Pour Gwenledyr, descendre au niveau suivant fut comme pénétrer dans un autre monde, souterrain et ténébreux. Pourtant, l’escalier était aussi large, illuminé et bien entretenu que le premier. Mais les grognements et gémissements qui montaient du niveau inférieur lui provoquaient des frissons. Hermeline et elle suivirent Turold en silence. Il paraissait plus en forme, mais n’avait pas entièrement retrouvé son agilité. Son visage fermé et la tension de son corps soulignaient son malaise.
La salle arrondie dans laquelle ils pénétrèrent contenait un bureau avec deux chaises et tout autour, plusieurs cellules aux barreaux très épais. Ce lieu ressemblait bien plus à ce qu’elle s’était imaginé en apprenant qu’elle allai s’occuper de prisonniers.
— A quoi sert cet endroit ?
— Des cellules d’isolement, répondit Turold d’un ton bref.
Son œil était fixé sur la cellule la plus éloignée. Hermeline observait les lieux, les lèvres pincées en une expression réprobatrice. Une silhouette massive bougea dans la cellule obscure. Un cliquetis de chaines accompagna ce mouvement, puis un grondement sourd monta dans l’air lourd. Turold s’avança doucement.
— Eh Elwaïr, fit-il, comment vas-tu ?
Hermeline et Gwenledyr le suivirent, un pas derrière lui. Le garulf se précisa davantage alors qu’elles atteignaient les barreaux de la cage. La lueur de la lanterne accrochée au mur à côté suffisait à peine à percer l’obscurité. Pourtant, la jeune fille discerna distinctement deux yeux en amande d’un bleu très clair, une gueule aux babines retroussées, des oreilles pointues. Le garulf devait faire au moins deux mètres cinquante de haut. Un pelage noir et blanc recouvrait entièrement son corps. Au mieux de sa forme, il devait être magnifique ; cependant, la saleté s’y collait par plaques et on discernait des plaies un peu partout sur son corps. Il avait la peau sur les os. Ses longs bras, terminés par des pattes aux griffes acérées et brillantes, étaient enchainés au mur par des chaines assez longues pour lui permettre de se mouvoir un peu et de s’allonger.
Le grondement devint aboiement quand il fixa son regard sur ses visiteurs.
— Du calme, souffla Turold, d’une voix apaisante. Tu connais Dame Hermeline. Elle vient pour t’aider.
Elwaïr retroussa davantage ses babines en un grondement menaçant, puis poussa un gémissement et se recroquevilla sur lui-même. Il semblait osciller entre la colère et le désespoir. Gwenledyr sentait la peur émaner par vague de la créature : son cœur se serra.
— Il ne parle plus ? demanda Hermeline, sans cesser de fixer ses yeux sombres sur la silhouette prostrée.
— Non. Depuis une semaine, il n’a pas prononcé une seule parole.
— Il est si maigre. Il n’est pas nourri ?
— Il mange peu. Il semble ne plus apprécier la nourriture qu’il aimait avant.
— La nourriture qui lui conviendrait dans cet état est difficile à obtenir, expliqua Hermeline. Il faudrait qu’il puisse chasser.
Turold eut un rire amer.
— Vous savez très bien quelle proie il risquerait de traquer.
— Pas forcément, fit-elle, en posant un regard lourd sur Turold. Je pense que vous ne connaissez pas bien votre espèce, mon ami, pour tenir de tels propos.
Le gladiateur la regarda fixement en fronçant les sourcils, l’agacement peint sur son visage mobile. Il pinça les lèvres, mais ne répondit pas.
Soudain, le garulf emprisonné fit un bond vers eux, tendant au maximum ses chaines. Ses mâchoires claquèrent à quelques centimètres des barreaux. Gwenledyr fit un bond en arrière en retenant un cri. Il paraissait rempli de rage ; ses yeux brillaient d’un éclat fiévreux et il tentait d’échapper à ses liens de toutes ses forces.
— Le gardien a raison, admit soudain Turold avec une profonde tristesse. On va devoir mettre fin à ses misères.
Hermeline ne répondit pas immédiatement. Elle recula à l’opposé de la salle ; Gwenledyr la suivit, ainsi que Turold. Dès qu’ils furent éloignés, le garulf se calma et se pelotonna contre le mur.
— Non, le gardien a tort, assura-t-elle.
— Mais…, s’apprêta à argumenter Turold, avant d’être interrompu par la main levée de la guérisseuse.
— Quand sa peine s’achève-t-elle ?
— Dans une semaine, répondit Turold.
Gwenledyr écarquilla les yeux. Le pauvre garulf allait mourir alors même que sa peine s’achevait et qu’il allait enfin obtenir sa liberté. Quelle horreur !
— Alors, il a encore une chance.
— Le maitre des arènes n’acceptera jamais de le libérer, argumenta Turold. Malgré ce que Seamus dit, je crois qu’il a prévu quelque chose pour lui.
Hermeline fixa un regard sévère sur le garulf. Il parut gêné et se passa une main dans ses cheveux gris.
— Cela ne m’étonnerait pas qu’il veuille qu’il combatte pendant les jeux.
Elle poussa un soupir contrarié.
— Quel idiot ! C’est bien trop dangereux de lâcher un garulf dans cet état au milieu de tout ce monde. Il pourrait faire un massacre, même affaibli.
Gwenledyr ne pouvait détacher son regard du garulf. Elle ne le voyait plus très bien. Cependant, elle percevait sa détresse.
— Pourquoi est-il ainsi ? questionna-t-elle d’une petite voix. Cette dissociation … Pourquoi apparait-elle ?
Hermeline se tourna vers elle.
— Je n’en comprends pas tous les mécanismes. J’ai connu cet état à travers les légendes que j’ai analysées.
— Des légendes ?
— Malheureusement, nous n’avons que peu de documents historiques sur notre passé. Les contes et les légendes en sont les seules traces que nous ayons conservés. Mais ils sont à manier avec précaution. Dans certains contes, on évoque des garulfs qui ne peuvent plus reprendre forme humaine, cette partie de leur être ayant été entièrement dévorée par la partie animale.
— Et comment ces contes expliquent-ils cela ?
— C’est souvent une malédiction ou un envoutement.
— Ce genre de chose n’existent pas, fit Turold, les bras croisés.
— La magie existe pourtant, émit Gwenledyr. J’en ai fait l’expérience.
Turold haussa un sourcil, mais ne posa pas de questions.
— J’ai une théorie : la dissociation peut arriver à un garulf qui vit dans une situation d’angoisse ou de désespoir particulièrement intense et qui ne le supporte plus. La partie animale prend le pas sur le côté humain pour le protéger et pour survivre.
— La vie dans les arènes correspond bien à cette définition, murmura Turold, sarcastique.
— C’est irréversible ?
— Je n’en sais rien, Gwenledyr, répondit Hermeline d’un air triste. Cependant, je pense qu’Elwaïr pourrait continuer à vivre dans un environnement adapté.
— Je ne vois pas comment, rétorqua Turold, le sourcil froncé. Je ne suis pas certain qu’un tel endroit existe. Les humains sont partout.
— Des garulfs vivent en meute et en village dans la forêt de Sylvemestre.
Turold soupira.
— Je vous remercie, Dame Hermeline, au nom d’Elwaïr. Cependant, pour être franc, j’ai peu d’espoir.
En souriant, la guérisseuse posa une main sur le bras du garulf.
— Une partie de ma mission est justement d’en apporter.
Turold parut surpris. Il la fixa un long moment. Son visage aux traits tirés se détendit légèrement et il lui rendit son sourire timidement. En les observant, Gwenledyr eut l’intense impression d’être entrée dans un autre monde, plein de mystères et de secrets.
La peur disparut, au profit d’une profonde tristesse. Tout ce qu’elle avait vu depuis qu’elle était arrivée en ce lieu démentait ses à-priori. Encore une fois, elle pensa à Ceinwyn, une humaine plus monstrueuse que ce garulf.
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