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tome 1, Chapitre 1 « Bienvenue à bord du Voyageur des Horizons » tome 1, Chapitre 1

L'air était frais, revigorant, mais s'infiltrait dans la moindre faille de mes vêtements. Je repositionnai mon écharpe de laine sur le bout de mon nez gelé et enfonçait mon bonnet sur mes oreilles. Ma veste ne suffirait pas à me protéger du vent du nord qui s'engouffrait sur le quai de la gare d'Ætheria, ce matin-là. Et moi qui avais espéré un redoux pour ne pas attendre l'arrivée des voyageurs dans le froid...

Comme d'habitude avant le départ, je m'adossai à la caisse et sortis de ma poche une tablette. Sa luminosité agressa mes yeux et je m'empressai de la baisser. Puis, je repris ma lecture là où je m'étais arrêté cette nuit. En haut de l'écran s'affichait l'heure. 6h07. Les premiers passagers ne tarderaient pas à arriver et j'avais tout le temps de finir ce chapitre. Au loin, j'entendis les voix des autres contrôleurs qui, eux aussi, surveillaient les entrées.

Quand ma liseuse indiqua 6h23, des voyageurs parvinrent jusqu'à moi et au vu de la foule qui s'apprêtait à entrer dans les voitures, je n'eus d'autre choix que de ranger mon appareil. J’accueillis les personnes les unes après les autres, une fois les mains libérées, avec cette phrase qui nous collait tous à la peau depuis notre premier jour comme contrôleur :

« Bienvenue à bord du Voyageur des Horizons. »

Ma voix était feutrée par la laine, je devais hausser le ton, et exagérer mon sourire pour qu'il se reflète dans mes yeux, tirant sur ma peau engourdie de fatigue et de froid. Les valises se succédaient les unes après les autres. Certaines, lourdes et aux roulettes usées, émettaient un bruit sourd qui résonnait contre les pavés plats du quai. D'autres passagers avaient pu s'offrir la dernière génération de bagage fraîchement arrivée sur le marché. Plus légers, maniables et aux roulettes silencieuses, mes oreilles remerciaient les ingénieurs. Car ici, sous l'auvent, les répercussions des sons agressaient les tympans, bien plus qu'au plus près de l'intérieur de la gare.

Les passagers affluaient. Je les saluai tous sans m'attarder sur les visages qui défilaient devant mes yeux. La plupart des personnes qui rentraient dans le train étaient des natifs de la capitale économique de Terraüris qui s'offraient ce voyage pour découvrir les autres contrées. Je baissai les yeux sur ma montre. Dans vingt minutes maintenant, Le Voyageur des Horizons commencerait sa longue traversée jusqu'à la capitale d'Ignisoria, son pays de naissance. Au total, ce sont treize jours que nous passerons en compagnie de la majorité des personnes qui prenaient place dans le train. À chacune des onze gares, des personnes descendraient et d'autres remonteraient pour rejoindre des villes éloignées. Mais le but d’acheter ce périple ferroviaire était bien de commencer à la première gare pour se délecter de la richesse de chacune des prochaines étapes.

Je soupirai en songeant à ces deux semaines qui allaient s'enchaîner. Oui, les paysages étaient beaux et les villes que nous traversions magnifiques. Mais pour moi qui avais déjà tout vu des centaines de fois, ce n'était que la routine. Mes yeux ne s'émerveillaient plus. Mon esprit ne s'évadait plus. Mes membres ne tremblaient plus d'excitation. Toutes ces sensations avaient, tout de même, mis longtemps à s'étioler.

Force était de constater que, désormais, je m'ennuyais.

6h56. Mes collègues contrôleurs sifflèrent le dernier rappel pour les voyageurs. Mais il n'y avait plus personne d’autre que nous sur le quai. D'un signe de main, je vis ma cheffe me signaler que je pouvais entrer et fermer la porte derrière moi. Je m'empressai d'obéir et soufflai d'aise en sentant la morsure du froid s'évanouir au contact de la chaleur du wagon. Je baissai mon écharpe afin de dégager ma bouche et mon nez et retirai mon bonnet qui me tenait, alors, trop chaud. Dans le reflet d'une vitre, je constatai que mes cheveux s'étaient aplatis. Je les frictionnai pour leur rendre leur volume, activant l'électricité statique. Je râlai devant ces mèches châtaines indomptables et échangeai mon bonnet pour ma casquette de service, dont le bleu roi agrémenté de broderies dorées contrastait avec le vert de mon écharpe.

Fin prêt, je passai le sas d'entrée du wagon et m'engouffrai dans l'allée. À ma gauche, les sièges confortables et pouvant s'apparenter à ceux que l'on trouvaient dans les salons fastueux faisaient face à une large banquette qui donnait, pour l'instant, sur le mur de la gare. Mais, bientôt, ce seront des paysages époustouflants qui défileront de l'autre côté de la vitre, pour le plus grand plaisir des yeux des passagers et la plus grande lassitude des miens.

En m'apercevant, les voyageurs me posaient leurs questions, m'offraient leurs sourires et s'excusaient de prendre du temps à s'installer. Je restai courtois et patient jusqu'au prochain sas. Je sentis que les quelques heures de sommeil de la nuit précédentes ne suffisaient pas et maudis le roman que j'avais commencé à lire — son trépidant premier chapitre m'avait attrapé entre ses griffes, m'empêchant de trouver le sommeil.

J'entrai dans le second wagon de la classe Noble, ceux dans lequel les passagers pouvaient se prélasser, comme dans leur salon, et trouver de quoi s'occuper. Cette voiture-ci était organisée à l'inverse de la précédente : la vitre était côté droit et promettait, elle aussi, une vue imprenable sur les territoires des cinq pays traversés. Le mur de gauche, lui, présentait des étagères pleines de livres et de magazines alignés au-dessus des sièges. Là aussi, je fus interrompu dans ma marche pour répondre aux passagers et indiquer les toilettes, le wagon-restaurant ou encore les wagons-lits. Je ne pris pas la peine de vérifier les étages ; ce n'était pas encore mon rôle, mes collègues s'en occuperaient très bien. Moi, tout ce que j'avais à faire, c'était retourner à l'arrière du train pour retrouver mon lit douillet. Même si nous devions tous être présents à l'ouverture du train, le premier jour de cette aventure ferroviaire, nous avions chacun des horaires différents pour assurer les tours de patrouille. Mes heures de service étaient souvent de nuit, pour ma part. Mes insomnies y étaient sans doute pour beaucoup.

J'arrivai dans le wagon-bar, saluait la barmaid qui vérifiait que tout était à sa place, et une secousse me fit perdre un instant l'équilibre. Je baissai les yeux sur ma montre. 7h02. Le train était prêt à entamer sa traversée. Tandis que je rejoignais le wagon-restaurant, je vis les colonnes de la gare et les lampadaires s'éloigner petit à petit dans le sens inverse de mon ascension. Le soleil n'était pas encore levé, mais il était possible de voir poindre le jour dans l'horizon rosé. Je franchis les sas du premier wagon-lit, classe Prestige, échangeai quelques mots avec mes collègues, avant de rejoindre la classe Élégance. À travers les portes ouvertes, j'apercevais quelques voyageurs s'installer dans ce qui serait leur chambre pour les treize prochains jours.

Au-delà des cinq wagons-lit, je longeai le couloir de la blanchisserie, silencieuse à cette heure-ci, et parvins enfin dans ma propre résidence. J'ouvris la porte de ma cabine attitrée et m'effondrai sur le lit. La pièce sentait bon la menthe poivrée, restes de mon infusion de la veille au soir pour apaiser mes pensées. La tête sur l'oreiller, les yeux rivés sur la petite fenêtre qui me montrait le jour gagner du terrain sur la nuit, je songeai à ce voyage.

Quelque part, au fond de moi, j'imaginais que c'était le dernier. J'ignorais de quoi j'avais besoin, mais Le Voyageur des Horizons ne pouvait plus me l'apporter. J'y songeais depuis un petit moment déjà ; depuis le départ de Lirennia, finalement, un mois plus tôt, entamant la traversée jusqu’à cette gare que nous venions de quitter. Mais la peur me vrillait les entrailles, m'empêchant de faire mon choix.

Car, qui étais-je si je n'étais pas Nikolaï Skolov, contrôleur du Voyageur des Horizons ?


Texte publié par Elodye H. Fredwell, 22 avril 2024 à 19h48
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