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tome 1, Chapitre 9 « La deuxième chance » tome 1, Chapitre 9

— Pourquoi tu tiens tant à aider les autres comme ça ?

Le ton de Mei-Lein n'était pas agressif. Je pouvais juste y ressentir la lassitude. Ce n'était pas la première fois que je faisais preuve d'un peu trop de souplesse quant à un passager clandestin. C'était mon problème, je le savais, mes parents me l'avaient assez répété quand j'étais petit. Je me souciai des autres. Je me souciai trop des autres.

— On ne peut pas embaucher quelqu'un comme ça. C'est à la compagnie de remplacer Elsa pendant son arrêt maladie, pas moi.

— Tu sais qu'elle ne le fera pas, rétorquai-je. S'ils peuvent avoir une personne de moins à payer, ça les arrangera toujours. Mais elle, Analena, elle...

— On ne sait rien d'elle, Nikolaï ! Comment savoir si elle dit la vérité ?

Je n’avais pas la réponse. Je n’avais jamais été très doué pour déceler les mensonges chez les gens, défaut que j’héritais de mes parents et qui leur avait coûté leur entreprise, leur carrière, leur réputation. Si, comme eux, je faisais fausse route avec cette jeune femme, je pouvais dire adieu à ma place au sein du Voyageur des Horizons.

Mais au fond de moi, j’étais persuadé qu'elle disait la vérité. Pouvais-je seulement me fier à son intuition ?

— Giorgia se plaint de manquer de bras depuis le départ : elle n'est plus toute jeune et parfois, même avec Elsa, c'était difficile de tout faire. Analena pourrait les assister, nettoyer derrière eux et même aller faire les courses pour que la cuisine tourne parfaitement tous les jours.

Mei-Lin leva les yeux au ciel et se détourna de moi. Devant nous, les paysages nocturnes du nord de Terraüris défilaient tranquillement. La lune essayait tant bien que mal de se frayer un chemin entre les nuages, tantôt éclatante, tantôt cachée.

— Parle-lui, tentai-je de nouveau. Parle à Analena et tu verras. Je suis sûr qu'elle peut...

— Ça va, ça va, j'ai compris. Va la chercher.

Surpris, je me contentai d'acquiescer et descendit d'un étage. Mes yeux croisèrent ceux de la passagère clandestine alors que j'étais au milieu de l'escalier et je l'invitai à me rejoindre d'un simple signe de main. Elle se précipita. Ingrid ne la lâcha pas du regard, puis me toisa, suspicieuse. Je l'évitai et fis demi-tour.

Quand Analena se retrouva devant Mei-Lin, je sentis mon cœur battre à tout rompre. De nous deux, j'étais sans doute le plus stressé, ou alors, elle dissimulait parfaitement ses émotions. La tête droite, prête à entendre ce que ma responsable avait à lui dire, elle patientait, sans trembler, l'air assuré.

— Que faites-vous dans ce train ?

Si j'étais dérouté par la question de Mei-Lin, Analena ne flancha pas. Elle lui raconta la même histoire qu'à moi, en jouant moins avec les émotions dans sa voix, établissant les faits. Elle semblait différente de quand je l'ai trouvé. Peut-être parce qu'elle devinait quel genre de femme était Mei-Lin ; le genre qui préférait les actes aux mots et qui ne se laissait pas attendrir par les émotions.

Tout l'inverse de moi, en somme.

— Et pourquoi ne pas avoir payé votre billet, comme tout le monde ?

— Je ne le peux pas, répondit Analena. Quand je suis arrivée à Ætheria, c'était pour trouver un travail et mettre de l'argent de côté afin de me payer ce voyage un jour. Je suis montée dans le train sur un coup de tête ; ce n'était pas réfléchi.

— En effet, vous pensiez vraiment que personne ne se rendrait compte de votre présence clandestine à bord ?

— J'espérais passer entre les mailles du filet. Je vois bien qu'avec une équipe comme la vôtre, cela est impossible.

Je retins un sourire et me tournai vers Mei-Lin. Elle parut ravie du compliment et se racla la gorge pour ne pas se laisser attendrir. Si les émotions ne l'atteignaient pas, ce n'était pas le cas des flatteries.

— Vous avez du cran, je dois le reconnaître. Oser remonter après une amende, il faut être sacrément culotté.

— En vérité...

Je m'imposai dans la conversation, le cœur battant. Le regard que m'offrit ma responsable me glaça et je me demandai si tout lui dire était une bonne idée. Mais si je voulais qu'Analena ait une chance, l'honnêteté serait sans doute appréciée.

— Je l'ai laissé partir sans payer.

Le regard de Mei-Lin n'exprimait aucune surprise et elle se massa l'arête du nez, les yeux fermés. Je jetai un coup d'œil à Analena qui se contenta de me faire un signe encourageant de la tête. Je venais peut-être de signer son bannissement du Voyageur des Horizons et elle me soutenait ?

— Tout ça n'est pas très réglementaire, finit par dire Mei-Lin, mais soit. Giorgia me crie dans les oreilles depuis le début du trajet et je ne suis pas sûre de pouvoir la supporter très longtemps dans ces conditions. Analena, c'est ça ?

L'intéressée hocha la tête. Dans ses yeux, je pouvais y voir briller une certaine excitation. Mon palpitant s'emballa.

— Vous assisterez la cheffe, Giorgia Rossi, dès demain matin. Retrouvez-moi dans le wagon-restaurant à 8h — aucun retard ne sera toléré. Vous aurez un uniforme et vous devrez suivre les ordres de la cheffe et de ses commis, s'ils vous en donnent. La journée risque d'être intense, j'espère que vous êtes prête.

— Merci, madame.

— Madame Paten.

Analena déglutit.

— Merci, madame Paten.

— Bien. Nikolaï, je te laisse montrer à cette jeune femme sa chambre pour la nuit, elle peut prendre celle d'Elsa.

J'acquiesçai et me retournai, m'apprêtant à entraîner la nouvelle membre de l'équipe avec moi.

— Une dernière chose.

Je me figeai et lançai un regard par-dessus mon épaule.

— Au moindre souci, au moins faux pas, Analena quittera ce train... et tu la suivras. C'est bien clair ?

Je déglutis et hochai la tête. Mon regard plongé dans celui de ma responsable, je vis bien qu'elle n'appréciait pas cette directive. Mais elle n'avait pas le choix, je le savais. J'avais dépassé une limite. J'étais prêt à en payer les conséquences.

Elle me fit signe de partir et d'une pression au milieu du dos d'Analena, je l'invitai à descendre. En bas, j'esquivai de nouveau les yeux assassins d'Ingrid et rejoignis le wagon précédent. Je passai devant la passagère et lui ouvrit la porte de ce qui serait désormais sa chambre. Elle entra, inspecta les lieux rapidement avant de se tourner vers moi, un sourire aux lèvres.

— Merci, murmura-t-elle.

— J'espère que tout se passera bien pour vous.

— Je promets de ne pas vous décevoir. Vous avez pris des risques pour moi, je ne sais comment vous remercier.

Je m'appuyai contre le chambranle et croisai les bras.

— Faites votre travail. Écoutez les consignes. Et je suis sûr que tout se passera très bien.

Analena acquiesça, peu soulagée. Ici, face à moi, je voyais les fêlures dans le masque qu'elle avait gardé devant Mei-Lin. Quand elle s'assit sur le rebord du lit, il se brisa en mille morceaux, dévoilant ses véritables émotions. Elle paraissait épuisée, apeurée. Honteuse, même, peut-être. Je voulus dire quelque chose, n'importe quoi, pour la rassurer, mais restai simplement là, fuyant son regard. Ce fut elle qui choisit de briser le silence entre nous.

— Comment est Giorgia Rossi ?

Je souris.

— Adorable. Très protectrice, aussi. Elle travaille ici depuis le départ en retraite de ma grand-mère et...

En voyant son air surprit, je me décidai à entrer dans la pièce. La porte entrouverte sur le couloir permettait à la lumière de nous éclairer. Je m'assis à côté d'Analena et lui expliquai :

— À l'inauguration du train, c'était ma grand-mère qui était cheffe. Alesya Skolov, grande cuisinière de renom à Lirennia. Elle a terminé sa carrière à bord du Voyageur des Horizons et a formé Giorgia pour prendre sa place quand elle partirait en retraite. Elle lui ressemble beaucoup, bien qu'elle soit plus douce que ma grand-mère l'était. Dans tous les cas, je pense que tu ne crains rien avec elle.

Je me rendis compte que je l'avais tutoyé naturellement, mais Analena ne me reprit pas. Je poursuivis :

— Là où Mei-Lin se méfie facilement des gens, Giorgia prend tout le monde sous son aile assez rapidement. Je ne connais personne qui ne s'entend pas avec elle. Elle apprécie même Ingrid, c'est pour dire.

Elle rit et passa une main dans ses cheveux, plus à l'aise qu'elle ne l'était quelques minutes auparavant.

— Merci de m'avoir aidé, me dit-elle soudain. J'imagine que ta place ici est importante, alors je ferai tout mon possible pour que tu la conserves.

Je souris et me levai. Les yeux plongés dans les siens, je me surpris à repenser à mon rêve au bord du lac. Ce ne serait pas désagréable de partir avec elle. Je me raclai alors la gorge, revenant à l'instant présent.

— Tu devrais dormir. La journée risque d'être longue demain. Je viendrai toquer à ta porte à 7h30 si je vois que tu n'es pas levée. Crois-moi, tu ne veux pas être en retard.

— J'ai cru comprendre que ce serait rédhibitoire.

J'acquiesçai en riant. Je l'observai une dernière fois, puis tournai les talons.

— À demain.

— À demain. Et merci encore.

Je haussai la tête et refermai la porte derrière moi. Dans le couloir, je poussai un soupir, remarquant à quel point mon cœur battait la chamade. Tandis que je regagnai ma cabine, que je me brossai les dents, que je me déshabillai et me glissai sous les draps, ses iris verts ne quittèrent pas mon esprit.

Et je les vis encore lorsque je fermai mes paupières.


Texte publié par Elodye H. Fredwell, 7 décembre 2024 à 17h08
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