- Tut, tut… Tuuuuuuut !!!
Le klaxon de la mobylette me tira d’un coup du sommeil dans lequel j’étais. Je me penchais pour regarder l’heure sur mon réveil. Zut ! Il était quasiment 9h ! J’avais sans doute encore du éteindre mon réveil dans mon sommeil et je ne sais pas si ma patronne allait me le pardonner. J’avais exagéré, c’était sans doute la fois de trop mais je ne pouvais pas perdre mon boulot, pas encore une fois.
J’enfilais rapidement en pantalon noir et une chemise blanche et pris mon badge que je relu une énième fois :
Lily Hashlay, Serveuse au Pink Pub
Ce pub n’était pas bien fréquenté : principalement des gars qui n’avaient rien d’autre à faire que de boire dès leur réveil. Ce n’était pas le lieu idéal pour une fille de mon âge mais avais-je le choix ? Non. Donc je me contentais du boulot que m’avait refilé un ami.
Depuis la mort de mes parents il y a 2 ans je me débrouillai seule, et j’y arrivais plutôt bien. Enfin j’arrivais tout juste à garder la tête en dehors de l’eau.
Je sortis en vitesse de l’appartement dans lequel je vivais et regardais ma montre : 9h10. Presque 1h de retard, et évidemment c’est à ce moment qu’il commença à pleuvoir. J’aurais dû m’en douter, les averses sont fréquentes en automne et je n’avais pas pris ma veste. Je décidai donc d’attendre le bus à l’arrêt le plus proche 2 rues plus loin. Arrivé là-bas j’étais complètement trempée mais heureusement le bus arriva rapidement et je pu m’installer tout au fond sur mon siège préféré.
Je posais la tête contre la fenêtre et tout en regardant la pluie s’abattre dehors, je laissais mes pensées dériver. Mon souffle formait une tâche sur la vitre et j’y reconnu une silhouette familière, Matt.
Non, je ne voulais surtout pas y penser maintenant, pas avec tous ces gens autour de moi. Mais mes pensées ne m’obéissaient plus. Je pensais à l’accident… L’accident qui a fait basculer toute ma vie.
Je ne m’en souvenais pas beaucoup alors que c’était il y a tout juste 2 ans. Les médecins m’ont dit que c’était un choc post-traumatique et que je ne pouvais rien n’y faire. Mais je me souvenais du visage couvert de sang de mes parents à l’avant de la voiture et du regard vide de Matt assis à côté de moi. Mon frère de 7 ans n’était pas mort contrairement à mes parents, il était dans ce que les médecins appelaient le coma. Il était accroché à beaucoup de machines et à encore plus de tubes et de fils mais je ne pouvais m’empêcher de penser que tant que son cœur battait, il vivait. Même si c’était grâce à une machine qui faisait office de poumons et a une autre qui lui servait de rein artificiel. Pour moi, Matt était toujours en vie et j’attendais avec impatience le jour où il ouvrirait les yeux. Malheureusement, les médecins m’avait vite remise sur terre. D’après eux Matt ne se réveillera pas. Mais je ne pouvais pas les croire ! Matt vivait encore et n’était pas encore dans une tombe ! Alors au fond de moi il y avait encore de l’espoir.
En l’absence de toute autre famille et du haut de mes 18 ans j’avais clamé mon indépendance et je l’avais obtenue. C’est ainsi que j’avais pu avoir un appartement et depuis j’essayais de survivre en trouvant des petits boulots par ci par là.
Et puis il y a une semaine, le docteur Pascal qui s’occupait de Matt m’avait envoyé une lettre que je regrettais d’avoir ouverte. Il me demandait quelque chose d’impossible ! Je ne pouvais pas débrancher Matt, mon frère, mon seul lien qui me restai avec ma famille !
Alors j’étais allé voir le docteur et lui avais dit non. Il avait commencé à me parler doucement, à me dire que Matt ne pouvait pas rester ainsi pour toujours, que c’était le cycle de la vie. Mais je ne voulais rien entendre, Matt allait se réveiller et ça leur apprendrai à vouloir débrancher des enfants innocents ! Juste avant que je ne parte, il m’avait demandé d’y réfléchir encore une fois quand je serais plus reposée. Je lui avais fait oui de la tête mais le cœur n’y était pas.
Pourquoi tout cela me revenait-il dans ce bus, pourquoi maintenant ? Je soupirais et redressais la tête pour éviter de me cogner contre la vitre au passage du dos d’âne. Mon regard se porta à nouveau vers la rue où je distinguais les gens courir en tous sens pour essayer de s’abriter de la pluie.
Je laissais encore une fois mes pensées s’égarer…
Tout à coup, le noir complet.
Et puis une lumière soudaine me fis plisser les paupières. Lorsque mes yeux commencèrent à s’habituer, je commençai à distinguer ce qu’il y avait autour de moi. Rien. Je n’étais plus dans le bus.
Comment cela était-il possible ? En regardant autour de moi, j’aperçu des vignes, des plants de tomates et des choux. Des arbres fruitiers de toute sorte me cachaient l’horizon mais je pouvais deviner que ce jardin s’étendait à perte de vue. Comment un tel jardin pouvait exister ? Où étais-je ? Et où était passé mon bus ? Je n’en avais pas la moindre idée.
Après quelques instants de frayeur je me détendis, je me sentais en sécurité et je savais au plus profond de moi que je n’avais rien à craindre de cet endroit. Après un rapide coup d’œil autour de moi, je commençais à déambuler parmi les plantes et l’idée me vins à l’esprit de croquer dans une belle tomate que je voyais pendre à coté de ma hanche. Je la pris dans la main : elle était d’un rouge profond et aussi douce qu’elle le paraissait. J’allais la cueillir lorsque j’entendis un bruit de pas provenant des arbres alentours. Je m’accroupis aussitôt. Dans cette position aucune personne ne pouvait me voir car j’étais caché par toutes les hautes plantes alentour. Je me fis toute petite et attendis, prête à prendre mes jambes à mon cou.
Un vieil homme fit son apparition. Il avait la peau tannée et était tassé par l’âge. Ses longs cheveux gris étaient attachés derrière sa tête et sa longue barbe, tout aussi grise, se balançait dans la brise naissante. Il marchait avec difficulté en s’appuyant sur un long bâton qu’il utilisait aussi pour faire tomber pommes, abricots et pêches des arbres. Il se penchait ensuite doucement jusqu’à pouvoir attraper une pomme dans sa main et la posa doucement dans le panier qu’il portait sur son dos. Et il recommençait encore et encore, ramassant les fruits un par un dans un mouvement hypnotique.
Je sortis de mon engouement et me relevait un peu pour mieux le voir. Il ne me remarqua pas et continua sa récolte de fruit, passant d’un arbre à l’autre quand son bâton ne faisait plus tomber aucun fruit. Bientôt son panier fût rempli et il commença à marcher vers une austère cabane en bois cachée parmi les arbres que je n’avais pas vu à mon arrivée. Il déposa son panier juste devant l’entrée et s’assit sur une chaise à balance avec un soupir d’aise que je perçu de là où j’étais.
Il s’endormit rapidement, et je pense que tout son jardin fut au courant tellement ses ronflements étaient forts ! De mon côté, j’en profitais pour me relever et chasser la fourmi qui se demandait ce qu’était cette montagne apparue de nulle part. Je restais accroupi dans le cas improbable où le vieil homme se réveillerai, mais il ne semblait pas vouloir ouvrir les yeux. J’en profitais donc pour m’approcher de lui et je m’arrêtai derrière un gros pommier qui se situait quelques mètres devant lui. Il remua et je me cachai instantanément derrière le tronc, je retins ma respiration jusqu’à ce que j’entende à nouveau ses ronflements.
Je fis dépasser à nouveau ma tête du tronc, il avait l’air tellement fragile et apaisé que je ne pus m’empêcher de m’approcher encore plus près, jusqu’à m’assoir sur un rondin de bois en face de lui. Enfin à distance respectueuse quand même, je n’étais pas folle et je n’avais pas oublié le fameux conseil : Ne t’approches pas des inconnus !
C’est à cet instant que le vieillard se réveilla, sans doute à cause de mon cri dû à l’araignée qui s’était décidé à me monter dessus. Je me tu instantanément et regardai le vieil homme qui n’avait pas l’air surpris de me trouver ici.
- Bonjour Lily
Quoi ? Comment connaissait-il mon prénom ?
- Sais-tu pourquoi tu es ici ? continua le vieil homme d’une voix douce.
Je n’avais qu’une seule idée en tête : partir en courant le plus loin possible. Mais ma raison me rattrapa rapidement, je ne connaissais pas cet endroit, où pouvais-je aller ? Alors je lui posais une autre question au lieu de répondre :
- Où sommes-nous ?
- Je ne sais pas
- Comment ça vous ne savez pas ! Vous vivez ici depuis je ne sais combien de temps et vous ignorez où vous êtes ?
Il répondit, toujours avec le plus grand calme :
- Oui
Comment pouvait-il lui-même ne pas savoir où il était ? Était-ce parce que…
Il m’interrompit en pleine réflexion en reposant sa question d’une voix toujours aussi calme :
- Sais-tu pourquoi tu es ici ?
Non je ne le savais pas, et il avait l’air de parfaitement le savoir. Cependant il me reposa la question :
- Sais-tu pourquoi tu es ici Lily ?
Je lui répondis avec ironie :
- Je n’en ai aucune idée, mais peut-être pourriez-vous éclairer ma lanterne ?
Et c’est sa réponse qui me bouleversa et qui m’obligea à rester parler avec lui :
- Il s’agit de ton frère Matt.
Je m’entendis répondre du tac au tac :
- Comment ?
Il éluda ma question d’un sourire et ses yeux pétillèrent de joie, il voyait bien que je ne comprenais rien de ce qui se passait ici. Et il avait l’air de s’en réjouir !
- Tu as une décision très difficile à prendre et je suis là pour t’aider.
Ainsi il ne voulait que discuter avec moi. Je me détendis et remuai pour trouver une position plus confortable sur ma souche. Il le vit mais ne fit aucun commentaire, il n’avait pas l’air de connaître la galanterie. Cela me vexa un peu car son fauteuil avait l’air bien confortable. Je décidais d’être très claire avec lui :
- Si vous êtes ici pour me convaincre qu’il faut débrancher Matt vous pouvez tout de suite vous en aller !
Il rigola.
En même temps où pouvais-il aller ? C’était son jardin depuis bien longtemps.
- Ne t’inquiète pas Lily, je ne suis là que pour t’aider dans ta réflexion. Et j’aimerais beaucoup connaître ton avis, continua-t-il.
Je ne sais pas pourquoi mais je sentais que je pouvais faire confiance à ce vieil homme.
- Je veux que Matt vive ! C’est la seule famille qu’il me reste.
Des larmes commencèrent à me remplir les yeux et je tombais à genoux devant lui. Dans un murmure je lui demandai :
- Pouvez-vous le sauver ? Je vous en supplie ! Je vous donnerais ma vie en échange.
Oui, j’étais prête à donner tout ce que je pouvais donner pour sauver Matt. Même ma vie.
Le vieillard paru ennuyé et me répondit :
- Je vois à quel point tu tiens à lui, mais malheureusement je ne peux pas le sauver. Je ne suis ni Dieu ni un être tout puissant. Je n’existe même pas vraiment.
Je m’assis et j’essuyais d’un geste rageur les larmes qui étaient restées dans mes yeux. Comment pouvait-il rester aussi calme ? Comprenait-il que c’était de la vie d’un humain que je parlais et non pas d’un de ses fruits pourris qui parsemait le sol ?
Je répliquais avec plus de hargne que je n’aurais dû :
- Alors vous ne me servez à rien !
Un ange passa.
Il reprit la parole encore plus calmement que la première fois :
- Vois-tu Lily, les malheurs qui nous arrivent dans la vie sont là pour une bonne raison. Ils nous permettent de nous interroger sur le sens que nous donnons à notre vie et sur notre avenir. Les moments de malheurs et de bonheurs sont indispensables à la réalisation de la vie et personne ne peux s’y soustraire. La décision que tu dois prendre est très difficile et elle te suivra tout au long de ta vie c’est pour cela que tu dois prendre la décision qui te paraît la plus juste.
J’avais l’impression qu’il parlait Chinois. Que voulait-il dire en parlant de malheurs ? Pensait-il que Matt méritait de mourir ?
Il du lire l’incompréhension sur mon visage car il enchaîna :
- Imagine que la vie est tel un champ sous un soleil ardent. S’il n’y a que du soleil, les épis se déshydratent et meurent sous cette chaleur trop importante. Et s’il n’y a que de la pluie, l’eau stagne et noie les épis qui ne peuvent en absorber autant. Ainsi, pour avoir un champ en bonne santé il faut du soleil et un peu de pluie. C’est la même chose avec la vie. Elle est composée de beaucoup de moments de joie et de quelques moments de tristesse. Quand on réunit les deux, ils forment ce que l’on appelle le cycle de la vie et c’est en réussissant à surmonter les malheurs que l’on arrive à être pleinement heureux.
Je n’étais pas d’accord avec lui.
- Comment pouvez-vous me dire de surmonter mon malheur ? Depuis 2 ans je vis dans l’espoir que Matt se réveillerai. Je passe tous les jours à l’hôpital pour le voir, lui parler de longues minutes espérant qu’il ouvre les yeux. Et après tous mes efforts vous me parler de le laisser sombrer ? Vous êtes fou.
Bizarrement il ne réagit pas sous l’insulte et ma rage s’en trouva subitement amoindrit. Il me rétorqua :
- Est-ce ton envie ou son envie qui compte le plus ?
- Il est dans le coma depuis 2 ans, comment pourrais-je connaître son envie ? Et puis qu’entendez-vous par « son envie » ? De toutes façons, personne n’a envie de mourir ! lui rétorquai-je.
- En effet, je n’ai pas envie de mourir et je suppose que toi non plus. Mais comment pouvons nous savoir ce que ressent Matt dans son coma ? Peut-être est-ce douloureux.
Je n’avais jamais pensé de cette façon-là. Matt pouvait-il vraiment souffrir alors qu’il ne laissait rien entrevoir ?
- Vous mentez, soufflais-je.
- Pensez ce que vous voulez, les études à ce sujet ne sont pas toutes d’accord. Mais pensez aussi à son avenir. Que se passera-t-il quand il se réveillera ?
Je connaissais la réponse mais je refusais d’y penser.
- Je l’emmènerais dans mon appartement et nous pourrons enfin avoir la vie que nous méritons ! J’ai trop souffert pour le laisser partir comme ça.
- Lily, arrête de ne pas voir la vérité qui est juste sous tes yeux. S’il se réveille il sera tel un légume : incapable de bouger, de marcher ou de parler. Il aura besoin d’assistance médical tous les jours et ne pourra pas sortir de chez lui. Il ne pourra ni se marier ni se faire d’amis. Est-ce ça que tu veux pour lui ?
Cette dure réalité me frappa d’un coup. Les larmes qui n’avaient pas coulé quelques minutes avant se mirent à couler à flot. Mes épaules se voutèrent, j’avais du mal à respirer. Pendant tout ce temps je n’avais pensé qu’à moi-même et à la joie que j’approuverais en le voyant se réveiller. J’avais honte de moi. Comment avais-je pu être aussi égoïste ?
Le vieil homme se mis debout et se rapprocha. Il m’aida à me relever et il m’entoura de ses mains encore vigoureuses. Il commença à dessiner des cercles apaisant sur mon dos du bout des doigts tandis que je continuais à pleurer toutes les larmes de mon corps.
Cette étreinte me rappela le père que je n’avais pas eu le temps d’aimer à sa juste valeur et la douceur de la mère qui m’avait été retiré trop tôt. S’en fut trop. Je dégringolais en spirale dans un univers de pleurs et de larmes, de glace et de ténèbres, de douleur et de cendres…
- Madame… Madame !
Je me réveillais en sursaut. Je séchais quelques larmes qui perlait au coin de mes yeux. Merde, qu’est ce qui s’était passé ?
- Madame, continua celui qui devait être le chauffeur du bus, nous sommes au terminus, je vous prierais de descendre s’il vous plait.
Et sans plus de cérémonie il retourna s’assoir derrière son volant, me regardant dans le rétroviseur intérieur pour voir si j’allais bien sortir.
Merde enfin ! J’avais encore dû m’endormir et vu le retard que je commençais à cumuler je n’étais pas sûre d’avoir envie d’aller travailler. Je sortis tout de même du bus sous le regard soulagé du chauffeur qui avait dû penser que j’allais rester là toute la journée.
Et jour de malchance, on était mardi, donc il n’y avait pas de bus dans l’autre sens. Je devais marcher une vingtaine de minutes, super. Heureusement que la pluie s’était arrêtée.
Je remis mon cerveau en marche car j’avais la curieuse impression d’avoir oublié un épisode. Comme si quelque chose d’important s’était déroulé dans ce bus.
- Ho et puis zut ! Murmurais-je dans le vide.
Je repartis en pensant à la réponse que je donnerais au docteur. Une réponse qui me terrifiait et me révulsait mais que je savais être nécessaire. Je m’assis par terre et me perdit dans un océan de larmes.
FIN
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