J’étais enfin arrivé à la maison. Rien n’avait changé. Les peintures représentant l’océan, le vieux poêle à bois, les statues africaines, le fauteuil en bois flotté au milieu du salon, tout était là, à sa place.
Et puis, il y avait toujours cette odeur si caractéristique d’ici. Cette odeur de lavande, de bois et de poussière.
J’eus un choc en entrant dans la maison, de nombreux souvenirs remontaient à ma mémoire dans un chaos infernal. Un peu comme les feuilles des arbres balayés par le vent d’automne.
J’avais vécu ici de ma naissance à mes dix ans. Nous avions déménagé, ma mère et moi, suite à la mort de mon père dans un accident de bateau. Il était pêcheur et, lui et ses compagnons, avaient l’habitude de chasser en haute mer malgré les risques que cela comportaient. Un jour, une violente tempête éclata. Je me souviens que, de la maison, on pouvait voir d’immenses vagues frapper les roches de la falaise. Le vent était si intense, que les arbres courbaient sous son souffle. On entendait son sifflement sinistre à travers les rayures des portes et des fenêtres. Mais le plus terrible, c’était ce ciel noir, déchiré par moment par de puissants éclairs. J’avais peur pour mon père, j’étais terrorisé mais en même temps fasciné par le spectacle.
Le lendemain, seul quelques carcasses du bateau furent retrouvées, personne n’avait survécu. Ma mère tomba dans une profonde dépression et l’on déménagea tous les deux vers la capitale, loin de mon île natale.
Cela faisait vingt ans que je n’avais pas remis les pieds ici et c’était non sans émotions que je redécouvrais l’île et mon ancienne maison. J’avais senti le besoin de revenir ici après mon licenciement. Il m’avait viré car j’étais trop discret et que je ne prenais pas assez d’initiative. Je n’étais pas spécialement triste de la situation. A vrai dire, cela faisait des années que je ne ressentais plus grand chose. Peut-être étais-je quelqu’un de bizarre mais, de manière générale, mes émotions étaient plutôt neutres. Que se soit en amour ou en amitié, je ne ressentais jamais de profonds élans de tendresse ou d'affection pour les autres. Bien sûr j’appréciais me retrouver dans les bras d’une femme ou la compagnie d’un amis mais cela n’allait pas plus loin.
Je dirais que, depuis mon adolescence, je n’ai ressenti que très rarement d’intenses émotions de joies ou de tristesses. Jusque-là, cela ne me dérangeait pas. C’était mon caractère et, simplement, j’étais comme ça. Mais, depuis mon licenciement, je sentais en moi comme un vide profond qui me dérangeait.
Je passais la plus grande partie de mon temps à remettre ma vie en question et à me demander à quoi ressemblerait mon futur si je continuais de cette façon. Je n’avais pas vraiment d’ami, j’étais célibataire depuis plusieurs années et je ne sortais que très rarement de chez moi. J’avais un physique banal, aucune passion et peu de confiance en moi. Je n’étais pas quelqu’un d’intéressant. Disons-le franchement, j’étais carrément chiant.
Cette prise de conscience n’était pas très agréable car elle mettait en lumière mes défauts. Une certaine lâcheté face à la vie et une complaisance dans ma médiocrité.
C’était au cours de ces réflexions que j’eus l’idée ou plutôt l’envie soudaine de retourner sur l’île où j’avais grandi. Là-bas, j’avais passé les plus belles années de ma vie. J’étais un garçon plein de vie et énergique. Je passais mon temps dehors à jouer et à inventer milles histoires. Et puis, il y avait l’océan. Splendide, immense, mystérieux. Il m’avait toujours fasciné par sa beauté cruelle. Je me rendais compte aujourd’hui qu’il me manquait terriblement.
Dans mon ancienne chambre, je retrouvais avec nostalgie mes bandes dessinées et mes jouets de l’époque. La maison appartenait encore à ma mère mais elle la laissait à l’abandon. Je m’étais décidé à venir sur un coup de tête. J’en avais ressenti le besoin.
Tout était comme dans mes souvenirs.
Tous les jours, je sortais marcher durant de longues heures au milieu des plages, des sentiers, des falaises et des villages de mon enfance. Lors de ces balades, je repensais à tous ces moments merveilleux que j’avais vécu ici, mais aussi à mon père.
Mon père avait l’art de raconter des histoires et de faire rêver le gamin que j’étais. Chaque soir, il me contait ses aventures lors de ses sorties en mer. Il avait déjà vaincu des hordes de requins affamés, découvert des espèces encore inconnues de l’homme et même rencontré le dieu de l’océan, Poséidon en personne !
Bien que j’avais conscience que tout cela n’était que des récits fantastiques inventés pour me faire rêver, une partie de moi y croyait. Je n’ai jamais vraiment cru à sa mort. Je voyais mon père comme un héros imbattable et immortel. Lorsqu’on m’a annoncé son décès, je n’ai même pas le souvenir d’avoir pleurer. Je niais tout simplement la réalité, c’est ici que j’en prenais conscience.
Le troisième jour, j’étais parti si loin et si longtemps que j’étais arrivé dans une région de l’île que je ne connaissais pas. Il y avait beaucoup de vent et le ciel était couvert d’épais nuages gris, on aurait dit qu’un immense mur de béton froid et terne avait été construit juste au-dessus de nos têtes. Comme si le ciel avait disparu.
Je me trouvais au cœur d’une immense plaine située au-dessus des falaises. Je n’avais aucune idée du lieu où j’étais. Je vis soudain un sentier qui menait au pied d’une côte. Le passage était extrêmement dangereux et la pente particulièrement raide. J’hésitais quelques instants et me décidai finalement à m’y aventurer.
Ma vie manquait de folie et d’excitation, j’avais un besoin urgent de me sentir vivant. J’entamais la descente et, très honnêtement, je risquais d’y laisser ma peau. J’avais peur, j’étais tétanisé mais au moins je ressentais quelque chose. Non sans difficulté, j’étais parvenu à atteindre la crique. Elle était magnifique. Je retrouvais cette sensation que j’aimais tant et si particulière du sable sous les pieds. Sa couleur jaune contrastait avec le temps gris. A l’extrémité de la plage, s’était formé dans la roche un grand trou noir laissant deviner l’existence d’une grotte.
Dans l’eau, à quelques mètres du rivage, trônait fièrement un immense rocher inquiétant sur lequel les vagues venaient s’écraser. L’endroit était aussi beau que menaçant.
J’entendis soudain un cri, un hurlement sauvage et vis jaillir de la grotte une créature monstrueuse. Énorme, des muscles nettes et dessinés, des dents aiguisées. La bête était recouverte d’épais poils noirs. On aurait dit une sorte de singe, de gorille, ou plutôt, on aurait dit cet animal mythique qu’on appelait Yéti.
Debout sur ses deux jambes, le monstre frappait son torse de ses mains puissantes. Il sautait dans tous les sens avec une agilité déconcertante, ses yeux étaient injectés de sang et, de sa gueule, coulait une quantité de bave invraisemblable. Peut-être n’en n’avais-je pas eu le temps mais je n’avais pas eu peur, j’étais fasciné par l’animal.
Il prit une lourde et imposante pierre et l’a lança dans ma direction. J’eus tout juste le temps de l’esquiver. Sans réfléchir, je sortis de mon sac à dos le sandwich que je m’étais préparé et le balançai vers la créature. Il se précipita vers le mets, le prit dans sa main et repartit en direction de la grotte.
Le lendemain, je retournais exactement au même endroit et allait volontairement à la rencontre de l’animal. J’avais cette fois-ci préparé deux sandwichs que je posais sur le sable. Après quelques minutes, le singe sortit de sa grotte en hurlant. Il était toujours aussi enragé que la veille mais je percevais malgré tout quelque chose de différent. Peut-être moins d’animosité. Il prit les deux sandwichs et s'enfuia vers la grotte.
Chaque jour, j’allais voir la bête et lui amenait à manger. Et, chaque jour, l’animal sortait des rochers en hurlant, prenait la nourriture et s’enfuyait. Mais, au bout du huitième jour, il commençait à manger directement sur le sable, devant moi. Dans ces moments-là, il se calmait de façon surprenante. Bien qu’une quinzaine de mètres me séparait de lui, je l’entendais mastiquer et respirer bruyamment. Une fois son repas terminé, il repartait en direction de sa grotte.
Cela faisait deux semaines que j’étais arrivé sur l'île et que j’avais rencontré celui que j’appelais “le singe des sables”. Mais ce jour-là était la dernière fois que j'allais lui rendre visite. Je partais le lendemain matin, je devais prendre le bateau à sept heures.
Il était au milieu de la plage, allongé sur le dos. Je l’entendais pousser de petits gémissements qui me semblaient être de douleur.
Je ne l’avais jamais vu comme ça, c’était la première fois qu’il ne m’accueillait pas avec ses hurlements sauvages. Je m’approchais doucement vers lui. Je ne l’avais jamais vu d’aussi près. Nos regards se sont croisés, j’avais l’étrange sensation d’être en face d’un être humain. Je voyais qu’il essayait de se relever mais qu’il en était incapable. Sur son torse, une plume de goéland était posée. Peut-être était-ce elle qui l’empêchait de bouger. Je soufflais dessus et elle s’envola dans les airs. L’animal se releva d’un coup et gronda violemment vers le ciel avant de disparaître dans les rochers.
Les nuages s'étaient soudainement dispersés, laissant place à une voûte bleu azur. C’était la première fois que je voyais le ciel depuis que j’étais arrivé.
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