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tome 1, Chapitre 3 « La traque » tome 1, Chapitre 3

« La connaissance nous rapproche du bord du gouffre où la raison s'effondre ; la curiosité nous pousse à regarder au-delà. »

– H .P. Lovecraft, « Les Montagnes hallucinées »

Après avoir couru sans se retourner jusqu’à la forêt toute proche, Rhô évalua dans la semi-obscurité le meilleur endroit pour se réfugier. Il n’y avait aucune construction, aucun abri auquel recourir. Les arbres étaient hauts en revanche, et les créatures plus si loin que ça. La végétation avait largement changé en se rapprochant de la montagne, si bien que les arbres étaient plus irréguliers et moins hauts. Leur cime était également plus accessible, les identifiant comme un havre acceptable.

Les feuilles sombres bruissaient sous la brise et la bruine, mais cela ne l’empêcha pas de poser un pied sur la plus grosse racine de l’arbre.

Les jappements d’impatience se firent entendre et semblèrent résonner dans toute la vallée. Pourtant, Rhô savait que les monstres carnassiers n’avaient pas encore quitté leur tanière.

La relative obscurité qui s’abattait lentement sur le paysage n’avait pas encore atteint le point de bascule.

Sans réfléchir plus longtemps, il évalua les différentes possibilités d’attaque de l’ascension. Le jeune amnésique n’était pas équipé pour grimper, mais la survie était bien plus importante que toute autre considération. Le vieil arbre, un chêne centenaire aux innombrables branches, constituait un moyen d’échapper à leur flair. S’il parvenait à se hisser au plus près du sommet.

Ses yeux cherchèrent la moindre faille dans l’écorce qui lui permettrait de grimper rapidement et sans risque de se blesser, mais il se heurta à la réalité un peu trop évidente. Il était à court de temps.

Il se hissa complètement sur la racine horizontale.

Rhô fit glisser sa ceinture pour que le conteneur soit davantage vers l’arrière de son corps et n’entrave pas ses mouvements. Il tendit un bras vers la branche la plus basse et tira de toutes ses forces en serrant les dents pour ne pas laisser échapper de cri d’effort.

Une puis deux, il se hissa à la force des bras et posa l’autre pied en appui pour monter. La partie la plus difficile était sans doute derrière lui quand il entendit le hurlement bestial en provenance de la sortie de la grotte.

Il avait suivi la direction du vent pour éviter que les mouvements d’air ne portassent son odeur à la truffe des prédateurs.

Avec une habileté amoindrie par la précipitation, il accentua le rythme pour parvenir à une dizaine de mètres au-dessus du sol. Avec un peu de chance, il ne serait pas repéré.

Le tonnerre roula au loin comme un dernier rappel avant la nuit. Avant l’horreur.

Rhô compris que l’heure était venue : aux jappements impatients succédèrent les hurlements victorieux précédant la course effrénée des créatures dans la vallée.

Il n’y eut aucune autre alerte, puis dans la noirceur de la nuit, le bruit des bêtes s’ébrouant en contrebas suffit à le faire réduire sa respiration. Les yeux écarquillés par une peur tenace, Rhô se savait en sursis.

Bien qu’il fût suffisamment haut pour ne pas être à leur portée directe, rien ne pouvait le laisser croire que les créatures étaient incapables de grimper en s’accrochant au tronc de l’arbre ou en sautant sur ses branches.

Lorsque le groupe au complet fut passé, le survivant évalua sa situation. Il n’avait pas été repéré, mais les créatures rebrousseraient forcément chemin avant le lever du jour. La pluie n’avait cessé de s’intensifier et malgré la combinaison protectrice, son corps semblait ressentir les premiers effets du froid glissant sur sa peau.

Dans son esprit, il n’y avait pas vraiment d’alternative : il devait rester caché jusqu’à ce que la meute se fût à nouveau terrée pour la journée dans son antre rocheux.

Après avoir attendu quelque temps pour être certain que tous s’en étaient allés, fermement cramponné à la branche principale du chêne bleu observa les courbes végétales au-dessus de lui. Parfois les branches se repliaient en formant un abri naturel qui lui permettrait au moins de se reposer sans être éveillé à chaque goutte venant s’écraser sur son visage blême.

La fatigue était présente, la faim aussi.

Il repéra l’endroit où le tronc se terminait pour laisser place aux branches les plus anciennes à son sommet. S’élevant presque à la verticale, elles serpentaient dans le feuillage comme un reptile dans les herbes hautes.

Il entreprit de monter plus haut jusqu’à l’endroit qui lui parut le plus sécurisé pour s’installer dans une position relativement confortable. Son dos reposait dans le creux d’une branche formant un arc de cercle et l’épaisseur du feuillage l’abritait généreusement de la pluie battante.

De temps à autre, quelques gouttes perlaient sur l’écorce et venaient s’écraser sur lui, mais rien de comparable à la sensation de l’eau ruisselant sur son visage. Ainsi installé, il tira quelques baies de son caisson et les avala lentement.

Quelques heures de repos ne pouvaient que lui faire du bien, aussi préféra-t-il se concentrer en méditation sur les choses qui le tranquillisaient : le souffle du vent dans la plaine, la quiétude que lui inspirait la Tour.

Rhô sentait ses membres se relâcher et son attention décroitre, mais ainsi protégé il n’avait qu’à se laisser aller vers un sommeil réparateur.

Il ouvrit les yeux, quelques heures plus tard, ses sens brutalement mis en éveil par les foulées lourdes et rythmées des créatures revenant à l’abri. Le ciel s’était éclairci et l’astre solaire entravé par la couche nuageuse ne parvenait pas à percer. Cependant sa lumière diffuse et terne révélait un monde qu’il n’avait pas encore détaillé depuis son perchoir.

De l’endroit où il se trouvait, il put apercevoir les créatures s’ébrouer avant l’ascension vers la caverne. Certaines d’entre elles se disputaient quelques morceaux de charognes rapportées par les plus féroces.

Il n’eut aucun mal à constater leur nombre. La meute était grande et probablement vorace. Pourtant Rhô se demanda comment ces bêtes affamées pouvaient survivre en si grand nombre avec si peu de proies dans les environs.

Pour qu’un chainon aussi haut placé dans la chaine alimentaire puisse survivre, il y avait nécessairement des maillons inférieurs qu’il n’avait pas encore rencontrés.

Il imagina que quelques groupes de cervidés se déplaçaient peut-être dans le coin totalement inexploré de la vallée. Ou bien quelques créatures se terrant dans le sol détrempé constituaient la principale source de nourriture des monstres…

Alors que les bêtes s’étaient repliées dans leur tanière depuis quelques minutes, il se redressa pour déplier son corps endolori par la position dans laquelle il s’était retrouvé trop longtemps prostré.

La vallée avait retrouvé sa tranquillité, alors que la nuit avait été ponctuée de réveil au gré des hurlements de la meute. Perché à l’abri de l’odorat qu’il devina très fin, Rhô n’avait connu qu’une vague nuit agitée. Il observa attentivement les alentours, cherchant du regard un indice sur sa prochaine destination.

Il n’avait pas l’intention de retourner immédiatement à la tour.

La vingtaine de mètres le séparant du sol lui donna l’impression d’avoir la meilleure des vues sur la forêt toute proche. Là, les cimes des arbres semblaient pouvoir toucher le ciel, mais sur sa droite en longeant la montagne escarpée, une forme blanchâtre inhabituelle semblait disparaître au milieu des arbres.

La distance était assez importante, mais à pied et dans de bonnes conditions il pourrait s’y rendre en une vingtaine de minutes.

La décision ne fut pas difficile à prendre. Les vestiges émergeant au-dessus des chênes feuillus étaient les premiers restes d’une construction en dehors de la tour qui ne semblait pas avoir des milliers d’années.

Virevoltant adroitement dans les branchages, ses pieds retrouvèrent bientôt le contact frais et doux de l’herbe tendre de la prairie. Par réflexe, il jeta un coup d’œil dans la direction de la tanière désormais silencieuse, mais il ne distingua ni la silhouette agitée ni l’ombre d’une fourrure sombre au milieu de la végétation.

Rien que le vent et la pluie.

Il n’avait pas perdu de vue son objectif et se ressaisit. Il n’y avait aucun danger pour l’heure et il était bien décidé à mettre ce temps à profit pour enquêter.

Le temps maussade n’entamait pas son entrain et la relative clarté de la journée lui donnait malgré tout l’espoir de découvrir les mystères de la tour et de sa propre existence.

Les connaissances dont il avait hérité étaient manifestement très vastes, aussi son cerveau ne pouvait avoir été atteint par une affection physique. Non le problème était plus profond.

L’espace d’un instant, son esprit fit le tour des possibilités. Se pouvait-il que sa mémoire eût été effacée par quelque procédé médical ? Il ne pouvait en écarter l’hypothèse.

Rhô avança prudemment, mais à vive allure pour rejoindre l’endroit qu’il avait repéré. Son estimation du temps de trajet avait été correcte et bientôt il parvint à un affleurement rocheux qui lui permit d’apprécier la vue.

Là, au milieu des arbres centenaires se trouvait un ensemble de constructions abimées par le temps. Les vestiges étaient constitués d’une roche blanche presque immaculée que la pluie semblait éroder lentement.

Plusieurs petites structures s’élevaient ainsi, collées les unes aux autres et séparées par des allées envahies par la végétation.

Il s’agissait probablement d’un village. Ou du moins de ce qu’il en restait, bien longtemps après sa désertion.

Les constructions étaient parfaitement géométriques et semblaient démontrer une certaine volonté d’esthétisme. Les ouvertures deux fois plus hautes que lui, Rhô imagina que les occupants avaient été suffisamment grands pour occuper tout l’espace. L’antre de pierre était impressionnant, tant par le poids de l’histoire qui en transpirait que par son aspect. La pierre blanche était finement sculptée de motifs gravés à sa surface. Lissées par les années, les pierres n’avaient rien perdu de leur superbe.

L’évidence d’une logique dans les gravures le frappa. Ce peuple connaissait les mathématiques et le pouvoir qu’elles accordaient à quiconque parvenait à en maîtriser les différents aspects. Chaque bâtiment avait une base carrée d'une dizaine de mètres de long et la structure arrondie du toit en faisait un dôme élégant au milieu des arbres séculaires.

Hésitant, Rhô s'interrogea : avait-il le droit de pénétrer ces lieux sans risquer de les profaner ? Pour n’importe quelle espèce, cet endroit pouvait être un tombeau sacré, un sanctuaire de recueillement, ou encore de simples vestiges oubliés d’une gloire éteinte.

L’architecture n’avait rien de commun avec ce qu’il en connaissait. Là où la tour ancienne semblait payer le prix d’une construction rapide et d’une durabilité entachée par le temps, le village était beau dans sa simplicité et dans la longévité de sa construction.

S’il avait d’abord cru que l’endroit abritait les traces du passage d’une vie intelligente plus récentes que jusque-là, il commença à en douter.

Rien n’avait survécu à l’intérieur. Quelques fissures laissaient entrer la lumière, révélant un grand vide.

Intrigué, il fit le tour de la maison voisine, légèrement plus haute et aux murs plus épais.

Le constat fut le même.

Après la quatrième maison, il se décida à emprunter l’allée serpentant entre les édifices et menant à des constructions plus hautes et parfois surmontées d’une tour.

Il apercevait à une centaine de mètres une bâtisse plus haute encore que tout le reste. Il ne pouvait que s’agir d’un lieu de rassemblement ou d’une sorte de palais où résidait le dirigeant de ce peuple.

Disparu depuis bien longtemps, rien ne semblait avoir survécu aux ravages du temps en dehors des épais blocs de pierre marbrée.

La pluie battait toujours et Rhô convint qu’il devait se hâter, trouver un endroit pour s’abriter des créatures quand la nuit viendrait. Il voulait inspecter le large bâtiment qui dominait tous les autres et dont la nef semblait mener à la coupole qu’il avait aperçue depuis son perchoir le matin même.

À mi-parcours, le regard de Rhô se porta sur la majestueuse construction avec un regard neuf. Les pierres parfaitement agencées et régulières formaient un bâtiment solide, large et ornementé de gravures géométriques à l’aspect doré.

Le palais était bien plus grand encore que son esprit ne l’eût mesuré. Sa forme n’était pas aussi ordinaire que celles des premières constructions et déployait toute la richesse qu’avait mise à contribution son occupant. La pluie ravinait depuis le sommet en de larges cascades parfaitement symétriques de part et d’autre du bâtiment. Quatre minarets de forme oblongue s’élevaient aux quatre coins de l’édifice et une large coupole coiffait la tour centrale. C’était l’endroit qu’il avait espéré.

À mesure qu’il progressait entre les ruines désertes, se dessinaient clairement les glyphes d’une langue morte qu’il avait déjà observée la veille sur les restes près de la tanière des créatures. La civilisation qui avait bâti cet endroit était éteinte, mais les traces de son passage traversaient le temps.

Ce n’est qu’alors qu’il remarqua l’odeur portée par le vent : la pestilence envahissait ses narines au gré des mouvements d’air, comme les vagues s’écrasant et se retirant d’une plage.

Ramenée au sol par le parfum nauséabond, son attention se porta sur une place en contrebas sur sa droite. L’amphithéâtre dont il se trouvait au sommet menait à une large scène circulaire où le sol avait été colonisé par la végétation. La pluie battait le pavé avec la force d’une tempête à présent.

Ses sens en alerte, il réprima une nausée pour se concentrer sur l’objet de son attention.

Il avança et aperçut enfin ce qui l’avait attiré malgré lui dans cet endroit.

Un corps se trouvait en contrebas. La pluie avait effacé toute trace du crime et les os mouillés luisaient sous la faible clarté du jour. Pourtant l’odeur était persistante et la mort ne remontait pas à plus de quelques jours.

Il imagina que les charognards avaient causé la mort de cet être.

Irrémédiablement contraint par la curiosité, ses jambes le portèrent jusqu’au cadavre d’un pas hésitant.

Une sacoche en cuir brun lui avait été arrachée pendant l’affrontement et la végétation piétinée autour de lui laissait peu de mystère autour de l’état du cadavre.

Un bip régulier retentissait depuis la sacoche et une lumière ténue s’en échappait.


Texte publié par Théâs, 9 décembre 2024 à 10h18
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