Uwen ouvrit les hautes fenêtres qui donnaient sur le parc, laissant entrer l’air matinal. Le soleil se levait à peine et une fraicheur vivifiante entra dans son laboratoire.
Quand il s’était installé à Blanchehaie à la demande de sa mère, elle lui avait permis de placer son laboratoire dans cet endroit un peu à l’écart. Transporter ses volumes, son alambic et ses outils depuis le domaine de ses grands-parents avait pris quelques semaines. Aeneas, le sénéchal de la baronne, avait été très efficace dans cette tache. Thafu et ses frères, pour le remercier d’avoir sauvé Gwenledyr, lui avaient forgé quelques nouvelles pièces, à la fois élégantes et efficaces.
L’endroit était vaste et agréable : les dalles grises, les murs de pierres apparentes recouverts de tentures sombres, les quatre hautes fenêtres en faisaient un lieu à la fois imposant et lumineux. Maintenant que les étagères et son établi étaient remplis de ses affaires, il s’y sentait davantage chez lui.
Pourtant, la présence de ses grands-parents lui manquait terriblement. Il avait grandi dans le domaine familial et avait bénéficié de leur amour, ainsi que de leur enseignement. Le père de sa mère était un scientifique de grand talent, passionné par les mystères de la nature et des astres ; sa grand-mère était une astronome de grand renom, qui avait transmis à leur unique fille sa passion pour la compréhension des mécanismes de l’univers.
Au moment de son départ, son grand-père lui avait offert un artefact qu’il avait rapporté de l’une de ses expéditions dans les Bois Désolés, au pied du plateau de Nordespierre : une automate en métal, un chien ou un loup. Depuis qu’il avait rejoint sa mère, il passait tout son temps libre à essayer de réactiver l’objet.
Avant sa naissance, avant d’épouser le baron Amphéus, Eléanora avait étudié à l’Université de Blanchehaie et allait obtenir une chaire d’enseignement. Entre les murs de ce temple de la connaissance, elle était devenue amie avec Amphéus, et avait rencontré Siméon, son amour et le père d’Uwen.
Uwen n’avait jamais connu son père, disparu lors d’une expédition dans les ruines d’Ilysandri, la capitale de Nordespierre. Il avait été aimé et chéri toute sa vie, à la fois par ses grands-parents et par sa mère, même s’il la voyait peu. Cependant, ne pas avoir connu cet être que sa mère aimait tant avait laissé un vide au fond de lui.
Le jeune homme s’avança vers son établi au centre de la pièce. L’animal inanimé, posé au centre de son espace de travail, était recroquevillé comme s’il était simplement en train de dormir. Des fils, des rouages et des pièces métalliques étaient empilés en plusieurs tas. Il s’appuya sur le bord et examina attentivement un parchemin recouvert de schémas et de commentaires sur lequel il avait tenté de reconstituer le fonctionnement de l’automate. .
C’était un problème délicat et difficile, mais il appréciait le défi qu’il représentait pour son esprit. Cela lui changeait les idées et lui évitait de penser à la vie réelle, qu’il trouvait bien trop complexe. Plus précisément à sa relation avec Gwenledyr.
Un bruit de pas légers interrompit ses réflexions. Une odeur de menthe flotta jusqu’à lui. Il se retourna et accueillit sa mère d’un sourire. La baronne Eléanora, toute de noir vêtue comme à son habitude, une voilette recouvrant son visage, le serra dans ses bras.
— Je pensais bien te trouver là à une heure aussi indue, mon fils. As-tu dormi ?
— J’ai dormi. Un peu. Et vous, mère ?
L’inquiétude transparaissait dans sa voix. La baronne se laissa tomber dans un fauteuil installé face au foyer de la cheminée.
— Comme toi.
Il la rejoignit et s’installa auprès d’elle. Elle avait pris l’habitude de se réfugier dans son atelier quand elle avait besoin de solitude. Sa mère laissa son regard se perdre dans les braises rougeoyantes. Elle serrait ses mains l’une contre l’autre.
— Comment vous sentez-vous, mère ?
Elle tourna la tête vers lui.
— Je vais bien, Uwen.
Celui-ci leva les yeux au ciel.
— Mère …
Elle eut un petit rire.
— J’ai dormi une partie de la nuit, mais je me suis réveillée très tôt. La douleur de mon visage ne me laisse pas de répit aujourd’hui.
Le cœur du jeune homme se serra face à la fragilité de la voix de sa mère. Il se pencha et lui prit les mains. Elles étaient glacées et si frêles. Son sentiment d’impuissance ressurgit. Depuis la tentative de meurtre de Barbe-Bleue, la baronne était blessée dans son corps et dans son esprit. Elle ne s’en remettait pas, malgré les soins des guérisseurs et des médecins.
— Je suis désolé, souffla-t-il soudain.
Il sentit le regard interdit de sa mère, malgré le fait qu’il ne voyait son visage qu’à travers un voile épais. Elle serra ses mains entre les siennes.
— De quoi parles-tu ?
— J’aurais tellement souhaité être présent quand ….
— Et moi je bénis les fées que tu n’aies pas été là pendant toutes ces années, Uwen.
— Mère …
— Te cacher à Amphéus a été la meilleure décision que j’aie prise, continua-t-elle d’une voix ferme. Je sais que tu aurais aimé une mère plus présente. Pourtant, te savoir en sécurité et pouvoir te voir au domaine de mon enfance étaient ma respiration, ma sauvegarde.
— Tu n’aurais pas dû être obligée de l’épouser !
Eléanora soupira.
— Tu verras, Uwen, que les gens de notre rang, parfois, ne peuvent faire ce qu’ils veulent. Nous avons des responsabilités vis-à-vis de notre famille, de notre peuple. Amphéus n’a pas toujours été cette créature maléfique. Il était mon ami, une âme sensible, aux prises avec ses démons et ses propres responsabilités familiales.
— Comment peut-on changer en si peu de temps ?
— Je ne sais pas, Uwen.
Elle se passa une main sur son front par-dessous sa voilette.
— Vous n’êtes pas obligée de porter cette voilette devant moi, vous savez ?
— Mon deuil n’est pas terminé. Je le dois à toutes ses pauvres âmes qui ont été assassinées.
— Les familles ont pu leur donner les derniers sacrements. Leurs animae doivent être dans l’Après.
— Aeneas s’en est occupé. J’aurais voulu faire une cérémonie publique. Mais les seigneurs s’y opposent.
— Vous ne devriez pas les écouter ; vous êtes la baronne.
— Ce n’est pas aussi simple, Uwen. Et tu le sais très bien, s’exclama Eléanora d’un ton sec. Je ne peux pas gouverner correctement s’ils sont contre moi.
Uwen regarda ailleurs, piqué au vif. Sa mère ne lui parlait jamais sur ce ton. Pourtant, depuis quelques temps, elle était sujette à des sautes d’humeur, parfois bien plus impressionnantes. Le personnel et ses secrétaires, Aeneas même, faisaient très attention autour d’elle. On murmurait beaucoup de choses dans les couloirs du château. Les regards compatissants se transformaient parfois en regards inquiets et le mot « folie » apparaissait parfois.
Eéléanora parut s’apercevoir de la réaction de son fils. Elle serra les mains qu’elle tenait toujours.
— Je suis désolée, mon chéri, souffla-t-elle. Je dois rencontrer le seigneur Enguerrant et Valrus le maitre des arènes pour l’organisation des jeux. Rien que d’y penser, cela me porte sur les nerfs. Mais ce n’est pas digne d’une souveraine. Je dois rester maitresse de moi.
Uwen porta les mains de sa mère à ses lèvres et y déposa un baiser affectueux.
— Vous y arriverez. Et quand vous irez mieux, rien ne pourra vous arrêter.
Le jeune homme vit ses lèvres s’étirer à travers le voile. Son cœur se languit d’apercevoir un vrai sourire sur le visage de sa mère. Ainsi que ses yeux.
— Où en es-tu de tes expériences ? s’enquit-elle, d’une voix plus légère.
Il grimaça.
— Cela n’avance pas vraiment. Je suis un peu préoccupé et je manque de temps. Le laboratoire est vraiment très bien, mais je pense que si j’avais pu m’installer à l’université, cela aurait été plus profitable.
— Tu connais mon avis là-dessus, Uwen.
— Mère…, soupira-t-il.
— Je suis rassurée de te savoir au château, continua-t-elle, d’une voix douce. Cela m’aide bien plus que tu ne l’imagines. Nous pouvons rattraper le temps perdu.
— Tu as raison. Je suis désolé.
— Ne le sois pas, fit-elle. Mais trouve un peu de temps pour l’organisation de ton mariage.
Uwen se sentit soudain gêné.
— Mère …
La baronne lâcha un petit rire.
— J’ai accepté de vous laisser du temps et de vous laisser faire comme il vous semblait. Cependant, Gwenledyr mérite d’avoir un beau mariage.
— Je sais, mère, soupira le jeune homme.
Eléanora se leva et lissa sa robe. Elle caressa la joue de son fils dans un geste d’une infinie tendresse qui lui serra le cœur.
— Je dois me mettre au travail. A plus tard, mon fils.
Uwen se leva et la serra dans ses bras. Elle se tendit, puis se laissa aller contre lui.
— Promets-moi de te reposer un peu après l’entretien, chuchota-t-il.
— Je te le promets.
A nouveau il sentit plus qu’il ne vit le sourire de sa mère. Puis elle quitta son atelier, laissant une fragrance de menthe et de tristesse dans son sillage. Pourquoi avait-elle fallu qu’elle évoque ses fiançailles ? A chaque fois qu’il y pensait, la panique l’envahissait. Lorsqu’il avait vu la jeune fille dans son cercueil de verre, son cœur s’était mis à battre avec passion. Elle était si magnifique et si vulnérable. C’était la première fois qu’il sentait une telle chaleur en regardant une femme ou un homme. Six mois plus tard, il cherchait à tout prix à retrouver cette sensation extraordinaire sans y parvenir. Qu’est-ce qui n’allait pas chez lui ?
Repoussant ces pensées, il se dirigea vers son établi pour se replonger dans ses recherches. Il allait refaire un schéma avec ses nouvelles idées et le montrerait aux dywengars, lors de la soirée de lancement de leur boutique.
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