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Faith et Nathalie avaient l’esprit brumeux, elles ignoraient ce qui leur arrivait. Tout ce qu’elles savaient, c’est qu’elles attendaient dans une longue file d’attente, pendant ce qu’il leur sembla des heures. La file avançait, lentement, puis finalement ce fut leur tour. Quand plus personne ne fut devant elles, elles purent voir une adolescente punk, avec les cheveux bleus, qui mâchait distraitement ce qui devait être un chewing gum. Elle était assise sur un bureau, un cahier devant elle, ne prêtant nul attention à la file d’attente qui semblait interminable devant elle.

- Suivant ! laissa-t-elle échapper d’un air distrait tout en continuant d’écrire.

Se regardant d’un air incertain, les deux amies s’avancèrent vers l’adolescente.

- Vos noms et prénoms, lâcha la punk tout en faisant une bulle avec son chewing gum tout en feuilletant le cahier et en ne les regardant toujours pas.

Les deux jeunes femmes se regardèrent, mal à l’aise, puis retournèrent leur attention vers l’étrange adolescente quand celle-ci claqua la langue d’un air agacé. Faith prit l’initiative de se présenter, suivie par son amie. Cherchant dans la liste qui avait été faite dans le cahier, la punk trouva Faith et annonça :

- Faith MOORE, 25 ans, morte dans un accident de voiture. Cause du décès, perforation du poumon droit par un fragment de côte qui s’est cassé, occasionnant une hémorragie entraînant la mort.

Bouche bée, les deux amies furent sidérées par les propos, ainsi que par le ton plat, mécanique et sans sentiments, de l’adolescente au vu de la portée de ses paroles. La punk, elle, ne prêta aucune attention à la stupeur et l’indignation de ses vis-à-vis devant la froideur dont elle avait fait preuve pour déblatérer son discours. Après tout, la Mort avait déjà vu plein d’âmes passer, elle ne s’émouvait plus depuis longtemps de ce genre de chose. D’autant plus que ce n’était pas la mort la plus horrible à laquelle elle avait dû faire face. Elle poursuivit donc, imperturbable :

- Vous avez deux options possibles : ou vous passez dans l’Au-Delà, ou vous choisissez de vous faire couillonner en devenant une Faucheuse.

Face à cette tirade, un raclement de gorge se fit entendre derrière la punk. Se retournant, elle put voir, tout comme les deux jeunes femmes qui lui faisaient face, une autre femme derrière l’adolescente, portant un tailleur strict, des lunettes et ses cheveux bruns coiffés dans un chignon simple qui lui donnait un air sévère. Son froncement de sourcil n'arrangeait en rien son apparence austère. Bien au contraire. Ni sa bouche pincée d’un air contrarié. Quand elle parla, elle le fit d’une voix étonnamment douce par rapport à son apparence pas très engageante.

- Que diable fais-tu donc, Aconit ?

- Mon travail, lui répondit effrontément la jeune rebelle. N’est-ce donc pas visible, Belladone ?

La femme stricte, Belladone donc, claqua la langue d’un air réprobateur avant de reprendre :

- Cela n’y ressemble pas de là où je suis, j’ai plutôt l’impression que tu dissuades de potentielles sœurs de rejoindre l’ordre des Faucheuses.

Prenant un air d’innocence feinte, Aconit répliqua d’un faux air ingénue :

- Qui ? Moi ? Quelle idée ! Pas du tout ! Pourquoi donc chercherais-je à dissuader qui que ce soit à rejoindre la joyeuse caste des Faucheuses ? Tu te fais des idées !

Belladone lui jeta un coup d'œil peu amène, pas dupe des actions de son interlocutrice. Ne se préoccupant plus de sa collègue, la punk se retourna vers Faith et lui dit d’un air théâtral :

- Veux–tu avoir l’Immense Honneur (avec des majuscules s’il vous plaît, pensa–t-elle ironiquement) de rejoindre l'ordre des Faucheuses et de renoncer à ton Repos Éternel afin de contribuer à la lourde tâche incombant aux représentants physiques de la Mort ?

Tout en parlant, l’adolescente fit de grands gestes exagérés, parlant avec une fausse emphase sous le regard noir de sa collègue, qu’elle ignora avec une certaine jubilation. Sa seule joie dans sa non-mort, titiller ce bourreau du travail bien trop rigide pour son bien. Donc, dans sa grande bonté (pensa-t-elle sarcastiquement) Aconit prenait sur elle afin de faire lâcher du leste et apprendre à la belle mais trop stricte Faucheuse à prendre un peu moins à coeur son éternelle mission. Lui en était-elle reconnaissante ? Que nenni ! Cette ingrate s’évertuait à être sur son dos afin de lui faire reprendre ce qu’elle appelait le droit chemin.

Et puis, étant elle-même Faucheuse, Aconit rechignait à piéger de pauvres âmes innocentes dans ce travail ingrat. Si elle pouvait retourner en arrière, elle ne l’aurait jamais rejointe en premier lieu ! Ainsi, son attitude cherchait d’un certain côté à épargner à d’autres de prendre la mauvaise décision (d’après elle).

Faith et Nathalie étaient mal à l’aise, n’osant pas émettre un son pour rappeler leur présence. La pression entre les deux femmes était clairement palpable. La plus âgée fusillait du regard sa collègue plus jeune, courroucée par son attitude qu’elle jugeait totalement non-professionnelle. Sur ce point, elle n’avait pas tort, mais la punk se fichait totalement de son opinion. Elle reporta son attention sur les deux âmes lui faisant face et demanda à la première qu’elle avait pris en charge :

- Alors ? Que décides-tu ? Veux-tu rejoindre les Faucheuses ou profiter du Repos auquel toute âme à droit à sa mort ?

- Je ne souhaite pas devenir Faucheuse. Je veux vivre.

- Cette troisième option ne fait pas partie des possibilités, un mort reste mort, il ne peut revenir à la vie. Ton nom étant noté sur le cahier des âmes, ton heure était donc venue de pousser ton dernier soupir. Mais je note donc que tu vas rejoindre l’Au-Delà.

Au vu de son ton jusqu’à présent, cette tirade d’Aconit était dite d’un ton étrangement doux, compatissant presque. Même sa collègue en fut étonné, ne s’attendant pas à ce qu’elle puisse faire preuve d’une telle gentillesse, d’une certaine manière. La punk ne prêta encore une fois pas attention à la réaction des autres et nota donc sur la cahier la décision de Faith. Ensuite, elle chercha le nom de Nathalie mais, ne le trouvant pas, s’exclama d’un air agacé :

- Tu n’as rien à faire ici ! Tu n’es pas morte ! On ne rencontre pas la Mort comme ça, pour le fun, on ne rencontre la Mort que sur rendez-vous ! Les Vivants n’ont pas leur place en ces lieux ! Et les morts ne sont pas censés se rendre à leur ultime rendez-vous accompagné !

Après sa réplique véhémente, elle se leva de sa chaise, contourna le bureau, puis poussa violemment l’âme de Nathalie en arrière. Elle se sentit partir, sa vision devint floue, puis quand elle ouvrit finalement les yeux, elle vit qu’elle se trouvait dans une chambre d’hôpital. Cela lui rappela un souvenir d’enfance désagréable, quand son amie avait appris pour sa maladie.