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volume 1, Chapitre 17 « Partie 2 - Chapitre 17 » volume 1, Chapitre 17

Royaume mort de Nordespierre – Ruines d’Illysandri

— C’est donc toi ! craché-je, cette beauté que le miroir m’a révélée ! Moi qui pensais que tu étais morte…

Gwenledyr, les yeux sombres agrandis par la terreur, la peau pâle comme la neige, ses cheveux si noirs, ses lèvres si rouges…Celle dont je rêve toujours dans mes cauchemars, celle dont je pense être délivrée, est toujours en vie.

— Cette fois-ci, tu ne m’échapperas pas. Et je resterai la plus belle !

La victoire ne me glissera pas entre les mains cette fois. J’approche de la pauvre petite fille tétanisée, murmurant les paroles qui la priveront de sa vie… Une douleur intense, terrible, suivie d’une lumière fulgurante, comme si un rideau se déchirait pour montrer l’horrible vérité. L’épée dans sa poitrine, le visage blafard de Gwenledyr, sa détresse, sa détermination, sa tristesse peintes dans ses yeux.

Ceinwyn reprit conscience brusquement, au milieu des ruines d’une ville inconnue. Revoir la lumière du jour était étrange. Inattendu. Ne devrait-elle pas avoir disparu ? Avoir été engloutie par le néant qui avait déjà dévoré son cœur ? Elle avait senti l’horrible présence dans le miroir et elle avait cru disparaitre. Pourtant, elle était bien là, bien qu’intangible.

L’esprit regarda autour d’elle. Le soleil matinal s’élevait au-dessus des murs et des tours défoncés. Ses rayons cependant ne lui apportaient aucune chaleur ; c’était à peine s’ils pouvaient pénétrer jusqu’à elle, à travers l’épaisse brume noirâtre qui flottaient au-dessus d’elle. Elle était au milieu d’une cité morte depuis des milliers d’années, privée de lumière à tout jamais. Des vestiges de bâtiments imposants l’entouraient ; elle vit des rouages de métal rouillé qui jaillissaient des murs, d’étranges cordes trainer sur le sol ou pendre le long des parois et des runes en partie effacées gravées un peu partout. Tout était construit dans une pierre noire parfois lisse et brillante, parfois mate et poreuse.

La perplexité et l’incompréhension dominaient ses émotions chancelantes. Si elle avait échappé à l’horrible volonté de la créature dans le miroir, il devait y avoir une raison … Que pouvait-elle faire exactement ?

Elle tendit la main vers un mur proche, et celle-ci le traversa. Elle se déplaça et constata qu’elle contrôlait ses mouvements. Elle observa ses mains et sa tenue : sa peau gardait sa teinte dorée originelle, mais elle semblait plus vaporeuse. Elle portait toujours la luxueuse robe émeraude qu’elle avait vêtue pour se rendre à Blanchehaie. La tenue que tu as choisie pour aller tuer Gwenledyr. La tenue dans laquelle tu es morte.

Une vague de froid s’empara d’elle quand ce souvenir en entraina un autre : Gwenledyr, magnifique, lui jetait un regard effrayé et rempli de pitié en même temps. Elle se rappelait sa joie cruelle à la voir terrifiée. Puis la jeune femme enfonçait une épée dans sa poitrine. Mais, à cet instant, elle ne ressentait plus cela ; elle ne ressentait plus rien. Son désir de vengeance, sa jalousie, sa haine, tout avait disparu. Elle était devenue un esprit solitaire et invisible, condamnée à erre dans une cité morte.

Elle avança le long d’une rue et, sans y penser, atteignit la limite de la ville : celle-ci se trouvait au bord d’un plateau de roches. Des crevasses fumantes déchiraient le sol au pied de la paroi, puis une forêt d’arbres décharnés et noirs s’étendaient jusqu’à une autre sylve qui respirait la puissance et la sérénité. Son regard fut attiré par cette vision. Elle se rappela le château dans lequel elle avait vécu si longtemps. Elle se rappela le domaine où elle vivait, à l’est de Sylvemestre, à l’orée de l’immense sylve. Aubespine. Elle se souvint d’Aldéric, son époux, qui n’était plus que l’ombre de lui-même depuis la disparition de sa fille, Gwenledyr . Avait-il découvert son corps ensanglanté dans sa chambre ?

De son vivant, elle pensait que la forêt n’avait aucune signification pour elle ; des réminiscences du mépris qu’elle ressentait à l’époque s’accrochait encore à elle, mais elles étaient lentement remplacées par d’autres émotions, plus douces, plus émerveillées. Et si ce mépris ne venait pas d’elle ? Impossible. Je suis mauvaise.

Elle sentait dans son dos les vagues d’énergie corrompue qui émanaient de la cité morte. Prise soudain d’une furieuse envie de fuir cet endroit maléfique, elle riva son regard sur la forêt verdoyante. Tout devint flou autour d’elle et elle se sentit aspirée. Lorsque sa vue s’éclaircit, elle se trouvait à la limite de la forêt squelettique, non loin d’un petit vallon verdoyant, entouré d’arbres forts et en pleine santé. Elle regarda autour d’elle, stupéfaite. Elle avait atteint la limite de Sylvemestre. Combien de kilomètres avait-elle parcouru ? Elle se retourna, mais ne distingua pas le plateau, ni la ville.

Elle fit un pas timide sur l’herbe verte, persuadée qu’elle allait disparaitre, anéantie par la magie de ce lieu. Il n’en fut rien. Elle en fut déçue. Elle s’arrêta au bord de la combe et se gorgea de lumière et d’énergie vivifiantes. Un murmure montait autour d’elle, un doux chuchotement qui l’appelait. Elle regarda le bassin rempli d’eau limpide qui occupait l’extrémité de la combe. Avec un frisson, elle s’aperçut que les racines brunâtres et poisseuses des arbres morts les plus proches s’en approchaient, comme attirés par elle.

Rempli d’un désir puissant, le spectre répondit à l’appel et s’avança vers la source. Elle était enchâssée au milieu d’un bassin de roches, recouvertes de mousse verte et rousse. L’eau était d’une pureté exceptionnelle et brillait sous l’éclat des rayons du soleil.

L’esprit s’approcha et s’agenouilla. Elle tendit la main en un réflexe très humain, interrompit son geste. Quelle ne fut pas sa surprise de sentir ses doigts effleurer l’eau et y créer des petites ondulations ! Elle ne pouvait pourtant rien toucher. Comment était-ce possible ?

Elle releva la tête et regarda autour d’elle. Le décor lui paraissait légèrement différent : les arbres et le sol avaient une texture brouillés ; dans l’air autour d’elle, des filaments éthérés, aux couleurs vibrantes, flottaient avec indolence. Pour la première fois depuis sa mort, elle sourit, alors qu’un sentiment de paix l’emplissait.

Elle reporta son attention sur l’eau et trempa sa main dedans, créant à nouveau des rides qui s’allongèrent à la surface et disparurent. L’eau devint plus sombre ; elle se pencha, attirée. Une scène se précisa au fond du bassin, puis emplit toute son épaisseur : elle se retrouva alors dans une chambre ensoleillée, aux murs couverts de tentures douces, avec un lit à baldaquin, une coiffeuse, une liseuse confortable, une bibliothèque pleine de livres.

Une jeune fille d’environ treize ans aux longs cheveux blonds était assise devant un grand miroir au cadre doré. Une femme, dans une belle tenue anthracite, aux cheveux aussi blonds que ceux de la demoiselle, se tenait debout derrière elle et la coiffait.

La reine eut un frisson quand elle reconnut sa chambre et sa mère.

— Je dois tout faire moi-même, fit la femme d’une voix aigre. Je t’avais dit de ne pas aller jouer dans le jardin, une fois ta coiffure faite.

— Mais, Mère …, tenta l’adolescente d’une voix timide.

— Cesse donc. Ce soir ton père reçoit des invités importants et tu te dois d’être parfaite.

La mère tira sur une mèche et sa fille émit un petit glapissement de douleur.

— Ca suffit, grogna la femme. Tes cheveux sont impossibles à coiffer.

L’esprit resserra ses bras autour d’elle, alors que le souvenir de la tristesse et de la honte qu’elle avait ressenties à cet instant-là remontait dans sa mémoire et menaçait de l’étouffer.

Les voix se brouillèrent ; sa mère disparut ; l’adolescente resta seule, ses cheveux coiffés en un chignon sévère, le visage couvert d’un maquillage épais, outrancier pour une fille de son âge.

— Ne t’inquiète pas, murmura une voix.

L’esprit s’approcha et vit, dans le miroir, un visage féminin, très pâle, aux yeux d’obscurité, mais qui respirait la compassion et la tendresse, comme sa voix. Une main aux longs doigts fins se posa sur la surface réfléchissante comme s’il ne s’était agi que d’une vitre.

— Je ne suis pas assez bien pour elle, gémit l’adolescente, en retenant ses larmes.

— Ta mère est jalouse, Ceinwyn. Tu es bien plus jolie qu’elle et elle te fait souffrir à cause de cela.

— Je la hais, hurla-t-elle.

Elle prit un tissu sur sa commode et d’un geste rageur effaça toute trace de maquillage. Puis elle contempla son visage dans le miroir.

— Tu es très belle. Je vais t’aider à refaire ton maquillage d’une manière plus élégante.

— Mais, ma mère ? fit la jeune fille, en tremblant. Elle va me réprimander.

— Ne t’inquiète pas, répéta la femme dans le miroir. Qui est la plus belle ?

— C’est moi, murmura Ceinwyn, avec un sourire extatique.

— Es-tu plus belle que ta mère ?

— Oui, répondit l’adolescente avec un sourire féroce.

L’esprit hurla silencieusement, se rappelant soudain tout ce qu’elle avait effacé de sa mémoire : comment en grandissant sa haine pour sa mère n’avait cessé de s’intensifier ; comment celle-ci était devenue aigrie et malade, à cause des manipulations de sa propre fille. L’esprit dans le miroir lui avait dit son nom : Esheramia. Elle lui avait enseigné à contrôler et intensifier sa magie. Elle la manipulait depuis son enfance ; elle n’avait cessé d’exciter son orgueil et sa haine, profitant de la maltraitance de sa propre mère.

La scène se perdit dans le vide et elle reprit pied dans la réalité. Elle tenta de remettre de l’ordre dans ses pensées. Les souvenirs revenaient en force et avec eux la culpabilité et les regrets. Elle était fautive, aussi fautive que sa propre mère et qu’Esheramia. La créature maléfique n’avait eu aucune difficulté à nourrir sa jalousie et sa haine envers une enfant innocente dont le seul tort était d’être belle.

L’anima contempla la forêt maudite. En elle bouillonnait un maelstrom d’émotions : culpabilité, désespoir et fureur mêlés. Elle sentait des vagues de souffrance déchirer son anima. Elle se pelotonna et poussa un gémissement. Disparaitre, sombrer dans l’oubli, elle n’aspirait qu’à ça. Pourquoi n’avait-elle pas été dévorée ? Pourquoi était-elle encore là, à souffrir ?

Toujours aussi égoïste, fit une voix amère au fond d’elle. Tu veux partir et abandonner à leur sort ceux à qui tu as fait du mal ? Tu n’as pas disparu ; tu as encore un rôle à jouer. Lequel, Sorcière ?

Ceinwyn se redressa. La question tournait en boucle dans son anima. Une réponse germa et s’épanouit. Elle sourit et ferma les yeux. Sa silhouette s’évanouit dans l’air chaud du vallon.


Texte publié par Feydra, 15 mai 2024 à 17h13
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