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tome 1, Chapitre 8 « Une chance de rester » tome 1, Chapitre 8

Je m'étais faufilée hors de la foule avant la fin du spectacle. J'avais repéré les contrôleurs, à quelques mètres de moi. J'ignorais s'ils étaient au complet, mais je ne m'en inquiétai pas outre mesure : le contrôle des billets à bord du Voyageur des Horizons aurait lieu que le lendemain avant l'arrivée à Élysée, j'avais le temps de trouver une solution à ce problème.

Je remontai la rue principale de Dorheim, m'éloignant peu à peu de la plage de laquelle je percevais encore la musique. Les danseuses et les danseurs m'avaient impressionné par leur grâce et la douceur de leurs mouvements. Pendant quelques dizaines de minutes, j'avais tout oublié : la raison de ma présence sur cette plage, ma quête, mes doutes et mes angoisses. Tout s'était envolé dans les notes de la musique et dans l'écume des vagues. Mais il fallait bien revenir à la réalité, à un moment ou à un autre.

En passant devant une échoppe qui dégageait une bonne odeur de friture sucrée, je m'arrêtai et ouvrai mon porte-monnaie. Je réservai cet argent aux repas pour l'ensemble du trajet et me laissai séduire par deux brochettes de poulpe enrobé d'une sorte de pâte à gaufre très abordables. Le mélange des saveurs me ravie au plus haut point. Cette journée aura été un vrai ascenseur émotionnel. D'abord, j'avais été congédier du train, puis j'avais erré jusqu'à la plage, m'étais laissé envoûter par le spectacle et, enfin, je dégustai ce mets réconfortant. Il ne me restait plus qu'à trouver un endroit pour dormir au sein du Voyageur des Horizons et ce serait parfait.

Arrivée à la gare, je jetai les bâtons de mes brochettes et me dirigeai à pas lents vers le train. L'idée était de se faire le moins remarquer possible. J'avais détaché mes cheveux afin que des mèches tombent devant mes yeux et mon écharpe cachait une bonne partie de mon visage. Je savais cependant que ce n'était pas ça qui allait me permettre d'être méconnaissable. Peut-être aurai-je dû acheter un chapeau. Ou des lunettes de soleil.

Je longeai les voitures les unes après les autres à la recherche de celles qui me permettraient de me cacher. Je dépassai le premier wagon-lit et poursuivis jusqu'au suivant. Malgré la modernité du train, il avait gardé des aspects anciens, dont les portes extérieures. Je posai ma main sur la poignée dorée et n'eus pas besoin de l'abaisser : la porte coulissa d'elle-même. C'était l'un des nombreux détails de ce véhicule qui me fascinait. J'entrai, non sans appréhension, et me dépêchai de trouver une chambre libre. Le couloir était silencieux et je repérai une caméra au plafond, incrustée tel un spot lumineux. Je n'avais aucune chance de passer à travers et je m'en fichai. Je devais tenter de m'enfermer dans une chambre le plus vite possible.

J'actionnai une clenche ; la porte était fermée. Mon deuxième essai fut infructueux. Le troisième également. Je râlai : il semblait que même les cabines non occupées aient été fermées à clé pour empêcher quelqu'un comme moi d'y entrer. Je baissai les yeux sur ma montre. Le train partirait dans une quarantaine de minutes et les voyageurs ne tarderaient pas à revenir. Et, avec eux, les contrôleurs. Je devais trouver une solution et vite.

Je poursuivis mes recherches, passant au wagon suivant. Les portes demeuraient closes ici aussi. En relevant la tête, j'aperçus une silhouette descendre le couloir de la voiture suivante. Je pestai, attrapai vivement la poignée dans l'espoir que cette porte-ci fut ma délivrance. Et, par je ne sus quel miracle, elle s'ouvrit. Alors que je perçus un coulissement, je me précipitai à l'intérieur de la cabine et refermai la porte brusquement.

Mais c'était déjà trop tard.

Une chaussure bleue m'empêchait d'aller au bout de mon action. Je cessai de forcer ; cela ne servirait à rien, si ce n'était aggraver mon cas. Je fis un pas en arrière, laissant le contrôleur se montrer. Quand je le reconnus, je poussai un soupir en levant les yeux au ciel.

— Encore vous !

Nos voix résonnèrent de concert tandis que l'on s'observait en chien de faïence. Il fit un pas en avant ; je reculai jusqu'à toucher le sommier derrière moi.

— Je vous avais dit de ne pas remettre les pieds ici, gronda Nikolaï.

— Et moi, j'ai besoin d'aller à Lirennia !

— Alors, achetez un billet, comme tout le monde.

Je serrai les dents. Je ne voulais pas lui avouer que je n'en avais pas les moyens. J'allais répliquer quand il sorti sa tablette de sa poche.

— Un billet coûte moins cher que l'amende que vous devrez payer. J'ai été sympa une fois, vous en avez abusé, je n'ai pas d'au...

— Attendez, laissez-moi expliquer, tentai-je.

Il m'intima au silence d'un regard. Ce n'était pas de la colère que je voyais dans ses yeux, mais plutôt... de la déception ? Je déglutis et baissai les yeux, mal à l'aise. Il avait raison. Quelque part, j'avais trahi sa confiance. J'avais bafoué son action serviable.

Mais j'avais mes raisons. Et peut-être que s'il les connaissait...

— J'ai vraiment besoin d'aller à Lirennia.

— Et moi, j'ai besoin que vous ayez un billet.

— J'en ai un.

Ce n'était pas vrai. Enfin, pas tout à fait. Mais je devais tenter le tout pour le tout. Je fis pivoter mon sac à dos sur mes côtes, l'ouvrit rapidement et chercha le livre d'Oma. Dedans, le vieux ticket de train demeurait en sécurité. Entre mes doigts, j'hésitai à le tendre au contrôleur. C'était cependant ma seule chance. Il le prit précautionneusement et lit les informations qui y étaient inscrites.

— Il date d'il y a presque vingt ans, murmura-t-il, les sourcils froncés. Vous vous fichez de...

— Non, non ! On a trouvé ce billet sur moi quand j'étais enfant, à l'orphelinat !

Ma voix s'enrailla et ma respiration commença à se saccader. Il me toisa en me rendant le billet et secoua la tête, cette fois-ci, agacé. Je poursuivis, débitant mon histoire rapidement :

— J'avais ce billet dans la poche de ma veste quand j'ai été déposée à l'orphelinat. Je recherche ma famille biologique. Je pense — non, je suis sûre — qu'elle est à Lirennia. J'ai besoin d'y aller. S'il vous plaît.

Je vis Nikolaï pousser un soupir tout en secouant la tête.

— Je ne peux pas vous laisser dans le train sans billet, c'est la règle.

Sa voix trahissait plus sa lassitude que son énervement, désormais. Je m'adoucis à mon tour.

— Je sais que c'est contre les règles, je sais que vous ne faites que votre travail. J'aimerais juste savoir d'où je viens. Pourquoi j'ai été abandonnée ? Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Je ne sais même pas où je suis née, ni même mon véritable prénom...

— Pourquoi vous tenez tant à retrouver des personnes qui vont ont abandonné ?

Je m'attendais à cette question. Je pris une inspiration et murmurai :

— Je veux juste comprendre. Connaître la vérité.

Le soupir qu'il poussa m'arracha un frisson. Il se détourna de moi, massa l'arête de son nez tordu et contracta sa mâchoire. Je restai silencieuse tandis que ses yeux allaient et venaient entre la mini-salle de bain de la chambre et sa tablette toujours entre ses mains. Mon cœur battait vite, trop vite, et je craignis qu'il ne l'entende. Je pressai mes mains sur ma poitrine, en prenant garde à ne pas froisser le déclencheur de cette quête. Le calme dans lequel nous étions plongés, tous les deux, m'alarmait : mon objectif était entre ses mains.

— J'imagine que si vous ne pouvez pas payer votre billet, vous ne pourrez pas payer l'amende non plus, râla-t-il sans me regarder.

Je secouai la tête, incapable de répondre avec des mots. Il poussa un profond soupir, en proie à ses dilemmes. Lorsqu'il rangea sa tablette, je sentis mes épaules se libérer d'un poids. Mais la partie n'était pas gagnée ; je le sus quand nos regards se croisèrent de nouveau.

— Suivez-moi.

Je ne pris pas la peine de poser de questions, ni même d'hésiter. Je lui emboîtai le pas dans le couloir et, le sang pulsant dans mes tempes, j'entendis à peine le murmure des voix des passagers qui revenaient de Dorheim. Il me fit traverser l'ensemble des wagons-lits, sans oublier de me jeter des coups d'œil à chaque porte, et m'emmena jusqu'aux voitures interdites aux voyageurs. Je découvris la bagagerie, dans laquelle je n'aurais jamais pu me cacher en raison du rangement si précis des bagages, puis la blanchisserie. Le ronronnement des machines me rappela alors la buanderie de ma maison. Avec un pincement au cœur, je parcourus une dernière plateforme. Le wagon dans lequel j'entrais ressemblait en tout point à un des wagons-lit et je compris que c'était là que dormait le personnel du train.

Le contrôleur ne s'y attarda pas : il m'emmena encore plus loin, dans un petit salon aux fauteuils capitonnés. Je remarquai qu'un escalier menait à un étage et qu'en dessous, des étagères y avaient été installées. Des livres de toutes sortes s'y trouvaient, ainsi que quelques jeux de société.

Installée dans un canapé, une femme aux cheveux blonds coupés court me regardait froidement. Nikolaï se tourna vers moi, me lança un regard que je ne sus interpréter et entama la discussion avec sa collègue.

— Mei-Lin n'est pas revenue ?

— Non, pas encore. Pourquoi elle est ici, elle ?

Je n'aimais ni la façon dont elle me dévisageait, ni sa manière de m'interpeller. Néanmoins, je n'y réagis pas plus qu'avec un froncement de sourcils. Nikolaï avait une idée derrière la tête que je ne connaissais pas, je ne pouvais décemment pas les laisser échouer.

— J'ai une proposition à faire à Mei-Lin à son sujet. Je pense qu'elle peut nous être utile.

— Utile ? C'est une passagère clandestine à qui, visiblement, une première amende n'a pas suffi.

Je me retiens d'afficher un air surpris. Aurait-il caché à ses collègues qu'il m'avait laissé filer sans rien payer ?

— Nous avons un souci de personnel, tu le sais. Elle veut rester dans le train. Travailler pour nous sera son paiement.

La contrôleuse toisa son collègue. Mon souffle s'était coupé. Avais-je bien entendu ?

Au moment où je voulus m'en assurer, la porte dans mon dos s'ouvrit et une femme entra. Aussitôt elle me vit, aussitôt un sourire en coin habilla ses lèvres et elle me contourna pour faire face à son collègue.

— Mei-Lin, je te cherchais.

— Tu es incorrigible, Nikolaï.

— Laisse-moi t'expliquer.

— À l'étage. Ingrid, tu surveilles la demoiselle.

La dénommée Ingrid, avec son regard acéré, me fit signe de m'asseoir sur le fauteuil proche d'elle et je ne rechignai pas. Mei-Lin, que je devinai être la responsable de l'équipe, disparut dans l'escalier. Je suivis Nikolaï du regard, inquiète pour lui comme pour moi. Il me jeta un coup d'oeil rapide, mais son expression impassible ne me laissa aucun indice sur l'avenir de la situation.

Je soufflai discrètement et passai une main dans mes cheveux, évitant le regard de la contrôleuse. Je jouais avec le feu. Serais-je capable de poursuivre cette partie sans me brûler ?


Texte publié par Elodye H. Fredwell, 23 septembre 2024 à 21h43
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