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volume 1, Chapitre 16 volume 1, Chapitre 16

Le chariot croisa quelques passants le long de la route qui menait à la frontière de Sylvemestre, mais aucun d’entre eux ne se préoccupa des dywengars qui devisaient gaiement et de la jeune fille installée à l’arrière. Turold était caché entre des caisses, sous une bâche qui le protégeait des regards.

Dans son inconscience, il s’était rapproché de Gwenledyr, sa tête calée contre sa cuisse. Elle sentait la chaleur qui émanait de son front et cela l’inquiétait de plus en plus. Elle espérait que le voyage n’aggraverait pas son état. Ils ne pouvaient pas se permettre de s’arrêter. L’alerte avait dû être donnée et il ne faudrait pas longtemps aux gardes pour se décider à aller explorer les environs.

Les dywengars quittèrent la route principale et s’engagèrent dans un large chemin de terre. Les arbres de plus en plus proches dessinaient leur hautes silhouettes à l’horizon. Les champs laissèrent la place à la lande sèche et aride.

Deux heures plus tard, ils s’engagèrent sous les frondaisons des premiers arbres. Une silhouette enveloppée dans une cape se détacha des ombres et s’avança vers eux. Lorsque Gwenledyr reconnut Aeneas, son soulagement fut intense. Thafu arrêta le chariot près de lui ; il déposa son paquetage à l’arrière et grimpa. Son premier regard se posa sur son frère, puis il sourit aux trois autres voyageurs.

— Vous n’avez pas eu de difficultés à quitter la ville ? demanda Thafu, alors que Skas faisait repartir les chevaux.

— Non. Je suis allé prendre mes affaires dans la pension de famille et j’ai tranquillement passé la porte nord-est, expliqua-t-il, en s’installant confortablement. Pour l’instant, je n’ai pas remarqué une quelconque activité des gardes, mais je préfèrerais qu’on ait passé la frontière avant que cela n’arrive.

— Il va nous falloir encore une bonne journée, expliqua Thafu. Nous allons devoir faire une bonne partie du trajet à pied, ce qui sera lent et contraignant, étant donné l’état de Turold.

— Ce qui n’est pas normal, souffla Gwenledyr. Sa régénaréation ne semble pas fonctionner. Les blessures devraient être presque refermées. Peut-être pas le bras, mais au moins les autres. J’ai l’impression que le fait d‘avoir tué Elwaïr l’a privé de sa volonté de vivre.

— Elwaïr ? questionna Aeneas.

— Le garulf qu’il a combattu était un ami à lui. Elwaïr n’aurait pas dû être envoyé dans l’arène. Il était en dissociation, incapable de reprendre forme humaine, incapable de parler, dans un état de sauvagerie incontrolable. Le maitre des arènes a dû trouver cela fort drôle de les faire s’affronter.

— J’avais l’impression que la baronnie était différente du Val Ardent, fit Aeneas. Je me suis bien trompé.

L’amertume qu’elle perçut dans la voix du vallois la fit frissonner. Elle posa une main sur son bras.

— Il s’en sortira.

Le jeune homme hocha le tête, s’adossa au bord du chariot et ferma les yeux. Bercée par le lent mouvement de la charrette, Gwenledyr entendait les murmures des arbres et sentait leur énergie palpitante pénétrer dans ses veines et remonter le long de ses nerfs. Pendant toutes les années où elle avait vécu dans cette forêt, elle n’en avait pas eu conscience. Peut-être parce que les horreurs qu’elle vivait occultaient tout le reste. Pourtant, après en avoir été privée pendant des moins, elle le sentait avec une acuité renouvelée. Elle baissa le regard sur le garulf et posa une main sur son front. Puis elle ferma les yeux.

Turold, il est temps de revenir parmi nous. Une surprise t’attend. Et si tu voyais les arbres qui nous entourent ! Et les odeurs ! Si tu entendais le chant de oiseaux. Elwaïr est en paix, maintenant. Il ne voudrait pas que tu meures à cause de lui.

Elle expérait, contre toute raison, qu’il entende ses mots. Un mouvement sous sa main la fit sourire. Le souffle de Turold changea légèrement. Elle ouvrit les yeux et examina son patient. Il respirait plus régulièrement ; si son front était encore chaud, Turold paraissait moins tendu.

Le chariot tressauta alors que Thafu le faisait passer sur un chemin cahoteux. Ils s’enfonçaient davantage sous les arbres, dans une partie de la forêt de plus en plus épaisse. Bientôt, ils n’auraient plus de chemin à suivre.

Le soleil se couchait quand ils s’arrêtèrent dans une clairière. Thafu sauta à bas de son siège et s’étira. Puis il revint sur leur pas et disparut par le chemin qu’il venait de parcourir.

Gwenledyr descendit du chariot et observa l’endroit, alors que Skas était déjà en train de préparer un feu de camp.

— Vous êtes certains que c’est une bonne idée de s’arrêter ici, objecta Aeneas, toujours aux côtés de son frère.

— Il faut manger, lâcha Skas. Et on va fabriquer une civière parce qu’on ne peut pas continuer avec le chariot.

Le vallois cligna des yeux, visiblement surpris.

— Pourquoi n’avoir pas suivi la route comme c’était prévu ?

— Trop risqué.

Soudain, un bruit de cavalcade traversa les bois jusqu’à eux. La jeune fille sursauta et se tourna vers l’entrée de la clairière, persuadée qu’une bande de gardes allaient les encercler. Le son disparut rapidement. Thafu revint.

— Cinq gardes. Ils étaient pressés. On a dû remarquer votre disparition.

— Ou alors ils avaient une autre mission …

— Dans notre situation, mieux vaut ne pas prendre de risques, rétorqua Skas. Venez m’aider à trouver des branches assez solides.

Aeneas jeta un coup d’œil à son frère, puis sauta à bas de la charrette. Gwenledyr les regarda disparaitre dans les buissons. Un bruissement léger cherchait à attirer son attention. Elle attrapa la gourde et se dirigea vers l’orée de la clairière. Elle se faufila à travers des buissons chargés de baies et déboucha sur un ruisseau qui chuchotait joyeusement. Elle s’accroupit sur sa berge et remplit son récipient, en écoutant la forêt. L’esprit confiant, elle se sentait apaisée, à sa place, à l’ombre des arbres. Les regrets qui l’avaient suivis ne disparaissaient pas, mais s’allégeaient dans la certitude qu’elle avait fait ce qu’il fallait.

Un léger craquement retentit de l’autre côté du ruisseau. Gwenledyr leva la tête, aux aguets. Les buissons épais et les futs noirs l’empêchaient de bien voir, mais elle eut l’impression de percevoir une ombre, immobile, près d’un chêne. Deux yeux brillants, telles des azurites scintillantes, la fixaient au milieu d’une silhouette lupine blanche et noire qu’elle n’arrivait pas à distinguer clairement. Sa méfiance s’évanouit au profit de l’émerveillement. Puis l’apparition s’évanouit et la jeune fille cligna des yeux. Elle fixa un long moment l’endroit, puis se releva et rejoignit ses amis.

Skas et Aeneas avaient commencé à agencé des branches avec des cordes pour fabriquer une civière assez large et assez solide pour supporter Turold. Thafu avaient détaché les chevaux et les laisser paitre tranquillement. Il s’occupait de trier leurs affaires et de les placer dans des sacoches et des sacs.

Gwenledyr retourna auprès du blessé, qui n’avait pas bougé. Elle souleva sa tête et porta la gourde à sa bouche. Elle fut satisfaite lorsqu’il but une gorgée. Elle avait l’impression qu’il était de plus en plus réactif.

Une fois les préparatifs terminés, ils prirent un repas rapide et frugal, nettoyèrent toute trace de leur passage, et se préparèrent à repartir. Lupitus, le cheval de Skas, fut attelé à la civière, et on chargea les sacoches sur Encre et Pimpi, l’autre poney. Déplacer Turold fut la tâche la plus ardue. Cependant, avec une infini délicatesse, Aeneas parvint, avec l’aide des robustes dywengars, à l’installer convenablement sur la civière. On l’attacha pour éviter qu’il ne bascule. Gwenledyr lisait une émotion difficilement dissimulée lorsque le vallois transporta son frère ; elle réalisa que cela devait être la première fois qu’il prenait son frère dans ses bras. Lorsqu’il passa près d’elle, elle posa une main rassurante sur son bras et lui sourit. Il parut surpris, puis il lui rendit son sourire.

Une heure plus tard, leur convoi était prêt. Aeneas laissa son regard errer dans la forêt qui s’assombrissait, alors que le soleil disparaissait au-dessus des arbres.

— Ne vous inquiétez pas ; ils connaissent bien la forêt, fit-elle, d’un ton rassurant. Nous avons habité non loin d’ici, en plein cœur des arbres.

Skas, les rênes de Lupitu dans les mains se tourna vers elle et lui fit un clij d’œil.

— Demain matin, on devrait pouvoir s’arrêter dans la vieille maison.

— Et après ? On ne sera pas en sécurité là-bas, rétorqua Aeneas, d’un ton nerveux.

— Nous nous reposerons. Avec un peu de chance, Turold sera en état de marcher. Ensuite, nous entrerons dans les terres du domaine de l’Aubespine, fit Gwenledyr d’un ton décidé.

Thafu parut alarmé par cette proposition.

— Tu n’y penses pas. Ceinwyn est …

— Il est temps que je retourne sur la terre de mes ancêtres, Thafu, l’interrompit-elle. Ne vous inquiétez pas : Ceinwyn n’est plus une menace ; je vous le garantis.


Texte publié par Feydra, 15 mai 2024 à 17h11
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