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tome 1, Chapitre 12 « Le musée de la paix » tome 1, Chapitre 12

Quand je me réveillai de ma nuit réparatrice, j'avais encore les lumières de la chorégraphie de ski nautique de la veille dans la tête. Les images me suivirent quand je me lavai, m'habillai, me coiffai et jusqu'à la cuisine où Giorgia me confia les tâches de la matinée. Les mains dans l'eau chaude, je pensais à la chance inouïe que j'avais de rester à bord du train gracieusement et de voir ce qui faisait la renommée de ses étapes.

Si le trajet d'Elysée à Fagaros avait été rapide, environ 3h45, ce n'était pas le cas de celui pour se rendre à Gavilgrad. Malgré un départ sur les coups de minuit, à ma pause déjeuner, nous étions encore loin de la prochaine ville. La traversée de Maridiane n'était pas moins jolie que celle de Terraüris : ici, les sapins pullulaient en raison de la forte concentration d'eau. Les plaines laissaient place à de larges lacs et les rivières recouvraient une grande partie des terres, obligeant les habitants à surélever leurs maisons. Des villages entiers sur pilotis peuplaient le paysage et Analena, une assiette de crudités devant elle, se demandait si l'eau pourrait recouvrir l'ensemble de la planète à terme.

Mei-Lin la missionna en début d'après-midi. Avec l'aide d'Inari, responsable de la blanchisserie, elle devait plier tout le linge propre, relancer des machines et s'assurer que toutes les chambres bénéficient de couvertures en plus. Passé Gavilgrad, en hiver, les règles étaient strictes : le chauffage ne pouvant être augmenté, les voyageurs étaient donc contraints d'ajouter une couche supplémentaire pour s'assurer une nuit au chaud. Analena s'en chargea avec le sourire, fière de pouvoir être utile à bord de ce véhicule extraordinaire.

Son objectif, lui, ne quittait ni son esprit ni son cœur. Elle s'était promis d'aller à Lirennia et elle comptait bien y parvenir.

Lorsque je sortis de la dernière chambre du wagon-lit de la classe Élégance, j'aperçus Nikolaï venir dans ma direction. Je lui fis aussitôt un signe et lui souris. Il me répondit, plus timide, et surtout l'air suspicieux. Je lui expliquai alors :

— Je devais approvisionner les chambres de couvertures en plus. Ordre de Mei-Lin.

Il se contenta d'acquiescer et je cherchai un nouveau sujet à aborder. Rien ne vient quand je remarquai la fatigue sur ses traits et ses cheveux décoiffés. À la place, je le laissai passer et il s'éloigna de moi, silencieux. Je m'engageais en sens inverse, de retour vers la blanchisserie, quand soudain :

— Attend !

Je me retournai sur la plateforme qui séparait les deux wagons et retint la porte de se fermer devant moi. Nikolaï remontait le couloir à pas vif et même si l'épuisement se lisait encore sur son visage, son regard paraissait plus éveillé.

— On arrive à Gavilgrad d'ici une heure, est-ce que ça te dit qu'on y aille ensemble ? Je suis chargé de faire des courses, aujourd'hui.

— Je dois demander à Mei-Lin, mais pourquoi pas, oui.

— Je lui demande pour toi. Est-ce que je peux prendre ton numéro pour te prévenir ?

Je hochai la tête et sentis la peau de mes joues s'embraser. Je le lui donnai, il m'envoya un premier message pour s'assurer qu'il n'avait pas fait d'erreur et me remercia avant de disparaître. De retour dans la blanchisserie, Inari me demanda de détacher un drap, de l'aide à plier les housses de couette et de transvaser le linge propre d'une machine à laver au sèche-linge.

Sur les coups de 15h20, elle me libéra et j'en profitai pour lire le message de Nikolaï qui s'affichait sur l'écran de mon terminal. Mei-Lin avait donné son accord. Je me changeai dans ma cabine, troquant mon uniforme pour un sweatshirt vert menthe et un pantalon foncé. Je laçai mes bottines, attrapa mon écharpe et mon manteau et rejoignit mon nouveau collègue dans le wagon-bar. Je le retrouvai, une tasse de thé fumant à la main, en discussion avec Mateo et Ingrid. Quand cette dernière m'aperçut, son attitude changea aussitôt : ses épaules se contractèrent, son regard se noircit et elle finit sa tasse de café d'une traite, prétextant devoir reprendre le travail. Elle était partie bien avant que je n'atteigne la table.

— J'ai fait quelque chose de mal ? demandai-je en m'installant à sa place.

— T'en fais pas, elle est toujours un peu bizarre, Ingrid.

La réponse de Mateo ne me convient pas et je patientai, espérant recevoir des explications de Nikolaï. Explications qui ne vinrent jamais. Tao me demanda ce que je voulais boire et je commandais un café noir qu'il m'apporta rapidement. Pendant ce temps, Mateo s'excusa quand son terminal sonna dans sa poche et je me retrouvais face à un Nikolaï mutique.

— Que se passe-t-il ?

Je ne le connaissais pas assez pour lire ses émotions, mais je savais déjà qu'il ne parvenait pas toujours à les masquer. Ses traits trahissaient un trouble que je ne pouvais analyser et dont je doutais connaître l'origine quand il me répondit simplement :

— Je suis juste fatigué, mes insomnies sont épuisantes. J'ai besoin de m'aérer la tête, un peu.

— Si tu as besoin de discuter de quelque chose... tentai-je.

Il releva les yeux vers moi, inquisiteur. Je me figeai et pris conscience de l'absurdité de ma proposition. On s'est rencontré il y avait à peine cinq jours.

— C'est déplacé de ma part, excuse-moi.

— Non, pas du tout, répliqua-t-il. J'apprécie, merci.

Je lui souris et plongeai mon nez dans ma tasse de café pour faire passer le sentiment de honte qui commençait à m'habiter. Je n'étais même pas d'une bonne écoute, cherchant sans cesse à jouer les sauveuses en trouvant des solutions plutôt qu'être simplement dans la réception des sentiments des autres.

— Est-ce que tu connais le musée de la paix ?

Son changement de sujet me déstabilisa et je mis quelques secondes avant de secouer la tête.

— C'est un très grand musée qui évoque les conflits depuis la Tempête Planétaire. Il y eu une grande rénovation et il réouvre tout juste ses portes. Il risque d'y avoir un peu de monde, surtout que la nouvelle section a pour but de mettre en lumière tous les traités signés entre nos cinq pays pour maintenir la paix.

— Ça devrait être intéressant.

Il acquiesça. Nous terminions nos boissons dans le silence jusqu'à l'arrivée du Voyageur des Horizons en gare de Gavilgrad. Je suivis Nikolaï jusqu'à la sortie du wagon et enfonçai mon visage dans mon écharpe quand le vent s'engouffra sur le quai. Pour la première fois depuis mon départ, je me rendis compte à quel point j'étais loin de chez moi. La gare de Gavilgrad n'avait rien à voir avec celle d'Ætheria : ici, les murs étaient d'un blanc immaculé, fait d'une pierre que j'étais incapable de nommé. Sur les quais, de grandes armatures en bois soutenaient les toits et l'on retrouvait les mêmes dans le hall. Une gigantesque horloge trônait au-dessus des portes qui donnaient sur les quais et je m'arrêtai quelques secondes pour l'observer. Cerclé d'acier foncé, le cadran clair représentait la carte du nouveau monde, de la Terre après la Tempête Planétaire. Ses aiguilles, couleur bronze, imposaient leur tic tac régulier, repère mélodieux dans le tumulte de l'endroit. Quand je détournai mon attention de l'ouvrage, Nikolaï m'attendait devant la porte. L'air patient, il semblait ne pas m'avoir lâché des yeux pendant ma contemplation et je rougis à cette pensée.

Nous quittions l'enceinte pour retrouver la fraîcheur des rues de Gavilgrad. Ma première impression fut de songer que c'était une belle cité. Notre ascension me le confirma : jusqu'au centre-ville, les maisons en pierres claires se succédaient, créant des passages étroits pour les passants. Les quelques personnes qui se déplaçaient en vélo ou en cyclo-pousse faisaient tinter leur sonnette, créant une atmosphère presque estivale dans un paysage brumeux hivernal. Ce fut ce qui me rappela le plus chez moi.

Nikolaï n'avait pas menti quand il disait que le musée de la paix était grand. Deux rues plus loin, il était facile de deviner son dôme malgré les nuages bas. De près, l'édifice était impressionnant : fait de pierre pour la base, de bois et de verre pour le dôme, je me sentis ridiculement petite à ses pieds. Nikolaï nous fit entrer par une immense porte aux gravures abstraites magnifiques et acheta nos billets après avoir fait la queue pendant quelques minutes.

Les pièces se succédèrent, toutes plus grandioses les unes que les autres. Je n'avais pas assez d'yeux pour tout voir : entre les tableaux et les tapisseries racontant des moments d'Histoire, les sculptures représentant des personnages célèbres et les photographies anciennes nous plongeant dans le passé, je me sentis rapidement étourdie. Nikolaï, lui, toujours à mes côtés, regardait tout ça avec un intérêt non feint. Il me montra ce qui, à ses yeux, paraissait le plus important, se comportant alors comme un guide à travers le temps.

Quand, enfin, nous arrivions dans la partie récemment ouverte au public, je m'apaisai. La dernière pièce était plus petite, plus intimiste et la circulation y était régulée afin d'éviter les bains de foule étouffants. Je marchai avec plus de légèreté et mes épaules se détendirent tandis que je frôlai les vitrines. Je reconnus des objets, comme les écussons des forces spéciales lors du dernier conflit entre Valirem et Ignisoria, voilà des décennies de ça. J'avais appris ces périodes à l'aide de mes professeurs et les avait moi-même exposé aux enfants que notre famille accueillait et qui ne pouvaient se rendre à l'école. À cette époque, les traités n'avaient pas été signés et les guerres de ressources étaient monnaie courante.

Plus loin, je m'instruis sur le plus grand traité de paix jamais signé entre les cinq pays du nouveau monde, nommé sobrement le Traité des Cinq. Une copie de ce fameux et précieux document était encadré et l'on pouvait y apercevoir les signatures des dignitaires de l'époque. Je reconnus des noms que j'avais également appris plus petite. Nikolaï, lui, me suivait bien plus lentement, s'arrêtant sur chaque détail, visiblement investi dans sa visite — plus investi que moi, en tout cas. Même si j'appréciai les bons dans le passé, je n'étais sans doute pas aussi intéressée que lui.

Jusqu'à tomber sur un événement particulier. Dans un coin de la pièce, une réplique d'une robe d'enfant était protégée dans un coffre en verre et éclairé de quelques spots. Ceux-ci faisaient briller le satin bleu-vert, les perles sur le col et les rubans pailleté des manches. Le vêtement était beau, bien qu'un peu pompeux malgré sa toute petite taille, et je me baissai pour voir à qui il appartenait.

« Cette robe est la réplique de celle portée par la princesse impériale Vanya Brekkenbridge lors du dernier bal auquel elle a assisté, âgée alors de 2 ans. »

Je fronçai les sourcils : je ne connaissais pas cette histoire. Je cherchai du regard quelque chose qui m'en apprendrait plus sur cette princesse perdue, mais n'eut pas le temps de lire un traître mot que Nikolaï arriva dans mon dos.

— C'est une histoire terrible, commença-t-il. Mais je suis sûr que c'est un complot.

— Comment ça ?

— Tu ne sais rien de l'enlèvement de la princesse Vanya ?

Je secouai la tête et des étoiles pétillèrent dans ses yeux. Me raconter ce fait historique à sa manière l'enchantait.

— Il y a une vingtaine d'année, il y a eu un grand bal à Ignisoria pour fêter les deux ans de la princesse Vanya, première fille de Quinlan et Carlene Brekkenbridge. C'était une tradition : c'était la première apparition publique de la princesse et sa famille la présentait à l'ensemble du pays.

— C'est un peu exagéré, soufflai-je.

— Ça l'était, en effet. Cette tradition s'est arrêtée après l'enlèvement de Vanya. On raconte que les personnes qui l'ont kidnappé avaient besoin d'argent et espéraient de la famille impériale qu'elle paye une belle somme pour récupérer leur précieux enfant. Sauf que personne n'a payé.

— Ils n'ont même pas essayé de récupérer leur fille ?

— Ils ont essayé par d'autres moyens. Ils ont engagé les meilleurs inspecteurs et détectives du monde entier pour mettre la main sur Vanya. Mais ils n'ont jamais payé. Et au bout de plusieurs semaines de recherche infructueuses, ils ont conclu que la princesse était morte.

Je vis dans son regard qu'il ne croyait pas en cette version et l'interrogeai sur sa théorie.

— Il faut remettre l'événement dans son contexte : la famille impériale était mal en point, sa popularité était en baisse et tu sais comment ça fonctionne à Ignisoria. Si tu veux conserver ton trône, tu dois conserver une réputation sans faille. Sauf que celle de l'empereur était en chute libre à cause, notamment, de rumeurs sur des supposées relations illégitimes qu'il entretenait. Je suis persuadé que l'enlèvement de la princesse était prémédité pour redorer l'image de la famille impériale. Pour que les gens ressentent de l'empathie et qu'ils oublient les rumeurs.

— Ce serait horrible de faire ça.

— Tu sais, les grands de ce monde ne sont pas tout blancs, malgré ce que les traités essayent de nous faire croire. Ils feraient tout pour garder leur place.

— Et dans ton histoire, que serait devenue la princesse ?

— Je suis certain qu'elle est dans le palais impérial, vivant une petite vie de recluse confortable et qu'elle sera remise sur le devant de la scène dans peu de temps. Avec les bruits qui court sur les déboires alcoolisés du benjamin de la famille, Vivian, cela ne m'étonnerait pas que Vanya réapparaisse comme par magie dans les prochaines semaines ou mois.

— Tu ne serai pas un peu complotiste sur les bords ? raillai-je.

— Disons que je ne crois pas tout ce qu'on me dit et que les preuves que j'ai eu devant les yeux quant à toute cette histoire ne m'ont pas convaincues.

Je souris, comprenant son point de vue. Néanmoins, j'étais certaine que sa théorie n'était pas la bonne. Sans savoir vraiment pourquoi, je songeai que quelque chose d'autre, peut-être de moins sournois, était dissimulé derrière cet enlèvement. Je me promis de faire plus de recherches une fois de retour dans Le Voyageur des Horizons — ma curiosité était piquée au vif. Et je me rendis compte de mes lacunes concernant la politique des autres pays. Si je devais me rendre à Ignisoria, et plus précisément Lirennia, sa capitale, une mise à niveau ne me ferait pas de mal.

J'avais perdu la notion du temps au sein du musée, si bien que quand nous en sortions, je m'étonnais de la faible luminosité extérieure. La tête encore plein de souvenirs d'un temps que je ne connaissais pas, je suivi Nikolaï pour les courses qu’il avait à faire, puis jusqu'à la gare et appréciai la chaleur qui se dégageait de la voiture du personnel. Mais à peine j'eus posé le pied sur le parquet ciré que Mei-Lin m'interpella.

— Ah, vous voilà ! On a besoin de toi en cuisine, Analena. Il se pourrait qu'on ait plus de couverts que prévu ce soir, les gens ne restent pas dehors pour manger.

Je retins un soupir et acquiesçai. Je me tournai vers Nikolaï qui m'encouragea d'un signe de tête. Et je m'éclipsai dans ma cabine, prête à commencer mon service imprévu. Je réitérai néanmoins ma promesse faite au sein du musée : en découvrir plus sur la princesse disparue d'Ignisoria.


Texte publié par Elodye H. Fredwell, 29 janvier 2025 à 12h29
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