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Aconit suivait nerveusement Belladone, se demandant ce que cette dernière allait lui réserver comme sort. Voyant que son aînée la menait vers ses propres quartiers, l’adolescente haussa les sourcils, perplexe. La femme au tailleur stricte ouvrit la porte et s’effaça afin de la laisser entrer, et la jeune faucheuse rebelle ne put s’empêcher de la titiller légèrement :

- Mmm, tu sais, je t’apprécie beaucoup Bella, ne vas pas croire le contraire, mais tu n’es pas vraiment mon type.

Belladone claqua la langue d’un air agacée et la fusilla du regard, lui faisant comprendre d’un signe du menton de rentrer sans faire d’histoire. La punk fit la moue, mais s’exécuta sans faire plus de commentaire. Quand la plus jeune fut rentrée, son aînée la suivit rapidement puis ferma la porte derrière elle. Belladone contourna Aconit puis avança jusqu’au canapé et s’y installa, invitant sa jeune collègue à prendre place sur le fauteuil de l’autre côté de la table basse. Dès qu’elles furent toutes deux assises, la plus âgée déclara :

- Manifestement, tu es totalement incapable de remplir le rôle premier de faucheuse. Dans cette situation, je ne vois qu’une solution. Même si c’est assez inhabituelle et que normalement une faucheuse doit attendre plus longtemps avant d’avoir accès au privilège d'accéder au second cercle. Mais tu ne me laisse pas vraiment le choix. Je vais donc t’enseigner les nouvelles compétences nécessaires à ta nouvelle fonction. Cependant, je dois te mettre en garde. Si tu te révèles incapable d’accomplir ton nouveau travail, tu seras radié. Cela signifie que tu seras condamnée au néant. Car une faucheuse qui se désavoue ne peut plus rester dans l’un des cercles. Et une fois qu’on devient faucheuse, on ne peut plus accéder au monde d’après. J’espère que tu as bien compris que ceci constitue ta dernière chance.

Aconit hocha la tête d’un air grave, parfaitement consciente du sérieux de la situation et, pour une fois, elle mit de côté son attitude bravade. Son interlocutrice hocha sèchement la tête en réponse, satisfaite pour une fois du comportement attentif de sa cadette. Puis, considérant ce chapitre comme clos, elle embraya directement sur l’apprentissage de sa pupille :

- Bien, voyons voir si tu as retenu la base. Indique-moi quels sont les différents cercles de la Mort.

Aconit fit la grimace, dépitée. Elle ne savait pas qu’elle aurait besoin de refaire un speech là-dessus. Mais elle répondit néanmoins à la question posée :

- Le premier cercle est constitué des plus vieilles faucheuses, qui forment le Conseil de la Mort, dont le rôle est de servir de pigeon entre la Mort et les faucheuses des autres cercles.

Belladone grinça des dents à cette réponse, et repris sa cadette :

- Ceci n’est pas tout à fait exact. Le premier cercle est constitué des faucheuses les plus méritantes, qui ont gagné l’insigne honneur de côtoyer directement la Mort, notre supérieur à toutes, et de retranscrire les informations qu’il possède afin de les transmettre aux deux autres cercles. Ce ne sont pas forcément les plus vieilles comme tu dis, mais les plus sages et méritantes d’entre nous. Maintenant, peux-tu me parler des deux autres cercles ?

La plus jeune réprima la grimace qu’elle voulait faire suite à la remontrance implicite sourdent du ton de sa tutrice. Elle poursuivit sans faire d’histoire :

- Le deuxième cercle est constitué de faucheuses expérimentées qui passent leur non-vie à courir après des fantômes…

Belladone, courroucée, la coupa vivement :

- Le fais-tu donc exprès de faire preuve d’aussi peu de respect pour tes aînées ?!? Nous, faucheuses du deuxième cercle, ne “courrons” pas après des fantômes ! Nous descendons sur Terre afin de recueillir les âmes égarées qui n’ont pas su suivre le chemin de l’au-delà seules !

La plus jeune rentra la tête dans ses épaules, laissant passer l’orage sans oser émettre le moindre son. Même si, en son fort intérieur, elle ne pouvait s’empêcher de se dire que ça voulait dire exactement la même chose. La femme strict fit un geste agacée de la main afin d’enjoindre son apprentie à reprendre son explication là où elle avait été coupée. Ce que l’adolescente s’empressa de faire :

- Enfin, le dernier cercle est constitué des faucheuses débutantes et de quelques faucheuses encadrantes dans le but de trier les âmes et de ne laisser passer que celles qui apparaissent sur la Liste des Morts et de refouler les Vivants Égarés. Elles sont aussi chargées de recruter de nouvelles faucheuses.

La fin de son exposé, qu’elle fit le plus sobre possible afin de ne pas s’attirer plus le courroux de son interlocutrice, n’eut droit en réponse qu’à un hochement sec de la tête de la femme plus âgée. La punk en fut soulagée. Elle aimait bien titiller son interlocutrice, mais celle-ci se révélait bien moins patiente que d’habitude. Prenant une grande inspiration, comme s’ingéniant de garder son calme, Belladone reprit la parole :

- Actuellement, tu fais partie du troisième cercle. Et bien que tu ne mérite nullement l’honneur d’être promue au rang supérieur, au vu de tes exploits catastrophiques en tant que recruteuse, pour la survie de notre ordre, on ne peut se permettre de te garder à cette place. C’est pourquoi, de manière exceptionnelle, tu peux accéder au deuxième cercle alors que tu n’as nullement mérité un tel honneur ! Sache que ce que je vais t’enseigner à partir de maintenant ne doit, en aucun cas, être répété à qui que ce soit ! Les secrets du deuxième cercle doivent rester ainsi, des secrets ! Donc, une fois que je te les aurais enseignées, ne t’avises surtout pas de les clamer à tort et à cris. Cela serait considéré comme un acte de Haute Trahison, et tu serais immédiatement radiée sans possibilité de t’expliquer. Me suis-je bien fait comprendre ?

Belladone, tout en posant cette question d’une voix sèche et cassante, remonta d’un geste machinal ses lunettes qui avaient glissé du pont de son nez en regardant son interlocutrice droit dans les yeux. Face au silence qui se prolongeait, Aconit compris qu’une réponse était attendue et hocha la tête. Son vis-à-vis fronça les sourcils et lui susurra lentement :

- J’attends une réponse orale de ta part.

Prenant une grande inspiration, regardant son aînée droit dans les yeux afin de communiquer sa sincérité, l’adolescente répondit, tout en agitant distraitement la main afin de chasser une mouche qui lui tournait autour :

- J’ai compris, je jure de ne pas révéler le moindre secret que tu en viendras à me communiquer.

Satisfaite de sa réponse, sa tutrice hocha sèchement la tête tout en disant :

- Bien. Maintenant que ceci est réglé, commençons. La première chose que tu as à savoir, c’est que les faucheuses ne sont pas invisibles, contrairement à ce qu’on prétend. Ainsi, afin de passer inaperçu, on fait appel à une capacité qu’on apprend à utiliser à notre entrée dans le deuxième cercle.

La mouche continua de voletait avec insistance autour de la plus jeune qui commença à en être sérieusement agacée. Quand elle se fut posée sur sa jambe, la punk la frappa rapidement, l’écrasant sans hésiter. Son interlocutrice fronça les sourcils, agacée par le bruit provoqué par sa cadette, mais continua néanmoins son monologue :

- Cette nouvelle capacité consiste en le fait de prendre une apparence qui puisse aisément passer inaperçu. Chaque faucheuse prend une forme qui lui est propre, mais toujours celle d’un insecte.

Face à la moue sceptique de sa cadette, Belladone soupira et grommela entre ses dents :

- J’imagine qu’une démonstration vaut mieux qu’un long discours avec toi.

Sitôt qu’elle eut fini de dire sa phrase, la plus âgée disparut, à sa place se trouvait une belle libellule qui voleta quelques secondes avant de reprendre sa forme originelle. Aconit la fixa bouche bée, incrédule. Puis, lentement, elle baissa les yeux vers ses jambes. Et la mouche écrasée. Elle blêmi d’un coup avant de se recroqueviller en agitant les mains autours du cadavre de l’insecte tout en gémissant pitoyablement :

- Pardon, pardon, je suis désolée…

Belladone, voyant son manège, haussa un sourcil et s'exclama d’un air incrédule :

- Mais qu’est-ce qui te prends ?

L’adolescente releva la tête, dévoilant ses yeux pleins de larmes contenues, et répondit d’une voix chevrotante :

- Je crois que j’ai tué une de nos collègues…

Comprenant enfin, quand la plus jeune désigna tout en disant cette phrase la mouche écrasée, Belladone eut une réaction étonnante. Son visage se détendit et elle éclata de rire, semblant ainsi plus jeune qu’avec son expression habituelle. Aconit, fascinée par cette expression inédite sur le visage de l’autre femme, en oublia ses larmes. Quand elle se fut calmée, la plus âgée prit une grande inspiration puis, souriant toujours un peu d’un air amusée, dit d’une voix qu’elle essaya de rendre plus ou moins neutre :

- Ce n’est qu’une mouche. Pas une faucheuse déguisée.

Comprenant sa méprise, la plus jeune fit une moue boudeuse tout en chassant la cadavre de mouche. Reprenant son sérieux, Belladone expliqua comment procéder :

- Pour ta première transformation, tu dois te centrer en toi-même. Te concentrer sur ta respiration. Ferme les yeux. Voilà, c’est ça. Tu dois chercher ta lumière intérieure et, une fois trouver, fusionner avec elle. Cela déclenchera ta première transformation. Par la suite, tu n'auras qu’à y penser pour prendre immédiatement ta forme incognito.

Après ces explications, la femme se tut. Regardant attentivement, sans faire le moindre bruit pour ne pas la déconcentrer, son élève qui avait les sourcils froncés sous la concentration. Puis, tout à coup, la punk aux cheveux bleus laissa sa place à un moustique, faisant hausser un sourcil blasé à Belladone qui lâcha d’un ton plat :

- Un moustique. Evidemment. Il a fallu que ta forme soit celle d’un moustique.

Puis, elle soupira en secouant la tête, dépitée. Voyant l’insecte s’approcher d’elle, la plus âgée le toisa d’un air hautain, et lui susurra d’une voix de velours acide :

- Ne t’avises surtout pas de me piquer. Sinon, je t’écrase.

A ces mots, l’insecte fit rapidement demi-tour et, une fois au-dessus du fauteuil, laissa place à l’adolescente qui faisait une moue boudeuse. Clairement, celle-ci avait eu l’intention de goûter un peu au sang de sa collègue mais y avait renoncé, sachant pertinemment que la plus âgée n’aurait pas hésiter à mettre sa menace à exécution.