Anna Wolff avait vécu bien des choses durant les cinquante années de sa vie. En tant que responsable de service dans l'un des laboratoire du groupe DRGN Corporation, elle avait eu l'occasion de participer à l'amélioration et à l'élaboration de composants destinés à la confection des meilleurs et des plus perfectionnées prothèses du marché mondial. Elle en était particulièrement fière ; faire partie d'une chaîne de personnes travaillant main dans la main afin de rendre la vie de tant de personnes plus simple ; leur permettant finalement d'avoir accès à toutes ces choses qui nous semblaient si triviales.
Cela lui avait également donné l'opportunité de travailler sur sa propre jambe ''bionique''. Elle avait elle-même amélioré le concept de sa fabrication ; profitant de cette occasion pour rédiger un protocole complet, allant de la synthèse des matériaux nécessaires à sa construction, jusqu'à l'assemblage finale. Ce protocole ayant servi de base à toute son équipe, avait ainsi finit par recevoir une accréditation officielle des institutions gouvernementales spécialisées dans ce domaine.
-Encore un peu, et c'est le Prix Nobel, avait plaisanté un de ses collègues.
Malheureusement, les choses avaient subitement changées ; son invention destinée à l'origine aux personnes ayant perdu un ou des membres, ou paralysées, avait également attirée l'attention de l'armée. Une idée folle avait germé dans l'esprit des membres du conseil supérieur de la corporation : reprendre son protocole et en tirer les éléments nécessaires au façonnage d'un exosquelette permettant d'augmenter les forces et capacités motrices des soldats. Des exosquelettes, ils en produisaient déjà, mais le but était de permettre aux personnes paralysées de se mouvoir et de gagner en autonomie. Elle refusait d'être associée à un projet militarisé.
Anna avait finit par démissionner. Elle avait repris ces études devenant à quarante ans une des personnes les plus âgées dans l'école d'infirmier.ère.s dans laquelle elle avait été admise. Cela faisait des années maintenant. Actuellement, elle était habituée à parcourir des kilomètres chaque jour, afin de rejoindre ses patients. Ses enfants ne la voyaient que rarement, et uniquement le soir, alors qu'elle rentrait, épuisée de ses journées. Mais elle était heureuse d'avoir pu changer de vie.
Elle n'imaginait pourtant pas à quel point son existence allait encore être bouleversée.
Depuis quelques mois, comme une majorité des habitants du continent, elle avait la sensation d'être entrée dans une nouvelle ère. Une menace inattendue avait émergé depuis les eaux les plus profondes de la mer Méditerranée. Au départ, on ne pouvait que constater la disparition mystérieuse de nombreux transports maritimes. Ensuite des raz de marées d'origine indéterminée ravageaient les côtes, devenant de plus en plus fréquent et de plus en plus puissants. Le littoral se désertifiait progressivement ; les survivants étaient relogés dans des gymnases, des centaines de kilomètres plus au nord.
Anna ne vivait pas si près des côtes, elle pensait donc qu'elle et ses enfants n'avaient rien à craindre. Huit mois plus tard, elle changea radicalement d'avis. Tout le monde était en danger. Absolument tout le monde ; il ne s'agissait plus des côtes méditerranéennes, il ne s'agissait plus de côtes du tout. La menace s'était installée partout : sur toute la planète, et elle semblait bien avoir l'intention de remplacer les humains en tant que maîtres incontestés de la Terre.
Tout avait dérapé un soir, alors qu'elle rejoignait son domicile. Sur la route, elle ne croisait pratiquement personne hormis de nombreux véhicules militaires ; une nouvelle habitude qu'elle avait fini par intégrer au bout de quelques semaines. C'est en s'approchant de sa commune qu'elle comprit que le danger progressait encore. Des véhicules armés avaient envahis chaque recoin du village. Partout, elle constatait que tout le monde faisait ses bagages bourrant leurs voitures de leur biens les plus précieux. Alors qu'elle se garait dans l'allée devant sa maison, deux de ses enfants en sortirent précipitamment, chargés de valises qu'ils déposèrent dans le véhicule, avant qu'elle n'ait même le temps d'en descendre et de comprendre ce qu'il se passait.
-Hop hop hop ! s'exclama-t-elle. Il se passe quoi là ?
Une femme en tenue de militaire, fusil en main, s'approcha d'elle. Les soldats étaient partout, parcourant la rue d'un bout à l'autre, encourageant la population à emmener le strict nécessaire et à quitter les lieux au plus vite.
-Il faut évacuer, madame, lui dit-elle. On a repéré un groupe de ces trucs, et ils approchent de cette zone.
Anna jura. Elle ne perdit pas plus de temps et se rendit dans sa maison où elle rejoint sa fille, Lara, et son fils cadet, Kyle.
-Où est Tristan ? demanda-t-elle en constatant l'absence de son aîné.
-Il est sortit faire un tour, répondit Kyle de sa voie juvénile de garçon de dix ans.
-Quoi ? Comment ça il est sortit ? interrogea-t-elle sévèrement.
-Il était déjà parti ce matin, en fait, expliqua Lara. Il a prit sa moto.
-Tu as essayé de l'appeler ? demanda Anna à l'adolescente de seize ans.
-Plusieurs fois ! Il décroche pas et ne réponds pas aux messages. Je ne sais pas combien je lui en ai laissé.
« C'est pas vrai ! » s'affola Anna. Extérieurement, elle tenta de garder son calme pour les deux enfants présents. Intérieurement, elle avait la désagréable sensation que ses organes se contractaient douloureusement.
-On dégage dans cinq minutes ! entendit-elle alors de l'extérieur. Un ensemble de bruits de moteurs se mit à résonner, des habitants étaient déjà prêts à partir.
Tout en aidant Kyle et Lara à charger le maximum de leurs affaires, elle sortit son portable pour essayer de contacter Tristan. Cet abrutit ne répondait pas !
Heureusement, elle savait que ses enfants étaient très débrouillards et autonomes ; elle leur faisait confiance. Mais où était Tristan et pourquoi ne répondait-il pas ?
-Aller on y va ! retentit une voix forte provenant de la rue.
Les derniers étaient en train d'évacuer.
Un autre militaire s'approcha de la voiture dont ils étaient encore en train de combler le moindre espace qui ne sera pas occupé par un passager.
-Il faut y aller maintenant, laissez le reste.
À ce moment-là, Anna perdit définitivement son sang-froid.
-Laissez le reste ! aboya-t-elle. Mon fils est je ne sais où, il ne répond pas quand on l’appelle, et vous voulez qu'on laisse le reste !
Intimidé par tant de colère, le soldat montra ses mains en signe d'apaisement.
-Je ne parlais pas de gens, madame. On va le retrouver votre fils. Peut-être qu'il a déjà évacué, il doit sans-doute déjà vous attendre au camp de réfugiés.
Anna était sur le point de répliquer et de traiter son interlocuteur de très originaux noms d'oiseaux, quand un effroyable rugissement empli de férocité vibra dans l'air faisant trembler tout le quartier, ils sentirent les ondes sonores les affecter jusqu'au pus profond d'eux même, comme s'il s'agissait d'éléments solides percutants chacun de leurs organes internes. Longtemps après, alors que le silence était revenu, un bourdonnement incessant envahissait encore leurs oreilles. Plus personne ne bougeait, ne parlait. On respirait à peine. Ils étaient pétrifiés.
Anna reprit ses esprits. Ses enfants ! Elle devait les mettre à l’abri coûte que coûte.
-D'accord, Lara, Kyle, vous partez avec eux, leur dit-elle en désignant le camion militaire le plus proche.
-Quoi ? s'exclama sa fille.
-Tu prends ce sac, t'embarque ton frère et vous déguerpissez d'ici, lui ordonna-t-elle en lui tendant le dernier sac à dos qu'ils avaient remplis. Je vous rejoins plus tard avec votre frère et la voiture.
Le militaire qui les avait pressé un moment plus tôt, acquiesça et accompagna les deux enfants vers le véhicule.
Un instant plus tard, le véhicule démarrait ; à l'arrière, Anna vit les premières larmes de ses enfants perler aux coins de leurs yeux, et perçut leurs sanglots à travers cet éternel bourdonnement.
Un nouveaux rugissement retentit. Moins fort cette fois-ci. Toutefois ce qui le provoquait, s'était rapproché. Tout se mit à nouveau à trembler. De plus en plus fort, de plus en plus violemment. Des fissures apparurent sur les murs de certaines habitations.
Anna décida de se mettre au volant de et de récupérer son fils en route. Elle connaissait ses habitudes, elle n'avait qu'à commencer par là. C'est lorsqu'elle démarra la Citroën qu'un nouveau problème surgit ; sa prothèse ne répondait plus.
-Pas maintenant ! gémit-elle. Tu ne vas pas me faire ça maintenant !
Jamais son invention ne l'avait déçue. Jamais aucun problème n'avait été rapporté d'un quelconque autre utilisateur. Pourtant, elle savait que rien n'était infaillible et que la probabilité que cela arrive, même si elle était extrêmement faible, n'était pas nulle.
L'infirmière s'extirpa tant que bien que mal de la place de conducteur et entreprit de retrouver ses outils parmi le fourbi qu'ils avaient chaotiquement amoncelé dans la voiture. Heureusement, elle n'eut pas à chercher longtemps. Quelques secondes, à peines plus tard, son pied répondait à nouveau. Elle abandonna l'idée de vérifier ce qui n'allait pas, et se remit au volant ; il n'y avait pas de temps à perdre.
C'est là qu'un violent tremblement de terre secoua toute la zone, faisant même s'écrouler quelques maisons. Anna était sidérée. Autour d'elle, le quartier calme qu'elle avait connu tant d'années, était passé de chaotique à fantomatique, et se réduisait maintenant petit à petit en tas de misérables cailloux et de poussière.
Elle se mit à hurler la première grossièreté qui lui vint à l'esprit, avant de sangloter elle-même. Puis elle hurla à nouveau, mais avec bestialité cette fois, tapant avec le rage le volant de sa voiture. Elle n'avait toujours pas bougé d'un centimètre.
Le séisme reprit à nouveau, accompagné cette fois d'une sorte de profond feulement qui semblait provenir autant du sol que de l'air.
Un de ces ''trucs'', comme les avait appelé une militaire un peu plus tôt, approchait.
Elle aperçut d'abord le sommet des crêtes qui ornaient le dos de la créature, qui rampait nonchalamment entre les bâtiments ayant résisté aux ondes de chocs qui annonçaient sa venue.
Un autre grognement s'éleva dans les airs. De l'autre côté de la rue, avançait doucement un autre spécimen, légèrement plus petit celui-ci. Pourtant, ils étaient tous deux aussi longs et beaucoup plus larges qu'un train de plusieurs dizaines de wagons.
À travers cet enfer, Anna perçut miraculeusement le son caractéristique du vol d'un hélicoptère. La plus petite des créatures sembla s'énerver, écrasant de son corps massif toutes les constructions proches qui l'entouraient, avant de relever son énorme gueule semblable à celle d'un serpent géant en direction de l'engin volant. Une salve de tirs de mitraillette l'accueillit. Inutile. Les balles ricochaient sur le corps écailleux du monstre. Ce dernier éleva un peu plus son imposant corps, qui pourtant ne semblait n'être capable que de ramper. Qu'à cela ne tienne, il était assez grand. En un rapide dernier élan, il attrapa en une seule grosse gobée l'hélicoptère et ses occupants avant qu'ils n'aient le temps de comprendre ce qui leur arrivait. Ils n'avaient pas eu le temps de hurler à leur mort.
En reprenant sa position initiale, le Léviathan dévoila dans toute sa monstrueuse splendeur les mystérieuses cicatrices qui ornaient son ventre.
Anna les croyait invincible, mais une profonde et étrange blessure lui fut exposée. C'est avec effarement, qu'elle reconnu des symboles gravés sur le corps du monstre : ''DRGN Corp''.
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