ton cerveau de sardine ce que j’ai à lui offrir !

Je m’approchais de l’étagère de droite. Des petites boîtes s’alignaient sur un mètre à hauteur de mes yeux. Le garçon me regardait toujours avec ce petit air déçu d’une découverte mystique qui n’aurait révélé que de la poussière. Heureusement que je savais m’accrocher, sinon sa petite tête serait restée vide. Je me saisissais d’une boîte aussi grande que ma paume.

- Tiens, ouvre-la !

Il la prit, l’ouvrit et en sortit une magnifique boule à neige. Le pied en bois de qualité supérieure était décoré de jolies formes représentant les différentes saisons. Quoi de plus enfantin pour émerveiller ? Les couleurs pales accentuaient chaleureusement l’intérieur de la boule remplie de multiples paillettes. Mais le plus fascinant avec cet étrange objet était les deux figures se mouvant à l’intérieur du verre.

- Qu’est-ce que c’est ?

- Une boule à neige !

- Je l’ai bien vue mais qu’est-ce que c’est à l’intérieur ?

- Ha-ah ! C’est ce que tu vas essayer de découvrir. Qu’est-ce que tu vois ?

- Il y a deux bonhommes. Comme des petites statuettes, mais elles bougent. Comment ça fonctionne ?

Il retourna l’objet, le secoua, mais les paillettes ne firent que virevolter dans le liquide. Les personnages allaient toujours d’un endroit à l’autre, faisant leurs petites vies. Le garçon colla son visage au verre.

- On dirait des poupées ! Mais elles sont mieux faites. On dirait des mini-humains. Des petits lilliputiens qu’on aurait piégé dans le verre.

Je souris ! Il était indiscipliné au plus haut point, mais avait quand même un potentiel extraordinaire.

- C’est comme si on avait posé une cloche sur des gens et qu’ils avaient continué leur vie.

Il lâcha des yeux un instant la boule à neige pour braquer son regard sur moi. Qu’est-ce qu’il était curieux ce petit gars ! Je lui montrai du doigt une autre merveille sur une étagère un peu plus bas. C’était une petite maisonnette à poupée. Il s’approcha, tendit sa petite main vers la façade et l’ouvrit, dévoilant les méticuleux trésors dont le brillant artisan l’avait remplie.

Pareille ! La salle à manger, le salon, les chambres et la salle de bains laissaient place au même spectacle. Les minuscules poupées, comme articulées se déplaçaient gracieusement entre les meubles et les objets, cuisinant un plat invisible, se détendant dans un bain mousseux sans mousse, ou qui en tout cas nous était impossible à déceler.

- Mais qu’est-ce que c’est comme supercherie ? Ça fonctionne tout seul !

Il posa son doigt sur le passage d’un des personnages qui se contenta d’esquiver pour continuer sa marche.

- Dis magicien, elles ne sont pas vivantes tes poupées ? Tu ne les as pas enfermées pour ton plaisir.

Je souris. Il était attentif, mais encore trop terre à terre.

- Viens voir quelque chose d’autre petit.

Une main sur son épaule, je l’entrainais hors du couloir et dans le magasin où nous nous étions rencontrés.

Rien n’y avait changé. Il n’y avait juste plus les décorations et les milles et une guirlande qui décoraient les allées. Quelques mois avaient passé depuis notre rencontre alors Noël n’était bien évidement plus d’actualité. Mais comme tout bon magasin qui marche depuis plusieurs années, les clients ne disparaissaient jamais tout à fait. Ainsi, je nous positionnais tous les deux dans une allée pour observer les quelques adultes qui avançaient, cherchant leur bonheur dans mes rayonnages.

- Là je ne comprends plus ! Quel est le rapport avec les deux jeux que tu m’as montré ?

Je laissais pour une fois passer son tutoiement qui avait la faculté de m’importuner (saleté de gosse mal élevé) pour lui répondre :

- Réfléchis un peu. Que m’as-tu dis en voyant les figurines bouger ?

- Elles ressemblaient à des êtres humains ?

- Oui ! Exactement ! Des petits êtres humains dans des jeux continuant leur vie comme si de rien n’était.

- Et ?

- Et face à toi, tu as des humains qui vivent leur vie en dehors de ces jouets. Pourtant regarde attentivement. Cette dame recherche quelque chose, un jeu. Pourquoi ?

- Pour faire plaisir à son enfant.

- Et à quoi penses-tu que son enfant va jouer ?

- Je ne sais pas moi ! Peut-être qu’il va jouer à la dinette, ou à l’infirmière, ou peut-être au pompier.

- Et qu’est-ce que cela représente la dinette, l’infirmière et les pompiers ?

Regard fatal du petit garçon qui croit qu’il parle à un idiot.

- Bah… ce sont des métiers

- Exactement ! Bien !

Regard du petit garçon qui trouve ça évident et qui ne comprend pas le fin mot de l’histoire.

- Les enfants jouent à être adulte et plus qu’être adulte, ils jouent à être humain.

- Mais on est déjà humain.

- Oui, oui ! Mais les humains sont vivants. Ce que je veux dire c’est qu’ils jouent à être vivant ! Aux dernières nouvelles je n’ai encore jamais vu personne jouer à faire le mort pendant plus d’une minute. La mort n’est pas intéressante ! C’est immobile, c’est froid, c’est… mort. Alors que vivre est une aventure de tous les instants. Le seul point commun entre la boule à neige, la maison de poupée et mon magasin est que pour l’un la vie est un jeu, et pour l’autre le jeu est une vie.

- C’est la même chose.

- Non, non, non, loin de là. Les enfants sont toujours considérés comme des boîtes à émerveillement parce qu’ils ont cette capacité à jouer. Ils savent que du jour au lendemain, pop, ils seront autre chose. Les adultes sont ennuyants, car ils ont oublié comment jouer ! Pourquoi ne changeraient-ils pas du jour au lendemain ? Aujourd’hui, ils iront marcher sur des rochers entourés par de la lave en fusion. Demain, ils seront astronautes et après…

- Mais ils ne peuvent pas. Ils travaillent !

- Ah. Parce que le travail empêche de jouer ? Moi je joue tous les jours, petit. Trace une marelle par terre et les premiers a jouer seront les adultes. Petit ! Il faut jouer dans la vie.

Le petit bonhomme réfléchit un instant, alors je repris :

- Petit ! Dans la boule à neige et la maison de poupée, les figurines vivaient leurs petites vies dans des jeux. Ici, dans la réalité, les humains vivent leurs grandes vies d’humains pour chercher à jouer. N’est-ce pas là tout l’intérêt ? Pourquoi ne pas jouer tous les jours ?

- Mais un jour on est bien obligé de s’arrêter ?

Je le regardais. Il renchérit :

- Quand on meurt…c’est la fin ?

Un sourire étira mes lèvres.

- Non, c’est seulement une nouvelle partie. Allez, va reposer la boule à neige sur une étagère. J’ai une partie à gagner !

Pour une fois, j’avais réussi à me faire obéir. Il parti en trainant des pieds, reposer le trésor que je lui avais montré. Je souris ! J’aime garder le mystère ! Il n’était pas au bout de ses peines le petit gars !

Le couloir était redevenu sombre, la lumière l’avait de nouveau déserté. Le mystère était levé mais il fallait garder les trésors secrets. Alors une énième fois encore, il fallut tâtonner, surtout pour reposer la magnifique boule à neige à l’exact endroit où elle avait été posée. Mais alors que les mains du petit garçon cherchaient l’espace vide dédié à la curiosité qu’on lui avait fait voir, ses doigts rencontrèrent quelque chose d’intrigant. Une figurine de bois, un personnage gravé et très certainement peint minutieusement. Sous les yeux aveugles du petit garçon, il crut voir un chapeau, un long costume en queue de pie, un torse bombé et fier : un magicien !

- Hé ! Monsieur le magicien, vous avez fait graver une poupée à votre effigie, s’écria-t-il, revenant en trombe dans le magasin.

Disparu ! Pouf ! Plus personne ne s’y trouvait.

- Il n’a quand même pas été avalé par l’un de ses précieux jeux ? J’espère qu’il n’est pas allé agresser quelqu’un d’autre.

Fin


Texte publié par Grimaud, 3 juin 2024 à 14h20
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