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volume 1, Chapitre 7 volume 1, Chapitre 7

Les spectateurs s’installaient dans les gradins de l’arène. Leurs pas résonnaient jusque dans les sous-sols où les gladiateurs attendaient nerveusement. Assis sur l’un des bancs de bois, Turold attendait, les coudes posées sur ses cuisses, la tête penchée. Il se concentrait sur sa respiration et tâchait d’occulter le reste : les respirations haletantes de ses compagnons, la lourde odeur de sueur et de peur qui empuantissait toute l’atmosphère, les gémissements de peur des derniers arrivés, tout au bout du couloir.

Il passa deux doigts sur son collier de métal torsadé, sentant le picotement de l’acier féérique sur sa peau. Pas assez pour le blesser, suffisamment pour être inconfortable et lui rappeler sa condition. Il était le seul à posséder ce genre d’objet. Il lui avait été donné lorsque, contraint et forcé, il était entré, à huit ans, dans les arènes de Brisepierre, la capitale du Val Ardent. Il avait eu une vie avant ; pourtant, il ne s’en souvenait pas vraiment.

Les bruits de conversations excitées lui parvenaient depuis l’extérieur. Il savait que tous ses compagnons les entendaient, car tous avaient les sens particulièrement aiguisés des garulfs. Il sentit l’odeur épicée du maitre des arènes bien avant qu’il n’arrive au bout du couloir. L’homme s’arrêta devant lui. Turold leva lentement la tête. Grand et malingre, Valrus le lorgnait de haut. Cependant, le garulf percevait la peur qu’il contrôlait à peine derrière sa façade arrogante. Un fouet serti d’acier féérique était enroulé à sa ceinture et il portait une tenue de cérémonie colorée et luxueuse.

— Vous êtes venu personnellement nous voir, quel honneur !

L’ironie du gladiateur n’échappa pas à son geôlier. Il se tendit et ses traits acérés se tordirent en une grimace de colère.

— Je suis venu te prévenir de faire ton maximum lors de ce spectacle, ou tu goûteras de mon fouet. Et enlève-moi ce bandeau !

Turold retroussa ses lèvres en un grognement ; l’autre sursauta, visiblement mal à l’aise. Cependant, le garulf obéit et ôta le bandeau qui recouvrait son œil mutilé. C’était bon pour le spectacle, aussi n’avait-il pas le droit de le conserver dans l’arène. Pourtant, il se sentait vulnérable sans. Sa blessure était à la vue de tous et cela le mettait en colère.

Concentre-toi, se dit-il. Tu dois garder le contrôle.

Le maitre des arènes repartit. Quelques minutes plus tard, les gladiateurs entendirent l’annonce grandiloquente du maitre de cérémonie. Turold se plaça face aux épaisses portes en bois. Dans quelques minutes, il sortirait en plein soleil sous le regard du public en furie. Il languissait de sentir à nouveau la chaleur de l’astre sur sa peau, seul élément positif de ce qui allait se passer. Elwaïr se positionna à ses côtés. Ils échangèrent un regard. Ils étaient partenaires d’entrainement depuis longtemps.

Aujourd’hui, ils allaient se battre l’un contre l’autre pour le plaisir du public. Heureusement, ce n’était pas un combat à mort. Il appréciait le garulf vétéran et cela lui déchirerait le cœur s’il devait le tuer.

Les portes s’ouvrirent et il cligna des yeux, oubliant ses pensées. Il s’avança au centre de l’arène, ses bottes foulant le sable propre qui serait bientôt gorgé de sang. Indifférent aux hurlements déments des citoyens dans les arènes tout autour d’eux, il ferma son œil argent et laissa la chaleur du soleil effleurer la peau de son visage, de son torse et de son dos. Pendant quelques secondes, il n’entendit plus rien.

Puis, on le bouscula légèrement, le ramenant à la réalité. Il s’aligna aux côtés d’Elwaïr face à la tribune d’honneur où siégeaient le maitre d’arènes et quelques invités nobles. Il frissonna sous les regards avides des femmes et des hommes assemblées autour d’eux. A cet instant, il se demanda qui étaient les monstres : les garulfs ou eux, les citoyens humains qui se délectaient de leurs souffrances. N’oublie pas que nous sommes des criminels.

Le maitre se leva, fit un signe de la main. Les deux combattants reculèrent chacun d’un côté de l’arène, où des râteliers d’armes les attendaient, surveillés par des gardes. Turold sélectionna une épée, qu’il soupesa et mania pour vérifier son équilibre, puis il se retourna et se mit en position.

Les combats de garulfs étaient un spectacle bien huilé. La transformation n’arrivait qu’à la fin ; la première moitié était un combat à l’arme de corps à corps traditionnel. De fait, chaque gladiateur était formé à toutes les formes de combat.

Le silence se fit autour d’eux et Turold se concentra sur son adversaire, qui l’attendait de pied ferme, une épée longue dans la main droite. Un coup de gong annonça le début du combat. Turold s’avança tranquillement jusqu’au centre de l’arène, un sourire jouant sur ses lèvres. Il aimait combattre de cette manière, échanger des passes d’armes, parer, esquiver et chercher à prévoir l’attaque de son adversaire. C’était une danse dans laquelle il excellait. Les épées en acier classiques ne pouvaient tuer un garulf ; elles pouvaient tout juste le blesser, parfois gravement, mais le pouvoir de régénération parvenait toujours à réparer les tissus déchirés…dans d’affreuses souffrances. Seul l’acier féérique ou l’un de ses congénères pouvaient tuer un garulf

Turold para le premier coup d’Elwaïr ; les deux épée résonnèrent. Il se décala sur le côté, laissa glisser son épée sur la lame de son adversaire, puis la retira d’un coup sec. Le bretteur, déséquilibré, se pencha en avant pour reprendre position. Turold en profita pour faire claquer le plat de sa lame sur l’épaule d’Elwaïr, avant de s’éloigner. Celui-ci virevolta et le considéra en fronçant les sourcils. Le message était clair : ne fais pas semblant.

Du coin de l’œil, Turold aperçut la grimace furieuse du maitre d’arènes. Un murmure autour d’eux soulignait que les spectateurs n’avaient pas manqué de remarquer ce qu’il avait fait. Avec un sourire arrogant, il s’inclina en une révérence, puis se remit en position.

Il para un deuxième coup et se désengagea en reculant. Quelques cris retentirent dans la foule, mais il ne parvenait pas à établir s’il s’agissait de plaisir ou de colère.

Elwaïr se fendit ; Turold fit un pas de côté vers la gauche, mais réalisa trop tard que c’était une feinte ; la lame se décala et entailla son flanc. Une brulure le traversa brièvement. Il grogna et serra les dents. Elwaïr n’avait pas envie de jouer. Son visage restait ferme, concentré et sévère.

Turold bondit sur lui sans lui laisser le temps de reprendre position ; son adversaire leva son épée hâtivement pour absorber le coup, mais au dernier moment Turold pivota gracieusement et sa lame laissa une estafilade sur le côté d’Elwaïr. Œil pour œil, dent pour dent. Ils s’immobilisèrent face à face, l’épée en position.

Un coup de gong retentit, les figeant. Turold sentit son cœur se serrer alors que la foule enragée hurlait sa joie. Elwaïr sourit et jeta son épée au loin. L’éclat dans son regard fit frissonner Turold : son compagnon d’arme jubilait alors qu’il se transformait : il prit de l’ampleur, ses membres grossirent, son visage se fondit en une gueule de loup. Ses vêtements devinrent une fourrure grise, ornée de striures blanches. Ses bras s’allongèrent et se terminèrent par des griffes. Il ouvrit la gueule en un sourire carnassier ; au centre de ses yeux en amande, ses iris bleus brillaient d’un éclat sauvage.

Turold n’avait pas le choix ; sous cette forme, il se ferait déchiqueter. Il lâcha la bride à son esprit animal, muselant l’horreur qu’il ressentait à chaque transformation. Les hurlements de joie de la foule se répandaient en vagues autour de lui. Il s’efforçait de les occulter, tout en contrôlant la sauvagerie qui s’emparait de lui. Quelques secondes plus tard, il avait pris son apparence animale : une bête de deux mètres cinquante de haut, avec une fourrure argentée, des pattes musculeuses. Son œil d’argent étincelait, alors que la plaie de l’orbite vide marquait toute la moitié gauche de son visage. Une queue touffue battait l’air derrière lui. Son collier entourait toujours son cou nerveux, sa magie lui permettant de s’adapter.

Il grogna et se prépara à recevoir l’assaut de son ennemi. L’énergie vitale de son loup l’électrisait tout entier ; il sentait sa force et sa magie parcourir ses muscles, ses nerfs ; les odeurs et les bruits étaient magnifiés. Il fixa son attention sur la bête en face de lui qui le contournait en grognant, légèrement penchée en avant. Puis, Elwaïr bondit, agrippa Turold et fit claquer sa gueule tout près de sa carotide.

D’un puissant coup de genou, Turold l’éloigna. Elwaïr grogna. Aussitôt, Turold le heurta de l’épaule et le bouscula encore un peu plus. Puis il reprit du champ. Elwaïr secoua la tête et rugit. Turold savait qu’il était furieux de voir qu’il retenait ses coups et cherchait à éviter le combat.

Il contrattaqua ; Turold s’apprêta à parer son coup, mais au dernier moment, l’autre se décala si rapidement qu’il ne put réagir. Une vive douleur dans son flanc gauche le fit grogner. Il sentait le sang chaud couler le long de son côté et goûter sur le sol.

Tu peux te laisser vaincre, le laisser gagner. Distrait par cette pensée, il ne vit pas les griffes qui lui percutèrent le visage, laissant quatre traces sanguinolentes sur sa joue. Le coup fut si puissant que sa tête partie en arrière, le laissant sonné. Il trébucha, se ramassant sur lui-même pour éviter de tomber. Les pattes avant posées sur le sol, il leva la tête au moment où Elwaïr bondissait. Encore hébété par le coup précédent, Turold n’eut d’autre choix que de laisser son instinct prendre le pas sur sa raison. Au moment où le garulf se jetait sur lui pour le mordre, il passa sous sa garde et planta ses crocs de toutes ses forces dans son flanc.

Le sang coula dans sa gorge et le long de son cou, alors qu’il arrachait une portion de chair. Elwaïr, fou de douleur, leva la tête vers le ciel et hurla de souffrance. Il s’affala sur le sol au moment où Turold se désengageait. Haletant, le flanc et le visage en feu, il reprit le contrôle de lui-même avant que son loup saute sur son adversaire pour l’achever. Il le sentait renâcler contre sa volonté ; il serra davantage son emprise. Elwaïr s’était recroquevillé sur le sol autour de sa blessure ; sa poitrine se soulevait avec effort alors qu’un râle de douleur s’échappait de sa gueule.

Turold se tourna vers la tribune officielle, sous les hourras des spectateurs. Le maitre des arènes harangua la foule, mais il ne comprit pas un traitre mot de ce qu’il disait, tant ses oreilles sifflaient. Il avait une seule envie : se recroqueviller dans un coin et pleurer sa rage et sa souffrance.

Puis, le maitre de cérémonie leva sa main droite et Turold respira plus facilement. Le combat était terminé. Il reprit sa forme humaine et s’approcha prudemment d’Elwaïr. Il posa une main sur son épaule.

— C’est fini, souffla-t-il.

L’énorme loup cligna des yeux, puis se transforma à son tour. Turold passa l’un de ses bras par-dessus son épaule et l’aida à se lever doucement. Il grimaça quand le blessé gémit, une main serrée contre son flanc dégoulinant de sang. La culpabilité contracta le cœur et la gorge du garulf.

— Je suis désolé, murmura-t-il.

Les gardes l’aidèrent à faire rentrer Elwaïr, qui fut immédiatement emmené à l’infirmerie. Alors qu’il s’avançait pour le suivre, il fut arrêté par la main ferme d’un autre garde. Légèrement vacillant, il s’appuya d’une main au mur et leva les yeux vers l’homme.

— Valrus a deux mots à te dire.

Turold pinça les lèvres, mais ne dit rien. Il s’y attendait : son petit numéro dans l’arène n’avait pas plu au maitre. Il allait ajouter de nouvelles cicatrices à sa collection. Trop épuisé pour renâcler, il se laissa entrainer.


Texte publié par Feydra, 12 mai 2024 à 15h33
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