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volume 1, Chapitre 10 volume 1, Chapitre 10

Le greffe était calme à cette heure de la journée. Les audiences du jour étaient encore en pleine activité et les employés ne reviendraient qu’en fin de journée avec les dossiers de chaque affaire.

Le clerc à l’accueil n’avait manifesté aucune surprise lorsque le sénéchal de la baronne s’était présenté, contrairement aux craintes d’Aeneas. Sa position auprès de la baronne était très claire pour tout le monde, malgré le mécontentement de certains. Qu’il souhaite consulter les dossiers des garulfs actuellement emprisonnés dans les arènes n’avaient rien d’extraordinaire ; son nouveau statut, tout récemment acquis, le lui autorisait à présent. S’il se sentait parfois coupable de profiter de la confiance de la baronne pour ses besoins personnels, il lui suffisait de penser à son frère pour que ce sentiment disparaisse.

Pourtant, Aeneas ne pouvait s’empêcher de craindre une ingérence. En effet, il lui avait fallu trois mois d’attente pour obtenir l’autorisation de la magistrate Sephilim, en charge de ces affaires. On lui avait opposé des délais légaux et un greffe débordé.

Aeneas s’installa à une table et l’employé déposa les documents près de lui. Il s’y plongea immédiatement, à la recherche de son frère. Chaque semaine, il assistait au combat, dans le public, comme un citoyen classique. Chaque semaine, il frémissait de regret, d’espoir, d’angoisse et de colère en apercevant Turold.

Il ne pouvait retenir son admiration pour ce frère qu’il ne pouvait voir que de loin. Il était un virtuose du combat, maniant l’épée avec grâce et efficacité. Lorsqu’il se transformait, il gardait un contrôle strict sur lui-même.

Il feuilleta l’ensemble des dossiers et s’arrêta sur l’avant dernier. Là, le nom de Turold lui sauta à la figure. Il l’ouvrit en tremblant : il avait été condamné à dix ans d’emprisonnement pour une agression sur un aubergiste, dans le petit village de Bien-Seing, non loin de la frontière du Val Ardent. Aeneas dut retenir un rire : c’était bien évidemment un mensonge, un faux monté de toute pièce par rien moins que la magistrate en personne, puisque c’était son écriture et son sceau. Combien d’autres dossiers étaient des faux ? Combien de ces garulfs n’avaient pas commis les crimes dont on les accusait ?

Aeneas savait que le maitre des arènes, ainsi que son sponsor, le seigneur Enguerrant, gagnaient des fortunes avec les arènes. La magistrate Sephilim était-elle en ligue avec eux ?

Le sénéchal referma les dossiers et se renfonça dans son fauteuil. Il tenait dans les mains le moyen de libérer son frère. Il était si près du but, mais il ne voyait pas comment procéder. Malgré les efforts des soigneurs, la baronne s’enfonçait davantage dans la folie. Les seigneurs prenaient de plus en plus de libertés, sans lui en référer. Aeneas essayait de limiter les dégâts, mais son pouvoir était limité. Uwen ne pouvait prendre en charge la baronnie. Certains seigneurs restés loyaux à la baronne, comme ses parents, ou bien la duchesse d’Estrella, tempéraient les ardeurs des autres, mais ceux-ci, sous la houlette d’Enguerrant se liguaient contre elle.

Bientôt, ils lanceraient une procédure pour la priver de son trône. Et il ne pouvait pas les laisser faire cela. Pas seulement pour son frère, même s’il savait qu’il perdrait tout pouvoir si un autre arrachait le trône à Eléanora et tout espoir de le libérer légalement. Mais aussi pour la baronnie. Il était certain que la baronne était la meilleure souveraine possible et qu’elle serait aussi capable, en temps qu’alliée, d’aider la reine du Val Ardent à infléchir la politique de son propre pays.

C’était un plan ambitieux, qu’il avait mûri pendant son trajet vers Blanchehaie, qu’il avait laissé s’endormir en comprenant la sauvagerie d’Amphéus et qui avait refleuri avec l’accession au trône de la baronne.

Aeneas empila les dossiers et quitta la salle de lecture.

— Clerc, fit-il, en arrivant à l’accueil.

Celui-ci leva les yeux du document qu’il était en train de lire.

— Monsieur ?

— Je vais emporter ces dossiers.

L’employé hocha la tête et sortit un feuillet et une plume.

— Veuillez indiquer votre nom, votre fonction et apposer votre signature ici.

Aeneas fit ce qui lui était demandé. Le clerc relut le tout, ajouta les références des dossiers et apposa un sceau.

— Tout est en ordre. Je me dois de vous rappeler que vous êtes responsable de ces dossiers et que toute dégradation sera passible d’une amende.

— Je sais cela. Merci.

Le clerc hocha la tête et reprit son activité. Aeneas quitta le bâtiment du greffe. Il savait que la magistrate saurait rapidement qu’il avait pris les dossiers. Il venait de donner un grand coup de pied dans un nid de frelons et il avait hâte de voir ce qui allait en sortir.

D’un pas rapide, il remonta l’avenue qui menait au palais, prit une ruelle qui menait au côté ouest du mur d’enceinte et s’arrêta devant une poterne discrète. Il la déverrouilla et entra dans le parc, puis la verrouilla consciencieusement derrière lui. Il préférait parfois utiliser ce passage, quand il voulait se déplacer rapidement sans que les gardes ne le sachent.

Dès qu’il atteignit son bureau, il enferma ces précieux documents dans son coffre, établissant déjà une stratégie. S’il y avait le moindre doute, les enquêtes devraient être vérifiées et les affaires jugées à nouveau, par un autre magistrat.

A Blanchehaie, les garulfs bénéficiaient des mêmes droits que les autres habitants, du moins dans la loi. Les arènes étaient seulement destinées à ceux qui avaient été condamnés pour un crime grave. Dans les faits, Aeneas savait qu’il s’agissait de discrimination et que les garulfs y étaient envoyés parce qu’ils étaient considérés comme des monstres. Ce semblant de cadre légal était une hypocrisie.

Dans son royaume natal, le gouvernement ne se cachait pas : les garulfs étaient considérés comme des monstres indignes de vivre, ni plus ni moins, le résultat d’une malédiction que les Vallois devaient subir pour leurs infractions passées. Cela ne rendait pas la chose moins horrible : combien d’enfants innocents avaient été arrachés à leur famille dès qu’ils avaient manifesté leur première transformation ? Pour quelle raison ? Parce que le peuple du Val Ardent avait subi les raids des tribus garulfs pendant des siècles et que cette espèce était considérée comme monstrueuse.

Il s’installa à son bureau. Il sortit un parchemin et une plume. Il est temps, se dit-il. Il prit une profonde inspiration et écrivit le premier mot de la requête officielle qu’il allait adresser à la baronne et à ses ministres.


Texte publié par Feydra, 12 mai 2024 à 15h48
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