— Écoute, Shayn, tu es persuadé qu’elle est ici. Mais moi je ne vois vraiment pas de quoi tu parles. Aurora…
— Ne t’aurais pas mis au courant, intervint le scientifique, en se levant.
Il s’approcha de son ami et le fixa droit dans les yeux.
— Je sais qu’elle est là. On y a placé un traceur, figure-toi.
— Alors pourquoi tu ne l’as pas récupéré sur Palladine ?
— Impossible de m’en approcher là-bas. Les mesures de sécurité étaient trop perfectionnées.
Shayn détourna les yeux et Trevor comprit qu’il ne lui disait pas toute la vérité. Il croisa les bras et se tendit.
— Ouais. Et tu voulais aussi voir ce qu’on tramait avec le portail.
Shayn soupira.
— Mes supérieurs m’ont ordonné de vous espionner, c’est vrai.
Lorsqu’il regarda à nouveau Trevor, celui-ci lut la culpabilité sur son visage. Puis son expression se raffermit.
— Tout cela n’a plus aucune importance maintenant. Cet artéfact permettra de réactiver le serveur, Trevor. C’est notre seule chance de survie.
— Tu sais ce qu’il fait ?
Shayn hésita. Le commandant n’avait pas perdu son air défiant. Mieux valait attendre un peu avant de le lui dévoiler.
— Oui. Mais je l’expliquerai en présence de Bernard. Il faut le convaincre.
Trevor le considéra un moment. L’épuisement et la détresse dans lesquels il évoluait depuis qu’ils étaient revenus sur la station l’empêchaient de réfléchir posément. À ce moment-là, Shayn était devenu un ennemi, une personne sur qui se cristallisait toute la fureur qui l’animait.
— Qu’est-ce qui me dit que tu fais ça pour notre bien et pas pour les Universités ? cracha-t-il.
Shayn sentit la colère le gagner. Toutes les émotions qui suintaient du coffre mental dans lequel il avait essayé de les enfermer s’échappèrent de leur prison. Sa poitrine lui donna l’impression qu’elle allait exploser. Il serra les poings. Sa réponse fut prononcée d’une voix sourde et tranchante.
— Mon foyer, l’endroit où je suis né, où j’ai grandi et où j’ai trouvé ma voie a été détruit, Trevor. Il n’est plus. Epsilon Sygma n’est plus. Illyane, toi et tous les autres, vous êtes ce qui se rapproche le plus d’une famille pour moi à l’instant présent. Et tu crois que je n’ai pas à cœur notre survie ?
Trevor fit un pas en arrière, comme s’il avait été frappé. Shayn posa une main apaisante sur son bras.
— Ce qui est fait est fait, continua-t-il d’une voix plus douce. Les décisions prises par chacun d’entre nous, les missions qu’on nous a données, les allégeances que nous avions, n’ont plus d’intérêt pour l’instant. J’ai besoin que tu sois à mes côtés. Nos collègues ont besoin que nous soyons sur la même longueur d’onde.
Trevor soupira. Malgré la méfiance qui persister encore, il savait que son ami avait raison.
— Très bien. Allons déloger Bernard de son bureau.
Ils traversèrent les coursives plongées dans l’obscurité en une dizaine de minutes. Un silence pesant les entourait. Le cycle de nuit approchait de la moitié et rares étaient les gens à être occupés à cette heure-là. Les réparations les plus urgentes avaient été terminées et il n’y avait plus rien que les techniciens pouvaient faire pour améliorer leur situation.
Lorsqu’ils arrivèrent à l’Atrium, au niveau 9, ils croisèrent Neal, assis sur la dernière marche du large escalier, les yeux perdus dans le vague. Ils s’arrêtèrent près de lui, et ne purent s’empêcher de regarder les vestiges du portail et la salle dévastée. Trevor s’agenouilla derrière l’assistant de Shayn et posa sa main sur son épaule.
Le jeune homme sursauta légèrement, puis fixa ses iris bleus sur le commandant. Un sourire éclaira un instant son visage épuisé.
— Tu devrais aller dormir, murmura Trevor.
— Je suis de garde, répondit-il. Je prenais juste une pause. L’atmosphère est un peu trop calme, après ces jours de chaos. Un peu trop tendue aussi.
Il se mit debout et serra tendrement la main de Trevor.
— Depuis quand tu n’as pas dormi ? questionna-t-il soudain, les sourcils froncés.
Un rire bref s’échappa des lèvres de Shayn. Neal se tourna vers lui.
— La question vaut aussi pour vous, docteur.
— J’ai dormi, se récria Shayn. Deux heures, à peu près.
Neal garda son expression sévère. Derrière lui, Trevor, d’une tête plus grande, gratifia Shayn d’un rictus sarcastique. Shayn l’ignora ostensiblement.
— Bernard est dans son bureau ?
— Il en sort à peine depuis trois jours.
— Il est temps de le sortir de sa torpeur, répondit Shayn.
Neal leva un sourcil interrogateur.
— On va le voir, intervint Trevor.
— Je suis dans la salle de contrôle, si vous avez besoin de moi.
Trevor laissa un instant sa main effleurer celle du jeune homme, puis rejoignit Shayn, qui était déjà parti. La porte de l’ancien bureau d’Aurora était fermée, mais pas verrouillée, comme ils comprirent lorsqu’elle glissa en position ouverte. Bernard était installé à sa table de travail, dans une obscurité éclairée par la lumière bleutée de l’écran holographique qui scintillait devant lui.
Ils avaient du mal à discerner les traits du directeur par intérim. Il leva les yeux vers lui et leur indiqua les sièges. D’un geste de la main, il décala l’affichage. Shayn et Trevor suivirent son instruction muette.
— Cela fait trois jours que je compulse toutes les sources d’informations auxquelles j’ai pu accéder à chaque passage du satellite. Mais je suis incapable comment Palladine a été détruite.
Avec un soupir, il se massa le front. Son visage, assombri par une barbe de plusieurs jours, affichait sa lassitude.
— Je ne crois pas qu’on en trouvera une, répondit Shayn.
Le regard que lui lança le directeur était empreint de colère et de tristesse. Cependant, la première émotion s’effaça rapidement.
— Je sais, souffla-t-il.
— Nous devons réagir, continua Trevor. Si l’on ne fait rien, nous allons tous mourir bien avant l’épuisement de nos ressources.
— J’avais l’espoir que peut-être nous pourrions contacter le siège, murmura Bernard. Maintenant, je m’aperçois que c’est nous qui sommes chanceux. Si on peut appeler cela une chance.
— Nous avons plusieurs idées qui pourraient à la fois nous permettre de survivre, et qui sait, de rejoindre la civilisation, affirma Shayn.
Bernard se redressa et se racla la gorge.
— Allez-y.
— J’ai relu l’ensemble de nos recherches. Je reste persuadé qu’il faut réactiver le serveur central. Grâce à lui, la station fonctionnera au maximum de ses capacités.
— Alors faites-le.
— J’ai besoin d’une pièce. C’est un élément qu’Epsilon Sygma a volé à l’Université, un composant essentiel du serveur.
Les traits de Bernard se durcirent.
— Qu’est-ce que vous dites ?
— Shayn est un agent des Universités Galactiques envoyé chez nous pour nous espionner et retrouver l’artéfact, expliqua Trevor, sur un ton neutre.
Le scientifique lui jeta un regard noir. Bernard, stupéfait, écarquilla les yeux.
— Aurora venait de le découvrir, quand le Portail a explosé, continua-t-il. D’après votre réaction, elle ne vous en avait pas parlé.
Le directeur scruta Shayn, comme s’il le voyait pour la première fois. Celui-ci retint un sarcasme. Vieux valait éviter d’envenimer la situation.
— Vous travaillez pour les Universités Galactiques ?
— Pour celle de Palladine. Qui n’existe plus.
Est-ce qu’un jour penser à ça cesserait de lui arracher le cœur ? Shayn en doutait, même s’il l’espérait.
— Tout comme Epsilon Sygma, rétorqua Trevor.
— Oui, réfléchit Bernard. Nous devons créer un tout nouveau paradigme. Nous sommes isolés, en danger. Les alliances et les loyautés anciennes ne sont plus d’actualité.
— Quel pragmatisme ! ne put s’empêcher de remarquer Trevor.
— Ma responsabilité est de faire en sorte que chacun des membres de cette expédition survive, commandant. Tout comme la vôtre, d’ailleurs. Et celle du Docteur D’Lesser. Sommes-nous d’accord ?
— Bien entendu, répondit Trevor.
Shayn hocha la tête.
— Que fait exactement cet artéfact ?
Le scientifique hésita quelques secondes. Ce qu’il allait leur révéler allait sans aucun doute s’ajouter à leur source d’angoisse. Pourtant, il n’avait pas le choix.
— Les Archivistes croyaient qu’il s’agissait d’une intelligence artificielle fondatrice. Je pense qu’elle pourrait contrôler la station.
Un silence pesant tomba autour de lui. Les IA construites humaines étaient strictement surveillées et régulièrement analysées pour ne pas atteindre la singularité. La terreur qu’elles suscitaient était ancrée chez de nombreuses personnes. Shayn, quant à lui, avait toujours été fasciné par elles.
— Et vous n’estimez pas que cela pourrait être un danger supplémentaire ?
— Tout dépend de son niveau d’intelligence. Des garde-fous peuvent être mis en place.
Bernard réfléchit pendant quelques minutes. Shayn et Trevor se gardèrent bien de l’interrompre.
— Très bien. Je vais vous donner l’artéfact.
Shayn échangea un regard stupéfait avec Trevor. Il ne pensait pas que cela serait aussi simple. Bernard se leva et se plaça face au mur du fond. Il l’effleura de son poignet. Au niveau de son visage, une partie de la cloison scintilla d’une lueur bleutée, puis des arêtes sombres se découpèrent, délimitant un carré, qui glissa sur la droite, libérant un espace, dans lequel se trouvait un coffret. Shayn s’exclama d’un ton impressionné :
— Un coffre sub spatial !
Bernard prit la boite et le déposa sur la table. Il tapa le code personnel d’Aurora et l’ouvrit, avant de le pousser vers Shayn. À l’intérieur gisait une sphère fabriquée dans un métal d’un doré foncé, très similaire au matériau utilisé pour la station. La surface était piquetée d’encoches rondes et gravée de symboles.
Bernard tendit sa tablette à Shayn.
— Rentrez votre identifiant. Je vais l’enregistrer et vous donner l’autorisation.
— On l’avait vraiment volé, alors ? murmura Trevor, avec une grimace de dégout.
Bernard haussa les épaules.
— Vous ne connaissez pas la corporation si bien que ça, si vous pensez qu’elle était au-delà de ce genre d’actes.
Le visage du commandant se ferma. Shayn lui jeta un coup d’œil et posa une main compatissante sur son bras.
— Vous pouvez réparer le serveur et contrôler l’intelligence artificielle ?
— Je le pense, mais cela va prendre du temps. Encore plus pour comprendre comment activer les portails du niveau 10.
— Cela ne règle donc pas vraiment le problème du manque de ressources.
— La planète devrait nous y aider, rétorqua Trevor.
— Pardon ?
— Les gens que nous avons découverts là-bas ont besoin de nous pour activer leurs machines. En échange, ils seraient sans doute d’accord pour nous fournir des denrées.
— Vous voulez former une alliance avec d’anciens citoyens des mondes de l’Église ?
— Nos alliés ne se précipitent pas au portillon, vous savez. Je peux y retourner avec Dame Sonenfled et un groupe de soldats.
— D’autant que je leur ai promis, renchérit Shayn.
— Votre promesse ne nous engage pas tous, docteur.
Le scientifique se renfrogna et croisa les bras. Bernard se perdit un moment dans ses réflexions.
— Je ne crois pas que nous ayons vraiment le choix, fit Trevor au bout d’un moment. Les conditions de vie sur la planète sont plutôt bonnes. Cela pourrait même être une opportunité pour ceux d’entre nous qui le souhaitent.
— Une opportunité de quitter la station, vous voulez dire ? Nous n’en sommes pas encore là.
— Pourquoi pas ? Nous n’avons plus d’employeur, plus de famille, plus de planète, plus de mission. Le moral est au plus bas, fit Shayn. Même un séjour de quelques jours sur la terre ferme pourrait l’aider à remonter.
— Vous avez peut-être raison. Je vais en discuter avec Allegra et organiser l’expédition. Je pense cependant que la priorité est la remise en état de la station.
Shayn hocha la tête et commença à se lever.
— Merci, murmura Bernard.
Les deux hommes le considérèrent avec étonnement.
— Merci de ne pas avoir abandonné.
— Personne n’a abandonné, directeur.
Bernard sourit avec une grande tristesse, puis se leva à son tour.
— Demain, nous réunirons le personnel sous le dôme. Nous leur annoncerons nos plans. Je compte sur vous pour être présents auprès de moi.
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