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tome 1, Chapitre 3 « La Danse du Temps » tome 1, Chapitre 3

Chapitre 3

La Danse du Temps

Tenter de déchiffrer le message de Vee en descendant les escaliers glissants quatre à quatre n'était pas une bonne idée. À peine T'Lea eut le temps de lire les premiers mots inscrits sur le petit écran que ses appuis se dérobèrent sous son poids et elle se retrouva sans trop savoir comment sous une pile de dossiers virevoltant dans l'air, les yeux rivés sur le plafond du hall d'entrée aveuglant de la lumière du jour qui y pénétrait, sa tête endolorie solidement vissée au sol de verre froid par le choc. Ses oreilles bourdonnaient dans un entremêlât des bruits des installations de traitement de déchets voisines et des jurons du pauvre Copiste de la Battax qui avaient eu le malheur de se trouver là. L'hôtesse d'accueil, une grande femme filiforme à la peau mat et aux cheveux rasés, écarta solennellement les grands pans de sa cape d’apparat bleu azur, parsemée de fils d'argent qui brillaient sous le soleil baignant le grand hall vitré, afin de disperser les badauds qui s'agglutinait maintenant autour de la jeune femme au catogan immobile au sol. T'Lea réussit difficilement à s’asseoir et à bredouiller une excuse au Copiste qui repartait déjà en maugréant avec sa pile de dossiers en désordre sous le bras. Soltia, l'hôtesse d'accueil et responsable de la sécurité du Siège, frappa le sol de sa longue lance électrostatique qui se mit à crépiter, hérissée de petits éclairs mauves à son sommet sphérique. Le coup contre le sol eut l'air d'ébranler l'édifice tout entier dans un grondement sourd qui fit presque taire le vacarme de la petite armée au travail dans les couloirs adjacents. Les derniers malpolis qui contemplaient T'Lea au sol en murmurant se dispersèrent en râlant à propos de l'autoritarisme exacerbé de Soltia, dans l'écho des claquements de leurs souliers réglementaires sur les dalles de verre.

- Redresse-toi doucement, dit cette dernière sur un ton qui rappelait celui de Vee. Tu ne t'es pas loupée sur ce coup.

Sa voix grave et un peu sèche fit réaliser à T'Lea en reprenant ses esprits que Soltia fusillait toujours du regard les colporteurs de ragots à l'autre bout du hall, qui continuaient leurs messe-basses en observant les deux femmes au pied du grand escalier par dessus leur épaule. Soltia tendit une main fine et délicate à T'Lea pour l'aider. En levant le regard vers elle, T'Lea aperçut la silhouette de Kulo au sommet de l'escalier, observant la scène depuis son trône cybernétique. Dans un mouvement vif, son saint fauteuil fit demi-tour sur lui-même et il regagna son bureau sans un mot, sans une expression. La porte claqua à nouveau.

- Vous vous êtes encore pris le bec à cause de ton frère, c'est ça ? demanda la voix posée de Soltia qui avait repéré l'échange de regards froids entre le Chef et sa subordonnée.

- Disons ça, grinça T'Lea en saisissant la main aussi ferme que douce de l'Hôte du Siège. Merci, souffla-t-elle avec un sourire attendrissant et plein de gratitude avant de repartir de plus belle vers la sortie.

Soltia eut un sourire réprobateur en secouant la tête. Elle émit un léger bruit de bouche condescendant en mitraillant du regard les commères disséminées aux quatre coin des couloirs adjacent. Elle frappa de nouveau son arme au sol et regagna son poste dans un élan altier.

T'Lea croisa alors son équipe de mécaniciens en proie avec une nouvelle fuite sur le système de refroidissement, la sueur perlant sur leur front crasseux. Sköhl hurlait sur un petit nouveau aux courts cheveux blonds en brosse qui, aux yeux du vieux roublard, auraient mieux fait de laisser ses mains dans ses poches au lieu de toucher à tout.

- Tu t'en vas déjà ? cria Gelsa à T'Lea par dessus le barouf de la dispute entre ses deux collègues, interloquée de voir sa si studieuse collègue quitter une journée de travail en plein milieu.

- J'suis en congé, comme Gwenan ! cria à son tour T'Lea en continuant sa course, sans se retourner.

Gelsa fronça les sourcils. Sköhl et Bryll avait arrêter leur dispute puérile en plein vol devant cette scène insensée de l'employée modèle qui quitte le navire sans aucune raison. Le même souci qui grignotait le visage de Gelsa gagna leur front. Cette dernière leva la tête vers les fenêtres du bureau de Kulo, une moue de colère infantile et défiante prit place sur son visage.

- Qu'est-ce que t'as encore fichu, espèce de gros bourrin... lâcha-t-elle entre ses dents.

Quand T'Lea pu enfin s’asseoir dans la rame de la navette qui quittait la magnégare du quartier des ELUD, elle prit quelques secondes pour s'essuyer le visage et reprendre son souffle, rendu court par sa course effrénée dans les allées du quartier industriel afin d'attraper la première navette disponible.

« Transpondeur Petit Prince H.S. ». 10.85 UIT

« Dernière localisation transférée. » 10.86 UIT

« Transpondeur Petit Prince ré-apparu » 10.89 UIT

« Même exacte position. » 10.89 UIT

Elle colla sa tête contre la paroi de verre froide. Les messages de Vee n'avaient aucun sens. Comment le transpondeur de son frère pouvait-il disparaître et réapparaître ? Les messages continuaient.

« Transpondeur de nouveau perdu. » 11.01 UIT

« Transpondeur retrouvé. Toujours même position. Aucune idée de ce qu'il fiche. » 11.02 UIT

« Encore. » 11.02 UIT

« Encore. Durée de disparition du signal : 12 sec.Int. Cela ne me dit rien qui vaille. » 11.06 UIT

L’alarme stridente annonçant l'arrivée prochaine en magnégare 3B-M la fit sursauter dans un petit cri aigu. La dame assise en face d'elle lui jeta un regard hautain par dessus l'hologramme que diffusait son collier de lecture.

- Tu te fous de moi... souffla T'Lea en relisant les informations envoyées par Vee. Je te préviens microbe, là, maintenant, tout de suite, j'ai pas la patience pour tes âneries …

La jeune femme vérifia discrètement les coordonnées envoyées par Vee concernant le transpondeur de son frère. L'hologramme bleuté n’apparut qu’une demi-seconde, mais elle eut le temps de constater le principal. C'était à l'opposé de la Cité. Magnifique. Elle profita des quelques arrêts avant sa destination pour à nouveau se perdre dans les méandres de son esprit. La batterie d'un transpondeur pouvait lâcher. Mais Gwenan n'étant normalement pas au courant de la présence du bidule sur lui, peu de chance que ce soit ça. Un faux contact, peu probable. Vee n'aurais pas alerté la vigilance de la grande sœur juste pour quelques interférences. Et quant à être privé momentanément du signal, pourquoi pas, mais dans ce cas Gwenan aurait dû se déplacer soit très vite, soit très profond sous le sol et ce n'était pas le cas , visiblement.

« Je sais que tu as lu. Une idée ? »

T'Lea reposa son poignet le long de sa cuisse et son regard se perdit à nouveau sur les hauts immeubles de l'hyper-centre devenus déjà ridiculement petits alors qu'ils s'éloignaient encore à toute vitesse, avant que la sonnerie stridente précédant l'ouverture des portes ne retentisse à nouveau. 7B-M. Plus qu'un arrêt.

« J'imagine que ça ne c'est pas passé comme prévu avec Kulo. »

Impossible que Gwenan ait trouvé le transpondeur. Vee et T'lea s'était assurées qu'il soit caché au dernier endroit où le jeune effronté suspecterait la présence d'un mouchard.

« Je me demande parfois lequel de vous deux à la tête la plus dure. »

Imaginant sans aucun problème le ton sarcastique de Vee, les bras croisés et son air maternel contrarié habituel, T'Lea soupira en se levant. Les petits écrans défilant un peu partout dans la rame affichèrent à l'unisson « 8B-M ». Le décor lumineux et immaculé hyper-urbain du Centre de la Cité avait laissé place aux quartiers Périphériques et leur décrépitude générale. Les sons doux et scintillants du mobilier urbain qui sublimait la douceur des courbes et des galbes de l’architecture moderne du Centre étaient remplacés par le grondement constant mais à peine perceptible des vents magnétiques contre le bouclier de la ville qui n'était plus si loin maintenant, les remparts de la Cité étant presque à portée de vue de leur quartier. Les gens se hélaient là où les conversations feutrées se tenaient, les éclats de rire gras et les effluves d'alcool de Ha'Gii faisaient détourner le regard des passants là où les boutiques de luxe aux étals bondés attirait la gourmandise d'enfants gâtés qui finissaient par tout obtenir de leurs parents crayeux sous couvert d'un bon caprice. Décidément, l’abîme entre les différents Cercles de la Cité continuait de se creuser, et ce n'était définitivement plus un phénomène imperceptible. Il fallait être soit idiot soit fou pour nier l'océan d'inégalités qui se déversait insidieusement ces dernières décennies entre les couches de la société Hallfii.

T'Lea descendit au pas de course du transport flottant et ne ralentit pas sa foulée avant d'atteindre la porte d'entrée de leur maison. L'ouverture piquetée de rouille s'ouvrit doucement dans une série de petits bruits pneumatiques et de cliquetis cristallins, laissant la jeune femme s'engouffrer en trombe dans l'entrée où elle se débarrassa sans soin et non sans un certain soulagement de sa longue tunique blanche et zébrée de bleu azur. L'étoffe lourde n'avait pas touché le sol que l'essaim de pixels bleus brillants qui s'excitait dans la pièce à vivre la seconde d'avant se jeta sut T'Lea dans un tourbillon chaotique et l'entraîna près de son bureau. Sa tenue préférée pour arpenter les ruelles escarpées des Périphéries l'y attendait, strictement pliée. Vee se matérialisa contre le mur de la cuisine, dans le fond plus sombre de la pièce. Elle avait les bras croisés contra sa poitrine et fixait le plafond au-dessus d'elle.

- Tu aurais pu répondre, grogna-t-elle.

- Pour te dire quoi, concrètement ? railla T'Lea en quittant la combinaison de travail arborant le sigle étoilé de la Kulo Brattax.

Vee pencha la tête sur le côté et les fenêtres s'opacifièrent tant qu'il fut pratiquement impossible de distinguer quoique ce soit à l'intérieur de la pièce. T'Lea se retrouva quasiment nue dans le noir alors que dans la rue se mirent à résonner les rires gras de quelques ivrognes qui remontaient l'allée devant la maison. T'Lea chercha à tâtons sa tenue sans succès. En butant contre son bureau, la douleur au pied la fit se surprendre à lâcher un chapelet de jurons qui aurait fait pâlir son frère de respect. L'écho des rires gras éloigné, les fenêtres s'éclaircirent à nouveau.

- De rien, dit Vee sans abandonner son grognement latent.

- Ben oui, merci, j'y voyais plus rien ! siffla T'Lea.

Vee abandonna sa posture défensive, fit mine de prendre une grande inspiration et se pinça le haut du nez en fermant les yeux.

- Depuis la dernière perte de localisation, il s'est dirigé vers le taudis habituel qui lui sert de planque et il n'a pas bougé. Ça s'est donc si mal passé que ça ?

- Tu te moques de moi ? se vexa T'Lea en mettant les poings sur les hanches. Tu écoutais tout, viens pas me dire le contraire, souffla-t-elle en tapotant sur leur bracelet de communication.

- Non mais ça d'accord, je veux dire, tu ne voulais pas que Kulo implémente plus d'Anima dans le Système de Gestion, au moins c'est fait, non ?

- Tu parles, il aura pas de mal à faire ce qu'il veut de mes travaux, peut importe ce sur quoi je suis entrain de plancher il trouvera le moyen de se faire du pognon ou de l'influence avec. Il est hors de question que je le laisse mettre la main sur quoique ce soit qui te ressemble, de prêt ou de loin. Imagine le carnage. En attendant, j'ai un mioche dont les fesses ont l'air de vouloir d'être bottées dans les règles de l'art.

La jeune femme finit d'ajuster sa tenue Dongii préférée en serrant les petites lanières de tissus qui en bordait le torse. Son catogan se décrocha, libérant la rivière de cheveux noirs de jais aux reflets bleus qui se déversa avec douceur et élégance sur ces épaules. Quand elle abandonnait son air studieux un peu forcé, sa maturité naturelle et sa beauté sauvage aurait eût de quoi faire rougir de jalousie plus d'une de ces courtisanes coincées de la haute société de Greyhall. Ainsi vêtue de tissus sombres, sa silhouette fine et ses formes mises en avant par l'ajustement parfait de la tenue moulant avec pudeur son corps, elle jeta son sac à dos rapiécé sur une de ses épaules et regarda une dernière fois l'écran de son bracelet.

- On dirait que tu vas chasser... Je ne sais quoi.

- C'est un peu l'idée, répondit T'Lea cyniquement. Ferme les portes à double tour et n'ouvre à personne d'autre, compris ? intima-t-elle sans un regard pour la pauvre Vee dont la bouche s'était entrouverte d'indignation.

T'Lea jeta un coup d’œil rapide à son reflet dans le miroir de l'entrée. Au final c'était pas si mal, les cheveux détachés. Elle enfila ses lunettes de protection et franchit la porte sans plus tarder, laissant s'engouffrer la chaleur et l'odeur de Cité au zényth du soleil dans la maison. La porte se referma et la pauvre Vee fit claquer ses mains sur ces cuisses de désappointement.

- S'il te plaît, Vee. Merci, Vee. Avec plaisir, Vee ! Comment vas-tu aujourd'hui ? Ouvrir à quelqu'un d'autre ? Mais bien sûr, c'est tout-à-fait dans mes habitudes. Tout à fait, souffla-t-elle ironiquement. Ah ben non. Non. Il fallait que parmi tous les marmots de ce foutu continent, je tombe sur les deux plus ingrats ...

En pinçant à nouveau son nez dans un très long soupir de consternation, elle pencha la tête sur le côté, les portes se verrouillèrent dans le concert de cliquetis habituels et elle s'évapora en silence dans le ballet de pixels bleus qui lui était si distinctif.

Les neurones de T'Lea aurait pu alimenter toute les ville en énergie durant son trajet. À maintes reprises, elle manqua de peu le bon arrêt de la magnénavette, et lorsqu'elle se trouva face aux couloirs de circulation qui longeaient le Centre Alimentaire de son Secteur, elle dût s'y reprendre à trois fois avant d'emprunter le bon élévateur magnétique qui lui permit de traverser les voies et d'atteindre les quartiers Buto. De leur côté de cette frontière artificielle que formait le flots des véhicules magnétiques autonomes, s'étalant dans l'ombre des projecteurs dont le faisceau ciblait le ballet des engins, un ensemble de résidences décrépies et couvertes de rouilles se dressait quasiment jusqu'au au pied du rempart Nord de la Cité. À cette proximité du bouclier, le son de la Danse des Temps était un fracas sourd et continu, très loin du charme indescriptible qu'on lui connaissait les plus belles nuits d'hiver depuis la fenêtre de la chambre de T'Lea. Les rafales de vents magnétiques en cette harassante journée de fin d'été étaient particulièrement violentes. Les ondulations frappant le dôme protecteur, à cette distance, laissait une traînée dorée dans l'air qui rappelait les tempêtes de sable du pays de Pyriin, avant de mourir en millions d'éclats de lumière en s'élevant le long du bouclier. Sous ce spectacle magnifiquement menaçant, la mafia Buto tenait un règne tacite sur les Blocs les plus excentrés de la Cité. Si, à son apogée, la famille du même nom pouvait prétendre à tenir d'une main de fer l'exportation des ELUD pour la Compagnie dans toute la Cité, elle avait depuis bien des générations été déchue de son pouvoir en représailles de guerres internes de succession et consorts. Ce n'était plus aujourd'hui qu'une bande de malfrats notoires, tous justes bons à tremper dans la contrebande d'ossements de Marcheurs des Sables Pyrio ou de poudre de Cristaux Sylphites comme celles collectionnées avec tant de soin par Kulo.

Le transpondeur de Gwenan n’avait pas bougé d'un iota. Bloc 42R-T. Section nord. Deuxième hangar sur la gauche en entrant sur la zone.

- Merci, Vee, glissa T'Lea à son poignet en descendant la longue avenue craquelée qui servait d'artère principale au quartier Buto.

- Ah, ben enfin ! C'est pas trop tôt ! répondit la voix faussement indignée, mais clairement soulagée de Vee dans le boîtier.

- Garde ça pour plus tard, tu veux ? Continue de me tenir au courant de sa position. S'il te plaît.

- Mouais. Laisse-moi te dire que j'ai hâte que vous soyez rentrés tous les deux. Histoire qu'on mette les choses au clair vous et moi, ajouta-t-elle en retrouvant son ton maternel mais au fond plus chaleureux.

- Et moi donc...

T'Lea s'engouffra plusieurs fois entre des bâtiments à l'abandon sur les façades desquelles la crasse et la rouille se battaient en duel le moindre espace que la moisissure avait bien voulu leur laisser. Même en cette fin de journée, la lumière ne pénétrait que partiellement depuis les toits des bâtiments, les petites ruelles formées par les espace entre les édifices formait un dédale qui filait froid dans le dos. Le tout sous la menace constante du grondement de la Danse des Temps qui se rapprochait toujours plus. T'Lea maudit à plusieurs reprises son frère avant de lui promettre une volée de bois vert dont il se souviendrait.

- Tout droit et deuxième hangar sur ta gauche.

- Deuxième sur ma gauche, répéta T'Lea machinalement, tous ses sens braqués sur les alentours.

À découvert une fois sur la petite esplanade qui permettait à l'époque de leur grandeur d'alimenter les hangars en livraison, elle força son pas et atteignit une petite entrée dérobée sur le flanc du grand édifice grisâtre. Non sans avoir jeter un rapide coup d’œil par dessus son épaule pour s'assurer de ne pas avoir été vue, T'Lea repoussa derrière elle la porte coulissante hors d'usage et se stoppa un instant.

- Bordel, on y voit que dalle la-dedans, chuchota-t-elle à Vee.

- Si j'en crois le vieux plan que j'ai trouvé, traverse le couloir devant toi et tourne à droite, dit Vee qui se mit elle aussi à chuchoter par mimétisme.

L'antichambre dans laquelle avait pénétré la jeune femme ne disposait d'aucune ouverture. La pénombre était quasi totale, à quelques fissures près dans le plafond et les murs qui laissaient filtrer une lumière poisseuse et diffuse. Mais un vacarme familier parvenait par écho distant jusqu'à la jeune femme qui en profita pour s'en servir de guide.

Le sol était jonché de détritus et de gravats tous azimuts, tant et si bien qu'elle failli plusieurs fois se tordre la cheville sur quelques barres de fers et chaises tordues renversées. Parvenue au bout du fameux couloir, le vacarme se précisa dans une longue plainte stridente, mais mélodieuse. En plus ce petit con se permettait d'écouter de la musique, tranquillement, pendant que sa sœur se rongeait les sangs pour lui. Elle épousseta sa chemise couverte de résidus qu'elle se refusa à identifier. Sa main se posa sur la poignée de la porte mais celle-ci s'effaça sous ses doigts. L'ouverture s'ouvrit subitement devant elle en poussant un grincement lugubre. Dans la lumière qui l’éblouit l'espace d'une seconde, l'imposante silhouette masculine sombre qui se découpait tendit un bras massif vers elle et empoigna son épaule. Sous la force du colosse, T'Lea ne put lutter et se vit tirer vers lui, contrainte de franchir le seuil du hangar désaffecté pratiquement sans avoir toucher le sol. Elle fit volte face et tenta ridiculement de se mettre en garde défensive comme son frère lui avait appris au cas où ce genre d’événements se produiraient. La montagne de muscles à la peau grise qui lui faisait face gratta son crâne rasé avec un air amusé, presque goguenard et lâcha un rire tonitruant. Les breloques Buto pendues un peu partout sur tunique déchirée et sale tintèrent sous ses éclats de voix. Même Kulo au bon vieux temps aurait fait pâle figure devant ce roc de muscles saillants dont la voix grave aurait intimé le respect au plus fier des Gardes de la Cité.

- Ça, on peut pas dire que vous avez pas du cran dans la famille, mes aïeux ! Aller file, il t'attend là-bas.

Avec un nouveau rire plus contenu cette fois, la brute au bon cœur lui fit faire tourner les talons d'un revers de la main et la projeta en avant dans le hangar d'une nouvelle tape dans le dos. T'Lea était sûre d'avoir entendu au moins une de ses vertèbres craquer sous l'impact de la paume caleuse de la force de la nature qui l'avait si chaleureusement accueillie. Encore légèrement étourdie par la force du géant, les mots se bousculèrent dans sa gorge sans pour autant réussir à prendre forme. Elle avança doucement sous le commandement goguenard du monstre au rire tonitruant, effarée par la découverte du cimetière d'épaves que formait l'intérieur du hangar. Tel un labyrinthe d'entrailles géantes faites de métal et de polymères, les couloirs, formés par les amoncellements de pièces éparses et de moitiés de magnétransports jetées les unes sur les autres, menaient de manière concentrique jusqu'à son frère, qui travaillait frénétiquement sur un des ces mélanges de technologies récupérées de droite et de gauche dont il avait le secret. Noyé dans sa musique assourdissante, il ne remarqua pas sa sœur avant que celle-ci ne se rapproche à quelques coudées de lui. Quand enfin il leva les yeux vers elle, son visage se fendit d'un sourire jaune, mais son corps s'était raidi instantanément. Il n'eut pas le temps de supplier sa sœur que cette dernière avait déjà envoyé claquer la paume de sa main dans sa figure poupine, lui arrachant sa paire de lunettes de protection du visage.

- Mais, pourquoi ? demanda-t-il les yeux écarquillés, la joue cuisante. C'est pas juste, j'ai encore dit !

- Ça c'est pour avoir fanfaronné devant Kulo pour impressionner Gelsa.

Elle brandit à nouveau sa main devant le visage de son frère qui virait au cramoisi à vue d’œil.

- Maintenant si le voyage aller t'as plu, je peux te garantir un retour tout aussi passionnant si tu m'expliques pas ce que tu fous ici. Et que ton pote le colosse me trouve pas un truc à boire, continua-t-elle en prenant appui sur le plan de travail de son frère pour se remettre de ses émotions. Et frais , le truc à boire, s'il te plaît, Kulo Junior, balança-t-elle au grand chauve qui s’exécutait déjà sans trop comprendre ce qui se passait.

Elle claqua des doigts et intima à son frère de s’asseoir. « Kulo Junior » revint avec une chope de métal rouillé contenant une boisson rose fluo dont raffolait Gwenan. La jeune femme vida le verre d'une traite, refit son catogan très serré, inspira un grand coup et regarda son frère avec un regard froid.

- Allez, débale.


Texte publié par Alex Destier, 4 mai 2024 à 01h21
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