Anha et Swan se rendirent ensemble dans la salle de réunion, un peu en avance, cette fois, afin de ne pas froisser la susceptibilité de Dolovian. Même si la jeune femme avait conscience du travail remarquable du directeur, qui avait contribué à éliminer l’horreur de Skellet, elle ne pouvait s’empêcher d’éprouver envers lui un ressentiment de plus en plus intense pour la façon dont il traitait Swan. Elle se demandait pourquoi sa famille adoptive persistait à collaborer avec la fondation, dans de telles circonstances.
La pièce lui parut très différente de la salle à manger : avec des murs bleu clair agrémentés d’une discrète moulure blanche et de vastes baies qui laissaient entrer la lumière du sud-ouest, elle était plus agréable – et surtout, moins propices aux tensions. Trois hommes les y attendaient déjà ; l’un d’entre eux, un grand brun d’une quarantaine d’années au port militaire et au visage avenant, se fendit d’un large sourire en apercevant Swan. Il s’avança rapidement vers lui pour le saisir par les épaules, en le sondant de son regard franc et direct :
« Paul ! J’avais entendu dire que tu étais arrivé ce matin, mais j’ai eu un peu de mal à y croire. Comment te portes-tu ?
— Beaucoup mieux ! Je suis déjà apte au service, comme tu vois ! répondit le jeune homme sur le même ton plaisant. Comment va Lyra ? Et les enfants ?
— Ils vont tous très bien ! Quand Lyra a entendu que tu avais été blessé, elle m’a demandé de vérifier que tu étais bien remis. Tu dois aussi promettre de te montrer plus prudent à l’avenir !
— Tu pourras la rassurer sur mon état. La cicatrice a déjà presque disparu. »
Anha remarqua que Paul avait éludé la promesse, ce qui ne l’étonna pas particulièrement.
« C’est une bonne nouvelle. Ne recommence pas trop souvent ce genre de chose… Cela devient une habitude chez toi… »
L’inconnu relâcha le jeune homme. Anha remarqua alors, avec un léger choc, que sa main gauche présentait un aspect inhabituel : elle crut d’abord qu’elle était recouverte d’un gant, d’un bleu pâle et luisant et aussi souple que de la peau, avant de comprendre qu’il s’agissait d’une prothèse incroyablement sophistiquée – bien plus que son propre corps de métal. La jeune femme se demanda si elle avait été réalisée par le fameux Lewis Ford dont avait parlé Malvin.
« Vous devez être Anha ? poursuivit l’homme en se tournant vers elle. J’ai beaucoup entendu parler de vous. Je suis Peter Steele et je remplis, en quelque sorte, la tâche de conseiller technique et militaire à Gladius Irae. Je vous accompagnerai jusqu’à North Uist. Voici le capitaine Severn, qui commande le bateau qui nous conduira sur place, poursuivit-il en indiquant un gentleman râblé aux larges favoris blond-roux. Quant à monsieur Tisdale, ici présent, il est notre enquêteur et relais dans la région de Glasgow. Il a remarqué le premier l’activité à Eilean ar Marbh. »
Le grand brun mélancolique la contempla avec un peu de perplexité, avant de s’incliner légèrement.
« Mademoiselle, c’est un honneur, déclara-t-elle avec un léger accent écossais.
— Enchantée également », bredouilla-t-elle.
Les visiteurs devaient être prévenus de son étrange apparence, pour parler sans trop de gêne à cette enveloppe de métal. Steele lui plaisait beaucoup, d’autant qu’il semblait sincèrement heureux de revoir Swan et entretenait avec lui des relations parfaitement cordiales. Sentant son regard peser sur eux, le jeune homme blond se tourna vers elle et lui adressa un clin d’œil :
« Peter est mon grand-père par alliance ! expliqua-t-il en souriant.
— Votre grand… »
Elle regretta de ne pouvoir froncer les sourcils, physiquement du moins.
« Voyons, Paul, tu ne peux pas le dire comme ça… protesta l’intéressé avec embarras. C’est vrai que ce n’est… techniquement pas inexact… Mais mon épouse est une âme éveillée et en tant que telle, elle transcende le temps et les générations. C’est pour cela que notre famille peut paraître… particulière.
— C’est ce que j’ai cru comprendre », déclara Anha, un peu soulagée par cette explication.
L’entrée de Dolovian tua les conversations en cours. Swan lança un rapide coup d’œil vers l’horloge posée sur la cheminée, qui affichait trois minutes de retard sur l’heure de la réunion, mais son geste échappa au directeur.
« Mademoiselle… et messieurs, veuillez prendre place. Si nous sommes réunis ici, c’est pour raison très précise, qui concerne Eilean ar Marbh… Un lieu familier à certains d’entre vous. »
Il marqua une pause, avant d’ajouter :
« Et nous pensons que… plus que jamais, elle a mérité son nom ! »
La table qui trônait au centre du salon était juste assez grande pour leur permettre de tous s’y installer. Dolovian s’assit à une extrémité de l’ovale et fit signe à Anha de prendre place à l’autre bout. Il resta un moment debout, fixant chacun des participants avant de commencer :
« Si je vous ai tous conviés ici, c’est pour préparer la mission que doit mener notre nouvel agent, Anha, ici présente. Cette personne est spéciale, comme vous avez pu vous en rendre compte, ce qui la rend particulièrement apte à remplir cette mission. Mais tout d’abord, je souhaiterais qu’elle bénéficie de quelques explications sur le passé de cet endroit appelé Eilean ar Marbh. Paul ? »
Le jeune homme baissa la tête, les mâchoires serrées. Steele, alarmé, se tourna vers Dolovian :
« Directeur, je peux…
— Non.
— Je vais le faire », lâcha Swan.
Il se leva et toisa l’assemblée, avant de commencer :
« L’île d’Eilean ar Marbh se trouve dans les Hébrides extérieures, au large de North Uist… Son nom signifie littéralement l’île de la mort… Dans les années 1890, l’armée britannique y a construit une caserne dans le but d’accueillir des troupes très spéciales. À cette époque, un docteur du nom de Samuel Bayler avait trouvé le moyen de soutirer l’énergie vitale des êtres humains. Et en l’injectant à des… cadavres, en particulier ceux d’enfants, il parvenait à les ramener à la vie, même s’ils se retrouvaient, du moins en apparence, privés de toute initiative et de volonté propre. L’armée avait passé un accord avec ce savant. Il leur livrait les ressuscités, qui étaient envoyés à Eilean ar Marbh pour être formés, en tant que chair à canon pour la Couronne britannique. En contrepartie elle finançait les recherches du docteur Bayler. Le lieu avait été placé sous la responsabilité de commander Forsythe, un brave homme… Mais cela n’empêchait pas cet endroit d’être… un lieu terrible. »
Il porta la main à son front, comme pour repousser des lunettes inexistantes ou cacher son insolite regard rouge.
« Certains surnommaient les ressuscités… golems de chair, en raison de leur comportement presque mécanique et de leurs yeux… leurs yeux rouges. Le médecin de la garnison, le docteur Slaughter, effectuait des expériences sur eux malgré l’interdiction du commander. Dans ce lieu isolé où se déroulaient des choses aussi terribles, les soldats devenaient à moitié fous. Eilean ar Marbh a été le théâtre de plus d’un drame, avant de se voir vidée de ses troupes lors de l’invasion désastreuse par la Grande-Bretagne de la ville des glaces… Thulé… »
Il déglutit péniblement ; Anha se demanda à quelles horreurs le jeune homme avait été confronté pour en garder de tels traumatismes. Elle souffrait pour lui : quel intérêt pouvait-il y avoir à lui faire revivre cette terrible expérience ?
« À la suite de la débâcle de Thulé, la Couronne a abandonné l’endroit. La guerre a éclaté et tout le monde a oublié cet endroit… en apparence du moins. »
Steele lui adressa un sourire rassurant :
« Merci, Paul. »
Il se tourna vers son voisin :
« Harry ? »
Tisdale s’éclaircit la voix et prit la relève :
« Dans un lieu aussi reculé, une activité discrète peut aisément passer inaperçue… Mais quelques rumeurs m’ont mis sur la piste d’étranges activités. En les recoupant avec divers témoignages, j’ai découvert que des bateaux s’y rendaient régulièrement depuis quelques années. Bien entendu, les gens de North Uist se souviennent encore de l’époque où l’armée l’occupait et croyaient que les militaires s’y étaient de nouveau installés. Quelques contacts de la section des Mystères ont démenti ce fait. Nous avons organisé une surveillance discrète, pour constater que des bateaux y accostaient plusieurs fois par mois. Quelques agents déguisés en pêcheurs ont tenté de s’approcher, mais rien n’était visible de l’extérieur. Et puis, à la suite d’une tempête, des autochtones ont trouvé ceci… »
Il prit l’enveloppe en carton posée devant lui et en tira une photographie, représentant un corps étendu sur une plage, vêtu d’un long manteau. Une sorte de masque à gaz lui couvrait le visage, relié par un tuyau à deux bonbonnes fixées à son dos par un harnais.
« Quand nous avons examiné le corps, nous avons fait une découverte étrange, poursuivit Tisdale. Même si son séjour dans l’eau semblait récent, cet homme était mort… depuis des mois. »
Autour de la table, les différents participants se levèrent et se penchèrent vers la photographie comme pour vérifier ses dires.
« Bon sang… qu’est-ce que c’est que cette chose ? murmura Steele. Que voulez-vous dire par mort… depuis des mois ? On a jeté à la mer un cadavre ?
— En quelque sorte, Peter. Ce n’était ni plus ni moins qu’un corps embaumé, selon un procédé particulièrement sophistiqué. Nous l’avons envoyé au laboratoire d’Irina Blair, qui a mis son meilleur spécialiste sur la question. Les analyses qu’il a effectuées ont permis de déterminer que le corps avait été traité avec un mélange chimique qui a permis de stopper toute putréfaction, y compris dans de l’eau de mer. Les experts les plus avancés dans le domaine de l’embaumement emploient des produits qui empêchent le processus naturel de décomposition des chairs ainsi que leur dessèchement, un mélange de glycérine, de formol saturé avec du zinc et du chlorure, d’alcool et de quelques autres substances, le tout dans des proportions connues d’eux seuls. Un mélange de ce type a dû être employé, même si on n’en trouve plus que des traces après ce séjour dans l’eau salée. Mais ce n’était pas le plus intéressant… »
Il désigna les bonbonnes sur le dos de la créature :
« Le laboratoire a trouvé dans ces conteneurs les restes d’un gaz pour le moins étrange… ou plutôt, une sorte de plasma… »
Devant l’expression interrogatrice de ses auditeurs, il précisa :
« Il s’agit d’un gaz fortement ionisé. Ces bonbonnes contiennent des dispositifs d’électrolyse qui permettent au mélange de rester actif et de se répandre dans l’organisme du porteur, en provoquant une excitation des nerfs susceptible de simuler… l’activité vitale. »
Swan s’écarta avec un regard horrifié :
« En bref, souffla-t-il, il s’agit d’une tentative de… réanimation.
— Mais une réanimation qui n’a rien à voir avec celle des golems de chair, intervint Peter Steele. Si je comprends bien, ces créatures ne sont que des cadavres dotés que d’un semblant de vie… »
Tisdale acquiesça en rangeant la photo dans son porte-documents.
« En effet, Peter. »
Erasmus se rassit brutalement, le visage sombre :
« C’est encore pire que ce que j’imaginais, grommela-t-il. Nous voici de nouveau confrontés à des êtres qui jouent impunément avec la vie et la mort. Comme si Ceos ne nous avait pas suffi ! »
Si son corps n’avait pas été une mécanique dénuée de sensibilité, Anha aurait frissonné à la pensée d’une telle abomination.
« Je me demande si une conscience anime ces êtres, remarqua-t-elle. S’il ne s’agit que de corps embaumés, ils ont dû être séparés de l’esprit qui les habitait depuis assez longtemps pour qu’ils n’y aient plus d’espoir de les éveiller…
— Les golems avaient une âme ! objecta Peter. Même si ce n’était pas l’originelle…
— Mais dans ce cas, il n’y a pas de résurrection de cette chair… intervint Swan. Ce ne sont que des automates de matière organique, à moins qu… »
Les yeux rubis s’écarquillèrent :
« A moins qu’ils ne bénéficient d’un dispositif semblable à celui qui maintient l’esprit d’Anha dans son enveloppe de métal ! »
L’intéressée crispa ses mains de métal… Était-ce ce qu’elle allait devoir affronter ? Ces horribles simulacres ? Et ceux qui les avaient créés ?
« Je suis en effet la mieux placée pour comprendre ce qui se passe sur cette île », admit-elle pensivement.
Erasmus tambourina sur la table de ses doigts puissants, le front plissé d’une ride soucieuse.
« Aucun de ceux qui l’ont examiné n’a remarqué ce qui pouvait ressembler à un sceau ou un autre symbole ésotérique ?
— Non, monsieur le directeur, ce n’est pas faute de chercher…
— Y compris dans la bouche ? Les divers organes ?
— Je fais pleinement confiance aux équipes d’Irina… Mais dans le doute, je leur demanderai d’opérer une nouvelle série de vérifications, avant le départ de mademoiselle Anha.
— Parfait. Passons à présent à l’examen du site. Nous avons pu retrouver grâce à nos contacts d’anciens plans qui montraient l’organisation des lieux à la fin du siècle dernier… »
À l’époque de ces mystérieux golems de chair, songea Anha, même si ce terme semblait bien plus approprié à ce qui hantait à présent Eilean ar Marbh.
« Peter ? »
L’intéressé saisit un tube de cartonnage appuyé contre sa chaise et en tira une grande feuille de papier jauni, qu’il déroula soigneusement avant d’en caler les coins avec des poids d’étain :
« Voici les installations telles qu’elles apparaissaient en 1893, date des derniers travaux effectués sur les lieux. »
Anha vit Swan reculer légèrement, le visage très pâle. De façon prévisible, Dolovian ignora le malaise visible de son agent.
« Peut-être monsieur Mercury peut-il nous commenter ce qu’on y voit ? Il est le seul ici à y avoir résidé. »
Elle faillit déployer son corps de métal pour s’élever contre la torture morale infligée au jeune homme, mais il se lança bravement dans l’épreuve :
« Comme vous pouvez le voir, commença-t-il d’une voix mal assurée, ici se trouve le ponton par lequel on abordait… par lequel on doit toujours aborder sur l’île.
— Ne tirez pas de conclusions sans certitude ! » gronda Dolovian.
Il s’attira un regard noir de Steele :
« Erasmus, laissez-le poursuivre, nous sommes assez grands pour faire la part des choses ! »
Swan lança un regard soulagé en direction de son ami et poursuivit avec plus de prudence :
« C’est le seul accès, car tout le reste de l’île est entouré de hautes falaises, au-dessus desquelles les bâtiments ont été directement élevés afin de ne pas perdre de place. Ils s’organisent autour de plusieurs cours. Autour de la première, on trouve les casernes… je veux dire, celles des soldats… ordinaires, le mess, les bâtiments de stockages et d’intendance, que vous pouvez voir ici. La deuxième cour, ici, se situe au centre des locaux jadis réservés aux… troupes ressuscitées… Elle servait à leur entraînement. »
Sa main tremblait légèrement, mais personne ne s’autorisa la moindre remarque, pas même Dolovian. Enfin, il désigna le dernier ensemble de bâtiments, plus restreint :
« Le quartier des officiers, avec un petit jardin intérieur. C’était là que résidaient le major et sa famille… »
Severn, qui n’avait pas ouvert la bouche et s’était contenté de suivre attentivement les explications, désigna un petit local un peu séparé des autres, en arrière du quartier des ressuscités :
« Et là, de quoi s’agit-il ? »
De pâle, le visage de Swan se fit terreux :
« C’était le… le laboratoire du… »
Il détourna vivement les yeux. C’était la première fois qu’Anha le voyait perdre autant sa contenance. Steele plaqua la main sur le mystérieux bâtiment :
« C’est marqué sur le plan : infirmerie et zone d’expériences. Je suppose que cela se passe de commentaire. »
Un silence de plomb suivit ses paroles.
« Un avion a survolé l’île pour déterminer si les installations avaient été modifiées, reprit Tisdale, mais s’il y a eu de nouveaux aménagements, ils ne sont pas visibles. Même si l’on repère des signes d’activité, rien ne nous indique l’attribution actuelle des bâtiments. »
Anha s’efforça de se montrer aussi attentive que possible, mais elle restait ébranlée par l’attitude de Dolovian. Pourquoi manifestait-il si peu de prévenance envers Swan, après tout ce que le jeune homme avait dû endurer ? C’était comme s’il essayait de lui faire payer quelque chose. Que la moindre entorse ou erreur de sa part se retrouvait grossie mille fois et présentée comme un crime majeur. Certes, Steele semblait être dans son camp, mais ce n’était pas suffisant pour le sauver de ce traitement. Pour le moment, elle ne pouvait qu’écouter les explications et comprendre la teneur de sa mission, qui se précisait : elle allait devoir infiltrer ce lieu hanté par le passé comme par le présent.
Une fois la réunion terminée, les participants repartirent vaquer à la préparation de la mission, chacun selon sa spécialité. Swan s’était rapidement éclipsé, dès qu’il avait eu la certitude que sa présence n’était plus nécessaire. Anha se mit en quête du jeune homme, qu’elle retrouva assis dans un coin du parc, le regard dans le vague. Elle ignorait le détail de ce qu’il avait vécu à Eilean ar Marbh, mais l’expérience avait laissé des cicatrices encore plus profondes qu’elle ne l’avait pensé.
Même si son corps rigide rendait l’opération difficile, elle s’installa à côté de lui pour lui offrir une compagnie silencieuse. Au bout d’un moment, elle sentit ses yeux sur elle – pas sur cette enveloppe métallique qui constituait à la fois sa chance et sa malédiction, mais sur l’esprit qui l’habitait.
Elle rencontra son pénétrant regard rouge, qui débordait d’une émotion visible.
« Anha, souffla-t-il. Je… Je vous considère comme une amie précieuse. Je ne vous remercierai jamais assez pour vos conseils, votre soutien… »
Cette déclaration exacerbée suscita la gêne de la jeune femme :
« C’était tout naturel…
— Peut-être, mais je… »
Il secoua la tête, comme si ce geste pouvait l’aider à faire sortir les mots qui accrochaient dans sa gorge.
« Vous ne devez pas aller là-bas. Quelque chose de profondément sombre et corrompu s’y terre… Plus encore que par le passé. J’ai peur pour vous. »
La femme-automate se sentit prise au dépourvu par cette déclaration ; elle appréciait qu’on s’inquiétât pour elle, malgré son étrange nature d’esprit désincarné dans un corps de métal.
« Swan… commença-t-elle, avant de se souvenir que ce nom, c’était là-bas qu’on le lui avait attribué.
— Si vous ne revenez pas, vous allez manquer à beaucoup de monde. À Vesper. À Malvin et à Phyra. À tous les gens qui se sont attachés à vous. S’il vous plaît, Anha, laissez-moi y aller à votre place ! Vous n’avez pas besoin de le dire au directeur. Je saurai persuader Peter… »
Prise de court par cette déclaration, elle le dévisagea fixement. Le jeune homme ne plaisantait pas. Le tremblement dans sa voix, les lignes tendues de son corps élancé, tout en lui exprimait cette supplication. En d’autres temps, elle l’aurait trouvée à la limite du ridicule, mais elle avait appris à connaître les tourments qui affectaient l’agent de Gladius Irae.
Avec une infinie douceur, elle posa ses mains de métal sur ses épaules de son compagnon :
« Non, Sw… Paul. Je ne peux vous laisser faire cela. Même avec vos dons, ce sera bien trop risqué. Et vous aussi, vous êtes précieux pour beaucoup de monde. Votre famille, vos amis… L’avis trop brutal de quelques personnes ne reflète ni ce que vous êtes ni ce que vous représentez pour les autres. Pour moi… vous êtes un héros, Paul ! »
Elle n’aurait pas cru ce dandy insolent capable de rougir, mais la gêne et la confusion firent affluer le sang sous sa peau claire, ornant ses joues d’un délicat incarnat. Ces nouvelles couleurs le rendaient plus charmant encore qu’à l’ordinaire. Même si ses affections la portaient vers quelqu’un d’autre, elle pouvait comprendre les sentiments évidents d’Evy.
« Paul, enchaîna-t-elle avant qu’il ne trouve d’autres arguments, s’il m’arrive quoi que ce soit, votre connaissance d’Eilean ar Marbh sera indispensable pour me sortir de là. Promettez-moi de ne prendre aucun risque tant que ce ne sera pas nécessaire ! »
Swan baissa la tête, admettant en silence la validité de ses paroles. Enfin, un murmure passa ses lèvres :
« Je vous le promets, Anha. »
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