En principe, il ne devait plus y avoir qu'un chapitre avant la conclusion, mais il était plus logique de le scinder en deux. Celui-ci sera donc un peu plus court que d'habitude. Bonne lecture !
Swan se jura qu'il ne gravirait plus jamais la moindre échelle ; il l'avait assez fait pour toute une vie. Les vertiges le reprenaient de plus belle ; il se sentait glacé. En glissant la main sur son blouson, il avait constaté que son bandage de fortune était trempé de sang. Mais ce n'était pas le moment de s'en inquiéter : une fois que tout serait fini, il pourrait rester dans son lit à profiter des attentions qu'on voudrait bien lui prodiguer.
S'il survivait, bien sûr.
Mais il se répéta encore une fois qu'il n'avait aucune intention de mourir.
Il plaça enfin la dernière charge, régla le minuteur et descendit lentement les barreaux. À chaque pas, ses jambes menaçaient de se dérober sous lui ; il fut soulagé de sentir le sol sous ses semelles. Une fois à terre, Swan échangea un regard avec Vesper :
« Que faisons-nous ?
— Je propose de sortir de la pièce et de refermer la porte. De toute façon... »
Il adressa un sourire au jeune homme, dans la pauvre lueur de sa lampe-torche :
« Je doute que nous puissions aller très loin avant l'explosion.
— Ce n'est pas faux... »
Sans avoir besoin d'en dire plus, ils se dirigèrent vers la sortie de la salle. Swan passa le premier ; à sa grande surprise, il se trouva aussitôt pris dans un violent faisceau de lumière. Protégeant ses yeux d'une main, il referma la porte de l'autre en s'écriant, le plus distinctement possible :
« Que se passe-t-il ici ? »
Il espérait que Vesper l'entendrait et comprendrait qu'il devait rester dissimulé, tout en se protégeant au mieux des explosions. La salle était assez vaste pour lui permettre de demeurer hors de portée des charges... en théorie.
« Il semblerait, monsieur le Voyageur, ou quel que soit votre nom, que vous soyez un fieffé menteur », déclara une voix précise et autoritaire, qu'il ne manqua pas de reconnaître.
Céos.
« Vous aviez promis de quitter cette ville... mais je vois que vous être un traître de nature, tout comme votre protecteur. »
Il y avait dans sa voix un profond ressentiment, qui n'étonna pas vraiment Swan. Son père adoptif s'était fait un certain nombre d'ennemis au cours de la longue vie, et les titans en faisaient partie – du moins cette génération : les Douze étaient en quelque sorte leurs descendants, ce qui rendait les choses compliquées. Les repas de famille devaient être... intéressants.
Même s'il brûlait de défendre son protecteur, il se doutait que Céos ne serait pas particulièrement réceptif. Il se contenta de le toiser d'un air dégagé, fourrant ses mains dans ses poches. Une douleur lancinante pulsait dans son flanc et ses vertiges s'intensifiaient. Son cœur battait de plus en plus vite, un effet corollaire de la perte de sang. Il sentait la chaleur poisseuse de l'hémorragie envahir tout son côté.
Ce serait un peu décevant de mourir de cette façon, sans avoir pu admirer les conséquences du sabotage qu'ils avaient pris tant de peine à mener à bien.
« Je crois qu'il reste vingt minutes avant la fin de votre ultimatum, fit-il remarquer en forçant un sourire sur ses lèvres tremblantes.
— Mais j'avais aussi exigé que vous quittiez les lieux. Comment avez-vous fait pour laisser croire que vous étiez parti... puis taire votre présence ?
— Secret professionnel », répondit-il narquoisement.
Il espérait que le titan respecterait suffisamment sa nature d'éveillé pour ne pas le faire directement abattre par ses sbires.
« Décidément, vous aimez jouer au plus malin. Savez-vous pourquoi je vous ai repéré ? Vous devenez négligent. Ou peut-être êtes-vous trop faible pour vous couvrir correctement ? C'est la raison pour laquelle vous vous êtes réfugié ici. Soyez raisonnable... Vous êtes sérieusement blessé. »
Céos baissa légèrement la tête :
« Vous n'avez pas prévenu les vôtres... N'est-ce pas ? »
Swan déglutit péniblement. Son ennemi ne devait surtout pas connaître la présence d'Angelia.
« Non, puisque je ne suis pas sorti de Skellet...
— Alors je pense que je pourrai changer un peu la teneur de notre... accord. Vivant, vous pouvez m'être précieux... en tant qu'otage. Je suppose que votre protecteur tient à vous : c'est tout à fait son genre. Je vous donne une chance de poursuivre votre séjour ici, en toute sécurité. Vous recevrez les soins dont vous avez besoin et vous bénéficierez de tout le confort possible, cependant... »
Même dans la pénombre, le gouffre de son regard était perceptible et semblait l'attirer, pour le faire sombrer dans ses profondeurs :
«... vous allez devoir me donner le nom de vos complices. Ou je prendrai dix personnes au hasard et je les ferai exécuter.
— Cela ne fera que les libérer. Vous tuez déjà les infirmes, les malades, les gens âgés... Pire encore, vous les donner en pâture aux autres. Vous leur ôtez leurs souvenirs, leur volonté...
— Les morts ne s'échappent pas d'ici », rappela avec mépris le titan.
La monture dorée de ses lunettes brillait doucement, tandis que ses traits demeuraient dans l'ombre, au-delà de la lumière braquée sur le jeune homme. Il sentait ses yeux larmoyer sous l'effet de la clarté trop violente. Mais son inconfort importait peu : il devait gagner du temps. Les charges auraient dû partir depuis un moment... Que se passait-il donc ?
« Oh, je le sais. »
Il écarta lentement les mains :
« C'est pour cela que je préfère, à tout prendre, que vous m'exécutiez maintenant. Et même si vous ne le faites pas, de toute façon, sans soins adéquats, je pense que je ne survivrai pas bien longtemps. »
Il s'attendait presque à être déchiré de balles, mais aucun coup de feu ne retentit. Après un temps de silence, il reprit :
« Et vous ne pourrez pas... Vous... »
Il laissa sa voix mourir, ferma les yeux et tomba délibérément au sol, en espérant que sa supercherie ne serait pas découverte. Le choc contre la dure surface de métal lui coupa la respiration et envoya une nouvelle vague de douleur dans son corps blessé. Mais il devait lutter pour rester conscient, ou il ne pourrait pas venir à l'aide de Vesper.
Comme dans un rêve, il entendit le titan aboyer des ordres aux Régulateurs qui l'accompagnaient. Il perçut des pas lourds qui se rapprochaient de lui...
De l'autre côté de la porte, trois détonations retentirent, presque simultanément, suivi d'un bruit de cristal brisé. Mais au lieu de s'arrêter, le tintement ne faisait que s'amplifier, encore et encore.
Et il les sentit.
Les esprits.
Par vagues successives, ils quittaient leur prison, juste de faibles échos qui se répétaient à l'infini, mais qui déferlaient par essaims entiers vers la source de puissance le plus évidente.
Céos.
Profitant de la surprise de ses ennemis, Swan roula sur lui-même vers un coin d'ombre. Usant de ses dernières forces, il se releva et se jeta dans la pièce des cristaux. Des esprits le traversèrent, négligeant son énergie vitale défaillante, mais le laissant plus glacé encore qu'il ne l'était déjà.
« Vesper ! Vesper ? »
Il finit par buter sur le jeune homme, recroquevillé près de la porte. Il pouvait entendre sa respiration rauque et douloureuse.
« Vesper !
— Sw... Swan ? »
Derrière eux, les cristaux continuaient d'exploser. Il sentit des éclats le frapper ; l'un d'eux lui érafla la joue, un autre se planta dans son cou.
« Protégez vos yeux ! »
La porte claqua derrière eux. À la faible clarté des filets de brume luminescente qui tourbillonnaient dans la pièce, comme des vapeurs indécises, il vit briller une monture d'or. Céos était parvenu à invoquer suffisamment de volonté pour repousser les attaques, même si l'effort l'avait sans nul doute épuisé.
« Vous ne me laissez pas d'autre choix... » prononça-t-il d'une voix glacée.
Swan entrevit le canon d'une arme braqué sur eux. Mais déjà, il avait refermé la main sur son Luger. Sans le moindre état d'âme, il tira. Le titan bascula lourdement ; aussitôt ; les volutes constituées de centaines d'esprits, dont les visages étaient visibles par intervalles au milieu de cette masse informe, convergèrent vers l'ennemi abattu. Il ne distingua bientôt plus qu'un magma éthéré qui se tordait au-dessus du corps prostré.
Swan ne perdit pas de temps : il saisit Vesper à bras le corps, invoqua tout ce qui lui restait de forces pour ouvrir un dernier portail et se projeta au travers, poussant le jeune homme devant lui. Il chuta sur une surface dure et inégale. L'air froid sentait la poussière, l'herbe, la neige... tout sauf le métal et la rouille de Skellet. La lumière était si vive qu'elle lui blessa les yeux. Avec un faible sourire, il ferma les paupières et se laissa sombrer dans l'inconscience...
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