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volume 1, Chapitre 1 « Partie 1 - Chapitre 1 » volume 1, Chapitre 1

Gwenledyr courait à perdre haleine, à travers les rues obscures de Blanchehaie.

Air vif et glacial sur sa peau.

Senteur d’humus et craquements sinistres.

Terreur qui charrie des glaçons dans ses membres.

Silhouettes obscures et menaçantes.

Un souffle rauque la poursuit. Elle se retourne, croise un regard vide, aucune pitié, aucune chaleur. Un cri de douleur animale. Elle court sans s’arrêter, le visage humide de larmes griffé par les branches basses. Ses pieds glissent sur le sol inégal et butent sur les racines épaisses. Mais elle continue, il faut qu’elle continue. Elle doit fuir, s’enfoncer dans la forêt, toujours plus profondément, s’éloigner des pas lourds du chasseur qui la traque.

Mais plus elle se précipite, plus il se rapproche. Ses muscles épuisés crient leur douleur, enflamment ses nerfs ; ses poumons sont en feu ; une brume s’envole de sa bouche en bouffées rageuses.

Elle étouffe, sa vision se brouille, le décor autour d’elle fond en un tourbillon de brun, de noir et de blanc qui se rue sur elle pour l’engloutir. Un souffle chaud effleure sa nuque. Elle hurle tout en se précipitant dans le néant.

Les gens qui la croisent à cette heure tardive se retournent pour lui lancer des invectives alors qu’elle manque les heurter, sa conscience entièrement tournée vers le passé qui venait de ressurgir d’une si violente façon.

Elle flotte dans une bulle de ténèbres. Une lumière s’épanouit autour d’elle : elle voit la forêt, la masure des dywengars et elle-même, allongée sur le sol, les yeux ouverts sur le vide. Sa belle-mère, magnifique et horrible, debout à ses côtés, la fixe dans un rictus de triomphe. Puis elle est debout face à sa tortionnaire, sa main tient une épée qui traverse sa poitrine. Le sang coule le long de la lame. Les yeux verts de la sorcière sont un gouffre de désespoir, sa silhouette se trouble et elle disparait en hurlant …

Gwenledyr serre sa cape contre elle, laissant une trace écarlate sur le tissu brun. Elle court, sans s’arrêter, sans réfléchir, grimpe les escaliers tortueux qui mènent à l’un des poternes du palais et s’arrête juste devant la porte verrouillée. Essoufflée, le cœur et la gorge serrés, elle pose sa main gauche sur la pierre moussue. L’autre, la droite, est fermée en un poing qu’elle n’ose plus ouvrir. Parce qu’elle verrait alors la trace indélébile de ce qu’elle avait fait.

Elle déverrouille la porte en bois, se glisse dans l’interstice et la referme. Elle reprend sa respiration et continue son chemin dans le parc du château de la baronne de Blanchehaie, à pas plus calmes.

Le visage furieux de Ceinwyn ne quittait pas son esprit. Elle était apparue, dans la forge, comme surgie de l’obscurité elle-même. Son visage aux traits altiers, sa chevelure dorée brillant d’une lueur évanescente sous la lumière des dernières braises du foyer, ses iris émeraude étincelants la rendaient plus belle qu’une fée ancienne. Pourtant, la haine qui faisait briller ses yeux d’un éclat malfaisant, le rictus sur ses lèvres rouges, soulignaient une laideur quasi insupportable.

Gwenledyr retint un sanglot. Le chemin qu’elle suivait traversait l’un des nombreux bosquets qui s’épanouissaient dans le magnifique parc du palais. Les hauts troncs sombres et noueux respiraient la sérénité ; les senteurs de l’herbe humide et des fleurs pénétrèrent ses poumons et calmèrent son esprit.

Elle déboucha sur la grande prairie. A sa droite, une allée de sable menait à l’entrée illuminée du palais de la baronne. A sa gauche, le parc se perdait dans l’ombre. Le laboratoire d’Uwen se trouvait en face d’elle. Elle discernait une ombre qui s’y mouvait à travers les fenêtres. Comme à son habitude, le fils de la baronne travaillait tard. Il s’oubliait régulièrement dans ses recherches et ses réflexions.

Le regret traversa son cœur en un éclair douloureux : elle devrait trouver en Uwen la personne à qui confier ce qu’elle venait de vivre. Pourtant, elle n’espérait pas trouver auprès de lui la compréhension qu’elle attendait. Ils étaient fiancés, depuis six mois, depuis qu’il l’avait secouru et réveillé de son sommeil enchanté. Mais la passion qu’elle avait cru deviner dans ses yeux bruns s’était lentement éteinte ; l’amour qu’elle avait cru ressentir pour lui était devenu de la souffrance.

Elle resta à l’abri des arbres qui longeaient le mur d’enceinte de ce côté-ci et continua sa route. Sa main effleurait l’écorce rêche et elle sentait une énergie revigorante pénétrer sa peau et ses nerfs. Le murmure des arbres l’entourait et la berçait, évacuant sa terreur et sa culpabilité. Lorsqu’elle rejoignit un bosquet de chênes boréals, aux troncs épais et aux faites élevés, elle se glissa dans l’espace étroit, chaud et protecteur entre eux et se laissa tomber sur le sol recouvert d’une douce pelouse, au cœur de leur entrelacement de racines. Elle s’emmitoufla dans sa cape, et ferma les yeux.

Depuis toujours, elle avait vécu dans la forêt de Sylvemestre. Sa mère l’y emmenait tous les jours. Elle lui racontait les légendes de la grande sylve, des fées, des dryades et des autres habitants féériques ; elle lui montrait les plantes et les animaux ; elle lui expliquait les formes multiples que prenait la nature. Quand elle fut un peu plus grande, elle lui enseigna la fabrication de baumes, d’onguents et d’élixirs dont elle avait le secret. Elle avait toujours cru que sa mère parlait aux arbres, aux plantes et aux animaux, et qu’ils lui répondaient.

Penser à sa mère raviva sa douleur. Elle se recroquevilla et ouvrit sa main droite, celle qui avait soulevé l’épée, celle qui avait porté le coup fatal. Ceinwyn, sa belle-mère, l’avait torturée, poursuivie de sa haine pendant toute son adolescence, la précipitant dans une non-vie de cinq années. Cependant, la profonde souffrance, le désespoir et cette étincelle de reconnaissance qu’elle avait lus dans les yeux de la sorcière, au moment où elle avait enfoncé la lame dans sa poitrine, resteraient à jamais gravés dans sa mémoire.

— Je suis un assassin, souffla-t-elle.

Tu t’es défendue, lui répondirent les milliers de feuilles des chênes au-dessus d’elle.

Leur énergie l’entourait, remontait dans ses muscles ; ils chantaient une douce mélodie immémoriale qui fit disparaitre ses tourments. Les racines se resserrèrent autour d’elle, formant un cocon protecteur, dans lequel elle se laissa aller. Peut-être ne ferait-elle pas de cauchemars cette nuit.


Texte publié par Feydra, 12 mai 2024 à 00h58
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