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tome 1, Chapitre 1 tome 1, Chapitre 1

An 1686. Bristol, Angleterre.

Alors qu'une scène insolite se déroulait sous les yeux des fidèles, aucun ne fut étonné. Il fallait dire qu'ils s'étaient habitués à voir le fils de Maggie Drummond courir entre les allées de l’église avant et après chaque messe. Le prêtre n'était pas plus embêté ; au contraire, il appréciait l'aide qu'apportait le loisir plus que curieux de ce petit garçon.

Ce jour-là, une heure avant la messe, Edward Drummond s'était présenté en compagnie de sa mère devant les portes à double battant de l'édifice religieux. Une fois, celles-ci ouvertes, il se précipita à l'intérieur du bâtiment sans attendre une quelconque invitation. Il était pressé de relever ses pièges à souris.

Et pas de simples et classiques pièges à souris ! Certainement pas ! Ces pièges là, il les avait inventé lui-même et construit grâce à des matériaux qu'il récupérait ça et là. Quelques instant plus tard, il repassa devant Maggie engagée dans une discussion avec le père Benjamin, une paire de souris dans chaque mains, qu'il balançait en les tenant par la queue. Il sortit de l'église pour jeter les cadavres sur un tas de détritus un peu plus loin dans la rue.

Puis, il retourna dans l'église avec quelques bouts de bois et des clous dont Maggie ignorait la provenance. Elle savait mieux que quiconque qu'il était inutile d'arrêter son fils. Sil ne le faisait pas dans l'église, il le ferait ailleurs comme dans le port ; un lieu beaucoup plus dangereux pour un simple garçon de six ans.

Mais contrairement aux autres enfants de son âge, Edward était très malin. Il était beaucoup plus intelligents qu'eux, trop intelligent même.

Cela faisait un an environ qu'il fuyait souvent la maison, rendant Maggie folle d'inquiétude. La première fois, elle l'avait retrouvée chez le père Benjamin dans sa petite maison derrière l’église. Une autre fois, alors qu'il l'accompagnait au marché, il avait finit par échapper à sa vigilance. Au bord des larmes, elle le retrouva près des quais, assis sur une caisse en bois, en face d'un marin qui lui avait montré comment construire des pièges à souris.

Depuis, Edward semblait en avoir fait une passion. Il appliquait ce qu'il avait apprit et avait même amélioré le concept, rendant ses créations presque artistiques.

Le prêtre s'était habitué à accueillir le garçon chez lui ou dans l’église. Et malgré son apparente excitation, il lui arrivait de se calmer. Il s'asseyait sur un banc, et écoutait le père lui lire des passages de la bible.

-J'aimerais bien apprendre à lire, lui avait dit Edward un jour.

Le prêtre n'avait pas su quoi lui répondre. Étant issu d'une famille pauvre, il n'aurait sans doute pas l'occasion d'apprendre ni la lecture ni d'autre disciplines qui étaient souvent destinés aux enfants de familles plus fortunés.

Il allait probablement se mettre à chercher un travail très jeune, afin de subvenir aux besoins de sa famille.

Pour l'instant, il n'y avait que Maggie qui apportait de l'argent à la maison. Elle avait été engagée pour faire le ménage dans l'église, ainsi qu'au presbytère. De temps en temps, elle s'occupait aussi de nettoyer le bureau d'un comptable qui avait bien voulu l'engager en tant que femme de ménage. Edward pendant ce temps, imaginait de nouvelles façons pour construire les pièges les plus originaux qui puisse exister.

Même si son activité pouvait s'avérer pratique, Maggie espérait que son fils s’intéresse finalement à autre chose qu'à la chasse aux rongeurs.

Et son vœux fut exhaussé lorsqu'un jour il le vit aux coté d'une fillette blonde vêtue d'une belle robe rose fleurie. Cette dernière était sans aucun doute la fille d'une famille bien plus riche que la leur. Mais ce qui détonnait était le petit arc que tenait la fille.

C'était d'ailleurs sans-doute cet objet qui avait attiré Edward. Il avait fini par momentanément abandonner la chasse aux souris pour celle aux pigeons. Car cette petite fille portait un véritable carquois remplis de vraies flèches.

Maggie se demandait quels parents irresponsables cette fille pouvait avoir. Pourtant, elle la revit, près de l'église avec Edward en train de tirer sur des pigeons avec un arc qu'il avait construit lui-même, bien entendu.

Maggie était désespérée.

Mais au moins, il s'était fait une amie.

Elle s'appelait Elisabeth et avait huit ans. Elle était la fille d'un couple de riches propriétaires qui fréquentaient cette paroisse. Elisabeth jouait avec Edward dans la cour de l'église lorsque ses parents y étaient. Mais durant les messes, son arc disparaissait, et elle se transformait en la demoiselle la plus correcte qui soit. Ses cheveux étaient aussi blonds et brillants que ceux d'Edward qui étaient d'un noir de jais, et sa peau aussi claire que celle du garçon qui était mate. Ils étaient extrêmement différents, mais partageaient la même curiosité, et une forme de sauvagerie semblable.

La mère d'Elisabeth voyait leur amitié d'un très mauvais œil.

-Combien de fois, vais-je encore devoir te dire de ne pas t'approcher de ce rat ? avait-elle grondé sa fille, en la tirant par le bras, alors qu'elle sortait de confession.

Elisabeth, traînée par sa mère jeta un coup d’œil désolé vers son ami, avant de disparaître à l'angle d'une rue.

Ils étaient tous les deux emprisonnés dans un rôle qu'ils n'avaient pas choisi. Ils étaient de deux mondes différents, et cela déterminerait leur futur.

-J'aurais voulu être un garçon, avait un jour avoué la fillette.

Ils étaient tous les deux assis sur les marches de l'église, alors que leurs parents discutaient un peu plus loin, dans leurs cercles respectifs. Ceux d'Elisabeth avec d'autres personnes fortunées, et la mère d'Edward avec d'autres femmes de familles modestes.

-Pourquoi ? avait alors demandé Edward, étonné.

Elisabeth haussa les épaules, avant de répondre.

-Pour être libre. Et pour ne pas avoir à porter ses horribles robes !

Edward jeta un coup d’œil à ses vêtements sales et rafistolés par endroit. Il n'avait pas le loisir de choisir ce qu'il portait. Sa mère peinait à lui acheter des habits à sa taille. La plupart du temps, il s'agissait de vieilles frusques cousues ensemble.

-Je les trouve très jolies, moi, tes robes, lui assura sincèrement le garçon.

La jeune fille soupira.

-J'aimerais partir d'ici, dit-elle ensuite. Je veux vivre une aventure, comme les hommes.

-Moi aussi je voudrais partir d'ici, lui dit alors Edward. Je veux allez loin et gagner plein d'argent.

-Ed, annonça Elisabeth, je suis sûre qu'une fois qu'on sera grands, tu auras plus de chance de pouvoir quitter cet endroit que moi.

-Si jamais j'y arrive, je t'emmènerai avec moi, promit-il alors.

-Ouais, ça m'étonnerait, grommela-t-elle.

-Eli, je t'assure que si ! insista-t-il.

-On verra, dit-elle en se relevant et en essuyant la poussière sur sa robe.

Elle le laissa là, et partit rejoindre ses parents.

Elisabeth et Edward se rencontraient au moins une fois toutes les semaines sur la place de l'église. Le garçon avait finit par montrer les pièges qu'il construisait à son amie. Elle semblait impressionnée.

-Qu'est-ce que j'aimerais savoir faire ça ! l'avait entendu Maggie s'exclamer, alors qu'elle terminait tout juste le ménage.

Cette dernière leva les yeux aux ciel.

-C'est vrai ? Tu les trouves bien ? avait demandé le garçon.

-Bien sûr que oui ! En tout cas ça a l'air plus intéressant à faire que les leçons que je suis obligée de suivre tous les jours, marmonna la petite fille.

-Tu as des leçons de quoi ? l'interrogea Edward.

-Ben de Mathématique, d'écriture, de musique, d'histoire et de géographie, énuméra-t-elle.

Le garçon la regarda bouche bée.

-Mais, tu en as de la chance !

-Ah bon ? fit Elisabeth étonnée.

-Je rêve d'apprendre à lire ! lui révéla-t-il.

Le cœur de Maggie s'était serré au moment où elle avait entendu son fils avouer cela à la fillette. Elle aurait aimer elle aussi qu'il puisse apprendre à lire.

Elle pourrait même lui apprendre elle-même, mais c'était impossible. À la maison, lorsque Philip était présent, il en était hors de question. Le reste du temps, Maggie le passait à travailler, et ne pourrait jamais trouver de temps pour cela. De toute façon, son mari l'apprendrait, et cela constituerait une nouvelle excuse pour s'en prendre à elle. Ce rustre considérait qu'apprendre à Edward à lire et écrire était une perte de temps, quelque chose qui ne servait à rien.

Pour l'instant, elle ne pouvait rien faire de cet ordre pour son enfant. Mais son rêve à elle, était de tout faire pour pouvoir, un jour, lui offrir la meilleure vie possible.

Alors que l'été approchait et que les jours s'allongeaient, Edward passait plus de temps dehors, toujours près des lieux où travaillait Maggie, afin qu'elle puisse un minimum avoir ce garnement à l’œil. Un matin alors qu'elle nettoyait le bureau de Monsieur Evans, elle entendit Edward monter l'escalier grinçant de la maison. Quelques instants plus tard, il pénétra silencieusement dans la pièce, et se dirigea vers la bibliothèque personnelle du comptable. Il resta debout et immobile devant l'immense étagère remplie de livres, fixant ces derniers comme s'il avait devant lui le plus inestimable et inaccessible des trésors.

Edward tendit lentement une de ses mains vers l'un des volumes. Il voulait juste voir d'un peu plus près. Regarder les lignes qui formaient des signes dont la signification lui était inconnue.

-Edward, non ! l'arrêta sa mère. Ce n'est pas à nous. N'y touche pas.

Le garçon s'immobilisa, et laissa tomber sa main levée. Le regard de sa mère était sévère et dur. Lui, était déçu. Pourquoi ne pouvait-il simplement pas regarder ?

Sa mère reprit son travail, balayant le sol, puis le lavant, avant de jeter un seau d'eau grise dans la rue, par la fenêtre ouverte.

Le soir-même Maggie prépara rapidement un dîner, avec un reste de viande qu'elle fit bouillir. Philip n'était pas encore rentré de sa tournée de beuverie. Elle aurait donc un petit moment de répits. Elle en profita pour recoudre une de ses tuniques rapiécée. Edward, assis sur un petit tabouret à trois pieds dans un coin l'observait.

-Si je ne peux pas apprendre à lire, est-ce que tu pourrais m'apprendre à coudre, alors ? lui demanda-t-il de but en blanc.

Sans lever les yeux de son travail, Maggie, étonnée, lui répondit par une autre question.

-Pourquoi voudrais-tu apprendre à coudre ?

-Les marins savent coudre, annonça alors le garçon.

-Ah bon ? Comment tu le sais ? le questionna sa mère.

-Je les vois coudre des voiles quand je me balade sur les quais.

Maggie laissa échapper un petit rire. Elle ne s'attendait absolument pas à ça.

-Ed, je ne sais pas si je saurais coudre une voile moi-même.

-Mais tu es en train de coudre un habit de papa ; ça ne doit pas être si différent, répliqua-t-il

-Je n'en suis pas si sûre. Après-tout, je ne suis pas marin. Pourquoi ? Est-ce que tu voudrais devenir marin ? l'interrogea-t-elle.

Edward ne lui donna pas immédiatement de réponse. Un moment passa, avant qu'il ne finisse par souffler :

-Peut-être.

Une heure plus tard, Philip était rentré. Maggie avait remise le chaudron de viande bouillie sur le feu pour réchauffer la nourriture. Edward prépara la table ; trois petits bols et des cuillères en bois, ainsi qu'un grand verre pour son père. Il s'agissait du seul verre qu'ils n'avaient pas vendus. Maggie et Edward buvaient et mangeaient dans le même bol.

Comme d'habitude, Philip fit des commentaires méprisant sur la nourriture. Il trouvait toujours quelque chose à dire pour justifier sa perpétuelle mauvaise humeur. Il voulait pousser Maggie à bout. Mais à chaque fois, elle se contentait d'acquiescer, et de s'excuser. Il ne fallait surtout pas le contre-dire ou l'offenser. C'était dangereux.

Sauf que ce soir-là, elle perdit le contrôle. Et une simple remarque réveilla le monstre.

-C'est tout ce que je peux cuisiner avec le peu d'argent que je gagne, le défia-t-elle.

Edward leva les yeux de son bol. Et s'écarta légèrement de la table. Il savait quel orage allait éclater.

Philip reprit une bouchée de viande bouillie, et mâcha bruyamment. Avant de reposer sa cuillère. Il recula ensuite sa chaise, la faisant grincer sur le sol de vieux bois. Il se leva et empoigna la table au bout.

Edward sentit son cœur battre à un rythme affolant. Il savait ce qui était sur le point de se passer. Et il avait peur. Il était terrifié. Pétrifié, il vit son père renverser la table, et ce qu'elle contenait sur sa mère, en hurlant.

Maggie fut assommée, mais cela ne stoppa pas le démon. Il balança à nouveau la table, pour la dégager de son passage et s'approcha de la pauvre la femme, soulevant sa tête en la tirant par les cheveux.

-Regarde ce que tu as fait, aboya-t-il. Tu vas bouger et nettoyer ça !

Le corps de Maggie pendait mollement au bout de son bras. Il la secouait comme si elle ne représentait rien. Et comme elle ne réagissait pas. Il la balança, toujours en la tenant par les cheveux, à un bout de la pièce.

Philip grogna inintelligiblement, avant de sortir de la maison. Edward avait été ignoré tout du long. Il était resté là où il était, recroquevillé, et tremblant. Il n'osait pas faire le moindre mouvement. Pourtant, il avait une opportunité. Son père était sorti, sans qu'il ne sache pourquoi. Il pouvait en profiter. Il devait bouger. Il n'avait pas le choix ; qu'importe la terreur, il devait forcer son corps à coopérer ; il ne pouvait pas rester là indéfiniment.

Au bout de ce qui lui parut être une éternité, il parvint enfin à faire un pas en avant. Tous ses sens aux aguets. Il jeta un coup d’œil vers la porte ne craignant qu'elle ne s'ouvre sur Philip venant achever son œuvre destructrice. Mais elle restait close.

Finalement, Edward inspira un grand coup avant de se précipiter vers sa mère toujours inconsciente.

-Maman ! s'écria-t-il en la secouant.

Elle ne réagit pas, et le garçon se mit à sangloter, ses larmes coulant à grands flots.

-Maman, réveille-toi, la supplia-t-il. S'il te plaît !

Mais Maggie restait là, les yeux clos. Inanimée.

-S'il te plaît ! gémit-il.

Le garçon pleura sur le corps de sa mère. Il était perdu, il avait peur, il était triste et en colère.

Mais enfin, Maggie remua légèrement, avant de se redresser lentement et de se mettre en position assise.

Edward, soulagé, se jeta dans ses bras. Elle lui rendit son étreinte en le serrant fort elle aussi.

Une fois sur pied, et légèrement chancelante, elle prit son fils par le bras et sortit de la maison. Philip n'était visible nul part, et tant mieux. Ils devaient partir. Aller loin, avant qu'il ne revienne.

Il faisait déjà sombre dans les rues de Bristol, et on ne voyait plus grand chose. Des torches avaient été allumées, mais cela ne suffisait pas pour éclairer tous les recoins de la ville. Maggie pouvait en profiter pour passer inaperçue. Elle savait que son visage tuméfié risquait d'attirer l'attention. Elle sentait les différentes blessures que lui avait infligé Philip en renversant cette table en bois sur elle. Heureusement, les rues qu'elle et Edward parcouraient étaient quasiment désertes, et ils pouvaient donc traverser le quartier sans trop se faire remarquer.

Un quart d'heure plus tard, elle toqua à la porte de l'église. Le père Benjamin, lui ouvrit. Il ouvrit de grands yeux en l'apercevant.

-Seigneur ! Maggie que vous est-il arrivé ?

Elle ne répondit pas, mais simplement le supplia.

-Je vous en prie, père, aidez-nous !


Texte publié par Daisy Lin T, 12 mai 2024 à 19h20
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