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volume 1, Chapitre 21 volume 1, Chapitre 21

La nuit était tombée depuis deux heures, quand Esheramia s’approcha de sa destination. Elle avait voyagé une bonne partie de l’après-midi, voletant au-dessus des villages de bucherons, qui vaquaient à leurs occupations. Personne ne semblait avoir remarqué les vies qu’elle avait prises. Elle avait survolé une rivière bouillonnante et s’était enfoncée dans une partie déserte et touffue de la forêt, non loin de l’océan, qu’elle entendait ronfler.

Ici se trouvaient des ruines de pierre, ensevelies sous les ronces et les mousses. Elle reconnut les restes d’une cité féérique, qu’elle avait connu belle et grandiose, il y avait très longtemps. Elles étaient un élégant assemblage de pierres et de bois, avec des passerelles et des rampes reliant les arbres entre eux.

Esheramia trouvait la déchéance de la civilisation féérique bien plus admirable que son apothéose. Aucun humain ne se rendait dans cette partie de la forêt, qui semblait conservée et sauvage. Par dévotion ou par crainte peut-être. Mais elle s’en moquait bien.

La lumière des lunes éclairait difficilement les sous-bois, mais la créature n’avait guère besoin de lumière. Elle traversa les ruines mortes et s’enfonça davantage dans la forêt. Elle sentait l’énergie corrompue devenir de plus en plus puissante autour d’elle et elle s’en délecta. Les arbres déformés dessinaient des ombres lugubres sur le sol, le sol était couvert de mousse et d’une boue verdâtre, les buissons décharnés n’étaient décorés que de fleurs informes et hostiles.

Au bout d’une heure, elle entra dans une combe peu profonde. La terre était nue et purulente ; les arbres se tenaient à bonne distance. Elle ferma les yeux et inspira profondément l’énergie maléfique qui émanait de cet endroit. Elle la revigora. Quel dommage que ces lieux ne soient pas plus nombreux sur ces terres ! Mais bientôt, elle ferait en sorte que le monde regorge de cette puissance destructrice et si nourrissante.

Elle posa sa sacoche pleine des proies qu’elle avait capturées dans la journée, puis s’avança jusqu’au centre et s’accroupit. Elle enfonça sa main dans la terre meuble et se concentra. Au bout de quelques secondes, une joie profonde l’envahit. Elle sentait une anima, endormie dans son cocon de terre. Elle reconnut la saveur caractéristique de celle de Sanatar. Son ami s’était accroché à la terre qui l’avait vu naitre, enfermant son corps dans une gangue protectrice qui l’avait maintenu en vie toutes ces années. C’était une magie ancestrale. C’était miraculeux.

Esheramia s’assit à même le sol et ferma les yeux. Elle emmagasina toute l’énergie qui l’entourait : autour d’elle la végétation rachitique finit par mourir et tomba en poussière, accentuant encore la désolation du lieu. Puis elle murmura l’incantation nécromantique et déversa l’énergie dévastatrice dans la terre, à l’endroit où elle sentait l’essence du garulf.

Elle perçut la soif de l’anima qui s’en gorgeait. Le rituel dura quelques minutes, mais la laissa épuisée. Elle prit une profonde inspiration et attendit. Il y avait toujours la possibilité que cela soit trop tard, qu’il soit mort depuis trop longtemps. Mais elle en doutait. Alors elle patienta, reprenant des forces, indifférente à ce qui l’entourait.

Au bout d’une demi-heure, la terre bougea. Une main décharnée, sertie de griffes, en sortit et se planta dans la terre. L’autre bras suivit, puis les épaules, la tête et enfin le corps de l’immense garulf jaillirent de son tombeau. Il se balança avec un grognement rauque, ses yeux cherchant à se fixer sur quelque chose. Sa gueule dégoulinait d’un mucus épais. Sa peau déchiquetée laissait voir ses os ; Il fit un pas vacillant, puis se retourna, et fixa son regard rouge sur Esheramia. Il poussa un hurlement guttural, sa tête oscillant de gauche à droite, puis ses mouvements se calmèrent. Ses yeux semblèrent plus alertes. Il huma l’air, puis fit un pas vers elle.

Elle tendit la main ; il la sentit. Il posa son museau poisseux sur elle. Elle le caressa doucement.

— Sanatar, murmura-t-elle.

Il grogna en réponse. Il ne pouvait pas parler, pas encore, mais il comprenait.

— Tu as besoin de nourriture pour te régénérer, mon ami.

Il grogna à nouveau et se tourna dans la direction de la sacoche. Il avança maladroitement sur ses jambes décharnées et se jeta sur elle. Esheramia le regarda manger, sans détourner le regard. Il dévora tout, même le cuir de la sacoche, ne laissant que quelques miettes sur le sol. Quand il releva la tête, sa peau avait commencé à s’épaissir, ainsi que ses muscles. Ce n’était pas encore suffisant, pour qu’il reprenne sa forme humaine, mais il tenait déjà un peu mieux debout.

— Es-tu assez remis pour chasser dans les environs ?

Il hocha la tête.

— Bien. Mais seulement des animaux et dans la discrétion.

Un grognement d’assentiment retentit et il disparut d’un bond dans les sous-bois.

La sorcière observa la combe d’un œil critique et entreprit de reboucher le trou laissé par le garulf. Elle ne pouvait rien faire pour la végétation dévastée, mais il était peu probable que les quelques courageux qui venaient par ici puissent remarquer quoi que ce soit.

Elle remonta la légère pente et s’installa au pied d’un arbre. Elle devait attendre le retour du garulf.

— Quel est cet endroit ? fit une voix près d’elle.

Esheramia sursauta. Elle faillit se lever d’un bond, prête à lancer un sortilège, mais elle se calma dès qu’elle reconnut Ceinwyn. Pourquoi était-elle encore sortie de sa tête ?

— Tu vis dans mon esprit et tu ne le sais pas ?

— Je n’ai pas accès à vos pensées et j’évite de trop regarder ce que vous faites.

La créature soupira et se massa les tempes.

— Il s’agit de l’endroit où un ami très cher a été enterré.

L’esprit flotta jusque à la tombe. Elle regarda le sol, avec un air perplexe.

— Il n’est plus là, fit-elle.

— Non. C’est bien pour cela que je suis venue, railla Esheramia.

Ceinwyn revint auprès d’elle. Esheramia la considéra un moment. Peut-être que cette anima allait devenir un problème. Cette sorcière était trop indépendante et elle ne savait pas pourquoi. Cependant, elle restait son alliée, n’est-ce pas ?

— Vous avez besoin d’alliés pour votre vengeance, fit l’esprit sur le ton de la conversation. Alors vous faites revenir ceux de votre passé. Et vous vous en ferez peut-être aussi de nouveaux …

Un rire sarcastique lui répondit.

— Le monde a trop changé. Je préfère compter sur mes anciens amis.

— Mais je suis une nouvelle alliée…

— Oh non ! Tu es mon alliée depuis très longtemps maintenant, susurra la femme maléfique, trop heureuse de reprendre le contrôle de la situation. Tu es même mon esclave. Je n’ai eu aucune difficulté à nourrir ta jalousie et la jeter sur cette innocente petite fille. Tu as été mon jouet.

L’esprit fit un pas en arrière comme si elle avait été frappée. Puis son visage reprit son expression défaite et son regard s’éteignit.

— C’est vrai ; je suis votre esclave.

— Mais ne t’inquiète pas, continua-t-elle, sur un ton victorieux. Je saurais te récompenser de ton aide : tu seras là quand je dévorerai l’anima de Gwenledyr. Tu seras aux premières loges pour la voir disparaitre dans le néant.

La sorcière releva la tête et jeta un regard scintillant à Esheramia. Celle-ci y lut la haine et le désir de vengeance.

— Je serai là, répéta l’anima, avec fermeté.

La créature sourit, heureuse d’avoir reprit l’ascendant sur cette agaçante anima. Tout à sa victoire, elle ne comprit pas à qui était destinée sa haine.

Lorsqu’un bruit de pas retentit dans les sous-bois non loin, l’anima reprit sa place dans l’esprit de son hôtesse. Esheramia se retourna pour accueillir Sanatar qui revenait de sa chasse. Il avait repris sa forme humaine : un homme fort, aux longs cheveux noirs, teintés de blancs, deux yeux d’un vert étincelant, légèrement en amande ; une bouche ferme ; des bras forts, aux longs doigts. Il avait trouvé des vêtements de bucheron qui recouvraient sa chair encore trop pâle et ses blessures purulentes.

— As-tu tué le propriétaire de ces vêtements ? questionna la fée, les lèvres pincées.

— Non. J’ai volé ça sur un fil à linge, dans l’un des villages. Personne ne m’a vu.

— Tu as l’air d’aller bien mieux.

Il sourit.

— Encore une ou deux chasses et je serai entièrement remis.

— Bien. Mais fais attention : nous sommes sur les terres féériques. Des garulfs doivent vivre ici.

Sanatar eut une grimace et cracha dans la terre.

— Ce qu’il en reste. Une bonne chose que je me sois déjà occupé de la lignée royale.

— Tu en es certain ?

— Oh oui ! Crois-moi.

Esheramia s’approcha de l’homme-loup et lui effleura la joue.

— Dans ce cas, cela nous facilitera la tâche. Une fois sur pied, va traquer les garulfs : ils se jetteront à tes pieds et te suivront où tu le décideras. Fais juste attention à ne pas te faire remarquer des humains et des autres espèces.

Un sourire méprisant étira les lèvres épaisses de Sanatar. Esheramia sourit.

— Une fois ta meute reconstituée, rejoins-moi à Illysandri.


Texte publié par Feydra, 15 mai 2024 à 17h19
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