Elle voulait briller aux yeux d’un autre. Elle désirait ressentir une brûlure vive et intense en elle. Celle dont tout le monde parle mais que personne ne peut décrire. Une lumière qui ne lui ferait jamais connaître l'obscurité. Plus que tout, elle souhaitait que son être soit un astre resplendissant, répandant une flamme qu’on ne pourrait consumer. Aux yeux de cet autre, elle voulait être une étoile étincelante. C’est la première chose à laquelle elle a songé lorsqu’il lui avait proposé de se rencontrer sous le ciel étoilé.

C’est une nuit d’hiver. Personne n’aime sortir de chez soi à cette période de l’année. Tous fuient le froid et les rues trop sombres. Elle et lui ont osé sortir pour parcourir la ville et la nuit obscure, celle où les étoiles sont les plus brillantes. C’est cette nuit-là qu’elle est tombée amoureuse de lui. C’est cette nuit-là qu’elle a ressenti pour la première fois de sa vie un feu ardent en elle. Elle savait aussi que ce serait la dernière fois. Le cœur ne peut supporter d’aimer une seconde fois. Le corps ne peut survivre éternellement à une brûlure aussi intense. Cela fait trop mal. Et pourtant, dès l’instant où elle croise son regard lorsqu’ils se retrouvent, elle espère que cette flamme, aussi dévastatrice soit-elle, ne s’éteigne jamais.

Cette nuit, elle le voit en secret. Personne ne le sait. Elle-même ne connaît pas sa destinée. Il l’emmène dans un endroit inconnu. Il lui dit que c’est un endroit secret. Que c’est son endroit, à lui. Il lui dit de ne pas avoir peur. De ne pas s’inquiéter parce que personne ne saura qu’elle est avec lui. Cette escapade, c’est leur secret. Ils fuient le monde à deux.

Il marche à ses côtés. Chacun sait que l’autre est impatient de retrouver les étoiles mais ils prennent leur temps. Il veut profiter du moment. Il veut se délecter de sa présence qui est éphémère, il le sait. Il passe un bras autour d’elle. Elle ne sait plus où donner de la tête. Son cœur flanche. Une vague de chaleur parcourt son corps entièrement. Ressentir toutes ces sensations lui fait presque mal. Mais elle se sent entière. C’est seulement elle et lui. Le reste du monde est mis à la porte. Elle le rejette. Elle ne veut plus jamais le revoir.

Loin de la ville, loin du monde, ils arrivent là où il n’y a plus de pollution lumineuse. Là où ils peuvent enfin admirer les étoiles. Ils se posent là où l’herbe est humide. L’air est frais. Trop frais. Elle lui dit. Il la réchauffe en se collant à elle. Son souffle s’accélère, elle a presque du mal à respirer. Son corps a froid mais son esprit a chaud. Elle brûle de l’intérieur au contact de sa peau. C’est dévastateur.

Elle ne connaît pas l’endroit où il l'emmène. Pourtant, elle ne se sent pas perdue. Elle a l’impression d’avoir la certitude que sa place est à ses côtés. Elle se sent bien, elle pourrait mourir à cet instant, rien ne pourrait la perturber, elle et toutes les sensations qu’elle ressent. Elle vacille lorsqu'il pose sa main sur la sienne. Elle a le vertige lorsqu’il plonge ses lèvres dans son cou. Et elle a l’impression de ne plus faire partie de ce monde lorsqu’il lui sourit de ce sourire hypnotique. Elle sait qu’elle s’en souviendra jusqu’à ce que la mort l’emporte. Plus rien n’a d’importance.

Il ne la regarde pas. Elle est un peu déçue. Il lève les yeux vers le ciel alors elle fait de même. Des paroles silencieuses sont échangées. Ce silence est le reflet de leurs pensées communes. Il est convenu de ne pas les dévoiler maintenant. Ce soir, elle lui dira qu’elle n’aime que lui, qu’il n’est pas qu’une étoile perdue au milieu de la lueur des autres. Qu’il est tout. Ce soir, elle osera. L’autre aussi osera.

Elle pense aux paroles silencieuses de l’autre, à son corps qui parle à sa place. Il ne cesse de la toucher, comme pour ne pas oublier le tracé de ses courbes. Il ne veut pas oublier sa peau qui frissonne sous ses caresses. Il embrasse son cou, il aime son parfum. Il ne veut pas l’oublier pour plus tard. Elle ne pense qu’à l’embrasser. Il ne pense qu’à l'embraser. Ils ne pensent qu’à consumer l’autre. Ils le pensent différemment.

Il ne veut pas détacher ses yeux des étoiles. Seule, elle songe. Elle désire être parmi ces points lumineux. Elle veut qu’il la contemple. Elle ne veut plus exister aux yeux du monde. Elle ne veut exister qu’à ses yeux. Elle veut briller aux yeux de cet autre-là.

Le cœur ne peut supporter d’aimer une seconde fois. Le corps ne peut survivre éternellement à une brûlure aussi intense. Ce n’est pas la première fois que l’autre tombe amoureux. Cette pensée lui est insupportable. Il l'embrasse. Elle s’embrase. Il la consume. Elle succombe. Elle ferme les yeux, c’est la dernière fois qu’elle regarde le monde. Ses lèvres, jusqu’alors brûlantes, deviennent froides. Elle avait pourtant tant de fois rêvé de ce baiser, si parfait en pensée. Désormais, sa peau a mal. Elle sent une chaleur vive traverser son corps. Ce n’est pas agréable, elle ignore ce que c’est. Ça transperce son coeur. Des flammes en découlent. Elle veut crier. C’est insoutenable. Mais rien d’autre n’a d’importance. Elle ne vit et ne meurt que pour ce moment, seulement pour ce baiser qu’elle désirait ardemment. Elle sait désormais qu’il ne verra plus qu’elle. Il serre sa main autour de son cou, ses doigts la brûlent. Ils ne sont pas aussi doux que ses lèvres qui ont déjà épousé ce bout de peau sensible. Mais elle ne veut pas se détacher de lui, peu importe si elle manque d’air. Un son inconnu sort d’entre ses lèvres. Il est rapidement étouffé. Elle pleure, elle ne s’en rend pas compte mais elle pleure. Elle sait qu’elle brille aux yeux de cet autre-là. Rien d’autre n’a d’importance. Le reste du monde périt. Et elle périt avec.

La flamme qui l’animait s’éteint. Celle qui n’appartenait qu’à elle. Celle qu’elle chérissait tant. Elle s’est embrasée puis consumée, jusqu’à ne plus exister. La lumière que cet autre lui a offerte l’a aveuglé. Elle n’a pas vu sa destinée chavirer.

Il ne la regarde toujours pas mais, à cet instant, il sait. Il sait qu’il se souviendra. Il se souviendra de sa peau froide parce que le vent ne cessait de l’effleurer. Il se souviendra du tracé de ses lèvres. Plus tard, il posera ses doigts sur ses propres lèvres pour en tracer le contour, pour se remémorer les siennes. Il se souviendra de ses gémissements, d’abord plaisant puis agaçant une fois devenu plaintif. Il se souviendra d’elle, chaque fois qu’il lèvera les yeux vers le ciel obscur. Il se dira qu’elle est une haute lumière. C’est comme ça qu’elle appelait les étoiles, elle le lui avait chuchoté à l’oreille avant qu’il ne l’embrasse. Elle disait qu’elle désirait en être une à ses yeux. Qu’elle désirait briller. Désormais, elle brille et il la regarde enfin. Il les regarde toutes. Toutes celles qu’il a aimé. Elles sont des étoiles perdues au milieu de la lueur des autres. Elles voulaient briller aux yeux d’un autre. Mais pas de cet autre-là. Elles ne l’ont su que trop tard.