Pourquoi vous inscrire ?
«
»
tome 1, Chapitre 10 « Analena Volyr » tome 1, Chapitre 10

J'étais déjà réveillée quand j'entendis les trois coups portés par Nikolaï contre la porte. Je le rassurai d'un simple « je suis presque prête » et écoutai ses pas s'éloigner dans le couloir. En réalité, j'étais lavée et habillée depuis plus d'une demi-heure, n'ayant pas réussi à me rendormir après un éveil nocturne désagréable. Mon esprit m'avait fait rejouer ma journée d'hier dans ses moindres détails, sans oublier d'y apporter une atmosphère plus sombre et oppressante qu'elle ne l'avait été. Je me souviens même qu'Ingrid s'était transformée en une immense créature à huit pattes. Comment aurais-je pu replonger dans le sommeil après une frayeur pareille ?

Entre mes mains, l'écran de mon terminal de communication laissait entrevoir un long message qui n'attendait qu'à être envoyé. J'avais profité du temps qu'il me restait avant de rejoindre le wagon-restaurant pour écrire à mes parents et les rassurer sur la situation. Pas besoin de leur raconter mes mésaventures de contrôle d'identité : ils pensaient toujours que j'avais eu assez d'argent pour me payer le billet. Je leur promis de les tenir au courant et de leur envoyer des photos des endroits que je visiterai — si j'en avais l'occasion. Quand j'appuyai sur envoyer, un sourire étirait mes lèvres.

Je quittai le bord de mon lit, replaçai les draps et rangeai mes affaires. Le miroir accroché dans la penderie me renvoya l'image d'une jeune femme qui ne savait pas trop ce qu'elle faisait ; et c'était le cas. Vêtue de l'uniforme bleu roi de la compagnie En Avant Terre, je ne me ressemblai pas. La chemise était trop serrée au niveau de la poitrine, le pantalon m'arrivait aux chevilles et le veston contraignait mes mouvements. Elsa, la personne que je remplaçai, était sans aucun doute plus petite et plus fine que je ne l'étais. Je me demandais bien comment j'allais pouvoir faire mon travail dans de telles conditions.

Je sortis de ma chambre dix minutes avant l'heure de rendez-vous et redécouvrit les wagons que je ne connaissais pas. La blanchisserie ronronnait tranquillement, la bagagerie était silencieuse et les wagons-lits étaient encore plongés dans le silence. Je croisai un monsieur et son fils, un croissant dans les mains, et les laissai passer en souriant. D'ici une petite heure, les passagers quitteraient le train en direction d'Elysée. Je ne connaissais de cette cité balnéaire que son immense et réputé aquarium dont l'existence même avait défrayé la chronique quelques années en arrière. Après de nombreuses négociations et des menaces de fermeture à répétition, les propriétaires du musée avaient pu demander à relâcher les animaux marins qu'ils estimaient aptes à regagner l'océan tout en poursuivant leurs missions de soin aux espèces qui en avaient le plus besoin. Désormais, les bassins n'abritaient plus que quelques spécimens vivants ; les autres étaient des reproductions robotiques plus vraies que nature qui enchantaient autant les visiteurs que les défenseurs de l'environnement.

Je regrettai de ne pas pouvoir mettre les pieds dans cet endroit. Mais j'avais d'autres priorités.

Dans le wagon-restaurant, Mei-Lin et Nikolaï m'attendaient. J'étais toujours en avance et m'avançai devant eux, me montrant la plus à l'aise possible dans cet accoutrement trop petit. Quand Nikolaï me vit, il grimaça.

— Je crois que cet uniforme ne te va absolument pas.

— J'y suis un peu à l'étroit, en effet, avouai-je en tirant sur les pans de ma veste.

Mei-Lin m'observait visiblement contrariée. Je ne fis aucune autre remarque et attendis le verdict de son analyse. Quand elle poussa un soupir, je me crispai.

— Bon, je crois que vous allez devoir vous passer du veston pour aujourd'hui. Et de la chemise. Avez-vous des vêtements neutres ? De préférence blanc ou bleu ?

— Neutre, oui, mais pas dans ces couleurs. Plutôt noir.

Elle se contenta de hausser la tête.

— Bien, j'expliquerai à Giorgia pourquoi vous êtes en retard. Filez vous changer.

Je la remerciai et tournai rapidement les talons. Je retraversai les wagons et m'enfermai brusquement dans ma cabine. Sans perdre de temps, je revêtis un tee-shirt noir, un pantalon près de corps teint d’un bleu de myrtilles et troquai les chaussures, elles aussi trop petites, pour mes bottines préférées. Je vérifiai que mes cheveux étaient toujours bien attachés et rejoignis mes nouveaux collègues. Mei-Lin paraissait ravie de ma rapidité et m'offrit son premier sourire quand j'apparus dans le wagon. Nikolaï n'était plus là et ce constat m'ennuya — sa simple présence m'aurait rassurée quant au déroulé des prochaines minutes.

— C'est donc elle, la clandestine ?

À côté de Mei-Lin, une femme aussi grande qu'elle et au visage rond encadré de cheveux argentés me souriait amicalement. Je la saluai timidement.

— C'est avec moi que tu vas travailler aujourd'hui ! C'est quoi, ton nom ?

— Analena Volyr, madame.

— Appelle-moi Giorgia. Ou Gina, c'est plus court. J'espère que t'es prête, on a du pain sur la planche !

Je me contentai de sourire, le cœur battant. Cette femme semblait douce et accueillante — l'inverse de Mei-Lin qui continuait de me lancer un regard sévère.

— Vous aurez un nouvel uniforme si votre journée d’essai est validée par Giorgia.

— Merci, madame Paten.

Quand je fus enfin seule avec Giorgia, je m'autorisai un soupir. Si je voulais être acceptée par la responsable des contrôleurs, je...

— Tu dois faire tes preuves, compléta la cheffe comme si elle avait lu dans mes pensées. Mei-Lin n'accorde pas sa confiance à n'importe qui. Moi, je m'en fiche : du moment que tu fais bien ton job, tout devrait bien se passer. Allez, suis-moi !

Je lui emboîtai tout de suite le pas. Cette femme me plaisait déjà beaucoup, peut-être parce qu'elle ressemblait à Oma physiquement : assez petite, toute fine, avec des yeux rieurs et une longue tresse grise qui descendait jusque dans le bas de son dos. Elle m'entraîna à travers une porte et je découvris la face cachée du wagon. J'eus l'impression, le temps d'un instant, d'être passée dans une autre dimension.

— Voilà la cuisine ! Il y a un sens de circulation à bien respecter pour éviter de se gêner, donc si tu veux sortir, c'est par la porte, là-bas. Et quand tu entres, c'est toujours par celle-ci.

Elle me pointa du doigt les extrémités du wagon et poursuivit sa visite. Je repérai les différents plans de travail, les réfrigérateurs et les plaques de cuisson en surface. En dessous, les placards s'alignaient les uns après les autres, dégageant l'espace le mieux possible. Tout était optimisé, jusqu'à la suspension des ustensiles accrochés aux plafonniers que l'on pouvait descendre ou remonter à l'aide d'une poulie. J'étais fascinée par tous les arrangements mis en place pour faire passer cette cuisine dans un wagon si étroit et manquai de me cogner dans Giorgia quand elle s'arrêta devant moi.

— Tu vas commencer par faire la plonge. Le lave-vaisselle est plein, je te laisse le vider et tout ranger dans le vaisselier, là-bas.

Elle me montra une immense armoire blanche vitrée dans laquelle s'entassaient verres, tasses et assiettes, le tout peint en bleu roi et complété du fameux liseré doré qui caractérisait la charte graphique du Voyageur des Horizons.

— Après, tu pourras le remplir avec toute la vaisselle d'hier soir et laver les casseroles. On va préparer le petit-déjeuner, tu as donc une bonne heure devant toi pour faire tout ça. On aura peu de couverts ce midi, les gens préfèrent manger à Elysée, tu ne devrais pas crouler sous le travail cet après-midi !

J'acquiesçai, prête à m'y mettre. Ce fut alors que j'aperçus ses yeux se poser sur mes avant-bras tatoués. Ce n'était sans doute pas la première fois qu'elle les remarquait, mais elle ne m'avait jusqu'ici fait aucun commentaire.

— Ils sont très beaux, me dit-elle en croisant mon regard. Bon, allez, c'est pas tout ça, mais y'a du boulot ! Appelle-moi si t'as besoin de quelque chose !

J'eus à peine le temps de la remercier qu'elle me tournait déjà le dos, prête à commencer sa journée. Il était temps que je m'y mette, à mon tour. J'ouvris le lave-vaisselle et commençai ma tâche. Je ne devais pas chômer : une heure pouvait passer vite quand on ne connaissait pas les lieux. Malgré la pression, je me sentais bien. Déterminée.

Je donnerai tout ce que j'ai pour rester dans ce train.

Je n'aurais cependant jamais pu imaginer que mon repos serait le prix à payer pour demeurer à bord. Quand Giorgia me laissa enfin quitter la cuisine, le soleil commençait à se coucher. Giorgia m’avait expliqué que le train était toujours vide quand il s’arrêtait à Fagaros en raison de ses célèbres courses de ski nautique. Quand elle me demanda si je comptais m’y rendre, je lui répondis honnêtement que je n’en savais rien : à ce moment, tout ce dont j’aspirais, un peu de repos dans un fauteuil confortable — voire un lit. Courbaturée, les mains rêches, les cheveux décoiffés, je regagnai le wagon du personnel sur les rotules, mais fière d'avoir effectué toutes les tâches, les unes après les autres.

Quand je m'assis dans un fauteuil, j'entendis mon estomac gronder. Le maigre et rapide repas du midi était désormais bien loin, mais je n'avais pas la force de faire le chemin en sens inverse pour récupérer de quoi me sustenter. Je fermais les yeux, appréciant l'assise moelleuse de mon siège, et commençai à m'endormir quand, soudain, des pas résonnèrent dans le wagon.

— Je savais que je te trouverais ici.

J'ouvrai un œil, puis un second. Nikolaï tenait un plateau entre ses mains sur lequel était disposé deux wraps et des frites de patate douce. Quand il le posa sur la table basse, j'attrapai le verre d'eau et le vidai d'une traite. Assit en face de moi, dans le canapé, il rit.

— Giorgia fait son rapport à Mei-Lin. Je me disais que tu aurais faim en attendant son verdict.

— Merci, je suis affamée.

— Raconte-moi, tout s'est bien passé ?

J'acquiesçai simplement en attrapant une des frites orange. J'en avais senti les odeurs dans la cuisine, mais le goût était plus exquis encore que ce que j'avais imaginé.

— Fatiguant, avouai-je alors. Mais les commis m'ont beaucoup aidé dès qu'ils voyaient que je cherchais l'emplacement d'un plat ou d'une casserole. Globalement, je pense que ça s'est bien passé.

— Tu devrais bien dormir ce soir, alors.

Il consulta sa montre tandis que je croquai dans la galette de blé garnie de salade, de tomates et de croquettes de chèvre frit.

— Mei-Lin ne devrait pas tarder à revenir. Tu as entendu parler des courses de Fagaros ?

Je me léchai les doigts en acquiesçant.

— Giorgia a abordé le sujet.

— J’y vais avec Mateo et Asha, si ça te dit de venir avec nous.

J’écarquillai les yeux ; d’abord parce que je ne connaissais ni Mateo ni Asha, mais aussi parce qu’il me proposait de les accompagner. Je restai silencieuse quelques instants, sondant ses yeux noisettes à la recherche d’une entourloupe que je ne trouvais pas.

— Je n’y connais pas grand-chose, lui avouai-je.

— On t’expliquera les règles. C’est une institution ici. Je ne suis pas particulièrement fan de ski nautique, mais l’ambiance et les figures des participants valent le coup.

— Alors, ça serait avec plaisir. Si je ne suis pas virée du train d’ici là.

Nikolaï lâcha un rire et croqua dans son wrap. Je me surpris à contempler les détails de son visage pendant qu’il ne se préoccupait plus de moi : son nez tordu, la cicatrice au coin droit de sa lèvre inférieure, ses tâches de rousseur presque invisibles et cette mèche de cheveux rebelle qui ne cessait de revenir devant ses yeux. Quand il releva la tête et que nos regards se croisèrent, je souris et détournai mon attention vivement. Dans ma poitrine, mon coeur s’emballa.

Le silence dans lequel nous demeurions était apaisant, un véritable contraste avec le brouhaha de la cuisine, et que je me promis d'apprécier plus souvent. Je ne me sentis pas obligée de lui parler à ses côtés et nous nous contentions de manger à notre rythme, sans forcer la conversation.

J'appréciai le moment bien plus que je ne pourrais jamais l'admettre.

Interrompant ce moment de plénitude, j’entendis la porte s’ouvrir dans mon dos et Nikolaï se précipita de s’essuyer la bouche pour accueillir une Mei-Lin souriante — je craignais alors le pire.

— Il se pourrait que Giorgia soit particulièrement satisfaite de votre travail du jour, mademoiselle Volyr.

Un poids que je n’avais pas sentis s’évapora de mes épaules et je ne pus réprimer un soupir de soulagement.

— Je vous ai trouvé un nouvel uniforme qui devrait vous aller, continua-t-elle en me tendant une petite pile de vêtements bleu et or pliés. Demain, je vous présenterai à l’ensemble de l’équipage. Votre mission sera essentiellement d’aider en cuisine, mais il n’est pas exclu que l’on vous demande sur d’autres postes si besoin.

Je la remerciai d’un hochement de tête en serrant le costume contre moi. Nikolaï, à mes côtés, semblait tout aussi ravi que moi et je sentis de nouvelles palpitations dans ma cage thoracique. Malgré sa bonne humeur, Mei-Lin se sentit obligée d’ajouter :

— Bien sûr, s’il s’avérait que votre présence nous nuise d’une quelconque façon, vous descendrez avant l’arrivée à Lirennia.

Je n’osai répondre pas des mots et me contentai d’un signe de tête pour lui assurer que j’avais bien compris les risques.

— Bienvenue à bord, Analena.

Le sourire qu’elle m’offrit avant de partir me rassura quant à la place que j’occupai en ces lieux. Je me tournai face à Nikolaï dont la joie brillait dans les yeux.

— Félicitations.

— J’aurais pas pu réussir à grand-chose sans ton aide. Merci à toi.

Il acquiesça et regarda sa montre.

— Si tu veux venir voir la course, je te conseille de mettre des vêtements chauds. On se retrouve dans dix minutes ici, ok ?

— Ça marche.

J’échangeai un dernier regard avec lui avant de prendre la direction de ma cabine. Une fois dans ma chambre, mes lèvres continuaient de s'étirer. Je posai mes nouveaux vêtements sur le lit et m’attardai devant le miroir. Outre mes cheveux décoiffés et mon air fatigué, mon reflet renvoyait l’image d’une femme heureuse. Sûre d’elle. Prête à atteindre son objectif.

Je parviendrai à assurer ma place jusqu’à Lirennia.

C’était une promesse.


Texte publié par Elodye H. Fredwell, 11 décembre 2024 à 11h52
© tous droits réservés.
«
»
tome 1, Chapitre 10 « Analena Volyr » tome 1, Chapitre 10
LeConteur.fr Qui sommes-nous ? Nous contacter Statistiques
Découvrir
Romans & nouvelles
Fanfictions & oneshot
Poèmes
Foire aux questions
Présentation & Mentions légales
Conditions Générales d'Utilisation
Partenaires
Nous contacter
Espace professionnels
Un bug à signaler ?
2836 histoires publiées
1285 membres inscrits
Notre membre le plus récent est Fred37
LeConteur.fr 2013-2024 © Tous droits réservés