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volume 1, Chapitre 5 « La disparition de Maître Valaddir (Tome 1) » volume 1, Chapitre 5

Chapitre 5

L’aile est était dévolue à la Magie Verte. Cette Magie soignait, cicatrisait, réparait du mieux possible les blessures, tant mentales que physiques. Elle exigeait cependant un apprentissage sans faille des formules car les effets guérisseurs de ces dernières pouvaient être totalement inefficaces s’ils n’étaient pas maîtrisés : avec la Magie Verte, pas d’alternative possible. Les Magiciens Verts étaient ceux qui possédaient un semblant de notoriété dans quelque région que ce soit lorsqu’ils s’y rendaient, car leurs capacités à guérir même les blessures les plus graves leur offrait une certaine tolérance de la part de la population.

Quand Fledge arriva dans le bureau du Grand-Maître Vélarianna, celle-ci était en train de s’occuper des nombreuses plantes qui poussaient dans la pièce. Il y en avait vraiment beaucoup : des Fleurs-de-Pierre au toucher rugueux, des lys aux senteurs enivrantes, des églantiers aux parfums suaves, un Arbre-à-Cimier imposant, trônant avec majesté au milieu de la pièce et dispensant une pénombre douce et apaisante dans ce bureau qui tenait plus d’une serre dans laquelle on se serait évertué à créer un écosystème, chargé et épanoui. Par moment, une odeur venait vous chatouiller les narines, au gré des déplacements d’air : ici du chèvrefeuille, là du jasmin, puis du muguet, de la fleur d’oranger… en un flot incessant, des myriades de parfums déferlaient comme une vague colorée et soyeuse, dans laquelle on avait envie de plonger et de laquelle on ne voulait ressortir.

Le mur sud du bureau était constitué d’une verrière qui laissait passer les rayons du soleil une bonne partie de la journée et fournissait chaleur et énergie aux plantes. En compensation, il y régnait une moiteur torride qui prenait au visage dès qu’on entrait, et qui faisait dégouliner de transpiration. La plupart des gens ne tenait pas cinq minutes dans cette pièce avant de se liquéfier littéralement, pourtant cela n’affectait pas Vélarianna : elle pouvait passer des heures dans son bureau, jamais elle ne montrait une quelconque gêne vis-à-vis de la chaleur qui y régnait. Fledge se fit violence et pénétra dans la « jungle de Vélarianna » comme disaient les élèves. Elle ne l’avait pas entendu entrer, et il se crut obligé de se racler la gorge discrètement pour lui signaler sa présence. Elle se retourna alors et l’accueillit avec un sourire bienveillant.

« Entrez, mon garçon, je vous attendais un peu plus tôt.

— Oui, désolé, j’ai été retardé, avoua Fledge en essayant de réprimer une rougeur qui lui montait aux joues.

— Ne vous en faites pas, nous allons démarrer si vous le voulez bien, mais peut-être ailleurs : je sais que peu de gens supportent mon bureau, et les gouttelettes qui perlent à votre front m’indiquent que vous aussi… », dit-elle malicieusement.

Fledge essuya vite d’un revers de manche la sueur qui suintait, et suivit le Grand-Maître au travers des longs couloirs. Tandis qu’ils marchaient tous les deux, il put observer en détail la Magicienne.

Vélarianna d’Antenaris était apparentée à la famille royale de cette contrée située aux marches septentrionales du continent, mais plutôt que de jouer de ses relations ou de se croire supérieure parce que bien née, Vélarianna était d’une discrétion qui virait à l’effacement. Seule femme au Conseil, rare femme à s’être élevée si haut dans le monde de la Magie, et même dans le monde des hommes, elle tenait une position de retrait vis-à-vis de ses confrères, ne s’autorisant à parler que lorsqu’on lui demandait son avis.

Cependant, ses talents et ses connaissances en Magie Verte étaient inégalés : des gens de toutes les régions du monde la contactaient pour obtenir des soins, des conseils, et même une fois, elle reçut une requête officielle des Cinq Cités pour aider un riche marchand de soie à se débarrasser de vilaines allergies cutanées !

Bien qu’étant entrée dans sa cinquième décennie il y a peu, elle avait conservé ce visage doux des femmes qui ont une bonté naturelle dans leur âme. Deux grands yeux verts resplendissaient et rivalisaient avec une chevelure flamboyante qu’elle portait en une longue tresse qui s’enroulait autour de ses épaules et tombait au milieu du dos. Elle avait une voix suave, onctueuse, qui avait le don d’adoucir les esprits les plus rigides.

« Même celui de Polydos… », plaisanta Fledge dans sa tête, ce qui lui arracha un sourire.

Elle portait systématiquement des tenues vertes qui faisaient ressortir le teint pâle de sa peau. Quand elle se déplaçait, son mouvement fin et gracieux, aidé par sa longue robe, lui donnait l’air de flotter à quelques centimètres du sol plutôt que de marcher, répandant une délicate odeur de rose printanière sur son passage. Elle avait l’habitude de joindre ses mains, ses doigts longs et fins se croisant délicatement entre eux. Ainsi, quand elle décroisait les mains, on savait qu’il allait se passer quelque chose d’important.

Vélarianna dirigeait tout naturellement le bâtiment dévolu à la Magie Verte et prenait régulièrement plaisir à dispenser des cours supplémentaires aux élèves pour partager ses connaissances et son savoir. Autant dire qu’il fallait se battre pour obtenir une bonne place et assister à ses démonstrations. Bien que peu portée par la lourdeur administrative qui incombait à sa fonction, elle remplissait son devoir avec sérieux, mais sans zèle. Et puisqu’elle prenait souvent la parole en dernier, son vote était déterminant pour accepter ou refuser tout changement dans le règlement de l’Académie. Elle faisait souvent l’arbitre entre Polydos et son autre confrère.

Tout en déambulant dans les couloirs, Fledge se dit que s’il y avait bien quelqu’un à qui il aurait pu confier ses craintes et ses doutes quant à ce qui l’attendait, c’était elle.

Elle l’interrompit dans ses réflexions en lui expliquant que ce serait mieux d’aller s’entraîner en extérieur, à l’arrière de l’Académie, car premièrement, la Magie Verte étant faite pour aider les autres, on ne risquait pas de se faire mal, et deuxièmement, avec un si beau soleil, il serait dommage de rester enfermé dans une salle d’entraînement. Fledge suivit sans objecter. Ils sortirent par la porte de service du bâtiment de la Magie Verte et se retrouvèrent dehors, près du parc qui jouxtait l’arrière de l’Académie. Il était étrangement désert. Vélarianna vit que Fledge jetait des regards tout autour de lui, car elle se sentit obligée de lui dire qu’elle avait expressément demandé à ce que personne ne vienne interrompre son entraînement.

« Jeune homme, nous allons commencer, mais avant toute chose, laissez-moi vous aider. »

Elle susurra une formule à Fledge, qui se retrouva tout à coup entouré d’une aura légèrement dorée, puis se sentit détendu, apaisé, n’ayant en tête que des pensées positives. Des sentiments, tels que la confiance, le courage et l’entrain, se bousculaient en lui. Il comprit tout de suite que c’était l’œuvre de Vélarianna.

« Mais… Je… C’est… prodigieux ! Je me sens léger, merci ! J’ai l’impression d’avoir un poids en moins sur les épaules ! Je ne me suis pas senti comme ça depuis la fin de ma Démonstration ! »

Elle lui sourit tendrement, un peu comme une mère devant son enfant.

« Ne me remerciez pas, jeune homme, vous devez être en condition pour apprendre en un temps record une nouvelle Magie, et l’entraînement du Grand-Maître Polydos n’a pas été des plus tendres : je l’ai vu au moment où mes yeux se sont posés sur vous.

— J’avais déjà entendu parler de ce sort par mon amie Yelinna, mais je n’avais encore jamais goûté ses effets.

— Cette formule s’appelle « Mentulus Salva », et comme vous l’avez constaté, elle permet de calmer l’agitation et de chasser le trouble chez tout être vivant. Je vais vous l’apprendre, ainsi que quelques autres qui vous seront utiles pour votre périple, mais commençons plutôt par une formule plus basique : le soin des blessures physiques. »

Tandis qu’elle époussetait sa robe et en lissait les plis, elle prononça une formule :

« Negatio Dolora ! »

Aussitôt une onde vert pâle tomba lentement en cascade sur Vélarianna et finit sa course dans le sol où elle disparut.

« Cette formule est très simple à maîtriser et vous sera plus qu’utile. À votre tour, maintenant ! »

Fledge prononça la formule sur le même ton. Il eut la satisfaction de voir la même onde verte tomber sur sa tête, ses épaules, envahir tout son corps jusqu’aux orteils. Il se sentit alors frais et dispos, comme s’il avait dormi toute une journée !

« Encore une fois, tout cela est prodigieux ! C’est tellement différent de la Magie Blanche !

— La Magie Blanche n’ayant pas la même utilité, il est donc normal que les effets soient différents. Toutefois, et afin de calmer votre effusion de joie, je me dois de vous mettre en garde face à l’excès de confiance envers la Magie Verte : elle peut soigner certes, mais des blessures plus graves demanderaient un tel niveau d’endurance que le Magicien qui essaierait de les soigner risquerait, au contraire, d’y perdre la vie. Ne le prenez pas mal, mais vous n’avez pas le niveau requis pour traiter les traumatismes les plus graves, jeune Initié. Gardez toujours cela en tête.

— C’est bien compris, dit Fledge avec respect et humilité.

— Bien, alors je vous propose de poursuivre notre entraînement. »

Une grande partie de l’après-midi fut alors consacrée à apprendre les quelques formules de Magie Verte que Vélarianna jugeait indispensables à Fledge. Cela ne se fit pas sans mal : pour les premières d’entre elles, les plus simples, il n’y eut pas de problème, en revanche celles qui étaient plus compliquées, parce que plus sensibles et donc plus difficiles à maîtriser, lui occasionnèrent des déconvenues. La Magie Verte, que certains voyaient comme inférieure parce que ne servant qu’à soigner le corps et l’esprit, était plus indomptable qu’il n’y paraissait, et beaucoup s’y cassèrent les dents. Non pas que Fledge se comportât de manière arrogante, mais la Magie Verte se « maniait » très différemment de son homologue Blanche : les formules avaient des prononciations différentes, qui l’obligeait à faire des contorsions avec sa langue pour prononcer des mots qui n’étaient pas habituels. Il dut donc se contraindre à ralentir son débit de parole, à modifier sa façon de prononcer les formules. Cela ne se fit pas sans mal et lui prit une grande partie de l’après-midi. Mais la douceur et le calme de Vélarianna parvinrent à le faire triompher. S’il n’était assurément pas aussi à l’aise qu’avec la Magie Blanche, le Grand-Maître en Magie Verte lui avait assuré qu’il était prêt et parviendrait à utiliser cette autre Magie, pourvu qu’il s’y exerce régulièrement.

C’est l’esprit plus serein que Fledge quitta Vélarianna après l’avoir chaleureusement remerciée, avant de se diriger directement vers le bureau du dernier Grand-Maître, Igor de Syborriah. Il savait que cette dernière étape serait différente du reste.

Le Grand-Maître Igor, s’il avait un bureau dans le bâtiment administratif, préférait rester dans une petite annexe à côté de l’Académie. Il n’avait pas le droit d’enseigner officiellement sa Magie, la Magie Grise, qu’on appelait couramment « Sorcellerie », nom que ses pratiquants dédaignaient. Voilà pour la théorie. Dans les faits, l’Archimage ayant demandé Igor auprès de lui lors de sa nomination, il tolérait que ce dernier fasse découvrir les rudiments de sa Magie à certains étudiants et lui laissait toute latitude pour les sélectionner. Steiner fut d’ailleurs l’un de ces étudiants qui furent choisis par le Grand-Maître, il y a quelques temps de cela.

Loin de représenter une quelconque menace pour l’Académie et ses occupants, Igor de Syborriah était, sous son air terne et bourru, une personne tout à fait respectueuse et respectable. Seulement, sa Magie avait une telle réputation sulfureuse qu’il était toujours regardé avec un mélange de crainte et d’arrogance. De l’aveu des élèves, des autres Maîtres, et certainement de Polydos lui-même, la Magie Grise, comme celles et ceux qui la pratiquaient, était à tenir en respect et à garder à l’œil. On comprend alors aisément que Fledge alla voir le Grand-Maître avec une boule d’inquiétude à l’estomac.

*

Lorsqu’il arriva à l’annexe, qui était du reste une sorte de chaumière qui dut servir de remise par le passé, il vit que la porte était entrouverte. Il se dit que sa visite étant attendue, c’était la façon du Grand-Maître de l’inviter à entrer.

Fledge ouvrit donc la porte franchement et entra. La pénombre ambiante demanda quelques secondes à ses yeux pour s’habituer. Quand il y vit parfaitement, il se figea. Tout était sens dessus-dessous : la table était retournée, les armoires basculées, leur contenu était éparpillé au sol, le matelas du lit avait été éventré, des braises rougeoyantes provenant de la cheminée étaient répandues sur le sol et dégageaient une odeur de fumée et de bois brûlé. Et au centre de la pièce, le Grand-Maître gisait sur le dos, la gorge tranchée jusqu’à l’os, son sang carmin, s’écoulant encore de la plaie béante, était répandu sur ses vêtements et sur le sol de pierre. Ses bras et ses jambes avaient été brisés à en juger par l’angle inhabituel, impossible, qu’ils formaient. Le visage du Grand-Maître, d’une pâleur fantomatique, était figé dans une expression mêlant surprise et terreur.


Texte publié par Maxime Rep, 22 mai 2024 à 23h40
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