La souffrance se répandait à travers ses nerfs telle une puissante vague. Il sentait son sang chaud s’écouler sur le sable de ses multiples blessures et surtout de son bras inutilisable. Dans une brume rougeâtre, il vit Elwaïr s’avancer vers lui, à pas lents et prudents. Son ami avait entièrement disparu au profit du monstre et il s’apprêtait à l’achever.
Pourquoi pas ? pensa-t-il. L’Après doit être bien plus paisible.
Sa tête trop lourde lui pesait et ses poumons criaient après un air qui venait difficilement. Turold entendait les hurlements de terreur joyeuse et les cris d’encouragement du public et cela lui donnait la nausée. Ne voyaient-ils donc pas la tragédie qui se jouait sous leurs yeux ? Il cligna des yeux.
Le grognement sourd et tourmenté d’Elwaïr lui brisa le cœur. Turold, éreinté, se réfugia au fond de son esprit. La barrière qu’il avait construite et maintenue de toutes ses forces entre les deux parties de son anima vola en éclat. Le monstre emprisonné emplit tout l’espace, le repoussant au plus profond de sa psyché, l’étouffant, envahissant son humanité.
Vas-y. Je te laisse la place. Je suis trop fatigué.
Au lieu des ténèbres et de l’annihilation qu’il attendait, une vitalité nouvelle pénétra dans ses veines. La douleur s’assourdit pour ne devenir qu’un bruit de fond. Turold reprit conscience et ouvrit les yeux : il était toujours là, il était toujours lui-même. Il se redressa. Elwaïr avait arrêté sa progression et l’observait, indécis, les babines retroussés. Turold reprit conscience de la foule au-dessus de lui. Un murmure stupéfait la parcourait.
Pourquoi ? se demanda-t-il.
Il n’eut pas le temps de comprendre : Elwaïr poussa un hurlement furieux et se rua, non pas sur lui, mais directement à l’assaut du mur d’enceinte. Avec horreur, Turold le vit enfoncer ses griffes épaisses dans le mur et grimper. Le public s’agita en hurlant ; les spectateurs les plus proches du mur se précipitèrent en arrière dans le chaos le plus total. Des cris de douleur s’élevèrent dans les tribunes, alors que les gardes s’efforçaient de traverser la foule.
Malgré les élancements dans son bras gauche, Turold bondit et agrippa le dos de son adversaire. Il enfonça ses crocs dans sa colonne vertébrale et le tira en arrière. Elwaïr hurla de douleur ; ses pattes griffèrent la pierre, laissant des estafilades. Les deux garulfs s’affalèrent sur le sol. Aussitôt, Turold le lâcha et se positionna entre le mur et Elwaïr. Ce dernier, recroquevillé, gémissait et grognait. Ses yeux étincelaient d’un éclat de fureur et de folie. Il se jeta sur son adversaire.
Turold accueillit la charge, mais les crocs de son ennemi claquèrent dans le vide. Il pénétra dans la garde de son adversaire et ses canines s’enfoncèrent dans la gorge d’Elwaïr. Celui-ci rugit de douleur et se débattit, mais la prise de Turold était puissante. Malgré les griffes qui lacéraient son dos, il ne céda pas. Le sang imbibait le pelage du garulf malade et ses gestes devinrent maladroits, alors qu’il s’affaiblissait sous l’étreinte impitoyable de Turold.
Puis, il ne lutta plus et s’affala contre Turold, qui le relâcha. Il s’effondra sur le sol en gémissant. Ses yeux vitreux étaient rivés sur lui.
Celui-ci vacilla. Une odeur puissante de sang envahit ses narines, provoquant une vague de nausée. Reprenant sa forme humaine, il se laissa tomber aux côtés de son ami et posa son front douloureux sur son épaule. La poitrine du garulf agonisant se soulevait lentement et un râle sortait de sa gueule à chaque expiration.
Le brouhaha des voix des spectateurs peinait à perçait le voile de souffrance qui recouvrait son esprit. La tristesse, la détresse se mêlaient avec les pulsations douloureuses de son bras et les brulures des nombreuses plaies qui ornaient son torse et son dos nu. Mais il ne pouvait pas quitter des yeux son ami affaibli qui lâchait enfin prise. Des applaudissements retentirent, sans doute à cause de l’annonce qu’il venait d’entendre. Le sifflement dans ses oreilles l’empêchaient de distinguer les mots. Il était englué dans une sorte de brume épaisse.
Des mains se posèrent sur ses épaules et une voix féminine retentit près de son oreille. Il enfouit son visage dans le pelage du garulf qu’il avait tué. On le releva de force et on l’éloigna. Il sentait à peine les mains rudes des gardes qui le tenaient et aperçut dans un brouillard le visage d’une femme. Il la connaissait, mais il n’arrivait pas à se rappeler qui elle était.
Elle jeta un regard noir aux deux hommes, et dit quelques mots. La pression sur ses bras se relâcha. Il se laissa tomber à genoux dans le sable avec un gémissement. Des doigts frais effleurèrent son bras et un éclair de douleur remonta ses nerfs, faisant éclater le brouillard qui assourdissait ses sensations. Il crispa la paupière et serra les dents pour retenir son cri de douleur.
— Désolée, fit la voix.
Il ouvrit son oeil et plongea son regard dans les grands yeux noirs d’une jeune fille, qu’il avait déjà vue. Un frisson le parcourut alors que l’air lui paraissait très froid.
— ca ira, je regénère, s’entendit-il lâche rd’une voix rauque.
— Si tu te vides de ton sang, tu n’auras plus rien à régénérer, répondit la jeune femme.
Le ton de sa voix le fit sourire. Soudain, son identité jaillit dans son esprit : Gwenledyr. Elle manipulait son bras et chaque geste provoquait un élancement douloureux. Un brouillard sombre envahissait son champ de vision. Elwaïr, les murs des arènes, les voix des spectateurs avaient disparu ; il avait l’impression d’être dans une bulle avec ces gens qu’il connaissait à peine. Il parvenait difficilement à garder son œil ouvert.
— Il nous faut une civière, ordonna une femme plus âgée.
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