Au cœur de la vallée, un silence dense enveloppe tout. Les montagnes, rugueuses et majestueuses, encerclent ce lieu oublié de tous. La tour, solitaire et altière, se dresse au milieu de ce paysage sauvage.
Ses pierres grises, érodées par les éléments déchainés, portent les marques du temps et le poids de l’histoire. Elle repose sur un socle de pierre, suspendu en contrebas de la pente abrupte d’un haut-relief. Ce relief, sculpté par des mains anciennes, s’efface peu à peu dans une masse nuageuse omniprésente, comme un secret gardé par les cieux.
Dans cette vallée, il n’y a rien d’autre que la Tour.
Elle est unique, elle est tout.
Rhô s’éveilla en sursaut, le souffle court et la sueur perlant sur son visage.
Ses yeux s’habituèrent au clair-obscur et il chercha du regard un point d’attache. Sa mémoire était vacillante, ses souvenirs disparus comme un rêve échappant au songeur qui s’éveille.
Le goutte-à-goutte rythmait ses pensées et la pâle lueur pénétrant dans l’endroit par l’étroite fenêtre qui s’étendait sur toute la hauteur du sol au plafond ne lui permit pas de comprendre où il se trouvait.
Les murs étaient bruts, surfaces grises parfois teintées du vert d’une colonie végétale accentuant encore la sensation de froid qui pénétrait son corps jusqu’au cœur de ses os. La pièce était aussi dépouillée que sa mémoire.
Il poussa sur ses bras pour se redresser et quitter la prostration fœtale dans laquelle il avait repris connaissance. Combien de temps était-il resté ainsi, prostré dans cet endroit glacé ?
Il détailla ses avant-bras blêmes tandis qu’il prenait conscience qu’il portait une simple combinaison de survie. Le matériau qui constituait de son unique vêtement étaient sombres et rugueux, mais lui donnait un certain confort. La tenue était comparable à celles que portaient les astronautes ou les plongeurs.
Le terminal qui se trouvait au niveau de la poitrine avait été arraché. Seul le témoin de survie était encore actif, émettant une lueur au rythme de ses pulsations cardiaques.
Après avoir vérifié son intégrité physique, Rhô se releva, hagard. Le monde dansait autour de lui et il lui sembla que son corps pesait bien plus que ce à quoi il s’était attendu. Ou bien son état ne lui permettait-il tout simplement pas de ses déplacer dans les meilleures conditions ?
Il fut pris d’un vertige alors qu’il se redressa. Un pas maladroit après l’autre, il se rapprocha de la paroi en verre semblant donner sur l’extérieur et reprit un peu d’équilibre en posant sa main contre la pierre rugueuse du mur. Elle était froide et Rhô eut l’impression qu’un courant électrique avait réveillé ses sens et sa conscience.
Le temps était à l’orage au-dehors et la pluie ravinait contre le verre épais. Un éclair brisa le silence dans la vallée en contrebas faisant jouer les ombres de la végétation abondante, pliant au gré du vent comme les vagues se succédaient à la surface de l’océan.
Ébloui par un nouvel éclair, il n’eut d’autre choix que de détourner le regard en fermant les paupières par réflex.
Le sol de la pièce était fait du même matériau que les murs, mais une gravure géométrique formait une grille complexe. Une légère lumière jaunâtre ceinturait le périmètre de la pièce de son réveil. À l’opposé de la fenêtre étroite se trouvait un accès clos.
Il entreprit, avec plus d’assurance cette fois, de rejoindre la sortie et observa attentivement la commande d’ouverture lumineuse à la droite de la du sas en métal rouillé. Il n’y avait aucun symbole, aucun signe quelconque ne pouvant indiquer un nom ou un lieu.
L’hologramme émis depuis un point lumineux dans le mur en béton vacillait légèrement, mais il porta sa main sur l’unique bouton matérialisé et la porte s’ouvrit dans un souffle.
Trainant ses pieds nus sur le sol froid, il quitta sans un regret la chambre de son éveil et se trouva dans une coursive surplombant le vide intérieur de la construction. Rhô avait supposé qu’il se trouvât à une certaine hauteur dans la construction, mais il n’avait pas réalisé à quel point l’édifice pouvait être haut. En se penchant légèrement par la balustrade, il aperçut une cascade qui déversait un torrent d’eau depuis le sommet de la tour jusqu’en bas. Il n’avait pas réussi à compter précisément, mais il avait estimé se trouver à une vingtaine d’étages au-dessus du sol, et il devait y en avoir autant au-dessus de lui jusqu’au sommet.
L’ensemble formait une nef verticale emplie par le vacarme de la cascade s’écoulant depuis le haut de l’édifice jusqu’à ses fondations. Rhô déduisit que le sol en contrebas devait être dans un état de délabrement avancé s’il considérait que la chambre propre et sèche où s’il s’était réveillé semblait avoir été abandonnée depuis des décennies.
Il chercha un point d’accroche dans sa mémoire, observant l’architecture comme pour déclencher le jaillissement de quelque souvenir enfoui profondément, mais rien ne vint.
Le désert de son esprit était aussi frustrant qu’effrayant. Il observa la coursive faisant le tour du bâtiment pour dénicher quelques traces d’un passé lointain, mais il ne trouva rien.
Pas un miroir, pas un meuble, ni même une trace qu’il y en eut un jour en ces lieux.
Une simple succession de pièces humides et vides sans le moindre artifice ou la moindre décoration. Quelques sas étaient condamnés ou trop endommagés pour révéler ce qu’ils cachaient, mais cela n’avait aucune importance pour lui. Il savait, sans trop vraiment comprendre pourquoi, que tout ce qu’il pouvait découvrir n’était qu’un vaste désert humain identique aux autres. Lorsqu’il se trouva derrière la chute d’eau, un escalier en colimaçon semblait desservir les autres étages et Rhô s’empressa de descendre.
Il commençait à avoir froid, la température glacée du sol s’infiltrant sous sa peau depuis ses pieds jusque dans ses doigts. Pour autant, il ne grelotait pas.
Il avait l’intime conviction que l’absence de sa mémoire n’était pas étrangère à la curieuse sérénité qu’il ressentait. Il y avait quelque chose d’artificiel dans tout cela, une incroyable ambiguïté dans ses pensées.
Le rez-de-chaussée était exactement comme il l’avait imaginé : une surface plane pleine de motifs géométriques abimés par le temps et l’eau ruisselant à sa surface. La cascade dont l’eau s’écrasait avec force sur les dalles de pierre grise avait creusé le sol et fracturé les pierres autour de son point de chute. L’eau disparaissait dans une petite mare sombre dont s’échappaient quelques plantes à plumeaux.
Rhô commença par ressentir la soif. Elle avait toujours été là en réalité, mais il sembla que son corps réagissait comme une machine dont les sens étaient des programmes mis en route l’un après l’autre.
Le témoin lumineux sur son torse était faible, mais bien présent. S’il ne savait pas vraiment interpréter le signal, il lui parut plus que raisonnable de croire que celui-ci indiquait son état de santé général.
Rhô avait des connaissances, des intuitions qui lui paraissaient être totalement naturelles de telle sorte qu’il avait nécessairement eu une vie avant de se retrouver dans cet endroit. Quelque chose voilait les événements dans sa mémoire, un brouillard opaque et tenace qui ne laissait rien transparaitre de sa vie passée.
À moins bien sûr qu’il ne fût qu’un produit ? Un objet animé à la seule volonté de quelque créateur invisible ?
Il réfuta ces dernières hypothèses qui lui étaient, de loin, les plus insupportables. L’heure avançait et la relative obscurité qui régnait à ce niveau lui indiquait que la nuit n’allait pas tarder à s’étendre sur la Tour.
Il eut brutalement la sensation de suffoquer. L’angoisse provoquée par l’absence de passé commençait à avoir des répercussions sur son état émotionnel et s’il n’avait pas le loisir de se laisser submerger, il ressentit un besoin irrépressible de s’extrait de la tombe de pierre et de verre.
Il avança d’un pas pressé vers la sortie, une étroite ouverture au bout d’un couloir sombre. Lorsqu’il fut enfin au-dehors, les pieds en contact avec le sol mouillé et l’herbe épaisse, Rhô prit une profonde inspiration.
L’air qui entra dans ses poumons lui donna l’impression qu’il n’avait encore jamais vraiment respiré. Il se sentait éveillé et conscient comme jamais depuis son réveil. Le bruit de la pluie capotant sur le sol détrempé, le cliquetis des gouttes d’eau tombées depuis les bordures pierreuses du monolithe qui le surplombait.
Tout son monde devint plus vivant, plus présent.
Il se retourna pour faire face à la montagne artificielle qu’il avait quittée.
La construction était austère, mais magnifique. Son immensité était à la fois belle et terrifiante. Les fenêtres s’étalaient en longues lignes effilées depuis la base jusqu’au sommet. Çà et là les bordures étaient ouvragées bien que rongées par les effets de l’eau depuis sa construction.
Le bâtiment ne semblait pas avoir été construit pour une fonction particulière, du moins Rhô ne parvenait pas à le déterminer. La tour existait simplement dans le décor verdoyant ceinturé par une chaine de montagnes dont les sommets semblaient accessibles seulement aux nuages qui les masquaient.
Il imagina les sommets enneigés et couverts de falaises de glace.
Le jour continuait de décliner et si l’astre solaire demeurait invisible au travers de l’épaisse couche de nuages, il n’en demeurait pas moins que le temps passait. Le sol était encore plus endommagé au-dehors qu’il ne l’était à l’intérieur, mais par endroit, au gré du vent, des ilots de granit gris apparaissaient entre les touffes d’herbe. Rhô repéra un endroit qui semblait être l’un des coins de la surface plane supportant la tour massive couvert par une cabane au toit déformé par le temps.
Après quelques minutes de marche, il parvint à la petite construction de forme cylindrique qui devait faire plus ou moins le double de sa propre taille. L’ouverture constituée d’un sas en métal effondré en un amas de rouille donnait sur un lieu sombre et étroit.
Il enjamba prudemment les restes du sas et attendit patiemment que ses yeux s’habituent à l’obscurité. Les formes apparurent les unes après les autres. D’abord grossières puis plus fines et détaillées.
Comme le reste de la bâtisse jusque-là, la petite loge était vide. Sur la droite une ouverture aux volets métalliques rouillés laissait siffler l’air qui s’engouffrait entre les lames, déversant sur une surface plane à hauteur de la taille de la poussière et des déchets végétaux asséchés.
Au sol, un petit conteneur en alliage métallique était renversé sur le côté.
Rhô s’en saisit avec précaution et observa tant bien que mal l’objet qui se trouvait à l’intérieur. Malgré les déchets végétaux et la poussière, il reconnut instantanément une torche à plasma.
Alors que la pluie s’intensifiait au-dehors et l’obscurité commençait à rendre son retour complexe, il remplit le petit récipient d’un maximum de végétaux desséchés par le temps et reforma le conteneur.
Rien d’autre ne se trouvait dans la petite guérite délabrée qu’il délaissa sans plus attendre pour retourner à l’intérieur. Il n’y avait plus de temps à perdre, il devait impérativement faire du feu pour maintenir une température correcte en attendant de trouver quelque chose de plus confortable pour conserver la chaleur. Sans perdre une minute, il courut sous la pluie en direction de la Tour qui étendait toute sa hauteur et prenait des allures lugubres dans cette quasi-obscurité.
D’après une vague estimation, il lui restait quelques minutes pour entrer dans la tour avant que la nuit ne tombe définitivement sur la vallée. Ilo ne savait pas d’où lui venaient ces informations. Était-ce l’instinct ? Les réminiscences de connaissances avérées ? Ou tout simplement les divagations d'un esprit malade ?
Il n’avait pas de temps à céder à l’introspection : il devait atteindre le refuge du monolithe. Entre ses murs, il ne risquait rien.
Rhô franchit le seuil au dernier moment et eut tout juste le temps d’entendre un hurlement se répandre dans la vallée avant qu’un champ d’énergie ne se dressât dans le long couloir d’accès. La lueur orangée et le crépitement du bouclier d’énergie signalaient que la zone était sous protection.
Son instinct lui avait dicté sa conduite et il n’était pas sans raison de croire que passer la nuit dehors aurait pu se montrer fatal. S’il n’avait eu qu’un aperçu de la vallée, il n’en demeurait pas moins que des animaux pouvaient avoir prospéré au-dehors.
La tour était ainsi son refuge et son protecteur.
Il rassembla les branchages secs d’un arbuste asséché et le charbon étrangement sec stocké dans une urne près de l’entrée. Il rassembla le tout non loin de la cascade proche des escaliers et entreprit d’allumer un feu à l’aide de la torche plasma.
L’outil était rudimentaire, mais sa simplicité en faisait un objet à la durée de vie quasi illimitée. Une fois que le charbon eut pris entre les pierres qu’il avait rassemblées, Rhô se coucha sur le côté face au feu et face à l’entrée.
S’il ne dormait pas, au moins pouvait-il espérer guetter le danger.
Les questions étaient nombreuses à hanter ses pensées, mais pour cette nuit au moins, elles devraient patienter.
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