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La pause

© Rose P. Katell (tous droits réservés)

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Assise sur la deuxième marche en pierre de son perron depuis quelques secondes, Irina ne s’autorisa à relâcher la tension de ses muscles fatigués qu’avec sa vapoteuse sortie de la poche gauche de son peignoir préféré – en polaire, d’un mauve délavé – et une première bouffée saveur pastèque tirée… Une bouffée moins bienfaitrice qu’avec une cigarette classique, mais agréable malgré tout ; il fallait ce qu’il fallait quand on essayait d’arrêter.

Ses paupières s’abaissèrent. Sa tête aux cheveux relevés en un chignon improvisé, elle, s’appuya contre la porte refermée, sur laquelle pendait son trousseau de clefs. Enfin… Un moment de répit, un moment rien qu’à elle. Après la course du réveil, elle pouvait désormais profiter des meilleures minutes de sa journée. S’en gorger avant d’être submergée par son activité et, surtout, ses clients.

Ses orteils remuèrent dans ses pantoufles en fausse fourrure rose. Sa fille partie à l’école, son mari au boulot, elle était seule pour l’unique fois du jour – et gare aux clients susmentionnés s’ils ne respectaient pas ses horaires et osaient venir la déranger tant qu’elle n’était pas installée à son étroit bureau, elle le leur avait bien laissé entendre. Irina renifla avec une pointe d’amusement. C’était une chance qu’elle ait de la poigne et du caractère ! Elle se ferait manger depuis des années, sinon.

Ceux et celles qui recouraient à ses services avaient presque tous un point commun. Ils avaient le chic pour se croire au-dessus des règles et de la politesse ; si elle ne les cadrait pas, ils se pressaient ensemble devant elle, au beau milieu de son espace de travail, « oubliant » de frapper… Aucun savoir-vivre !

Un frisson la secoua soudain sans qu’elle y accorde beaucoup d’attention. Le vent était frais et aurait mérité qu’elle enfile sa doudoune en plus de son peignoir sur son pyjama. Toutefois, elle ne voulait pas raccourcir son instant de grâce, même pas dans l’idée d’aller la décrocher dans le vestibule… Sa pause achevée, elle n’aurait plus de répit d’ici le retour de sa fille, quand elle arrêterait son activité.

Un rire jaune manqua lui échapper. En dehors de son cher et tendre, famille et voisins la pensaient mère au foyer ! Elle adorerait saisir leur changement d’expression s’ils apprenaient la vérité…

Irina s’accorda une nouvelle bouffée, puis la sensation d’être observée l’arracha à ses réflexions. Elle releva le menton, croisa le regard d’une passante. Elle y devina aussitôt un jugement, voire du mépris par rapport à sa tenue et son maintien inexistant. Typique… Autrefois, elle en aurait ressenti de la honte ou se serait recroquevillée sur elle-même. Aujourd’hui, elle arbora une mine chaleureuse et salua l’inconnue, l’obligeant à l’imiter, à se sentir coupable. Elle n’avait aucun compte à rendre.

Mieux, elle méritait de souffler un coup chaque matin.

Les coudes en appui, Irina se pencha encore sur sa vapoteuse, avant de fermer les yeux – elle les garda clos jusqu’à ce que l’alarme de son téléphone lui indique de rentrer. Un sourire s’étala ensuite sur ses lèvres, comme pour tenter de donner le ton aux prochaines heures.

Une douche rapide et un café plus tard, Irina entra dans son bureau et reclapa la porte derrière elle en ignorant les soupirs déçus ou indignés que son geste lui attira. Sa main agrippa le dossier de son fauteuil, le tira en arrière afin de s’y installer. Elle attrapa stylo bille et carnet de notes, qu’elle ouvrit sur une page vierge d’informations récoltées. Ses bras se levèrent pour étirer son dos.

— Première personne ! appela-t-elle.

Le fantôme d’une femme traversa le battant sur-le-champ et, sans dire bonjour, se présenter ou lui laisser le soin d’entamer la discussion, s’écria :

— Ce n’était pas un accident ! Il a menti… J-Je réclame justice.

D’un mouvement lent, l’âme emplie de l’espoir de l’apaiser et de poursuivre l’échange avec cohérence, Irina l’invita à s’asseoir en face d’elle ; après quoi, un sursaut d’excitation malvenu la gagna.

Il y avait bien longtemps qu’elle n’avait plus eu à résoudre un crime potentiel. Voilà qui la changerait un peu des héritages truqués ou bafoués !


Texte publié par Rose P. Katell, 18 avril 2024 à 11h50
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