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tome 1, Chapitre 8 « Ash - 2 - Plan d'action » tome 1, Chapitre 8

« Encore un effort ! Ce n'est pas si compliqué ! »

Joignant la démonstration à l'explication, Vertigo bondit et atterrit sur le mur du fond de la serre désaffectée, le corps parallèle au sol.

« C'est assez simple en fait : quand tes pieds touchent le mur, le module génère aussitôt une bulle de gravité à l'endroit où tes semelles se posent. »

Il fit quelques pas avant de poursuivre :

« C'est un peu comme si une pièce de fer se décollait d'un aimant pour subir l'attraction d'un autre aimant.

— Et je suis la pièce de fer ? Je comprends la théorie, déclara Anha, mais je crains de le faire. À chaque fois, je tombe, mon revêtement est cabossé et Malvin doit le réparer. »

Ash comprenait le découragement de la jeune femme : il avait dû s'entraîner de longues semaines pour parvenir à maîtriser le principe. Il avait accumulé les bosses, les bleus et même quelques fractures avant de contrôler enfin le dispositif. Plus, en fait, à cause d'une crainte persistante de tomber et des réflexes qui en découlaient, induisant des conséquences désastreuses. C'était sans doute pareil pour la jeune femme, mais elle possédait un atout par rapport à lui et il était bien décidé à l'employer. D'un bond souple, il regagna le sol de la serre et fit face à son « élève » :

« Sors de ton corps.

— Co... comment ? balbutia l'esprit.

— Tu as bien entendu ! Sors de ton corps. »

La silhouette mécanique se figea et la forme légèrement translucide d'Anha en émergea, tel qu'il l'avait rencontrée. Sauf qu'au lieu de porter sa tenue d'ouvrière, elle était revêtue d'un ensemble similaire à celui figuré sur l'automate. Ash la contempla avec un peu de surprise, mais elle soutint crânement son regard. Bien décidé à ne pas se laisser distraire, il posa les deux mains sur ses hanches et déclara :

« Bien. Je veux que tu fasses ce que je t'ai montré, mais pour l'instant sans ton corps mécanique. Cela t'habituera à te « penser » dans d'autres positions que celle qui t'est habituelle. »

Elle poussa un soupir :

« Je suppose que je ne peux pas léviter.

— Strictement interdit. »

Le visage d'Anha prit une expression concentrée ; elle se mit à courir et bondit sur le mur, comme il l'avait fait précédemment, mais elle s'enfonça totalement au travers. Une seconde plus tard, elle réapparut, mortifiée. Ash savait à quel point elle avait travaillé pour pouvoir évoluer « normalement ». Il la croyait tout à fait capable de s'adapter, bien plus vite qu'il ne l'avait fait. Surtout si elle ne possédait pas le terrible travers dont il souffrait depuis toujours, celui de tout intellectualiser à outrance.

La jeune femme serra les dents et repartit, visiblement bien décidée à obliger sa forme éthérée à se soumettre aux règles qu'elle lui imposait. Les deux essais qui suivirent ne furent pas fameux, mais le troisième, enfin, se révéla couronné de succès. Elle parvint non seulement à courir sur le mur, mais aussi à poursuivre sa route sur le plafond. Par jeu, il la rejoignit d'un bond agile, heureux de sentir son corps lui obéir à nouveau, sans lenteur ni douleur. Ils restèrent un moment, la tête en bas, à se regarder, avant d'éclater de rire.

« C'est parfait ! Mais à présent, il va falloir que tu fasses la même chose avec ton nouveau corps. »

Anha esquissa une grimace éloquente ; elle était toujours extrêmement expressive sous sa forme d'esprit, sans doute pour compenser le fait que son visage de métal n'était qu'un masque rigide. Elle regagna son corps cuivré pour répéter la tentative. Elle dut s'y reprendre à plusieurs fois, mais au bout de la quatrième, elle finit par effectuer parfaitement l'exercice.

Ash se laissa tomber, essoufflé, sur l'un des bacs emplis de végétaux momifiés, tournant le dos aux chapelets de lumières de la période nocturne. L'éclairage visible à travers la grande verrière, qui donnait sur l'espace central de Skellet, leur suffisait pour se livrer à leur entraînement. Ils ne pouvaient courir le risque d'atterrir sous le regard d'un ouvrier des équipes de nuit, même s'il ne réalisait pas leur présence. Il prit une profonde inspiration, soulagé de sentir ses côtes s'écarter sans que la moindre douleur ne fuse dans sa poitrine. Après un court temps de repos, ils regagnèrent l'intérieur de la Tanière, où ils furent reçus par un Malvin jubilant

« J'ai une grande nouvelle à vous annoncer ! » lança-t-il avec un large sourire.

Il ne prit même pas note des chocs supplémentaires sur leurs armures, ce qui prouvait l'importance de ladite nouvelle.

Ash le fixa avec stupeur, sans oser formuler ce qu'il supposait. Il savait que Malvin avait profité de la nuit pour faire de nouvelles explorations : celles-ci les menaient de plus en en plus bas dans le cylindre central de Skellet, jusqu'au niveau de la forge. L'installation fonctionnait jour et nuit ; un grand nombre d'ouvriers s'y massaient – et, avec eux, un grand nombre de régulateurs. Contrairement à Vertigo, le mécanicien était parfaitement visible du reste de la population ; pour peu qu'un espion de la Haute administration le repère, il serait aussitôt pris et éliminé.

« J'en ai trouvé une ! finit par lâcher Malvin, terrassé par l'impatience. À l'arrière d'un des entrepôts qui donnent sur la forge. Bien sûr, ça pullule de Régulateurs, mais je n'ai vu aucun Capteur dans le champ. »

Bien entendu. C'était logique. Ils étaient là pour empêcher les habitants vivants de fuir – ou bien de rentrer ; la barrière immatérielle suffisait probablement à restreindre les esprits dans Skellet.

« Tu l'as vraiment... vue ? » demanda-t-il avec prudence, connaissant l'enthousiasme facile du mécanicien.

Malvin demeura silencieux un instant, avant de répondre :

« C'est tout comme ! J'ai vu des ouvriers transporter des caisses... Et même des chariots circuler. Je suis certain qu'une des ouvertures doit se trouver là.

Anha s'abstint diplomatiquement de tout commentaire. Ash se frotta la tête en soupirant, avant de remarquer :

« Ce n'est que la... vingtième fois depuis quatre ans ? »

Le mécanicien croisa son bras naturel par-dessus le métallique et toisa les deux jeunes gens :

« Croyez ce que vous voulez, mais je sais ce que j'ai vu. Et je suis certain que nous tenons le bon bout ! Tu es guéri et Anha sera bientôt capable de te suivre. Nous ne pouvons remettre les choses à plus tard. Plus nous attendons, plus nous courrons le risque de nous faire découvrir avant de passer à l'action. Ne penses-tu pas qu'il est temps de finaliser opération, maintenant que nous avons un itinéraire de sortie probable ?

Ash inspira profondément : depuis qu'ils avaient formulé ce projet, il avait vécu pour ce moment... et il l'avait tout autant redouté. Malgré les dangers qu'il affrontait chaque jour, malgré leur existence souvent précaire, il avait fini par s'habituer à cet état de fait. Se lancer dans cette mission signifiait détruire cet équilibre fragile, mais bien réel. Sans garantie de réussite...

D'ailleurs, il devait avouer que le succès lui faisait aussi peur que l'échec. Dans tous les cas, ils allaient tous plonger vers l'inconnu...

Il enviait l'optimisme de Malvin. Quant à Phyra, il n'était même pas vraiment sûr qu'elle se souciait de ce qui se passait autour d'elle. S'ils ne revenaient pas, elle demeurerait à l'abri dans la Tanière et finirait sans doute par reprendre sa petite vie, dans la mesure où Skellet continuerait à fonctionner. Restait Anha. Il l'interrogea du regard.

Le visage métallique ne trahissait rien, pas plus que les étranges yeux facettés. Elle se contenta d'acquiescer de la tête, pour montrer qu'elle était prête à les suivre. Malvin n'en demandait pas plus :

« Très bien ! C'est parti ! »

Il marqua une pause avant de reprendre :

« Ne vous inquiétez pas. Il est hors de question que nous nous précipitions sans réflexion dans l'affaire. Quand je dis que nous devons lancer les choses, je parle de préparer un vrai plan. Et nous prendrons le temps qu'il faudra pour que tout soit réglé à la perfection. »

Il laissa son regard errer de façon appréciatrice sur le corps métallique d'Anha :

« Comme une belle mécanique... Allez, les gamins, je vous attends à l'atelier. J'ai quelque chose à vous montrer ! »

Ash et Anha se regardèrent, résignés, avant de suivre le mécanicien vers sa salle de travail. L'espace avait toujours exercé un effet très paradoxal sur Ash : d'un côté, il trouvait absolument fascinante la créativité extraordinaire de Malvin, son talent pour assembler les systèmes les plus complexes, et aussi les plus beaux - quand il s'en donnait la peine. Mais il s'y sentait comme un étranger, incapable de comprendre ce qui déroulait vraiment. À ses débuts avec ses deux aînés, il avait bien tenté de l'aider, mais Malvin avait déclaré qu'il était plus destructeur qu'autre chose et lui avait virtuellement interdit d'approcher ses bricolages.

Le mécanicien n'était pas doté d'un tact naturel et Ash avait tendance à beaucoup trop réfléchir, que ce soit sur lui-même et sur ce qui l'entourait. Cette expérience négative, conjuguée à sa triste situation, l'avait plongé dans une profonde déprime, jusqu'à ce que Malvin fasse l'effort de lui expliquer que tout le monde n'était pas doué pour les mêmes choses, et qu'il avait probablement d'autres capacités. À partir de là, ils avaient intensivement cherché quels étaient les points forts du garçon.

Ash devait avouer qu'il était plus à l'aise avec les abstractions qu'avec leurs applications. Il possédait une grande mémoire et une logique parfaite. Si la créativité n'était pas son atout principal, il savait analyser les données d'un problème et démêler des plans complexes qui laissaient Malvin un peu perdu. Aussi le mécanicien allait-il parfois chercher son conseil, mais il avait l'interdiction absolue de toucher le moindre outil.

Ils avaient également découvert, un peu par hasard, que le jeune homme avait dû apprendre à se battre dans sa vie passée. À Skellet, les couteaux n'étaient qu'utilitaires, mais il possédait l'intuition d'une forme de combats basée sur des lames plus ou moins longues. Il pratiquait durant des heures, laissant son corps se souvenir des gestes qu'il avait sans doute effectués encore et encore. Il avait aussi réussi, une fois, à voler et ramener les armes des régulateurs, un étrange dispositif muni d'une poignée et d'un système destiné à faire partir des projectiles grâce à une charge de poudre.

Malvin l'avait longuement étudié, afin de pouvoir en recréer un exemplaire, si besoin. Il était parvenu à produire d'autres munitions grâce aux fournitures qu'il prélevait dans les entrepôts. Encore une fois, Ash avait montré dans le maniement de cet engin une expertise qui ne pouvait certainement pas être innée. Autant le jeune homme était heureux de se découvrir ces compétences, autant trouvait-il énigmatique, troublant même, qu'on lui ait inculqué tout à la fois des connaissances linguistiques et martiales.

Mais pour le moment, le problème était autre. Une fois dans l'Atelier, les trois hors-la-loi se regroupèrent autour d'une petite table dressée au milieu de la pièce, recouverte d'une légère toile. Quand Malvin la souleva, ils purent contempler une maquette de Skellet, dont les murs s'ouvraient pour dévoiler toutes les voies de circulation, y compris celles incluses dans les parois. Ash avait pris l'habitude de ne plus s'étonner des miracles que le mécanicien était capable de créer de ses cinq doigts de chair et de sa main métallique, mais il lui arrivait tojours de rester profondément impressionné.

Il examina avec fascination cette reproduction miniature : il n'avait jamais réfléchi à l'apparence que Skellet pouvait avoir, vue de l'extérieur. Le cylindre n'était pas strictement circulaire, mais légèrement aplati, et se rétrécissait vers le bas. Il était soutenu par une structure verticale, à laquelle se rattachaient les treize niveaux de côtes – une paire de plus que les êtres humains, s'amusaient parfois à préciser Malvin.

Et c'était ce qui, en un sens, était troublant. Vu ainsi, Ash avait l'impression qu'ils vivaient tous dans le torse d'une étrange créature métallique. Mais il laissa cette pensée s'évanouir avant même de la formuler ; il ne devait en aucun cas plonger dans ses propres élucubrations, au risque de s'y perdre.

« Bien, commença Malvin. La sortie que j'ai repérée se trouve ici, en bas... »

Il ôta un pan de mur, découvrant les espaces stylisés des entrepôts.

« J'y suis arrivé par les boyaux d'entretien des canalisations, mais nous devons réfléchir à un trajet plus simple et naturel pour ceux qui voudraient échapper à la ville. Vu que tu connais mieux que moi les voies « classiques », je pense que tu pourrais m'y aider.

— Est-ce que les entrepôts communiquent seulement avec la forge, mais aussi avec les circulations intérieures de la ville ? demanda Ash en se frottant pensivement le menton.

— Il y a une circulation par là, répondit Malvin en montrant une rampe qui partait sur le côté. Je suppose que ce n'est pas un lieu de livraison de matière première seulement pour la forge.

— Clairement. »

Ash se pencha sur la structure, les sourcils froncés :

« Cependant, je vois que les passages sont bloqués par de grandes parois métalliques, juste ici, remarqua-t-il en désignant du doigt les structures. Ce sont des portes, n'est-ce pas ?

— Oui, tout à fait. J'ai trouvé un système d'ouverture par glissière qui semble bien entretenu.

— Et donc, poursuivit pensivement le jeune homme, si nous ouvrons en grand cet espace, nous créerons une circulation que les habitants de la ville trouveront instinctivement... »

Il marqua une pause avant de poursuivre :

« Ce n'est pas plus mal : si les habitants de Skellet se réveillent de l'état de suggestion dans lequel ils sont plongés depuis leur arrivée, ils auront sans doute le réflexe de descendre plutôt que de monter. Ils arriveront assez aisément au niveau de la Treizième côte. Cependant, la communication entre la Treizième côte et le niveau du sol pose quelques problèmes. Il leur faudrait passer par la forge pour gagner les entrepôts ; ce qui n'est pas sans danger : le feu, le métal en fusion, une population paniquée... je n'ose même y penser...

— Tu as raison, déclara Malvin, magnanime. J'y ai pensé aussi. Mais comme tu vois... »

Il ôta le « plafond » de la forge et désigna une nouvelle série de dispositifs :

« Il est parfaitement possible d'actionner les différentes portes pour bloquer la forge et créer un chemin obligé, qui présenterait bien plus de sécurité. Qu'en penses-tu ?

— C'est tout à fait envisageable, en effet, approuva Ash. Tu peux contrôler tout cela depuis la Tête, je suppose ?

— Oui, mais la Tête fonctionne grâce à l'énergie du Cœur. Il va donc falloir s'occuper des portes juste avant de le saboter.

— Mais... Tu sais comment faire ? s'alarma le jeune homme, qui n'avait pas toujours une confiance absolue dans l'assurance inébranlable du mécanicien.

— J'ai travaillé dans la Tête, n'oublie pas. Et maintenant que l'issue est trouvée, je vais pouvoir me concentrer spécifiquement là-dessus. J'ai redessiné de mémoire les plans que j'avais gardés en tête, mais je ne désespère pas de mettre la main sur un schéma plus récent. Ça ne devait pas être si difficile. »

Le mécanicien ricana :

« La suggestion qui pèse sur les habitants a tué toute leur curiosité. Du coup, ils ne pensent même pas qu'on peut leur voler quelque chose. Et s'il y a un grain de sable dans leur système, c'est Vertigo, qui s'oppose principalement aux capteurs. Depuis des années, tu constitues une fabuleuse diversion, en fait ! Je n'aurai sans doute aucun mal trouver l'endroit où ils conservent le plan, d'autant que rares sont ceux qui peuvent exploiter ce genre de documents ! »

Ash baissa la tête, pensif.

« Tu devras agir seul alors, constata-t-il avec tristesse. Sans que personne ne puisse t'aider si les choses tournent mal.

— Je suis un homme de l'ombre, Ash, je sais me faire discret. C'est toi qui auras de loin la partie la plus dangereuse. C'est pourquoi il vaut mieux qu'Anha vienne avec toi. »

Il marqua une pause avant de poursuivre :

« Nous allons nous donner... mettons une décade, pour finaliser tout ça ! Durant cette période, je me débrouillerai pour trouver la documentation qui me manque au sujet de la Tête.

— Et nous, pendant ce temps, nous observerons avec attention les allées et les venues autour du cœur pour déterminer à quel moment il sera le moins risqué d'y pénétrer. Ce qui ne sera pas aisé, vu qu'aucun conduit de maintenance annexe ne semble y aboutir, ajouta-t-il en baissant un regard critique sur la maquette.

— Juste les conduits d'alimentation, confirma Anha, prenant la parole pour la première fois. Mais ils sont surveillés et régulièrement vérifiés.

— Tu n'aurais pas fait partie des équipes qui y interviennent, par hasard ? demanda Malvin avec intérêt.

— Non, mais tout électricien de Skellet doit connaître les circuits généraux. De toute façon, ajouta-t-elle tristement, je n'avais rien d'autre à lire que la documentation sur mon métier.

— Raison de plus pour que tu accompagnes Ash », déclara le mécanicien.

La jeune femme demeura un moment silencieux, avant de demander :

« Mais pourquoi une décade ? Pourquoi ne pas simplement attendre d'être prêts ?

— Parce que sinon, expliqua Ash gravement, nous trouverons toujours une bonne raison de repousser encore notre action. Alors que si nous nous fixons un but... »

Il plissa légèrement les yeux avant de conclure :

« ... nous ne pourrons plus reculer. »


Texte publié par Beatrix, 15 janvier 2016 à 00h56
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