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tome 1, Chapitre 22 « 1.05 (Part 5) Les chemins de l'univers [Partie 2] » tome 1, Chapitre 22

Debout près de l’entrée de la pyramide, Allegra, inquiète, observait l’extérieur. Ils venaient d’installer leurs quartiers dans une pièce inoccupée au niveau inférieur. Tout le groupe partagerait le même dortoir, mais cela ne la dérangeait pas. En fait, cela la rassurait.

Elle connaissait ces gens depuis cinq ans, et si elle avait gardé une distance jusqu’à présent – à cause de sa fonction –, elle ne pouvait plus se le permettre. Ils étaient la seule famille qui lui restait ; les seuls rescapés de Palladine, d’après ce qu’elle en savait.

Talla apparut près d’elle. La guerrière, équipée, son fusil entre ses bras, contempla l’extérieur en silence. Les lumières diffuses du hall faisaient scintiller ses tatouages. Dès qu’elle aurait une seconde, il fallait qu’elle lui demande de lui raconter leurs histoires. Ils en avaient forcément une ; c’était la tradition dans les tribus nomades du désert de Satynia.

Mais ce n’était pas le moment. Vigilante, le lieutenant examinait le village, attentive aux positions des différentes forces de sécurité. Allegra se sentait protégée auprès d’elle, malgré l’attente et l’incertitude. Allaient-ils seulement être attaqués ? Avec un peu de chance, tout cela aurait été pour rien. Mais dame Fortune ne leur souriait que sporadiquement depuis quelque temps. Depuis l’explosion du portail. Depuis la destruction de leur planète.

L’odeur de fumée, de métal en fusion, les hurlements, le tremblement de toute la structure, tout cela ne cessait de revenir dans son esprit, dans ses cauchemars le plus souvent. Et, pourtant, les membres de l’expédition avaient eu de la chance ce jour-là. Les habitants de Palladine n’en avaient eu aucune.

Elle secoua la tête pour chasser ses pensées intempestives, se raccrochant au présent. Elle posa sa main sur la crosse du pistolet rangé dans le holster contre sa cuisse. Elle avait demandé à être armée ; le commandant n’avait rien objecté. Ils attendaient depuis déjà presque dix-huit heures, aux aguets, faisant des rondes, prenant de courtes pauses, vérifiant le système de sécurité, les nerfs en pelote.

— Vous savez vous en servir ? questionna Talla, d’une voix neutre, les yeux toujours rivés sur l’extérieur.

— J’ai servi dans l’armée pendant plusieurs années, révéla-t-elle.

Elle croisa le regard surpris de la grande guerrière. Elle n’avait jamais divulgué son ancienne carrière à ses collègues. Seule la direction le savait. Un sourire appréciatif se dessina sur les lèvres du lieutenant.

— Bien. Mais j’espère juste que vous n’aurez pas à vous en servir.

— Moi aussi, souffla la diplomate.

Des mouvements entre les cabanes attirèrent leur attention. Trevor apparut et avança jusqu’à la limite du périmètre de sécurité. Les autres gardes, réfugiés et habitants de la station mélangés, étaient en position.

Soudain, Talla se tendit. Elle braqua son fusil et riva son regard dans la lunette.

— Descendez prévenir Shayn. Ils sont là.

Allegra pâlit, mais ne perdit pas de temps et partit en courant. Deux agents émergèrent aux côtés du lieutenant et se mirent en position. Ils étaient l’arrière-garde. La voix du commandant retentit :

— Ils arrivent. Préparez-vous.

Calme et direct. Glacial. Aussi concentré que la mort. Les réponses traversèrent les fréquences de communication. Tout le monde était prêt. Trevor scruta les diodes vertes des lasers, en priant pour que le système tienne le coup.

La brume blanchâtre rampait sur le sol ; les arbres avaient pris cette étrange forme, presque spectrale. Pour l’instant, rien ne bougeait et cela portait sur les nerfs du commandant. Il sentait la présence de Peter et de leurs hommes tout autour de lui.

— Qu’est-ce qu’ils font ? grogna celui-ci.

— Reste calme, lui conseilla Trevor.

Les secondes s’écoulèrent, puis une minute, sans que leurs ennemis ne se montrent. Trevor reconnaissait la stratégie ; ses hommes sauraient y répondre convenablement. Quant aux réfugiés, il espérait qu’ils avaient assez de sang-froid.

Des sifflements, des mouvements d’air et trois explosions retentirent le long du périmètre de sécurité. Le sol trembla et des fragments de terre et de métal jaillirent, aveuglant les hommes présents sur ces positions.

— Rapport ! hurla Trevor, en braquant sa lunette dans la direction des secousses.

Des silhouettes s’agitaient ; certaines se relevaient, dans un nuage de poussière. Il manquait trois lumières vertes sur le réseau.

— Ils ont fait une brèche, cria Sven.

Trevor n’eut pas le temps de répondre. Des ombres vives se matérialisèrent dans la brume et bondirent dans leur direction. Il eut juste le temps de voir leurs yeux rougeâtres, avant que des tirs éclatants ne jaillissent de leurs bras.

Il laissa son arme cracher un feu nourri sur la chose la plus proche, l’arrêtant net dans sa course. Elle s’affala. Mais, deux de ses congénères convergeaient vers la brèche, profitant de l’absence de visibilité. Ils lâchèrent des objets et la terre se souleva une nouvelle fois. Des cris de douleur envahirent les canaux de communications. Les balles fusaient, fauchant les agresseurs qui n’essayaient même pas de se cacher. Un autre tomba.

Du coin de l’œil, il vit l’un des Scérépath entrainer un homme hurlant et se débattant. Il tenta de le viser, mais ils disparurent dans la brume. Il lutta contre son instinct qui lui disait de partir à sa rescousse.

— Regroupez-vous vers l’entrée, ordonna-t-il.

Il recula, continuant à tirer sur les créatures, espérant les ralentir suffisamment. Aucune d’entre elles ne s’attaquait à lui ; elles étaient toutes concentrées sur le point faible, prenant les balles, et faisant le plus de dégâts possible. La visibilité étant presque nulle, il avait du mal à viser ses cibles. En jurant, il fit demi-tour et remonta la rue en courant, gardant un œil sur les ennemis.

Talla et les deux gardes tiraient dans le tas ; le reste de leurs hommes était regroupé non loin de l’entrée de la pyramide et formait un barrage. Trevor n’essaya même pas de les compter. Il se plaqua contre l’une des cabanes et scruta la zone de combat dans son viseur. Peter était au corps à corps avec l’un d’eux. Il l'attaquait avec ses griffes, alors que le réfugié se défendait avec son énorme couteau. Trois autres se protégeaient des tirs de Talla derrière une maisonnette et répliquait de leurs armes étranges, qui laissaient des traces noires sur la surface de la pyramide. Il aperçut deux Scérépath repartir en entrainant quelqu’un – inconscient d’après ce qu’il voyait.

Avec un rugissement, il sortit de son couvert et tira une rafale sur l’un des deux. Les balles le secouèrent et il lâcha sa proie. Son compagnon subit une série de tirs et s'effondra à genoux. Trevor ne savait pas qui était venu à son aide, mais il s’en fichait.

Le Scérépath qu’il avait touché avait les yeux rivés sur lui. Il jeta son arme déchargée sur le sol et dégaina son épée. L’autre le regardait en silence. Un liquide noirâtre coulait des déchirures dans sa tenue. Avait-il atteint son corps ? Trevor n’en avait aucune idée.

Trevor s’avança droit vers lui. Alors que la créature se penchait pour attraper la jambe de l’homme qu’elle tentait d’enlever, Trevor hurla et se rua sur elle. Il la percuta de toutes ses forces, l’éloignant de sa victime. Elle vacilla, mais ne s’effondra pas. Un grondement jaillit de son casque et elle se mit en position. Pas d’armes pour celle-ci, mais des griffes noires et tranchantes. Un sourire carnassier déforma les lèvres du commandant.

— Tu ne l’auras pas !

Il se jeta sur son ennemi. Au moment où il allait l’atteindre, il s’abattit en arrière et glissa sur le sol, lacérant la cuisse gauche d’un large coup de son épée. Du liquide sombre jaillit, mêlé à un peu de vert. Trevor se remit sur ses pieds d’un mouvement agile et enfonça sa lame dans le dos de la créature. Celle-ci hurla, et s’arracha à la morsure de l'épée en se contorsionnant.

D’un coup d’œil, Trevor vit son compagnon tomber sous l’assaut des balles. Le pauvre inconscient était tiré à l’abri. Son adversaire se précipita vers lui de son pas pesant et alors que Trevor s’apprêtait à parer son coup de griffe, il s’éleva au-dessus de lui d’un bond puissant. Le commandant, surpris, eut juste le temps de se retourner. Un formidable coup de poing dans son plexus l’envoya bouler en arrière. Il se reçut sur le dos et son épée glissa à quelques mètres.

Le souffle court, la poitrine en feu, il chercha à reprendre sa respiration. Le monde se brouilla. Il sentit une poigne solide s’enrouler autour de sa cheville. On le tira sans pitié. Sérieusement, il voulait l’emmener ! Il essaya de se débattre, s'efforçant d'agripper tout ce qu’il pouvait de ses mains, mais le coup avait été si puissant que sa conscience s’effilochait. Sa main effleura la crosse de son pistolet et la clarté revint un peu dans sa tête. Il le saisit des deux mains, prit le temps de faire le point sur la silhouette filiforme qui l’entrainait en dehors du village et, quand sa vue fut suffisamment précise, appuya sur la gâchette. Il vida le chargeur dans le casque de la créature qui eut un soubresaut et s’affala face contre terre.

Trevor inspira profondément pour calmer sa respiration et les battements de son cœur, avant de se redresser. Il sentait une douleur sourde dans son thorax, et un liquide chaud couler à l’arrière de son crâne. Des voix et des bruits de course retentirent autour de lui, mais il n’arrivait pas à s’en inquiéter. Il se releva en position assise et tenta de se délivrer de la prise du Scérépath.

— Commandant ! fit une voix sur sa gauche.

Des mains se posèrent sur ses épaules. Une haute silhouette s’agenouilla près de son pied et le libéra. Il avait du mal à aligner deux pensées et sa tête lui paraissait trop lourde. On l’aida à se mettre debout et, quand le monde tournoya bien trop vite, il s’accrocha désespérément à la personne si obligeante qui l’assistait.

— Doucement, murmura-t-elle.

Il reconnut Talla. Puis Peter apparut dans son champ de vision. Le pauvre semblait mal en point lui aussi.

— On les a …

Le simple fait de parler accentua la douleur dans sa poitrine ; il grimaça.

— La porte est toujours ouverte, mais on s’est débarrassés des derniers attaquants.

Talla passa un bras derrière son dos et l’entraina vers la pyramide. Peter les suivait, vigilant.

— Ils peuvent revenir…

— Ouais. Je sais. On va se redéployer, dès que les blessés seront mis en sécurité.

— Je …

— Vous n’allez rien faire du tout, à part vous faire soigner, commandant.

Il aurait pu argumenter, mais il tenait à peine debout, et sa conscience s’effritait de seconde en seconde. Il ne pouvait voir les dégâts subis par le village, et il en était reconnaissant. Il n’osait pas demander le nombre de blessés, de morts ou de disparus.

Quelques minutes plus tard, on le déposa sur un matelas, dans l’infirmerie. Il avait traversé la pyramide dans un brouillard grisâtre, si bien qu’il cligna des yeux surpris, en découvrant le visage inquiet d’Ylliane. Puis l’obscurité l’engloutit.


Texte publié par Feydra, 4 août 2024 à 23h53
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