L’homme, mu par sa curiosité, était parti à la découverte de ce qu’il savait être, sans pouvoir l’expliquer, un château médiéval.
Où qu’il aille, il croisait de pauvres hères vivants des chambres désœuvrées, semblables à celle où il avait passé les premiers temps. Il ne s’expliquait pas le dénuement matériel de ces gens. Pourquoi paraissaient-ils si dépressifs, si mélancoliques, alors que lui-même n’en souffrait pas. N’y prenant pas garde, il partit dans une région encore inexplorée du château. Et alors qu’il errait sans but apparent, il se retrouva brutalement dans une salle immense, où des poutres entremêlées soutenaient une voûte sans fin. Là il lui sembla apercevoir des créatures qui ressemblaient à celles qui l’avaient recueilli. Seulement celles-ci avaient quelque chose d’immatériel, à moins que ce ne soit sa propre substance qui lui donne cette impression. Il n’essaya pas de les aborder et se concentra plutôt sur la pièce nouvellement découverte. De là où il était, il ne pouvait voir le sommet de la voûte, masquée qu’elle était par l’entrelacs des poutres monumentales, semblant se perdre à l’infini. Et bien qu’il n’y ait aucune source visible de lumière, la clarté qui régnait dans la salle tranchait singulièrement avec l’obscure clarté des refuges.
Pour en être impressionnant, les escaliers cyclopéens l’étaient encore plus. A l’image des poutres de soutènement, ceux-ci formaient un labyrinthe entremêlé. Cela était non sans rappelé les gravures d’Escher ou certaines géométries à hautes dimensions, où l’on passe d’un plan à l’autre, sans jamais avoir quitté le premier, à l’instar d’un ruban de Möbius. L’homme n’osait pas s’engager, trop impressionné qu’il était par ma monumentale et monstrueuse géométrie du lieu. Étrangement, il lui semblait percevoir une superposition d’images comme si certains escaliers se dédoublaient, disparaissaient ou se stabilisaient, traçant une voie nouvelle vers un autre domaine inconnu du château.
A côté de lui, des créatures allaient et venaient sans pour autant le remarquer. Il essaya d’en interpeller une, mais sa main ne rencontra que le vide, comme si lui ou l’être était intangible. Laissant alors ses interrogations de côté, il prit résolument l’un des escaliers et en commença l’ascension. L’homme ne sut pas combien de temps il passa, ni dans quelle direction il alla, mais désormais il se trouvait sur une plateforme cachée dans les méandres de la voûte. Ne se retournant pas, il avança doucement en direction d’une masse sombre qu’il apercevait au loin. S’approchant avec précaution, il distingua tout d’abord ce qui ressemblait à un nid, mis à part des proportions hors-normes. Dedans se dressaient des œufs de la taille d’un ballon de rugby, d’un blanc crème tirant légèrement vers le jaune. Alors qu’il tendait la main vers l’objet de sa convoitise, la masse sombre, encore tapie dans l’ombre, s’ébroua. L’homme se retira alors en douceur reculant vers un coin à couvert de la corniche. La créature s’avança vers ce qui devait être son nid et se dévoila sous la lumière blafarde qui filtrait des hauteurs. L’oiseau, car c’en était indubitablement un, ressemblait à un hybride humanoïde-aviaire. Il avait la hauteur et les proportions d’un humain de grande taille, dont le corps et les membres étaient entièrement recouverts de plume. On devinait à l’extrémité des membres des mains et des pieds vestigiaux, dont les doigts auraient fusionné entre eux. Le port de la créature lui-même rappelait celui d’un être humain, avec sa taille redressée et sa tête dans le prolongement de la colonne vertébrale. Le plus fascinant était dans traits de cette créature mi-humaine, mi-oiseau. Elle apparaissait pareil à celle d’un aigle mais doté d’un bec légèrement disproportionné et pourvu de dents acérées. Il avait des yeux luisants, profondément enfoncés dans les orbites. Mais sans doute était-elle aveugle, car la créature se mouvait pesamment, comme entravée dans sa progression.
L’homme, tapi dans le clair-obscur, était fasciné par le ballet de ces créatures, la première ayant été rejointe par trois autres de ses semblables. L’homme les vit alors caqueter sans qu’aucun son ne lui parvienne. Ne sachant que penser, il resta prostré dans sa cache le temps que le conciliabule silencieux prenne fin et que les protagonistes se dispersent. Une fois qu’elles se furent suffisamment éloignées, il jaillit de l’ombre protectrice et courut s’emparer de l’un des œufs dans le nid. Il avait agi ainsi sous le coup d’une nécessité qui n’avait rien à voir avec la faim, mais plutôt une injonction invisible comme si il savait que la clé de cette énigme résidait dans ces étranges œufs.
Une fois l’œuf volé, l’homme s’était réfugié de nouveau dans ce recoin sombre de la corniche, qui lui tenait de refuge. Ne se posant aucune question, il commença à dévorer à pleine dent l’objet de son délit. Il n’aurait su dire si ce qu’il mangeait avait du goût, une texture ou une consistance particulière, non, il mangeait et c’est tout ce qui comptait à ses yeux. Une fois qu’il l’eut englouti, il redescendit en silence les escaliers et se retrouva très rapidement dans la salle monumentale. De nouveau, il y croisa des lézards, ou du moins des êtres qui y ressemblaient, et en interpella un. L’intéressé se retourna et lui demanda d’une voix lasse et traînante :
– Oui, que puis je pour vous ?
L’homme était incapable de savoir si la créature avait parlé à voix haute ou dans sa tête. N’étant nullement troublé, il lui expliqua alors d’où il venait et lui fit part de sa rencontre avec les oiseaux.
Un voile de terreur passa sur les yeux de l’être et il lui répondit d’une voix blanche :
– Vous avez rencontré les gardiens !
– Que voulez-vous dire ? rétorqua l’homme.
Mais la créature ne voulait visiblement plus parlé et s’en alla d’un pas traînant. L’homme n’insista pas, se contentant d’observer les allers et venus incessants de ces étranges reptiles. Régulièrement, il faisait des incursions dans les nids, volant un ou plusieurs œufs qu’ils dévoraient systématiquement sur place, et retournait à ses observations de la population laborieuse.
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